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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Sommaire

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    La revue monétaire de l’immobilisme

    La BCE a créé la surprise, ce jeudi 8 juillet 2021, en annonçant les conclusions de sa revue de politique monétaire, qui n’étaient attendues qu’à l’automne. Hélas, ce fut la seule surprise dont elle fut capable. Un mot d’abord sur la méthode : pourquoi sortir cette revue maintenant, presque en catimini et de manière inattendue, alors qu’il y a encore tant à discuter et que de nombreuses voix, à l’instar de l’Institut Rousseau, appellent la BCE à modifier radicalement sa politique ? Est-ce pour mettre le corps social européen devant le fait accompli et couper court à toutes les discussions qui montent en ce moment autour du rôle de la BCE[1] ? Sauf que les principes posés par cette revue sont là pour durer : on parle d’effets sur une période de dix ans tandis que certaines « actions » prévues dans le cadre de cette revue n’entreront pas en vigueur avant 2024. Quel besoin donc de brusquer les choses de la sorte ? En second lieu, l’annonce du 8 juillet est une occasion manquée. Elle rappelle cruellement à ceux qui croient encore à la neutralité de la politique monétaire que l’indépendance des banques centrales les conduit nécessairement à l’impuissance devant les choix d’envergure dont nous avons urgemment besoin. Or l’impuissance monétaire aujourd’hui signifie l’incapacité, demain, de relever les défis écologiques et sociaux qui sont les nôtres. Passons en revue ces insuffisances. I. L’impératif de lutte contre l’inflation n’est pas vraiment assoupli En matière de cible d’inflation déjà, objectif principal de la politique monétaire assigné au système européen de banques centrales à l’article 127 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. L’idée centrale est la suivante : transformer l’objectif d’inflation « proche mais inférieur à 2 % » en un « objectif symétrique d’inflation de 2 % ». Quel changement cela implique-t-il donc ? Rien, ou presque. Pour le comprendre, revenons au choix fait par la Federal reserveaméricaine, en septembre dernier, de mettre en place une notion de cible flexible d’inflation moyenne. Confrontée à un retour timide de l’inflation, la Fed avait alors acté le fait qu’elle ne relèverait ses taux d’intérêt directeurs que si l’inflation était durablement supérieure à 2 % par an, non seulement pour s’assurer que celle-ci était bien ancrée solidement mais également pour compenser les périodes précédentes où l’inflation est restée trop faible pour stimuler suffisamment les revenus. L’approche de la BCE est bien moins ambitieuse : si elle admet que le niveau de 2 % peut être dépassé temporairement sans susciter de resserrement immédiat de sa politique, la Banque centrale de Francfort conserve bel et bien cette cible d’inflation et ne précise pas combien de temps un dépassement éventuel serait toléré, ni comment elle agira en cas de dynamique inflationniste différentiée entre les pays de la zone. En particulier, aucun rattrapage n’est prévu de la dernière décennie durant laquelle le taux d’inflation a été systématiquement inférieur à 2 %, entraînant une atonie de l’investissement et un accroissement vertigineux des inégalités entre rentiers et salariés. Autrement dit, là où la Fed adopte une cible d’inflation moyenne de long terme avec une volonté de rattrapage de la décennie perdue, Francfort conserve l’objectif de 2 % à court et moyen terme, qui plus est de manière très imprécise. Enfin, la BCE recommande d’inclure les loyers fictifs des propriétaires dans l’indice des prix, ce qu’Eurostat fait déjà, au risque que cela conduise à resserrer la politique monétaire en augmentant artificiellement le niveau d’inflation constaté. Surtout, la revue passe complètement à côté du vrai problème : pourquoi l’augmentation massive du bilan de l’Eurosystème, passé en une décennie de moins de 1500 milliards à plus de 7500 milliards d’euros, n’a-t-elle pas été capable ne fût-ce que de ramener l’inflation à un niveau proche de 2 % ? La BCE multiplie par cinq sa taille de bilan, et donc l’usage de la planche à billets, sans aucun effet sur l’inflation ! Étonnant, n’est-ce pas ? La réalité est que la boulimie de Francfort n’a profité qu’aux banques et aux marchés financiers[2]. Ne serait-il pas temps de s’interroger sur les canaux de transmission de la politique monétaire et de permettre enfin à la banque centrale de financer directement des dépenses d’intérêt général, notamment en faveur de la reconstruction écologique ?[3] II. Les outils de politique monétaire ne sont pas renouvelés Or les annonces du 8 juillet révèlent qu’aucune réflexion innovante n’a abouti sur les outils de politique monétaire : le taux d’intérêt directeur, uniforme et mal adapté à la diversité des situations et des pays entre la Baltique et la Sicile, demeure l’instrument principal de la politique monétaire. Quant aux autres outils, ils sont d’avance menacés d’incohérence : la BCE pourra continuer d’inonder les banques privées de liquidités à court terme, puis, en imposant des taux négatifs à leurs dépôts au guichet de Francfort, tenter vainement d’inciter ces dernières à faire usage de cette manne en faveur de l’économie réelle… tout en continuant de leur prêter des sommes vertigineuses à taux réels négatifs sur le long terme via les TLTRO[4]. De nombreux autres outils de politique monétaire innovants pourraient être mobilisés pour mettre enfin la monnaie au service du bien commun : instaurer des taux d’intérêt différenciés en fonction des besoins des pays ou de l’intensité carbone des actifs collatéraux des banques emprunteuses, annuler le stock de 3.000 milliards d’euros de dettes publiques que détient la BCE en échange d’investissements écologiques et sociaux par les États, ne plus accepter les actifs fossiles en collatéraux lors des refinancements, pratiquer une création monétaire et ciblée, acheter massivement des titres écologiques en coordination avec les Etats ou les banques publiques d’investissement, dédier un programme d’achats à la seule dette publique émise pour financer la transition climatique ce qui lui permettrait de la faciliter sans financer directement des gouvernements. etc. Si certains ont été discutés en coulisse, pas un seul n’est évoqué dans le document final rendu public par Francfort. Le même conservatisme s’affiche quant aux effets de la politique monétaire sur les prix d’actifs financiers, largement gonflés par sa politique mal ciblée. Mais là encore, aucune mesure, aucune annonce pour essayer de trouver une solution à ce piège dans

