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Union européenne

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L’Union européenne et le sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : le droit comme rempart à l’indignité

Please click here for an English version (translation provided by the author) / version en anglais (fournie par l’auteur). Résumé exécutif La situation des secours en mer à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable » de la part de l’Union européenne. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars 2024 aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’UE. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage en mer un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’UE seront bien-sûr influencées par le résultat de cette élection. I – La Méditerranée centrale est la voie la plus dangereuse pour les migrants Les drames récurrents – pas toujours documentés car certains naufrages se font sans témoins – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite à tout prix de personnes désespérées, acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. C’est ainsi en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est estimé à 28 888 personnes. II – Le secours aux naufragés constitue une obligation légale et morale Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du Droit de la mer, ni en référence au Droit International Humanitaire. Dès lors, comme l’a également réaffirmé la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), l’acceptance et l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable : au plan moral, légal et politique. III – L’UE déploie une stupéfiante stratégie : ne pas aider, et laisser les pays riverains de la Méditerranée entraver ceux qui aident On assiste de fait en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyenne et tunisienne aux comportements obscurs et violents, et -par transfert de mandat- à des ONG de secours. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient. Ce repli dans l’implication de l’Union européenne au service du sauvetage, est d’autant plus inacceptable que l’UE est l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence. IV – Ne pas entériner, aujourd’hui et demain la violence pratiquée sur l’autre rive de la Méditerranée Les violences de toutes sortes pratiquées à l’égard des migrants en Lybie et en Tunisie sont amplement documentées. L’adoption du « pacte Migration et asile » intervient alors que l’UE a formalisé en 2024 des accords de coopération avec deux pays supplémentaires situés sur la rive sud de la Méditerranée qui se voient confiés des rôles cruciaux pour contrôler et endiguer les migrations. L’Egypte et la Mauritanie ont ainsi rejoint la Turquie (2016), la Libye (2017) et la Tunisie (2023) pour organiser une « ligne Maginot » anti migrants vers l’Europe. (…) Des questions et des doutes émergent d’emblée sur les pratiques qui seront adoptées par les deux pays récemment entrés dans le dispositif européen délocalisé. V – Des mesures sont énoncées, qui réaffirment la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours. A – Réaffirmer des principes généraux aujourd’hui occultés B – Mettre en œuvre les mesures correctives que requièrent les dysfonctionnements et défaillances constatées du secours aux naufragés Des modalités opérationnelles et politiques sont proposées dans la note pour rendre concrètes les solutions préconisées. Elles peuvent utilement nourrir le plaidoyer des député(e)s européen(ne)s et des organisations issues de la société civile. Introduction Des voix s’élèvent de toutes parts pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement. Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable ». La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 dote la question du sauvetage d’un relief et d’enjeux cruciaux. Les futures orientations de l’Union européenne (UE) seront évidemment influencées par le résultat de cette élection. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars derniers aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’Union européenne. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. De même, on ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027[1]. Il n’est pas trop tard. Deux objectifs du plan peuvent facilement et utilement accueillir un volet en résonance avec les secours en mer, contribuant à combler les carences constatées. L’un des objectifs affirme la nécessaire attention portée aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, à fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (II.4 et II.5). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, au moins 2300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire[2]. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une moindre chance de survivre à la traversée que les hommes[3]. Un autre objectif de la stratégie humanitaire affirme que la France défendra l’action humanitaire comme priorité européenne (IV.1.B). I – La Méditerranée est la porte d’entrée

Par Micheletti P.

