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Le bitcoin, mirage monétaire et désastre écologique

  Dans le contexte de la crise de 2008-2009, l’avènement du bitcoin a pu séduire parce que, produit et géré avec un logiciel libre[1], il est supposé donner le pouvoir monétaire à ses utilisateurs grâce à sa gestion par une technologie plutôt que par une puissance centralisée (État et Banque centrale d’une part, banques commerciales de l’autre)[2]. Il serait « un outil crucial de libération individuelle face à un État omniprésent » (Lars 2021). Sa promesse était qu’il deviendrait une monnaie tant aux échelons nationaux qu’international et contrebalancerait, voire dépasserait, le monopole banco-financier des paiements. Chacun pourrait contribuer à partir de son ordinateur personnel à ce système décentralisé et ce système diminuerait même les coûts de transactions pour ses utilisateurs. Surtout, il mobiliserait un esprit à la fois communautaire[3] et pionnier. Le bitcoin aurait (re)fait de la monnaie un bien libre et un commun (Dupré, Ponsot, Servet 2015 ; Servet 2021a). La réalité est loin de ce schéma idyllique qui témoigne d’une confusion entre les intentions et les désirs mis en avant par ses promoteurs, et la réalité de ses usages et de son fonctionnement[4]. Le bitcoin n’est ainsi que très marginalement monnaie[5] au sens d’un instrument de paiement largement partagé au sein d’une communauté de paiement. La volatilité extrême de son cours fait douter qu’il ne puisse d’ailleurs jamais l’être, sauf dans des pays comme aujourd’hui le Liban qui connait un effondrement de son système monétaire et financier (Maucourant Atallah 2021), le Salvador qui a perdu sa souveraineté monétaire au profit du dollar depuis vingt ans (Kharpal 2021b) ou le Nigeria qui subit une hyperinflation[6]. En outre, le bitcoin est essentiellement devenu un instrument spéculatif, nouvel objet de jeu pour les institutions financières comme en témoigne la récente cotation en bourse de Coinbase (Garcia 2021). S’agirait-il alors d’un « placement alternatif » comme ont pu le décrire les autorités chinoises (Kharpal 2021a ; Cagan 2021a) ? On remarque cependant que la Chine a interdit à ses citoyens son usage comme monnaie et depuis peu sa production notamment en raison de ses effets dénoncés comme nuisibles pour l’environnement[7]. Une large partie de l’opinion publique assimile encore l’ensemble des crypto-activités au bitcoin alors qu’elles vont bien au-delà du monétaire et du financier. Si la critique à l’encontre du bitcoin est néfaste à la reconnaissance des potentialités de l’ensemble des cryptoactivités, n’est-ce pas à leurs spécialistes de faire connaître les différences existant, à des degrés divers, entre les différentes activités de cryptage, l’utilité des blockchains[8] et les spécificités de quelques-unes des 9500 autres cryptoactifs qui seraient aujourd’hui émis[9] ? Demain on connaîtra sans doute des monnaies numériques émises et gérées par les banques centrales, ce qui changera largement la donne. La Chine s’affiche aux avant-postes des innovations en cours et surtout futures (Lehman, Rothstein 2021), avec un modèle très différent du fait d’interventions publiques conservant à la monnaie sa qualité souveraine. Ce débat est aussi ouvert aux États-Unis (Hockett 2020) et ailleurs, comme une réponse aux défis monétaires à venir (Servet 2021b). Au-delà des usages monétaires du bitcoin, l’objectif principal de cette note est de démontrer que le bitcoin est un gouffre énergivore, contraire à nos ambitions climatiques. 