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Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

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Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

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Sommaire

    Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

    À l’instar du juriste Léon Duguit, on peut concevoir l’État comme « une fédération de services publics ayant pour objet d’organiser la société et d’assurer son fonctionnement pour le bien commun[1] ». C’est par la constitution de ces services publics que la République française s’est formée puis consolidée. Les services publics sont consubstantiels à l’identité républicaine de notre pays. Ils constituent l’instrument privilégié pour mettre en œuvre l’objectif historique de la République : l’intérêt général.

    La fonction publique représente en France environ un emploi sur cinq. Les services publics sont partout dans nos vies, indispensables à notre quotidien. En socialisant les risques, ils permettent l’accès aux besoins de base à des coûts très faibles pour l’immense majorité de la population. En refusant la logique marchande, ils consacrent les principes de solidarité, de continuité, d’égalité, de neutralité devant les biens et services mis en commun.

    Afin de mettre en marche les services publics, les fonctionnaires disposent d’un statut particulier. Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les fonctionnaires sont soumis à l’arbitraire de leur hiérarchie. Le recrutement par concours n’est pas systématique, et laisse souvent place à la cooptation et au clientélisme. Il faut attendre la Libération pour que la fonction publique se dote d’un premier statut : liberté syndicale, fonctionnaires classés en trois catégories hiérarchiques (A, B, C,) commissions paritaires dans la gestion des carrières individuelles et l’organisation des services, liberté d’opinion, et systématisation du recrutement par concours. Le droit de grève sera lui consacré par l’arrêt Dehaene du Conseil d’État en 1950. Les grandes lois des années 1980 tendent à unifier le statut des fonctionnaires et à rapprocher leurs droits des salariés du secteur privé. La loi du 13 juillet 1983 consacre notamment la liberté d’opinion (qui n’est pas la liberté d’expression, qui doit s’articuler avec le devoir de réserve), garantit le droit syndical et l’étend en reconnaissant le droit à congé pour formation syndicale. Les lois du 11 janvier 1984 (fonction publique d’État), du 26 janvier 1984 (fonction publique territoriale) et du 9 janvier 1986 (fonction publique hospitalière), unifient le régime juridique des trois fonctions publiques.

    Les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs comme les autres, ils sont soumis à des devoirs impérieux envers l’État et les usagers. En ce sens, le statut des fonctionnaires repose sur plusieurs principes : l’obéissance hiérarchique – mais également le devoir de désobéissance lorsqu’ils doivent répondre à un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ; le devoir du service, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer une activité lucrative à temps plein simultanément ; le devoir de réserve ; l’obligation de discrétion ; l’interdiction de posséder des intérêts dans une entreprise soumise au contrôle de son administration, qui seraient de nature à compromettre son indépendance.

    Le statut du fonctionnaire a pour corollaire la sécurité de l’emploi. Loin d’être un privilège anachronique, cette sécurité vise à protéger les fonctionnaires des pressions hiérarchiques et politiques, mais aussi à assurer la continuité du service. Ce principe fondamental du service public est cependant remis en cause par le non-remplacement fréquent des fonctionnaires partant à la retraite, et surtout par la contractualisation croissante des agents publics : plus d’un agent public sur cinq est contractuel et un contractuel sur quatre est en contrat court. Sous l’impulsion de la contre-révolution néolibérale et des théories du « nouveau management public », le statut des fonctionnaires n’a eu de cesse de connaître des exceptions, dérogations et limitations en tout genre. Si les prémices se font sentir dès les années 1990, c’est en 2007 et l’instauration de la RGPP que le statut de la fonction publique commence véritablement à s’effriter. Tout au long des quinquennats de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, la réduction du nombre de fonctionnaires est devenue l’axe principal des réformes touchant à la fonction publique[2]. Elle s’est accompagnée d’une part accrue du personnel non titulaire, d’une logique d’individualisation des tâches et des revenus chez les fonctionnaires, et d’une délégation toujours plus importante des activités vers le secteur privé.

    Ces politiques dites de « modernisation » ont pour conséquences une détérioration des conditions de travail des fonctionnaires et un affaiblissement des principes inhérents au service public, qui menacent l’accès à toutes et tous aux services de base.

    La crise sanitaire du Covid-19 a révélé qu’une fonction publique affaiblie menace directement les citoyens, en particulier dans l’hôpital public. Loin d’être un poids pour les finances publiques, les services publics permettent une prise en charge efficace, réactive et solidaire de la population. Il faut réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire à l’ensemble des agents publics, en encadrant strictement le recours à des personnels contractuels (I). Ce recrutement massif doit être accompagné d’une revalorisation des traitements, avec la hausse de la valeur du point d’indice (II). La fonction publique doit aussi permettre une meilleure représentativité de la société française, l’ouverture de nouveaux droits pour les fonctionnaires, et une meilleure prise en compte des usagers dans le fonctionnement des services publics (III).

     

    1. Réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire

     

    On compte 5,52 millions de personnes travaillant dans la fonction publique française : 2,45 millions de la fonction publique d’État (FPE) ; 1,9 million de la fonction publique territoriale (FPT) ; 1,17 million de la fonction publique hospitalière (FPH). Ces chiffres comprennent les fonctionnaires, c’est-à-dire les personnes titulaires, mais aussi les personnes sous contrat (en CDI ou en CDD), ainsi que les emplois aidés ; ces derniers sont en diminution depuis 2017 en particulier dans la FPT et les communes[3]. Dans l’ensemble de la fonction publique, il y a ainsi 3,84 millions de fonctionnaires (69,5%), 1,02 million de contractuels (18,4%), 309 000 militaires (5,6%) et 358 000 autres types de contrats (6,5%)[4].

    Entre fin 2016 et fin 2017, les effectifs de la fonction publique hors contrats aidés ont augmenté de 0,8 %, soit 43 200 agents de plus. L’emploi public progresse dans les trois fonctions : + 0,9 % dans la FPT, + 0,8 % dans la FPE et + 0,7 % dans la FPH. Cependant, cette hausse est surtout le fait des contractuels (+5%) tandis que le nombre de fonctionnaires diminue (-0,2%).