5 juin 2024

Sortir du paradigme sécuritaire : garantir le droit d’asile en Europe

Résumé exécutif   Dans le contexte politique actuel, accentué par la campagne des élections européennes, les migrations en France et en Europe sont traitées majoritairement sous un prisme sécuritaire terriblement réducteur. Or, ces migrations comprennent en particulier un nombre important de migrations « forcées » de personnes venant solliciter une protection internationale en Europe. Alors que la norme devrait être un transit facilité, leur parcours migratoire s’amorce par des situations de détresse humanitaire dans les pays d’origine, auxquelles succèdent les risques dans les zones traversées, des frontières verrouillées ainsi que des politiques d’accueil défaillantes, tant en France que dans l’Union européenne. Face à cette situation et aux structures du débat public actuel, nous souhaitons rappeler que (1) les politiques anti-migratoires actuelles renvoient à un paradigme sécuritaire propre aux pays développés et historiquement récent, qui nie l’impératif de « sécurité humaine » reconnu par les institutions onusiennes et qui doit primer. En particulier, les conséquences de telles politiques, qui insécurisent les parcours migratoires, sont meurtrières, tel qu’illustré par les milliers de morts annuels en Méditerranée, et dramatiques pour les migrants « forcés », en situation de particulière vulnérabilité. À titre d’illustration, nous avons souhaité donner voix à trois témoignages recueillis par la voie associative. Ensuite, et pour sortir du paradigme sécuritaire européen, (2) cette note réaffirme les principes humanistes que nous estimons nécessaires pour guider les politiques publiques, et en particulier appréhender les migrations « forcées » et sécuriser les parcours migratoires. Sur cette base, nous présentons (3) plusieurs propositions qui nous paraissent répondre le plus urgemment à la nécessité de faciliter le transit et l’accueil en France et en Europe des migrants « forcés » nécessitant une protection. Notre proposition phare est à cet effet la création d’un « visa humanitaire » renouvelé et élargi, à l’échelle de l’Union européenne, qui permette de créer une voie sécurisée propre aux demandes de protection internationale, de soins médicaux, et aux autres situations d’urgence. En complément de celle-ci, nous proposons aussi que la Méditerranée soit reconnue comme espace humanitaire, d’améliorer la situation des demandeurs d’asile par l’accès sans délai à la possibilité de travailler, de développer des programmes de réinstallation, et de renforcer les mécanismes de redevabilité pour les États utilisant les fonds dédiés à la politique migratoire de l’Union européenne. L’Union européenne (UE) a adopté le 10 avril 2024 un nouveau Pacte européen sur les migrations et l’asile. Celui-ci prévoit notamment de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, en prévoyant un « filtrage » des personnes demandeuses d’asile aux frontières de l’Union européenne. L’actuelle surenchère relative à la question migratoire en France et dans l’Union européenne ignore toutefois la réalité des flux migratoires internationaux, relativement faibles, et la nécessité de pouvoir accueillir en Europe les personnes nécessitant une protection internationale à l’instar de l’asile. En effet, les statistiques internationales nous rappellent l’ampleur limitée des migrations, et en particulier les migrations dites « forcées », qui ne concernent qu’à titre marginal la France et l’Union européenne. En effet, d’après le rapport sur l’état de la migration dans le monde présenté par l’Organisation internationale des migrations (OIM[1]), en 2022, 280 millions de personnes étaient migrantes sur la planète, soit 3,6 % de la population mondiale. En particulier parmi ces mouvements migratoires, une partie seulement concerne les migrations dites « forcées », celles-ci pouvant se produire à l’intérieur d’un même pays, soit des déplacements internes, ou en dehors des frontières nationales. Selon le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)[2], en 2022, 108 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde – dont 40 % d’enfants – « en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l’homme ou d’événements troublant gravement l’ordre public »[3]. Ce chiffre a augmenté de 21 % par rapport à 2021. Parmi ces migrations dites forcées, on dénombre 5,4 millions de demandeurs d’asile[4]. Ce même organisme estime également à 5,2 millions le nombre de personnes « ayant besoin d’une protection »[5]. Ainsi dans les faits, près de 10 millions de personnes nécessitent une protection, ce qui ne représente que 0,0133 % de la population mondiale. L’essentiel de ces demandes de protection se tourne vers les États-Unis d’Amérique (730 000), l’Allemagne (217 000), la France (137 000), le Costa Rica (130 000), l’Espagne et le Mexique (118 000 tous deux). Soulignons aussi que se trouvent parmi eux 51 000 enfants non accompagnés. Pour l’ensemble de l’UE, c’est 1,1 million de demandes d’asile[6], soit, si on met ce chiffre en regard de la population totale, 0,13 % de sa population. Ces chiffres restent donc dans des proportions démographiquement modestes. Pourtant les politiques migratoires restrictives mises en place en Europe ont pour effet de stigmatiser les personnes migrantes, occultant les causes qui « mettent en mouvement » celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de quitter leurs territoires d’origine. Les États européens ont ainsi de facto délégué aux pays de la rive sud de la Méditerranée la responsabilité de contenir les personnes migrantes forcées à travers un certain nombre de pratiques, dont la plus répandue serait celle des « refoulements illégaux » ou « pushbacks ». Qualifié par les organisations non-gouvernementales (ONG) et autres défenseurs des droits humains de « sale boulot », ces pratiques dérivent en violences et violations systématiques des droits fondamentaux et de la dignité humaine. Les naufrages de bateaux transportant des personnes migrantes forcées aux portes de l’Europe en sont un terrible exemple. Face à cela, la grande famille européenne fait preuve de cécité humanitaire en n’ayant pas pour priorité de mettre fin à ces mises en danger et à ces situations dramatiques pour des milliers de personnes, en particulier en Méditerranée centrale. Un impératif : assurer la sécurité humaine Le Pacte européen adopté fixe le cadre de gestion en matière d’asile et de migrations. Ce pacte a pour ambition de réduire les migrations forcées vers l’Europe par le renforcement des contrôles aux frontières, et ce grâce à la collaboration des pays d’origine et de transit. Cette approche « sécuritaire » considère implicitement toute personne migrante comme une menace à la stabilité de l’Union européenne. Cette logique de l’« Europe forteresse » constitue le cœur des politiques migratoires européennes. Or, cela renvoie à une

Par Dontaine A.