    Par Dufrêne N., Giraud G., Espagne É.

    15 juillet 2021

    Pour un nouveau mode de création monétaire libre et ciblé sous contrôle démocratique

    La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et nicolas.dufrene@gmail.com. Télécharger le brief en pdf ____ Introduction Le temps est venu de mettre en œuvre des réformes majeures en matière de politique monétaire. La crise sanitaire a en effet confirmé une tendance de fond qui se dessinait déjà très clairement depuis la crise financière de 2008 et la mise en place par les banques centrales de politiques monétaires non-conventionnelles : le soutien monétaire des économies est indispensable mais il crée également des perturbations sur le marché des actifs et alimente les inégalités. Ces défauts qui accompagnent l’expansion de la base monétaire sont-ils inévitables ? Nous pensons que ce n’est pas le cas mais, pour les éviter, il faut s’autoriser à repenser et à élargir les modes de création monétaire. Cela suppose de mettre en œuvre un nouveau mode de création monétaire, et donc de politique monétaire, qui permette non seulement d’éviter ces effets indésirables mais également d’utiliser davantage la monnaie comme outil au service de l’économie réelle et du bien commun. Permettant de briser partiellement le cercle vicieux entre la monnaie et la dette, ce mode création monétaire aboutirait à une monnaie « libre » (c’est-à-dire de la monnaie libérée de la contrainte du remboursement, et donc de la destruction) et « ciblé », ce qui signifie que l’on doit trouver les moyens démocratiques de décider de l’allocation de cette création monétaire complémentaire, là où la politique monétaire actuel n’a absolument aucune prise sur l’emploi de la masse monétaire qu’elle crée. Ce nouveau mode de création monétaire n’aurait pas pour vocation de se substituer au système traditionnel de création monétaire par les institutions financières et monétaires (IFM), mais de le compléter. En effet, la création monétaire par le crédit, qui est devenu le mode privilégié de création monétaire depuis le XIXe siècle, constitue indéniablement un progrès historique en ce sens qu’il permet de passer d’une masse monétaire fixée de manière exogène par la quantité de métaux précieux à un mode de création monétaire anticipant les besoins des acteurs économiques (monnaie endogène). Il n’est toutefois pas sans défaut, notamment du point de vue de l’augmentation continue de la dette, ce qui laisse des marges d’amélioration conséquentes. C’est dans ce cadre que doit être pensée cette idée de la monnaie libre (ou permanente), qui suppose de « désencastrer » une partie de la monnaie de la dette[1]. Il s’agit de l’une des propositions centrales de l’ouvrage « Une monnaie écologique »[2], dont l’auteur de ces lignes est l’un des coauteurs, paru juste avant la crise sanitaire. Elle a depuis été défendue dans plusieurs publications[3]. Cette note a pour objectif de passer en revue les arguments économiques et monétaires justifiant d’instaurer un tel mode de création monétaire, puis de définir les grandes lignes de sa mise en œuvre. I. Echapper au cercle vicieux de l’endettement associé à la création monétaire. Notre système de création monétaire repose actuellement sur les agents bancaires et, plus précisément, sur les banques commerciales (les IFM) et sur la banque centrale. Ce sont ces institutions qui sont dotées d’un pouvoir de création monétaire. Celui-ci ne peut s’exercer qu’avec une contrepartie qui peut prendre différentes formes (crédit, actif financier ou immobilier, matières premières, etc.). Autrement dit, pour créer de la monnaie, un agent bancaire doit respecter les règles de la comptabilité en partie double : à chaque augmentation de son passif (ce qui correspond à de la création de monnaie ex nihilo) doit correspondre une augmentation de son actif (sous forme de prêts le plus souvent, mais aussi, de plus en plus, sous