    Ainsi, derrière l’apparente stabilité de la fonction publique, ce sont des emplois contractuels et donc précaires qui augmentent, tandis que la part des titulaires dans l’emploi public ne cesse de baisser. Entre 2011 et 2017, leur nombre a augmenté en moyenne de 1,1 % par an dans l’ensemble de la fonction publique quand l’emploi public (hors contractuels et bénéficiaires de contrats aidés) progressait de 0,2 %. Le nombre total d’agents publics a bien augmenté en apparence entre 2007 et 2017, avec 250 000 postes supplémentaires (de 5,27 millions à 5,52 millions). Toutefois, lorsque l’on prend en compte l’augmentation de la population française, il a en réalité proportionnellement diminué. Sur cette même période, on constate une augmentation de la population de 5 % alors que le nombre d’agents n’augmente que de 4,7 %. Pour avoir un même ratio d’agent par habitant qu’en 2007[5], il manquerait donc environ 14 000 agents, les trois fonctions publiques confondues.

    Dans la FPH, entre 2003 et 2017, 69 000 lits ont fermé dans les hôpitaux publics en France (30 000 lits en hospitalisations de court séjour et 48 000 lits en long séjour), alors que le nombre de patients pris en charge aux urgences est passé de dix millions en 1996 à vingt et un millions en 2016, soit une augmentation de 110%. Selon le SNPI[6], la charge de travail d’un infirmier aurait doublé depuis dix ans. Il est urgent d’embaucher du personnel soignant pour améliorer les conditions de travail. Le collectif Inter-Urgences[7], en juin 2019, estimait nécessaire la création immédiate de 10 000 postes d’infirmiers et d’aides-soignants dans 550 hôpitaux.

    Proposition n°1: Embauche immédiate de 10 000 fonctionnaires infirmiers et aides-soignants dans la FPH, accompagnée d’un moratoire sur les politiques de réduction de postes d’agents publics et d’un audit sur les besoins en ressources humaines dans les trois fonctions publiques.

    Il paraît également nécessaire de créer un nouveau corps de médecins fonctionnaires généralistes, exerçant dans les déserts médicaux ou dans les services hospitaliers en tension. En échange d’une rémunération pendant leurs études, ces fonctionnaires devront obligatoirement travailler durant dix ans dans des zones où le manque de médecins est établi.

    Proposition n°2 : Création d’un corps de médecins fonctionnaires généralistes exerçant dans les déserts médicaux, pour dix ans, en contrepartie d’une rémunération durant leurs études.

    La part des contractuels progresse rapidement dans l’emploi public. En 2017, elle représentait 22,5% des emplois de la fonction publique. L’emploi contractuel est, de manière générale, un emploi précaire. En volume de travail, les contrats de moins d’un an représentaient près d’un quart du volume total des contractuels en 2016. Parmi l’ensemble des postes occupés par des contractuels en 2016, on en comptabilisait 538 500 nouveaux, soit près de 38 % des contrats, et 72 % de ces contrats avaient une durée inférieure ou égale à un an. De manière générale, ce type de contrat représente 47 % des contrats dans la FPT, 39 % dans la FPE et 41 % dans la FPH.

    Les différentes réformes menées depuis 2007 accentuent la part des contractuels dans l’emploi public total. La dernière en date, la « loi de transformation de la fonction publique » du 6 août 2019, accélère ce mouvement, et promeut en filigrane le recrutement sur contrat comme voie normale d’accès à la fonction publique, en remplacement du concours : recours au contrat sur les emplois de direction ; nouveau CDD « de projet » pouvant durer jusqu’à six ans ; recrutement par voie de contrat sur les emplois permanents de catégories A, B et C, par dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires dans les trois fonctions publiques. De même, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) accélère aussi ce mouvement dans l’ESR, où le nombre de contractuels peut atteindre de 35% de l’emploi dans les universités.

    La FPH est particulièrement touchée par cette contractualisation à marche forcée et par le gel des postes de fonctionnaires. En 2017, 19,2% des agents publics sont contractuels dans la FPH, soit +5,9% par rapport à 2016. 51,8% des contractuels sont en CDD, et 85,3% de ces CDD sont de moins d’un an.

    Il faut donc mettre un terme à cette contractualisation toujours plus poussée de la fonction publique, en faisant des contractuels l’exception et non la norme. De même, au nom de la flexibilité et du prétendu manque de compétences au sein de la fonction publique, un nombre croissant de postes auparavant occupés par des fonctionnaires le sont aujourd’hui par des contractuels. Nous proposons que la titularisation des contractuels en CDI soit facilitée, après quelques années d’activité. Les fonctions encadrantes et dirigeantes doivent être réservées à des fonctionnaires, en faisant jouer quand il le faut la mobilité interne, et ne peuvent plus être proposées à des agents contractuels.

    Proposition n°3 : Titularisation facilitée des agents publics contractuels en CDI, et limitation de leur nombre à 5 ou 10% des emplois publics, en fonction des besoins, avec des missions au caractère exceptionnel et temporaire. Les fonctions encadrantes et dirigeantes ne peuvent pas être proposées à des contractuels.

     

    2. Revaloriser le point d’indice et faire du traitement la base des revenus du fonctionnaire

     

    En 2017, le salaire net mensuel moyen dans l’ensemble de la fonction publique s’élevait à 2304 euros (soit +1,2% par rapport à 2016), hors bénéficiaires de contrats aidés, et le salaire net médian à 2049 euros (soit +1,1%). En 2016, dans le secteur privé, le salaire net moyen s’élevait à 2238 euros et le salaire net médian à 1789 euros. Si les débuts de carrière dans la fonction publique peuvent être plus intéressants que dans le privé, ce n’est plus le cas en milieu et en fin de carrière. De même, certaines catégories A et B sont relativement moins bien rémunérées que dans le privé, à poste égal.