31 mai 2024

La revue monétaire de l’immobilisme

La BCE a créé la surprise, ce jeudi 8 juillet 2021, en annonçant les conclusions de sa revue de politique monétaire, qui n’étaient attendues qu’à l’automne. Hélas, ce fut la seule surprise dont elle fut capable. Un mot d’abord sur la méthode : pourquoi sortir cette revue maintenant, presque en catimini et de manière inattendue, alors qu’il y a encore tant à discuter et que de nombreuses voix, à l’instar de l’Institut Rousseau, appellent la BCE à modifier radicalement sa politique ? Est-ce pour mettre le corps social européen devant le fait accompli et couper court à toutes les discussions qui montent en ce moment autour du rôle de la BCE[1] ? Sauf que les principes posés par cette revue sont là pour durer : on parle d’effets sur une période de dix ans tandis que certaines « actions » prévues dans le cadre de cette revue n’entreront pas en vigueur avant 2024. Quel besoin donc de brusquer les choses de la sorte ? En second lieu, l’annonce du 8 juillet est une occasion manquée. Elle rappelle cruellement à ceux qui croient encore à la neutralité de la politique monétaire que l’indépendance des banques centrales les conduit nécessairement à l’impuissance devant les choix d’envergure dont nous avons urgemment besoin. Or l’impuissance monétaire aujourd’hui signifie l’incapacité, demain, de relever les défis écologiques et sociaux qui sont les nôtres. Passons en revue ces insuffisances. I. L’impératif de lutte contre l’inflation n’est pas vraiment assoupli En matière de cible d’inflation déjà, objectif principal de la politique monétaire assigné au système européen de banques centrales à l’article 127 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. L’idée centrale est la suivante : transformer l’objectif d’inflation « proche mais inférieur à 2 % » en un « objectif symétrique d’inflation de 2 % ». Quel changement cela implique-t-il donc ? Rien, ou presque. Pour le comprendre, revenons au choix fait par la Federal reserveaméricaine, en septembre dernier, de mettre en place une notion de cible flexible d’inflation moyenne. Confrontée à un retour timide de l’inflation, la Fed avait alors acté le fait qu’elle ne relèverait ses taux d’intérêt directeurs que si l’inflation était durablement supérieure à 2 % par an, non seulement pour s’assurer que celle-ci était bien ancrée solidement mais également pour compenser les périodes précédentes où l’inflation est restée trop faible pour stimuler suffisamment les revenus. L’approche de la BCE est bien moins ambitieuse : si elle admet que le niveau de 2 % peut être dépassé temporairement sans susciter de resserrement immédiat de sa politique, la Banque centrale de Francfort conserve bel et bien cette cible d’inflation et ne précise pas combien de temps un dépassement éventuel serait toléré, ni comment elle agira en cas de dynamique inflationniste différentiée entre les pays de la zone. En particulier, aucun rattrapage n’est prévu de la dernière décennie durant laquelle le taux d’inflation a été systématiquement inférieur à 2 %, entraînant une atonie de l’investissement et un accroissement vertigineux des inégalités entre rentiers et salariés. Autrement dit, là où la Fed adopte une cible d’inflation moyenne de long terme avec une volonté de rattrapage de la décennie perdue, Francfort conserve l’objectif de 2 % à court et moyen terme, qui plus est de manière très imprécise. Enfin, la BCE recommande d’inclure les loyers fictifs des propriétaires dans l’indice des prix, ce qu’Eurostat fait déjà, au risque que cela conduise à resserrer la politique monétaire en augmentant artificiellement le niveau d’inflation constaté. Surtout, la revue passe complètement à côté du vrai problème : pourquoi l’augmentation massive du bilan de l’Eurosystème, passé en une décennie de moins de 1500 milliards à plus de 7500 milliards d’euros, n’a-t-elle pas été capable ne fût-ce que de ramener l’inflation à un niveau proche de 2 % ? La BCE multiplie par cinq sa taille de bilan, et donc l’usage de la planche à billets, sans aucun effet sur l’inflation ! Étonnant, n’est-ce pas ? La réalité est que la boulimie de Francfort n’a profité qu’aux banques et aux marchés financiers[2]. Ne serait-il pas temps de s’interroger sur les canaux de transmission de la politique monétaire et de permettre enfin à la banque centrale de financer directement des dépenses d’intérêt général, notamment en faveur de la reconstruction écologique ?[3] II. Les outils de politique monétaire ne sont pas renouvelés Or les annonces du 8 juillet révèlent qu’aucune réflexion innovante n’a abouti sur les outils de politique monétaire : le taux d’intérêt directeur, uniforme et mal adapté à la diversité des situations et des pays entre la Baltique et la Sicile, demeure l’instrument principal de la politique monétaire. Quant aux autres outils, ils sont d’avance menacés d’incohérence : la BCE pourra continuer d’inonder les banques privées de liquidités à court terme, puis, en imposant des taux négatifs à leurs dépôts au guichet de Francfort, tenter vainement d’inciter ces dernières à faire usage de cette manne en faveur de l’économie réelle… tout en continuant de leur prêter des sommes vertigineuses à taux réels négatifs sur le long terme via les TLTRO[4]. De nombreux autres outils de politique monétaire innovants pourraient être mobilisés pour mettre enfin la monnaie au service du bien commun : instaurer des taux d’intérêt différenciés en fonction des besoins des pays ou de l’intensité carbone des actifs collatéraux des banques emprunteuses, annuler le stock de 3.000 milliards d’euros de dettes publiques que détient la BCE en échange d’investissements écologiques et sociaux par les États, ne plus accepter les actifs fossiles en collatéraux lors des refinancements, pratiquer une création monétaire et ciblée, acheter massivement des titres écologiques en coordination avec les Etats ou les banques publiques d’investissement, dédier un programme d’achats à la seule dette publique émise pour financer la transition climatique ce qui lui permettrait de la faciliter sans financer directement des gouvernements. etc. Si certains ont été discutés en coulisse, pas un seul n’est évoqué dans le document final rendu public par Francfort. Le même conservatisme s’affiche quant aux effets de la politique monétaire sur les prix d’actifs financiers, largement gonflés par sa politique mal ciblée. Mais là encore, aucune mesure, aucune annonce pour essayer de trouver une solution à ce piège dans

Par Dufrêne N., Giraud G., Espagne É.