1. Le bitcoin consomme une quantité d’énergie croissante Pour émettre les bitcoins il faut en effet faire tourner des ordinateurs puissants. Ces machines dites de « minage » sont en concurrence les unes avec les autres (Framabot et alii, 2018). Ceux qui échouent à miner un bloc ont investi à perte car ils ne bénéficient pas en tt+1 d’une avance pour l’émission suivante. Cela se fait avec une consommation électrique croissante à laquelle s’additionne celle pour produire voire transporter ce matériel de minage et à laquelle peut s’ajouter encore celle requise pour réfrigérer certains locaux compte tenu de la chaleur dégagée. De très nombreux articles de presse et rapports ont ainsi dénoncé le caractère énergivore[10] du bitcoin. En effet, le fonctionnement du réseau Bitcoin se base sur ce qu’on appelle la preuve de travail (POW) pour attribuer les nouveaux bitcoins créés actuellement toutes les dix minutes. En s’attachant à la question énergétique, on peut y voir une erreur de conception du bitcoin car une autre technique, la preuve d’enjeu (POS) et ses variantes, n’engendre pas une dépense énergétique aussi élevée que celle du bitcoin tout en apportant une sécurité que l’on peut estimer équivalente. D’autres cryptoactifs (ADA de Cardano par exemple, Binance coin, XRP, etc.) sont d’ailleurs fondés sur des protocoles de type POS et pourraient supplanter le bitcoin. Les données diffusées sur l’énergie consommée pour émettre et faire circuler les bitcoins constituent une mise en garde[11]. Ainsi en 2017 Newsweek a intitulé un article : « Bitcoin Mining on Track to Consume All of the World’s Energy by 2020 » [L’extraction de bitcoins en passe de consommer toute l’énergie mondiale d’ici 2020] (Cuthbertson 2017). Or le corps de l’article précisait : « such a projection is purely hypothetical » [une telle projection est purement hypothétique]. Cette précaution argumentaire a été peu relevée par tous ceux qui ont dénoncé ce qui serait selon eux le caractère erroné et donc inutilement alarmiste de l’article. Les affirmations notamment de Noizat (2019) relativisant cette consommation électrique ont été contredites par Delahaye (2019), sans que le premier réponde aux arguments critiques. Une des plus récentes alertes (en mars 2021) est venue du milliardaire Bill Gates dans une interview au New York Times (reprise dans Ponciano 2021). Le milliardaire, Elon Musk, quant à lui, est passé fin mars 2021 de l’appui au bitcoin sur son compte Twitter[12] à, six semaines plus tard, une critique à l’encontre de son « bilan carbone désastreux » (Burgel 2021). Ce qui en une journée a fait chuter son cours de 15 %. Selon le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index (CBECI), la transaction d’un bitcoin a une empreinte carbone équivalente à celle de 735 121 transferts monétaires par Visa ; ou encore pour ce qui est de la circulation de l’information, à celle de 55 280 heures de consultation de You Tube. Toujours, selon le CBECI, la consommation annuelle du réseau bitcoin serait en train d’atteindre 128 TWh (terawatt-heure) par an[13], soit 0,6 % de la consommation