    Cette progression relative du salaire moyen des agents publics masque le gel de la valeur du point d’indice. Celle-ci n’a pas évolué depuis le 1er février 2017, et s’élève toujours aujourd’hui à 4,69 euros. Entre 2010 et 2020, le point d’indice n’a évolué que de 1,20 %, alors que l’inflation cumulée est de 11% sur la même période. Depuis le 1er juillet 2010, on évalue la perte de pouvoir d’achat du point d’indice par rapport à l’indice des prix à la consommation à 8,27 %. La CGT estime qu’au 31 décembre 2019, la perte mensuelle atteignait 142 euros pour un agent en catégorie C, 195 euros en catégorie B, et 259 euros en catégorie A[8]. Il faudrait donc a minima augmenter la valeur du point d’indice de 10% pour prendre en compte l’inflation et la perte de pouvoir d’achat.

    Proposition n°4 : Augmentation de 10% de la valeur du point d’indice, afin de rattraper le gel entre 2010 et 2016 et entre 2017 et 2020.

    De même, une partie toujours plus importante des revenus des fonctionnaires provient de la multiplication des primes individuelles et des indemnités à hauteur de 22,2%, comme la GIPA (garantie individuelle du pouvoir d’achat depuis 2008), et les primes au mérite individuelle et collective que la loi sur la transformation de la fonction publique amplifie fortement, tandis que la part du traitement – d’où proviennent les cotisations sociales – ne cesse de diminuer. Le protocole Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations (PPCR) a engagé un processus de transformation des primes en points d’indice, et donc une prise en compte des cotisations sociales, mais le mouvement est trop faible au regard du retard pris depuis 2010.

    Proposition n°5 : Limiter le recours aux primes au mérite et à l’excellence et favoriser leur conversion en points d’indice, dans le cadre d’un PPCR renégocié.

    La revalorisation du point d’indice doit être accompagnée de rattrapage salarial ciblé pour certaines professions dévalorisées ces dernières décennies, comme les enseignants[9], les enseignants-chercheurs[10] ou le personnel hospitalier. Dans la FPH, les quelque 500 000 fonctionnaires infirmiers perçoivent un salaire particulièrement bas. Il était en 2015 parmi les plus faibles des 29 pays membres de l’OCDE[11]. La rémunération moyenne des infirmiers français est ainsi inférieure de 5% au salaire moyen national. En comparaison, en Espagne, un infirmier gagne 28% de plus que le salaire moyen. Ces conditions de rémunérations peu avantageuses, et les conditions de travail difficiles ont des conséquences immédiates sur la stabilité de l’emploi infirmier, qui connaît un turn-over de plus en plus élevé. Selon les syndicats infirmiers, il serait nécessaire d’augmenter de 300 euros le salaire net du personnel soignant afin de redonner de l’attractivité à ces métiers. Il nous semble même nécessaire d’aller au-delà, jusqu’à une augmentation progressive de 500 euros, pour coller avec la moyenne des pays de l’OCDE.

    Proposition n°6 : Revaloriser de manière ciblée le traitement de certains corps, comme ceux des enseignants, des enseignants-chercheurs ou des personnels soignants. Pour ces derniers, l’augmentation sera de 500 euros du traitement mensuel net.

     

    3. Une fonction publique plus diverse, exemplaire, avec de nouveaux droits

     

    Le statut du fonctionnaire repose historiquement sur le recrutement par concours, plus impartial que le choix discrétionnaire de contractuels. Ce type de recrutement permet l’égalité entre les fonctionnaires, leur indépendance, mais aussi leur responsabilité. C’est à partir du concours que s’est développée la fonction publique de carrière. Le fonctionnaire dispose de son grade, et non de son emploi, ce qui le protège contre les pressions politiques et l’arbitraire administratif, et garantit sa neutralité vis-à-vis des usagers. Le fonctionnaire doit donc être pensé comme un fonctionnaire-citoyen, et non comme un fonctionnaire-sujet.

    Le recrutement de fonctionnaires – et non de contractuels – doit redevenir la norme dans les trois fonctions publiques. En effet, les compétences ne manquent pas dans la fonction publique, qui constitue un très bon marché interne. En ce sens, il faut favoriser la mobilité interne au sein de la fonction publique, et promouvoir les passerelles entre les différentes catégories C, B, A et A+, afin de mobiliser les compétences déjà existantes en promouvant le recrutement par concours interne et la formation continue, notamment pour accéder aux fonctions encadrantes.

    Proposition n°7 : Favoriser la mobilité interne dans les trois fonctions publiques, et promouvoir les concours internes et la formation continue pour les fonctions encadrantes.

    Concernant la haute fonction publique, il est nécessaire de limiter la reproduction sociale qui a cours dans le recrutement par concours. La plupart des élèves de l’ENA ou de l’INET proviennent des IEP et surtout de Sciences Po Paris. En ce sens, les concours externes de ces écoles doivent être revus pour favoriser les étudiants provenant des universités publiques, en créant dans chaque faculté de droit un cursus spécifique préparant à ces concours, sur le modèle des prépas déjà existantes.

    Proposition n°8 : Transformer les concours externes pour favoriser les étudiants de l’université publique, en créant dans chaque faculté de droit un cursus spécifique sur le modèle des prépas en vue de préparer les concours.

    La haute fonction publique doit être exemplaire et irréprochable. La pratique du pantouflage qui consiste pour un agent public à aller travailler dans le secteur privé – parfois même durant son engagement décennal – est porteuse de conflits d’intérêts et jette le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique. Il est nécessaire de réaffirmer avec fermeté l’interdiction d’une telle pratique durant l’engagement qui lie un fonctionnaire à l’État après le concours d’entrée, en particulier à la sortie de l’ENA ou de Polytechnique, en faisant de la rupture de la période d’engagement – sauf motif impérieux – un délit. Un fonctionnaire dont la formation a été payée par l’État ne saurait se soustraire à ses obligations et ses devoirs.

    Proposition n°9 : Faire de la pratique du “pantouflage” un délit, et interdire les tentatives de “rachat” de la période d’engagement d’un fonctionnaire par une entreprise privée.