15 juillet 2021

Le treizième travail d’Hercule : privatiser l’électricité française

Le gouvernement est actuellement en pleine négociation avec la Commission européenne afin de trouver un compromis d’ici la fin de l’année au sujet de l’épineux dossier de la refonte de la régulation du nucléaire historique et de l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques. Ce qui est en jeu est tout simplement une scission d’EDF en trois entités distinctes dont la partie la plus rentable serait ouverte aux capitaux privés. Le démantèlement du groupe public, créé en 1946 par le ministre communiste Marcel Paul, marquerait un pas de plus dans l’accomplissement du projet libéral d’une nouvelle privatisation d’un bien commun de première nécessité : l’électricité. Au début du mois d’octobre le monde d’avant s’est brusquement rappelé au bon souvenir du secteur de l’énergie. Terminées l’actualité dominée par l’épidémie mondiale et les priorités données à la gestion d’urgence du parc de production et à l’adaptation d’une consommation d’électricité en baisse et imprévisible : désormais le plan Hercule revient sur le devant de la scène, et le moins que l’on puisse dire c’est que son passage devrait être éclair car « Paris et Bruxelles se donnent deux mois pour trancher l’avenir d’EDF »[1]. L’enjeu est éminemment stratégique et le pouvoir en place le sait, il apparaît ainsi clairement que le gouvernement souhaite faire aboutir les négociations au plus vite pour qu’un maximum de démarches soient engagées avant la présidentielle de 2022 et qu’aucun retour en arrière ne soit rendu possible. Le plan Hercule : quelle origine ? La genèse d’Hercule remonte à une directive européenne de 1996[2] transposée dans le droit français en février 2000 par une loi[3] qui introduit une séparation des activités de production, de transport, de distribution et de fourniture[4] d’électricité ainsi que l’ouverture à la concurrence de la production et de la fourniture. L’objectif affiché par les institutions européennes est de créer un marché intérieur de l’énergie, dont la pierre angulaire est l’achèvement d’un « marché de l’électricité concurrentiel et compétitif ». Le raisonnement est ici tout ce qu’il y a de plus classique en matière de libéralisme économique : l’ouverture à la concurrence de la fourniture d’électricité permettra à coup sûr de proposer de l’électricité moins chère aux consommateurs, de stimuler l’innovation commerciale via de nouvelles offres de marché et d’améliorer la qualité de service. Or, EDF était il y a encore vingt ans l’acteur unique sur tout le territoire français, en situation de monopole sur l’ensemble de la chaîne de l’électricité, et reste aujourd’hui encore une entreprise du monde de l’énergie à part puisqu’il s’agit du deuxième producteur mondial d’électricité[5] aux commandes de la majorité de la production française qui agit comme un véritable château d’eau européen[6]. Les filiales d’EDF, RTE et Enedis[7], assurent en outre le transport et la distribution de l’électricité sur la quasi-intégralité du territoire[8]. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’EDF appartient encore à 83,68 % à l’État[9] et que cette dernière caractéristique n’est certainement pas non plus du goût des institutions européennes. Enfin, en ce qui concerne la fourniture d’électricité, l’entreprise détient toujours un portefeuille de plus de 24 millions de clients en 2020[10] et ce, malgré la politique qui a été mise en place depuis une dizaine d’années. En effet, pour permettre aux acteurs privés d’investir le secteur de la fourniture d’électricité face au géant public EDF, il a fallu créer les conditions permettant l’émergence d’offres de marché plus attractives que celles proposées par le service commercial d’EDF qui bénéficiait directement de la production massive d’électricité bon marché, bas-carbone et pilotable issue des parcs nucléaire et hydraulique exploités par le groupe. Afin de casser ce monopole public, le gouvernement Fillon a ainsi mis en place le mécanisme de l’Accès régulé au nucléaire historique (ARENH) en 2010[11]. Depuis mi-2011, ce mécanisme permet aux concurrents d’EDF d’acheter à prix coûtant[12] un volume de 100 TWh d’électricité nucléaire, soit environ 25 % de la production nucléaire du groupe, ceci jusqu’en 2025. Dès lors, les fournisseurs alternatifs disposent d’une option gratuite qu’ils peuvent activer si les prix du marché de l’électricité évoluent à la hausse et dépassent ce montant[13], ce qui s’est passé en 2019 où EDF a été contraint de vendre 100 TWh à 42 €/MWh plutôt qu’au prix de marché. C’est donc bien en partie grâce à l’ARENH que les concurrents d’EDF sont en mesure de proposer des tarifs inférieurs au Tarif réglementé de vente (TRV). Le bilan de l’ARENH est ainsi sans appel pour EDF qui perd plus de 150 000 clients par mois. La date de la fin de ce mécanisme approchant, et face à l’opposition qu’il suscite (même de la part du PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy, reconduit par Emmanuel Macron en 2019[14]), le gouvernement a décidé d’élaborer les contours d’un nouveau dispositif permettant à la fois de véritablement couvrir l’ensemble des coûts en hausse du nucléaire ainsi que de permettre aux autres fournisseurs de continuer de gagner des parts de marché[15]. L’option actuellement sur la table des négociations avec la Commission européenne est ainsi de permettre à l’ensemble des fournisseurs d’accéder à 100 % de la production nucléaire d’EDF (historique et nouveau nucléaire) à un prix de vente régulé par les pouvoirs publics. Pour cela, l’activité de production nucléaire du groupe serait regroupé dans une société totalement publique nommée « EDF Bleu », tandis que la division commerciale serait séparée et placée dans une autre société partiellement publique appelée « EDF Vert » : c’est ce projet de scission qui porte le nom de « plan Hercule ». Les trois couleurs d’Hercule Le plan Hercule vise donc, d’une part, à créer un EDF Bleu entièrement contrôlé par l’État qui aurait la main sur l’ensemble du parc nucléaire[16] et, d’autre part, un EDF Vert qui regrouperait les activités se trouvant dans un secteur concurrentiel. Une fois réalisée cette première ébauche de scission du groupe EDF, plusieurs détails importants restent néanmoins à régler. En premier lieu, aux côtés de la fourniture d’électricité, EDF Vert réunira plusieurs filiales évoluant d’ores et déjà dans un secteur concurrentiel comme les nouvelles énergies renouvelables (EDF Renouvelables) ou les services d’efficacité énergétique (Dalkia). En conséquence, il paraît donc logique aux