Par Servet J.

19 juillet 2021

De la Bulle Internet (1999-2000) à la bulle Internaute (2020-2021) ? Une ouverture vers une autre économie

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand événement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Pour cette note, nous remercions Thomas Lagoarde-Segot et Roland Pérez pour leur relecture et commentaires. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contacts : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com, david.bourghelle@iae.univ-lille1.fr et jacques.ninet@laposte.net Télécharger le policy brief en pdf Download the policy brief as a pdf Introduction Ce policy brief examine la dynamique des marchés boursiers depuis l’apparition de la pandémie Covid-19 et son possible rôle dans l’émergence d’un « après » radicalement renouvelé. Dans la première partie, rédigée mi-février, nous évaluons la probabilité que des bulles sectorielles se soient formées, principalement mais pas uniquement sur les marchés américains. Dans la seconde nous envisageons les conséquences que pourrait avoir une crise financière majeure sur la remise en cause du modèle de croissance carbonée et fortement inégalitaire qui régit le monde occidental. 1. Bulle or not bulle ? Depuis leur chute impressionnante de février-mars 2020, provoquée par l’irruption de la pandémie, tous les marchés boursiers ont réagi de manière positive mais avec des dynamiques de rebond diverses. Si les places européennes ont tout juste regagné le terrain perdu, certaines bourses asiatiques (Japon, Taiwan, Inde) et les marchés américains sont entrées dans une phase que l’on peut qualifier d’euphorique ou exubérante au point que la question de la formation de bulles peut légitimement se poser. D’autant plus légitimement que le NYSE et le Nasdaq qui viennent de terminer en fanfare leur douzième année de hausse depuis le trou consécutif à la crise des subprimes et qui ne semblent pas vouloir en rester là, sont les marchés directeurs de la planète. Source : https://www.reuters.com/markets/us Bien qu’il n’existe aucune définition d’une bulle financière –et que la théorie financière moderne et ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine Greenspan se refusent à en dresser le constat avant son éclatement- on peut se risquer à en dessiner quelques aspects caractéristiques. Une bulle d’actif apparaît le plus souvent comme la phase terminale d’une longue séquence haussière, phase pendant laquelle les cours de bourse s’affranchissent nettement de leurs relations habituelles avec les données économiques, micro et macro, selon une métrique bien connue (ratios de capitalisation boursière sur profits, chiffre d’affaires ou actif net, d’une part et capitalisation boursière/PIB d’autre part). C’est aussi une période pendant laquelle les rendements attendus des actifs sont de plus en plus déterminés par la plus-value escomptée à la revente et de moins en moins par les revenus courants, loyers, dividendes et coupons, dont le taux de rendement diminue à mesure que les prix s’élèvent. 1.1 Une Survalorisation des cours boursiers aux plans micro et macro-économique ? Le tableau ci-dessous dresse le constat peu discutable de forte valorisation des cours boursiers actuels. Les achats à crédits restent en ligne avec la progression des cours, loin de leur record de 2008. Ils n’en n’ont pas moins explosé en 2020 (+42% soit 235 Md USD). Source : calcul des auteurs Ainsi, par exemple, peut-on observer l’accroissement significatif, et sans commune mesure avec les épisodes de 2000/2001 et 2007/2008, de la capitalisation boursière de l’indice Wilshire 5 000[1] rapportée au PIB US (+ de 3 écart-types au-dessus de sa moyenne de long terme). https://www.longtermtrends.net/market-cap-to-gdp-the-buffett-indicator/ Enfin, les traditionnels indicateurs de valorisation à base de Price Earning Ratio (P.E.R) , de rendement ou de dividendes indiquent également des niveaux de valorisation se rapprochant dangereusement des niveaux atteints à la veille de l’éclatement de la bulle internet. Ainsi, le Shiller P/E Ratio (ou CAPE pour cyclically adjusted price to earnings), calculé sur la base de la moyenne mobile sur dix ans des bénéfices nets par action (BPA) ajustés de l’inflation se situe à environ 35, bien au-delà de sa moyenne historique de 16,7 fois et de son niveau de 32,6 observé en septembre1929. Dans ces conditions, les rendements en bénéfices et en dividendes atteignent des niveaux très proches de leurs niveaux bas historiques. https://www.multpl.com/ 1.2 Les éléments récurrents présidant à la formation des bulles Il est généralement objecté à cette analyse que les conditions monétaires qui prévalent (taux zéro ; quantitative easing) rendent les comparaisons avec les moyennes /médianes historiques non significatives. Et, surtout, que les montants gigantesques apportées par la puissance publique à l’ensemble des Agents non-financiers à travers les plans de relance successifs expliquent à la fois la résilience surprenante de l’économie américaine (par effet retour de la richesse créée par la hausse du prix des actifs) et l’engouement des (nouveaux) épargnants pour les placements à risque dans une optique de recovery générale. Face à ces arguments avancés à chaque fois que l’on prétend que ‘‘this time is different’’ une brève revue des conditions de notre époque s’impose pour vérifier leur adéquation aux six caractéristiques communes à tous les cycles bull/krach de l’histoire, tels qu’identifiés par Minsky et décrits par Kindelberger (1978)[2]. -le changement d’état : l’achèvement de la globalisation et de la numérisation de l’économie ; le monopole des GAFAM -le progrès technique à portée universelle : l’IA, les biotechnologies, la voiture propre -la complaisance générale : elle aurait été plutôt remplacée par une dichotomie entre exubérance financière et scepticisme généralisé (le niveau de la volatilité implicite des options restant plus élevé

Par Ninet J., Bourghelle D.

10 mai 2021

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