    Il est indispensable de réaffirmer les droits des fonctionnaires : droit d’expression, droit de se syndiquer, droit de grève, droit de retrait. Il nous paraît nécessaire de renforcer le droit à la participation dans la prise et l’exécution de décision : il faut démocratiser le fonctionnement des services publics. Ils ont connu ces dernières années une multitude de regroupements et de réorganisations, souvent menés à marche forcée, avec des résultats très mitigés et un dispositif complexe, lent et coûteux.

    Ceci est particulièrement vrai dans la FPH, où les fonctions managériales s’épanouissent librement sous l’autorité d’un chef d’établissement aux allures de PDG depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoire de 2009. De fait, le fonctionnement très vertical des hôpitaux ressemble de plus en plus à celui des entreprises. Or, la santé, plus que tout autre domaine, a besoin d’une plus grande horizontalité, vers les fonctionnaires, mais aussi vers les patients et les usagers. Il paraît nécessaire de redonner du pouvoir au personnel médical et soignant dans la prise de décision et les orientations budgétaires de l’établissement, en y associant également les patients et les usagers du FPH ; il faut mettre fin à la toute-puissance du directeur-manager d’hôpital.

    Proposition n°10 : Renforcer le droit à la participation des fonctionnaires dans le fonctionnement des services publics, en particulier dans le fonctionnement des hôpitaux publics.

    De manière plus transversale, il semble important dans les trois fonctions publiques que les usagers prennent part aux décisions qui les concernent. Dans tous les services, des comités de participation et de contrôle des usagers peuvent porter les attentes et les besoins des usagers, mais aussi leurs suggestions quant à l’amélioration des services publics, en lien étroit avec les fonctionnaires et dans le respect de leurs fonctions.

    Proposition n°11 : Développer des comités de participation et de contrôle des usagers dans l’ensemble des services publics, et dans la FPH associer plus étroitement les patients et les usagers dans la prise de décision.

     

    Conclusion :

    La crise sanitaire actuelle nous touche avec violence, et révèle les défaillances multiples de nos services publics. Ces derniers ont été mis à mal depuis plus de quinze ans par des gouvernements faisant de la réduction du nombre de fonctionnaires l’alpha et l’oméga de toute politique touchant à la fonction publique. À rebours de la tendance à diminuer le nombre de fonctionnaires, à geler la valeur du point d’indice, à détériorer les conditions de travail et à déléguer toujours plus de tâches à un secteur privé idéalisé, il est nécessaire de refonder la fonction publique française autour de trois axes : davantage de fonctionnaires, avec une meilleure rémunération, et participant de manière active à la gestion et au fonctionnement de leurs services publics.

    Nous avons besoin de plus de services publics pour vivre bien, et de fonctionnaires au statut protégé et aux conditions de travail améliorées pour faire vivre la République sociale que nous appelons de nos vœux.

     

     

     

    [1] Duguit Léon, L’État les gouvernants et les agents, Paris, 1903 p. 413.

    [2] La Révision générale des politiques publiques (RGPP) a supprimé 150 000 postes en cinq ans dans la fonction publique d’État (ce qui correspond à une baisse de 5,4 % des effectifs), afin de réaliser des « économies » de presque 12 milliards d’euros. La Modernisation de l’action publique (MAP) prévoyait la suppression de 33 500 postes, ramenée à environ 5 000 après les attentats de 2015. Emmanuel Macron, durant sa campagne, prévoyait quant à lui la suppression de 150 000 fonctionnaires, principalement dans la FPE et la FPT. Cet objectif a depuis été revu à la baisse.

    [3] 139 000 bénéficiaires de contrats aidés au 31 décembre 2017, soit 26,7 % de moins qu’un an plus tôt (– 50 600). Source : INSEE.

    [4] La plupart des données présentes dans cette note sont extraites des statistiques de l’INSEE ainsi que du Rapport sur l’état de la fonction publique et les rémunérations – édition 2019, Direction générale de l’administration et de la fonction publique. Disponible sur : https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/rapports_annuels/2019/Rapport_annuel_FP-2019.pdf

    [5] On estime qu’en 2007, il y avait un agent public pour 8,28 personnes, contre 8,26 personnes en 2017.

    [6] Syndicat national des professionnels infirmiers. À ce sujet, voir : « Crise à l’hôpital : pourquoi le « plan d’urgence » présenté par le gouvernement déçoit les soignants », France Info, 21 novembre 2019. Disponible sur :  https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/recherche-d-emploi/fonction-publique/crise-a-l-hopital-pourquoi-le-plan-d-urgence-presente-par-le-gouvernement-decoit-les-soignants_3712543.html

    [7] À ce sujet, voir : « Grève dans les hôpitaux : « J’invite Agnès Buzyn à passer une nuit aux urgences ! », Le Parisien, 10 juin 2019. Disponible sur : http://www.leparisien.fr/economie/greve-dans-les-hopitaux-j-invite-agnes-buzyn-a-passer-une-nuit-aux-urgences-10-06-2019-8090451.php

    [8] Source : CGT Services publics. Disponible sur : https://www.cgtservicespublics.fr/vos-droits/protection-sociale/retraites/expressions/tracts/article/cgt-fonction-publique-pouvoir-d-achat-des-salarie-es-et-pensionne-es-il-y-a

    [9] Le traitement de base des enseignants est inférieur en France à la moyenne des pays de l’OCDE, que ce soit en début de carrière (– 7 %), en milieu de carrière (– 22 %) et dans une moindre mesure en fin de carrière (– 2 %).

    [10] Le salaire moyen des maîtres de conférences en début de carrière se situe à 63% de la moyenne des pays de l’OCDE, soit environ 1800 euros nets, pour une entrée en carrière à l’âge de 34 ans.

    [11] « Rémunération du personnel infirmier », Panorama de la santé 2017, OCDE. Disponible sur :  https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/panorama-de-la-sante-2017/remuneration-du-personnel-infirmier_health_glance-2017-58-fr;jsessionid=mcYzj-i86sPl6wANMKz5D329.ip-10-240-5-4

    Publié le 17 mai 2020

    Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

    Auteurs

    Victor Audubert
    Docteur et enseignant en droit public.