Par Tarcoiz Y.

25 novembre 2020

Plan de relance européen : quand l’artifice des petits pas se transforme en occasion manquée

Dans un éditorial du 12 avril dernier, l’Institut Rousseau alertait sur les mirages et les faux-semblants de l’idée en vogue des « Coronabonds »[1] et d’un mécanisme de financement européen. Nous écrivions : « le principal intérêt des Eurobonds serait alors de rajouter une capacité de financement budgétaire supérieure à celle de la totalité des États membres pris individuellement. On fait alors le pari que le tout dépasserait la somme des parties, et que davantage d’investissements seraient permis en Europe, en particulier au Sud, car les pays du Sud ne disposent pas de réserves budgétaires équivalentes à celle du Nord. ». Ce pari que le tout dépasserait la somme des parties est-il tenu dans le plan de relance européen qui vient d’être conclu ce mardi 21 juillet 2020 ? Assurément non, et ce n’est pas là le seul de ses défauts.   I. La taille compte   Le Président de la République en a fait lui-même l’aveu ce même jour lors de son intervention télévisuelle. Alors que la France devrait percevoir 40 milliards d’euros de subventions dans le cadre de ce plan, Emmanuel Macron a indiqué que cette somme couvrira 40 % des dépenses du plan de relance français envisagé à hauteur de 100 milliards d’euros en deux ans. Le plan de relance européen (390 milliards d’euros de subventions et 310 milliards d’euros de prêts potentiels sur trois ans) ne vient donc pas en complément du plan de relance français mais en substitution d’une partie de celui-ci. Il n’y a pas addition mais remplacement. Ceci est d’autant plus regrettable que le principal intérêt de percevoir des subventions issues d’un mécanisme européen mutualisé de financement tient précisément au fait que cela n’alourdit pas la dette publique nationale. Derrière ce problème d’additionnalité, se cache celui du volume. En matière de relance, la taille compte. 40 à 50 milliards d’euros par an, c’est la somme minimale qu’il faudrait ne fût-ce que pour mettre en place une véritable politique de reconstruction écologique au niveau national. Nous en sommes très loin puisqu’il s’agit de 40 milliards sur trois ans. Même constat au niveau européen : 390 milliards d’euros de subventions, soit 130 milliards par an sur trois ans, cela représente moins de 0,7 % du PIB européen. C’est très peu pour un plan de « relance ». D’autant que, selon les calculs de la Commission européenne, il faudrait investir au moins 260 milliards d’euros supplémentaires par an jusqu’en 2030 pour réussir la transition écologique, soit 2.600 milliards d’euros en dix ans. Si l’on ajoute à ce constat pré-pandémie, la chute drastique de l’investissement public et privé provoquée par le confinement, que la Commission estime elle-même à au moins 850 milliards d’euros pour les seules années 2020 et 2021, on comprend combien nous sommes loin de ce qui était et demeure nécessaire. Ce n’est pas pour rien que le Parlement européen et le commissaire européen Thierry Breton avaient plaidé pour un plan de relance d’au moins 2.000 milliards d’euros. Au-delà de la taille, le taux d’emprunt et la vitesse de remboursement comptent aussi. En l’occurrence, il faut investir le plus rapidement possible, en empruntant aux taux les plus faibles et retarder autant que possible le moment de rembourser. Déployer 390 milliards d’euros de subventions en trois ans, ce n’est déjà pas très rapide. Quant aux prêts, on ne sait même pas s’ils seront vraiment utilisés. En effet, une dette mutualisée doit permettre aux États les plus fragiles de réduire leur endettement individuel, lequel est exposé au risque de taux, et de compter sur un endettement collectif. Mais en réalité, la BCE permet déjà de conjurer le risque d’une remontée des taux d’intérêts des dettes souveraines des pays membres de la zone euro grâce à son pandemic emergency purchase program (PEPP), puisqu’elle a fait sauter la limitation qui consistait à ne pas racheter plus d’un tiers de la dette d’un État. Il n’est donc pas certain qu’avec une action forte de la BCE sur les taux, le recours à une dette mutualisée soit utile techniquement pour obtenir des taux plus bas. À ce titre, le prétendu “plan de relance européen” historique risque fort de n’être qu’une opération symbolique. On peut toutefois reconnaître que le tabou de l’endettement commun a été levé.   II. Un calendrier et des ressources problématiques   Mais c’est surtout l’échelonnement des remboursements qui pose question. Le diable se cache toujours dans les détails. En effet, ce qui a échappé à la quasi-totalité des commentateurs, c’est une petite phrase que l’on trouve à la quatrième page des conclusions du Conseil européen[2]. Il y est écrit que « les montants dus par l’Union au cours d’une année donnée pour le remboursement du principal ne dépassent pas 7,5 % du montant maximal de 390 milliards d’euros prévu pour des dépenses ». L’on trouve dans cette phrase une réponse à la question que l’on pouvait se poser en étudiant le plan de relance franco-allemand, puis celui de la Commission, qui prévoyait un remboursement échelonné de la dette mutualisée entre 2028 et 2057. Pourquoi une telle latitude dans les dates de remboursement ? En effet, il faut savoir qu’une obligation publique, c’est-à-dire un titre de dette émis par un État ou par une organisation internationale, se rembourse à l’échéance et que seuls les intérêts sont payés au fur et à mesure (et encore, pas toujours). Autrement dit, quand l’État français émet, par exemple, une obligation assimilable au Trésor (OAT) de 100 millions d’euros à 30 ans (il emprunte à 0,58% en juillet 2020), cela signifie qu’il versera un coupon de seulement 0,58 % de la valeur de l’obligation jusqu’à ce qu’il rembourse totalement la valeur de l’obligation (100 millions) en juillet 2050 (30 ans plus tard). Plus la durée est longue et plus l’échéance de remboursement est lointaine. Si l’on fait le pari d’une croissance positive de 1, 2 ou 3 % par an pendant cette période de 30 ans, la valeur (vue d’aujourd’hui) du principal à rembourser sera réduite d’une fraction comprise entre un quart et deux tiers. Il est donc tout à fait intéressant d’emprunter sur la durée