    À l’instar du juriste Léon Duguit, on peut concevoir l’État comme « une fédération de services publics ayant pour objet d’organiser la société et d’assurer son fonctionnement pour le bien commun[1] ». C’est par la constitution de ces services publics que la République française s’est formée puis consolidée. Les services publics sont consubstantiels à l’identité républicaine de notre pays. Ils constituent l’instrument privilégié pour mettre en œuvre l’objectif historique de la République : l’intérêt général.

    La fonction publique représente en France environ un emploi sur cinq. Les services publics sont partout dans nos vies, indispensables à notre quotidien. En socialisant les risques, ils permettent l’accès aux besoins de base à des coûts très faibles pour l’immense majorité de la population. En refusant la logique marchande, ils consacrent les principes de solidarité, de continuité, d’égalité, de neutralité devant les biens et services mis en commun.

    Afin de mettre en marche les services publics, les fonctionnaires disposent d’un statut particulier. Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les fonctionnaires sont soumis à l’arbitraire de leur hiérarchie. Le recrutement par concours n’est pas systématique, et laisse souvent place à la cooptation et au clientélisme. Il faut attendre la Libération pour que la fonction publique se dote d’un premier statut : liberté syndicale, fonctionnaires classés en trois catégories hiérarchiques (A, B, C,) commissions paritaires dans la gestion des carrières individuelles et l’organisation des services, liberté d’opinion, et systématisation du recrutement par concours. Le droit de grève sera lui consacré par l’arrêt Dehaene du Conseil d’État en 1950. Les grandes lois des années 1980 tendent à unifier le statut des fonctionnaires et à rapprocher leurs droits des salariés du secteur privé. La loi du 13 juillet 1983 consacre notamment la liberté d’opinion (qui n’est pas la liberté d’expression, qui doit s’articuler avec le devoir de réserve), garantit le droit syndical et l’étend en reconnaissant le droit à congé pour formation syndicale. Les lois du 11 janvier 1984 (fonction publique d’État), du 26 janvier 1984 (fonction publique territoriale) et du 9 janvier 1986 (fonction publique hospitalière), unifient le régime juridique des trois fonctions publiques.

    Les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs comme les autres, ils sont soumis à des devoirs impérieux envers l’État et les usagers. En ce sens, le statut des fonctionnaires repose sur plusieurs principes : l’obéissance hiérarchique – mais également le devoir de désobéissance lorsqu’ils doivent répondre à un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ; le devoir du service, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer une activité lucrative à temps plein simultanément ; le devoir de réserve ; l’obligation de discrétion ; l’interdiction de posséder des intérêts dans une entreprise soumise au contrôle de son administration, qui seraient de nature à compromettre son indépendance.

    Le statut du fonctionnaire a pour corollaire la sécurité de l’emploi. Loin d’être un privilège anachronique, cette sécurité vise à protéger les fonctionnaires des pressions hiérarchiques et politiques, mais aussi à assurer la continuité du service. Ce principe fondamental du service public est cependant remis en cause par le non-remplacement fréquent des fonctionnaires partant à la retraite, et surtout par la contractualisation croissante des agents publics : plus d’un agent public sur cinq est contractuel et un contractuel sur quatre est en contrat court. Sous l’impulsion de la contre-révolution néolibérale et des théories du « nouveau management public », le statut des fonctionnaires n’a eu de cesse de connaître des exceptions, dérogations et limitations en tout genre. Si les prémices se font sentir dès les années 1990, c’est en 2007 et l’instauration de la RGPP que le statut de la fonction publique commence véritablement à s’effriter. Tout au long des quinquennats de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, la réduction du nombre de fonctionnaires est devenue l’axe principal des réformes touchant à la fonction publique[2]. Elle s’est accompagnée d’une part accrue du personnel non titulaire, d’une logique d’individualisation des tâches et des revenus chez les fonctionnaires, et d’une délégation toujours plus importante des activités vers le secteur privé.

    Ces politiques dites de « modernisation » ont pour conséquences une détérioration des conditions de travail des fonctionnaires et un affaiblissement des principes inhérents au service public, qui menacent l’accès à toutes et tous aux services de base.

    La crise sanitaire du Covid-19 a révélé qu’une fonction publique affaiblie menace directement les citoyens, en particulier dans l’hôpital public. Loin d’être un poids pour les finances publiques, les services publics permettent une prise en charge efficace, réactive et solidaire de la population. Il faut réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire à l’ensemble des agents publics, en encadrant strictement le recours à des personnels contractuels (I). Ce recrutement massif doit être accompagné d’une revalorisation des traitements, avec la hausse de la valeur du point d’indice (II). La fonction publique doit aussi permettre une meilleure représentativité de la société française, l’ouverture de nouveaux droits pour les fonctionnaires, et une meilleure prise en compte des usagers dans le fonctionnement des services publics (III).

     

    1. Réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire

     

    On compte 5,52 millions de personnes travaillant dans la fonction publique française : 2,45 millions de la fonction publique d’État (FPE) ; 1,9 million de la fonction publique territoriale (FPT) ; 1,17 million de la fonction publique hospitalière (FPH). Ces chiffres comprennent les fonctionnaires, c’est-à-dire les personnes titulaires, mais aussi les personnes sous contrat (en CDI ou en CDD), ainsi que les emplois aidés ; ces derniers sont en diminution depuis 2017 en particulier dans la FPT et les communes[3]. Dans l’ensemble de la fonction publique, il y a ainsi 3,84 millions de fonctionnaires (69,5%), 1,02 million de contractuels (18,4%), 309 000 militaires (5,6%) et 358 000 autres types de contrats (6,5%)[4].

    Entre fin 2016 et fin 2017, les effectifs de la fonction publique hors contrats aidés ont augmenté de 0,8 %, soit 43 200 agents de plus. L’emploi public progresse dans les trois fonctions : + 0,9 % dans la FPT, + 0,8 % dans la FPE et + 0,7 % dans la FPH. Cependant, cette hausse est surtout le fait des contractuels (+5%) tandis que le nombre de fonctionnaires diminue (-0,2%).

    Ainsi, derrière l’apparente stabilité de la fonction publique, ce sont des emplois contractuels et donc précaires qui augmentent, tandis que la part des titulaires dans l’emploi public ne cesse de baisser. Entre 2011 et 2017, leur nombre a augmenté en moyenne de 1,1 % par an dans l’ensemble de la fonction publique quand l’emploi public (hors contractuels et bénéficiaires de contrats aidés) progressait de 0,2 %. Le nombre total d’agents publics a bien augmenté en apparence entre 2007 et 2017, avec 250 000 postes supplémentaires (de 5,27 millions à 5,52 millions). Toutefois, lorsque l’on prend en compte l’augmentation de la population française, il a en réalité proportionnellement diminué. Sur cette même période, on constate une augmentation de la population de 5 % alors que le nombre d’agents n’augmente que de 4,7 %. Pour avoir un même ratio d’agent par habitant qu’en 2007[5], il manquerait donc environ 14 000 agents, les trois fonctions publiques confondues.

    Dans la FPH, entre 2003 et 2017, 69 000 lits ont fermé dans les hôpitaux publics en France (30 000 lits en hospitalisations de court séjour et 48 000 lits en long séjour), alors que le nombre de patients pris en charge aux urgences est passé de dix millions en 1996 à vingt et un millions en 2016, soit une augmentation de 110%. Selon le SNPI[6], la charge de travail d’un infirmier aurait doublé depuis dix ans. Il est urgent d’embaucher du personnel soignant pour améliorer les conditions de travail. Le collectif Inter-Urgences[7], en juin 2019, estimait nécessaire la création immédiate de 10 000 postes d’infirmiers et d’aides-soignants dans 550 hôpitaux.

    Proposition n°1: Embauche immédiate de 10 000 fonctionnaires infirmiers et aides-soignants dans la FPH, accompagnée d’un moratoire sur les politiques de réduction de postes d’agents publics et d’un audit sur les besoins en ressources humaines dans les trois fonctions publiques.

    Il paraît également nécessaire de créer un nouveau corps de médecins fonctionnaires généralistes, exerçant dans les déserts médicaux ou dans les services hospitaliers en tension. En échange d’une rémunération pendant leurs études, ces fonctionnaires devront obligatoirement travailler durant dix ans dans des zones où le manque de médecins est établi.

    Proposition n°2 : Création d’un corps de médecins fonctionnaires généralistes exerçant dans les déserts médicaux, pour dix ans, en contrepartie d’une rémunération durant leurs études.

    La part des contractuels progresse rapidement dans l’emploi public. En 2017, elle représentait 22,5% des emplois de la fonction publique. L’emploi contractuel est, de manière générale, un emploi précaire. En volume de travail, les contrats de moins d’un an représentaient près d’un quart du volume total des contractuels en 2016. Parmi l’ensemble des postes occupés par des contractuels en 2016, on en comptabilisait 538 500 nouveaux, soit près de 38 % des contrats, et 72 % de ces contrats avaient une durée inférieure ou égale à un an. De manière générale, ce type de contrat représente 47 % des contrats dans la FPT, 39 % dans la FPE et 41 % dans la FPH.

    Les différentes réformes menées depuis 2007 accentuent la part des contractuels dans l’emploi public total. La dernière en date, la « loi de transformation de la fonction publique » du 6 août 2019, accélère ce mouvement, et promeut en filigrane le recrutement sur contrat comme voie normale d’accès à la fonction publique, en remplacement du concours : recours au contrat sur les emplois de direction ; nouveau CDD « de projet » pouvant durer jusqu’à six ans ; recrutement par voie de contrat sur les emplois permanents de catégories A, B et C, par dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires dans les trois fonctions publiques. De même, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) accélère aussi ce mouvement dans l’ESR, où le nombre de contractuels peut atteindre de 35% de l’emploi dans les universités.

    La FPH est particulièrement touchée par cette contractualisation à marche forcée et par le gel des postes de fonctionnaires. En 2017, 19,2% des agents publics sont contractuels dans la FPH, soit +5,9% par rapport à 2016. 51,8% des contractuels sont en CDD, et 85,3% de ces CDD sont de moins d’un an.

    Il faut donc mettre un terme à cette contractualisation toujours plus poussée de la fonction publique, en faisant des contractuels l’exception et non la norme. De même, au nom de la flexibilité et du prétendu manque de compétences au sein de la fonction publique, un nombre croissant de postes auparavant occupés par des fonctionnaires le sont aujourd’hui par des contractuels. Nous proposons que la titularisation des contractuels en CDI soit facilitée, après quelques années d’activité. Les fonctions encadrantes et dirigeantes doivent être réservées à des fonctionnaires, en faisant jouer quand il le faut la mobilité interne, et ne peuvent plus être proposées à des agents contractuels.

    Proposition n°3 : Titularisation facilitée des agents publics contractuels en CDI, et limitation de leur nombre à 5 ou 10% des emplois publics, en fonction des besoins, avec des missions au caractère exceptionnel et temporaire. Les fonctions encadrantes et dirigeantes ne peuvent pas être proposées à des contractuels.

     

    2. Revaloriser le point d’indice et faire du traitement la base des revenus du fonctionnaire

     

    En 2017, le salaire net mensuel moyen dans l’ensemble de la fonction publique s’élevait à 2304 euros (soit +1,2% par rapport à 2016), hors bénéficiaires de contrats aidés, et le salaire net médian à 2049 euros (soit +1,1%). En 2016, dans le secteur privé, le salaire net moyen s’élevait à 2238 euros et le salaire net médian à 1789 euros. Si les débuts de carrière dans la fonction publique peuvent être plus intéressants que dans le privé, ce n’est plus le cas en milieu et en fin de carrière. De même, certaines catégories A et B sont relativement moins bien rémunérées que dans le privé, à poste égal.