Par Giraud G., Dufrêne N.

22 juillet 2020

Accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle

La crise du Covid-19 vient de démontrer cruellement notre dépendance aux importations de produits stratégiques (masques, médicaments, kits de tests PCR, etc.) et renforce ce qui était identifié de longue date pour l’ensemble de nos ressources. Bien que cela ne soit qu’une de ses nombreuses vertus, l’économie circulaire a depuis quelques années été identifiée comme un moyen de réduire cette dépendance. En 2014, Janez Potočnik, ex-Commissaire européen pour l’Environnement, écrivait ainsi : « L’Europe est très dépendante des importations pour la plupart de ses ressources et les prix de ces dernières vont continuer à augmenter et devenir de plus en plus volatiles. Il y a donc un intérêt économique manifeste à utiliser plus efficacement les ressources et à réutiliser les matières – au sein d’une économie circulaire. »[1]En 2018, on peut lire dans la Feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) française : « L’économie circulaire, c’est aussi la réduction de la dépendance de la France aux importations de matières premières et aux aléas économiques mondiaux ». L’expérience de cette crise sanitaire a également montré que la puissance publique a gardé un pouvoir essentiel, capable qu’elle a été de ralentir – certes indirectement – une machine économique réputée incontrôlable. Un système économique que l’on sait étroitement imbriqué aux systèmes politique, sociologique et technique pour former un hyper-système global complexe, soumis à des changements environnementaux (climat, biodiversité) induits aussi bien que subis. Le constat est désormais connu : ce système n’est pas viable et a atteint voiredépassé certaines limites planétaires[2]. La cause principale en est aussi identifiée : une économie dite linéaire, consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter. L’économie circulaire est pensée dès l’origine comme une alternative au système économique linéaire, un changement systémique volontariste permettant de revenir dans l’enveloppe de ces limites planétaires et de viabiliser notre système global. En Europe et en France ont été lancées depuis une dizaine d’années des politiques visant à sortir de l’économie linéaire, mais nous semblons aujourd’hui « coincés » à un stade précoce de l’économie circulaire. Un stade trop précoce car porteur d’un possible effet pervers : servir de façade à la poursuite du « business as usual » de l’économie linéaire. La crise de 2020 peut-elle être un catalyseur de l’accélération vers plus de circularité véritable ? Nous allons tenter de répondre à cette question en posant, dans un premier temps, les éléments d’une définition complète de l’économie circulaire, indispensable à la préservation du concept fondateur (I), en exposant les étapes théoriques de mise en place de l’économie circulaire (II), en précisant le stade actuel de cette mise en place en Europe et en France (III), en analysant les causes de son ralentissement à un stade encore trop précoce (IV), en identifiant les domaines déterminants d’une accélération souhaitée (V) et l’acteur-clé que constitue l’État (VI) et enfin en examinant la question spécifique de la relocalisation d’activités industrielles (VII). Au fil du texte, nous formulerons des propositions qui nous semblent essentielles pour accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle. Pour une définition complète de l’économie circulaire   L’économie circulaire est un concept ayant émergé à la toute fin des années 1980[3] comme une alternative, inspirée par le fonctionnement des écosystèmes, à l’économie linéaire extractive et prédatrice. Il n’a cessé d’évoluer depuis et, probablement à cause de sa relative jeunesse, n’est pas encore stabilisé, ni en théorie, ni en pratique, ce qui lui fait courir le risque d’être mal interprété voire détourné[4]. Kirchherr et collaborateurs démontrent en particulier que le concept d’économie circulaire est trop souvent réduit à deux dimensions : le recyclage des déchets et la prospérité économique. L’économie circulaire, dans cette formulation « faible », ne répond plus alors à ses objectifs premiers de soutenabilité et d’équité intergénérationnelle.   Proposition 1 : Adopter collectivement une définition claire, complète et « forte » de l’économie circulaire, associée à la réduction des flux (en particulier à la réduction de la consommation des ressources) dans l’objectif, à terme, d’un retour à l’intérieur des limites planétaires et ne permettant pas une interprétation « faible » légitimant la poursuite d’un modèle qui resterait essentiellement linéaire. Proposition 2 : Inscrire cette définition dans un cadre stratégique national aussi bien qu’européen, avec des objectifs chiffrés explicites mettant l’accent sur la réduction de la consommation des ressources. Nous proposons ci-dessous les éléments que toute définition complète du concept devrait inclure en nous inspirant du travail de Kirchherr et collaborateurs et en y apportant quelques compléments. Les objectifs de l’économie circulaire en termes de soutenabilité : aller vers une économie sobre en ressources naturelles difficilement ou non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite «faible[5] »), voire totalement dénuée de prélèvements de ressources non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite « forte »), sobre en énergie, à bas carbone et à faible impact sur les écosystèmes, jusqu’à revenir dans le domaine intérieur des limites planétaires (empreinte écologique ne dépassant pas une planète) ; en assurant la prospérité économique nécessaire au bien-être des citoyens, en particulier en termes de santé, d’emploi et de sécurisation des sources d’approvisionnement; en garantissant la justice sociale[6]; en préservant la qualité de vie des générations futures.   Les principes opérationnels de l’économie circulaire : le cadre hiérarchisé de la gestion des déchets, permettant de boucler les cycles de matière et de réduire la consommation des ressources : par ordre de préférence (1) réduction des déchets et du gaspillage, (2) extension de la durée de vie des produits par réparation et maintenance, réutilisation et réemploi[7], (3) valorisation des matières par recyclage[8], (4) valorisation énergétique[9]. Ce cadre hiérarchique est souvent représenté comme une série de “R” (pour réduire, réparer, réutiliser, recycler, etc.) dont le nombre varie d’une publication à l’autre ; l’approche systémique multi-échelle: mise en œuvre de la circularité à l’échelle (1) des micro-systèmes (échelle des entreprises, des produits, des consommateurs), (2) des méso-systèmes (échelle des villes, des territoires, des plateformes industrielles, des régions), (3) des macro-systèmes (échelle nationale, continentale et globale)[10].   Les acteurs de la mise en œuvre de l’économie circulaire : les pouvoirs publics, par leur rôle normatif et incitatif à l’échelle nationale et de mise en œuvre à l’échelle descollectivités

Par Duquennoi C.

29 mai 2020

« Coronabonds », Hélicoptère-monnaie, annulation de dettes : éviter les contre-vérités et distinguer l’essentiel de l’accessoire