    Cette progression relative du salaire moyen des agents publics masque le gel de la valeur du point d’indice. Celle-ci n’a pas évolué depuis le 1er février 2017, et s’élève toujours aujourd’hui à 4,69 euros. Entre 2010 et 2020, le point d’indice n’a évolué que de 1,20 %, alors que l’inflation cumulée est de 11% sur la même période. Depuis le 1er juillet 2010, on évalue la perte de pouvoir d’achat du point d’indice par rapport à l’indice des prix à la consommation à 8,27 %. La CGT estime qu’au 31 décembre 2019, la perte mensuelle atteignait 142 euros pour un agent en catégorie C, 195 euros en catégorie B, et 259 euros en catégorie A[8]. Il faudrait donc a minima augmenter la valeur du point d’indice de 10% pour prendre en compte l’inflation et la perte de pouvoir d’achat.

    Proposition n°4 : Augmentation de 10% de la valeur du point d’indice, afin de rattraper le gel entre 2010 et 2016 et entre 2017 et 2020.

    De même, une partie toujours plus importante des revenus des fonctionnaires provient de la multiplication des primes individuelles et des indemnités à hauteur de 22,2%, comme la GIPA (garantie individuelle du pouvoir d’achat depuis 2008), et les primes au mérite individuelle et collective que la loi sur la transformation de la fonction publique amplifie fortement, tandis que la part du traitement – d’où proviennent les cotisations sociales – ne cesse de diminuer. Le protocole Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations (PPCR) a engagé un processus de transformation des primes en points d’indice, et donc une prise en compte des cotisations sociales, mais le mouvement est trop faible au regard du retard pris depuis 2010.

    Proposition n°5 : Limiter le recours aux primes au mérite et à l’excellence et favoriser leur conversion en points d’indice, dans le cadre d’un PPCR renégocié.

    La revalorisation du point d’indice doit être accompagnée de rattrapage salarial ciblé pour certaines professions dévalorisées ces dernières décennies, comme les enseignants[9], les enseignants-chercheurs[10] ou le personnel hospitalier. Dans la FPH, les quelque 500 000 fonctionnaires infirmiers perçoivent un salaire particulièrement bas. Il était en 2015 parmi les plus faibles des 29 pays membres de l’OCDE[11]. La rémunération moyenne des infirmiers français est ainsi inférieure de 5% au salaire moyen national. En comparaison, en Espagne, un infirmier gagne 28% de plus que le salaire moyen. Ces conditions de rémunérations peu avantageuses, et les conditions de travail difficiles ont des conséquences immédiates sur la stabilité de l’emploi infirmier, qui connaît un turn-over de plus en plus élevé. Selon les syndicats infirmiers, il serait nécessaire d’augmenter de 300 euros le salaire net du personnel soignant afin de redonner de l’attractivité à ces métiers. Il nous semble même nécessaire d’aller au-delà, jusqu’à une augmentation progressive de 500 euros, pour coller avec la moyenne des pays de l’OCDE.

    Proposition n°6 : Revaloriser de manière ciblée le traitement de certains corps, comme ceux des enseignants, des enseignants-chercheurs ou des personnels soignants. Pour ces derniers, l’augmentation sera de 500 euros du traitement mensuel net.

     

    3. Une fonction publique plus diverse, exemplaire, avec de nouveaux droits

     

    Le statut du fonctionnaire repose historiquement sur le recrutement par concours, plus impartial que le choix discrétionnaire de contractuels. Ce type de recrutement permet l’égalité entre les fonctionnaires, leur indépendance, mais aussi leur responsabilité. C’est à partir du concours que s’est développée la fonction publique de carrière. Le fonctionnaire dispose de son grade, et non de son emploi, ce qui le protège contre les pressions politiques et l’arbitraire administratif, et garantit sa neutralité vis-à-vis des usagers. Le fonctionnaire doit donc être pensé comme un fonctionnaire-citoyen, et non comme un fonctionnaire-sujet.

    Le recrutement de fonctionnaires – et non de contractuels – doit redevenir la norme dans les trois fonctions publiques. En effet, les compétences ne manquent pas dans la fonction publique, qui constitue un très bon marché interne. En ce sens, il faut favoriser la mobilité interne au sein de la fonction publique, et promouvoir les passerelles entre les différentes catégories C, B, A et A+, afin de mobiliser les compétences déjà existantes en promouvant le recrutement par concours interne et la formation continue, notamment pour accéder aux fonctions encadrantes.

    Proposition n°7 : Favoriser la mobilité interne dans les trois fonctions publiques, et promouvoir les concours internes et la formation continue pour les fonctions encadrantes.

    Concernant la haute fonction publique, il est nécessaire de limiter la reproduction sociale qui a cours dans le recrutement par concours. La plupart des élèves de l’ENA ou de l’INET proviennent des IEP et surtout de Sciences Po Paris. En ce sens, les concours externes de ces écoles doivent être revus pour favoriser les étudiants provenant des universités publiques, en créant dans chaque faculté de droit un cursus spécifique préparant à ces concours, sur le modèle des prépas déjà existantes.

    Proposition n°8 : Transformer les concours externes pour favoriser les étudiants de l’université publique, en créant dans chaque faculté de droit un cursus spécifique sur le modèle des prépas en vue de préparer les concours.

    La haute fonction publique doit être exemplaire et irréprochable. La pratique du pantouflage qui consiste pour un agent public à aller travailler dans le secteur privé – parfois même durant son engagement décennal – est porteuse de conflits d’intérêts et jette le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique. Il est nécessaire de réaffirmer avec fermeté l’interdiction d’une telle pratique durant l’engagement qui lie un fonctionnaire à l’État après le concours d’entrée, en particulier à la sortie de l’ENA ou de Polytechnique, en faisant de la rupture de la période d’engagement – sauf motif impérieux – un délit. Un fonctionnaire dont la formation a été payée par l’État ne saurait se soustraire à ses obligations et ses devoirs.

    Proposition n°9 : Faire de la pratique du “pantouflage” un délit, et interdire les tentatives de “rachat” de la période d’engagement d’un fonctionnaire par une entreprise privée.