La crise que nous vivons a au moins une vertu : nous permettre de nous ouvrir à de nouvelles idées. En matière économique, elles font florès ces derniers temps. De nombreuses personnes, à commencer par des économistes, découvrent ainsi, avec un zeste d’incrédulité, des solutions pourtant déjà éprouvées ou presque magiques : la monnaie-hélicoptère, l’hypothèse d’annuler une partie des dettes publiques, celle d’émettre des Coronabonds ou encore le fait qu’une banque centrale, comme la Bank of England (BoE), puisse faire des avances monétaires à un État, alors que cette possibilité a toujours existé en Angleterre et existait aussi en France jusqu’en 1993. Dans cette effervescence d’idées, il est essentiel de distinguer le vrai du faux et l’essentiel de l’accessoire. Commençons par le plus brûlant : qu’est-ce que d’éventuels Coronabonds (nouvelle version des Eurobonds) pourraient bien changer à la situation économique terrible que nous traversons ? Cela dépend, notamment du volume et des modalités d’émission. S’il s’agit d’émettre très massivement, pour plusieurs centaines ou milliers de milliards d’euros, des dettes européennes à un taux nul ou négatif et à échéances longues, avec la garantie implicite de l’ensemble des États européens, et tout en laissant les États membres utiliser ces nouvelles ressources financières comme bon leur semble, alors effectivement les Eurobonds pourraient apporter une valeur ajoutée. Ils permettraient aux États les plus fragiles de réduire fortement leur endettement individuel, lequel est exposé au risque de taux, et de compter sur un endettement collectif. Mais en réalité, la BCE permet déjà de conjurer le risque d’une remontée des taux d’intérêts des dettes souveraines des pays membres de la zone euro grâce à son pandemic emergency purchase program, puisqu’elle a fait sauter la limitation qui consistait à ne pas racheter plus d’un tiers de la dette d’un État. En dernière ressource, elle dispose également d’un programme encore plus puissant, l’OMT (opérations monétaires sur titres), qui lui permet d’acheter de la dette des États sans limite sur le marché secondaire, réduisant ainsi le risque de spread. Dans ce contexte, le principal intérêt des Eurobonds serait alors de rajouter une capacité de financement budgétaire supérieure à celle de la totalité des États membres pris individuellement. On fait alors le pari que le tout dépasserait la somme des parties, et que davantage d’investissements seraient permis en Europe, en particulier au Sud, car les pays du Sud ne disposent pas de réserves budgétaires équivalentes à celle du Nord. C’est certainement à ce titre que l’opération serait la plus intéressante, ainsi que pour renforcer la dimension internationale de l’euro en offrant davantage de titres pouvant être utilisés en garantie. Il s’agirait cependant d’un pas important vers le fédéralisme européen car cela ferait tomber un tabou qui est l’interdiction faite aux institutions européennes d’émettre de la dette en leur nom, fût-ce au profit des États membres. En tout état de cause, l’usage de ces nouvelles ressources financières devrait répondre au libre choix des États et non à une décision imposée par les institutions européennes. Mais nous n’en sommes pas là : au regard des discussions actuelles, l’émission d’Eurobonds, si elle devait avoir lieu, serait vraisemblablement d’un volume très limité et temporaire. Dans cette hypothèse, les États devraient continuer à s’endetter sur le plan national, à des taux définis par les marchés, pour la quasi-totalité de leur dette. Seule une infime partie serait mutualisée et bénéficierait d’un taux uniforme. En outre, cette dette, même mutualisée, devrait être remboursée. Avec quelles ressources ? On imagine déjà la suite : de nouvelles taxes (ce qui pourrait être positif s’il s’agissait de taxes environnementales) ou, plus vraisemblablement, une augmentation de la contribution des États membres à l’UE, voire de l’austérité. Dans ce cas, ce que les États dépenseront pour rembourser la dette mutualisée, ils ne le dépenseront plus chez eux. Le jeu serait alors presque à somme nulle. Car le problème, au final, n’est pas tant de savoir qui émet la dette, mais plutôt de définir comment on va la rembourser en générant des revenus alors que l’activité s’arrête. La crise que nous traversons n’est pas une crise de l’offre de crédit, que l’action traditionnelle de la BCE suffit à conjurer, c’est une crise de solvabilité quasi-généralisée. À cet égard, la question de la « monnaie-hélicoptère » est plus intéressante parce qu’elle vise à rétablir des revenus en injectant de la monnaie et cela sans accroître la dette. D’où une question essentielle : peut-on créer de l’argent sans dette en contrepartie ? En pratique et à l’heure actuelle, la réponse est négative, car l’application dans notre système monétaire et bancaire des principes de la comptabilité en partie double, hérités de la Renaissance italienne, font qu’un actif entraîne toujours un passif, et inversement. Par conséquent, la monnaie est créée exclusivement par les institutions bancaires lorsqu’elles accordent des crédits aux agents économiques que sont les ménages, les entreprises ou les États, ou lorsqu’elles leur achètent directement des actifs (par exemple des actions d’entreprises). Il y a donc toujours une contrepartie. Mais cette contrepartie pourrait aussi être un actif “fictif”, par exemple une dette perpétuelle à taux nul, ou encore la reconnaissance d’un “don”. En effet, si demain la banque centrale décidait de créer de la monnaie pour la distribuer à un État ou à des citoyens, sans jamais exiger le remboursement de cette monnaie, rien ne s’y opposerait techniquement. Les seuls obstacles seraient alors politiques et juridiques. En effet, les traités énoncent une interdiction formelle faite à la banque centrale de financer directement les États ou les institutions publiques, par exemple en leur accordant des découverts ou des crédits (art. 123 TFUE). Mais, tout à fait formellement, rien ne s’oppose à ce qu’elle « donne » de l’argent aux citoyens ou aux institutions publiques. Le don semblait tellement improbable au regard des principes du système monétaire et financier que les rédacteurs des traités n’ont pas crû nécessaire de l’interdire formellement. Il pourrait y avoir là une faille à exploiter. Et si cela apparaît équivoque au plan juridique, alors la volonté politique devra y pallier. Ceci étant dit, la distribution gratuite d’une quantité de monnaie

Par Dufrêne N., Benbara L.

12 avril 2020

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