    Il est indispensable de réaffirmer les droits des fonctionnaires : droit d’expression, droit de se syndiquer, droit de grève, droit de retrait. Il nous paraît nécessaire de renforcer le droit à la participation dans la prise et l’exécution de décision : il faut démocratiser le fonctionnement des services publics. Ils ont connu ces dernières années une multitude de regroupements et de réorganisations, souvent menés à marche forcée, avec des résultats très mitigés et un dispositif complexe, lent et coûteux.

    Ceci est particulièrement vrai dans la FPH, où les fonctions managériales s’épanouissent librement sous l’autorité d’un chef d’établissement aux allures de PDG depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoire de 2009. De fait, le fonctionnement très vertical des hôpitaux ressemble de plus en plus à celui des entreprises. Or, la santé, plus que tout autre domaine, a besoin d’une plus grande horizontalité, vers les fonctionnaires, mais aussi vers les patients et les usagers. Il paraît nécessaire de redonner du pouvoir au personnel médical et soignant dans la prise de décision et les orientations budgétaires de l’établissement, en y associant également les patients et les usagers du FPH ; il faut mettre fin à la toute-puissance du directeur-manager d’hôpital.

    Proposition n°10 : Renforcer le droit à la participation des fonctionnaires dans le fonctionnement des services publics, en particulier dans le fonctionnement des hôpitaux publics.

    De manière plus transversale, il semble important dans les trois fonctions publiques que les usagers prennent part aux décisions qui les concernent. Dans tous les services, des comités de participation et de contrôle des usagers peuvent porter les attentes et les besoins des usagers, mais aussi leurs suggestions quant à l’amélioration des services publics, en lien étroit avec les fonctionnaires et dans le respect de leurs fonctions.

    Proposition n°11 : Développer des comités de participation et de contrôle des usagers dans l’ensemble des services publics, et dans la FPH associer plus étroitement les patients et les usagers dans la prise de décision.

     

    Conclusion :

    La crise sanitaire actuelle nous touche avec violence, et révèle les défaillances multiples de nos services publics. Ces derniers ont été mis à mal depuis plus de quinze ans par des gouvernements faisant de la réduction du nombre de fonctionnaires l’alpha et l’oméga de toute politique touchant à la fonction publique. À rebours de la tendance à diminuer le nombre de fonctionnaires, à geler la valeur du point d’indice, à détériorer les conditions de travail et à déléguer toujours plus de tâches à un secteur privé idéalisé, il est nécessaire de refonder la fonction publique française autour de trois axes : davantage de fonctionnaires, avec une meilleure rémunération, et participant de manière active à la gestion et au fonctionnement de leurs services publics.

    Nous avons besoin de plus de services publics pour vivre bien, et de fonctionnaires au statut protégé et aux conditions de travail améliorées pour faire vivre la République sociale que nous appelons de nos vœux.

     

     

     

    [1] Duguit Léon, L’État les gouvernants et les agents, Paris, 1903 p. 413.

    [2] La Révision générale des politiques publiques (RGPP) a supprimé 150 000 postes en cinq ans dans la fonction publique d’État (ce qui correspond à une baisse de 5,4 % des effectifs), afin de réaliser des « économies » de presque 12 milliards d’euros. La Modernisation de l’action publique (MAP) prévoyait la suppression de 33 500 postes, ramenée à environ 5 000 après les attentats de 2015. Emmanuel Macron, durant sa campagne, prévoyait quant à lui la suppression de 150 000 fonctionnaires, principalement dans la FPE et la FPT. Cet objectif a depuis été revu à la baisse.

    [3] 139 000 bénéficiaires de contrats aidés au 31 décembre 2017, soit 26,7 % de moins qu’un an plus tôt (– 50 600). Source : INSEE.

    [4] La plupart des données présentes dans cette note sont extraites des statistiques de l’INSEE ainsi que du Rapport sur l’état de la fonction publique et les rémunérations – édition 2019, Direction générale de l’administration et de la fonction publique. Disponible sur : https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/rapports_annuels/2019/Rapport_annuel_FP-2019.pdf

    [5] On estime qu’en 2007, il y avait un agent public pour 8,28 personnes, contre 8,26 personnes en 2017.

    [6] Syndicat national des professionnels infirmiers. À ce sujet, voir : « Crise à l’hôpital : pourquoi le « plan d’urgence » présenté par le gouvernement déçoit les soignants », France Info, 21 novembre 2019. Disponible sur :  https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/recherche-d-emploi/fonction-publique/crise-a-l-hopital-pourquoi-le-plan-d-urgence-presente-par-le-gouvernement-decoit-les-soignants_3712543.html

    [7] À ce sujet, voir : « Grève dans les hôpitaux : « J’invite Agnès Buzyn à passer une nuit aux urgences ! », Le Parisien, 10 juin 2019. Disponible sur : http://www.leparisien.fr/economie/greve-dans-les-hopitaux-j-invite-agnes-buzyn-a-passer-une-nuit-aux-urgences-10-06-2019-8090451.php

    [8] Source : CGT Services publics. Disponible sur : https://www.cgtservicespublics.fr/vos-droits/protection-sociale/retraites/expressions/tracts/article/cgt-fonction-publique-pouvoir-d-achat-des-salarie-es-et-pensionne-es-il-y-a

    [9] Le traitement de base des enseignants est inférieur en France à la moyenne des pays de l’OCDE, que ce soit en début de carrière (– 7 %), en milieu de carrière (– 22 %) et dans une moindre mesure en fin de carrière (– 2 %).

    [10] Le salaire moyen des maîtres de conférences en début de carrière se situe à 63% de la moyenne des pays de l’OCDE, soit environ 1800 euros nets, pour une entrée en carrière à l’âge de 34 ans.

    [11] « Rémunération du personnel infirmier », Panorama de la santé 2017, OCDE. Disponible sur :  https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/panorama-de-la-sante-2017/remuneration-du-personnel-infirmier_health_glance-2017-58-fr;jsessionid=mcYzj-i86sPl6wANMKz5D329.ip-10-240-5-4

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