forme d’acquisitions d’actifs). Cela suppose une relation avec un agent économique qui n’est pas une IFM (car entre les IFM il n’y a pas de création monétaire mais simplement des transferts de liquidité sauf lorsqu’il s’agit de la banque centrale). Autrement dit, il existe aujourd’hui deux sources de création monétaire principales de la part des institutions financières monétaires : la première est l’octroi de crédits, la seconde est l’acquisition de titres. Cela a une conséquence directe : puisque la création monétaire s’opère essentiellement par le biais du crédit et des acquisitions de titres (essentiellement des obligations qui donnent lieu à remboursement ultérieurs, notamment pour les emprunts publics), il n’est pas étonnant que la dette progresse parallèlement à l’activité et à la masse monétaire. La dette progresse d’ailleurs toujours plus rapidement que le produit intérieur brut (PIB) car une partie de la monnaie émise ne se retrouve pas instantanément dans les circuits économiques (épargne) ou fuit à l’étranger (en cas de déficit de la balance des paiements). Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’endettement public et privé mondial a ainsi atteint le montant inédit de 233 000 milliards d’euros et le ratio dette/PIB mondial a progressé à plus de 355 %. Trois années auparavant, l’endettement mondial ne pesait « que » 250 % du PIB mondial. Comme l’écrit joliment Camille Riquier : « affranchie de toute matière finie, la monnaie révèle la puissance infinie du quantitatif pur »[4]. Peut-on continuer ainsi ? Il serait un peu court de dire que la dette, notamment publique, ne représente jamais un problème. Cela en devient un dès lors que les marges de manœuvre réelles ou supposées des acteurs économiques privées ou publiques s’épuisent. Une dette publique très élevée nous rend vulnérables à une remontée des taux d’intérêts et elle sert d’arguments aux États pour ne pas investir, notamment dans la reconstruction écologique de nos sociétés. Plus fondamentalement, une question se pose : existe-t-il une raison indiscutable pour que la monnaie, qui est notre bien commun à tous et dont les formes sont aujourd’hui entièrement dématérialisées, ne puisse être créée qu’en échange d’une contrepartie sous forme d’endettement ? Ne peut-on briser, au moins partiellement, ce lien automatique entre monnaie et dette et libérer en partie la première de la seconde ? C’est à cela que répond le projet de pouvoir créer de la monnaie « libre » (certains disent « permanente »[5]). Ce faisant, l’introduction de monnaie libre dans le circuit économique permettrait

    Par Dufrêne N.

    23 juin 2021

    Traitement comptable d’une annulation de la dette publique détenue par une banque centrale

    En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Télécharger la note en pdf Download the policy brief as a pdf ____ INTRODUCTION L’appel de nombreux économistes, responsables et citoyens, à annuler tout ou partie des dettes publiques détenues par la banque centrale européenne[2] (voir https://annulation-dette-publique-bce.com/) a engendré de nombreuses objections politiques, idéologiques, juridiques et comptables. Le but de la présente note est d’aborder le traitement comptable d’une telle annulation de dettes. 1. Cadre comptable des banques centrales Le cadre de référence en matière de comptabilité des banques centrales au sein du SEBC est formé par les documents suivants : « Les finances des banques centrales», qui a été publié par la Banque des règlements internationaux[3], « Le protocole N°4 sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne » « L’orientation[4] de la Banque centrale européenne concernant le cadre juridique des procédures comptables et d’information financière dans le Système européen de banques centrales (BCE/2016/34) (2016/2249/UE) ». « Les finances des banques centrales » fournit un cadre conceptuel qui vise à harmoniser les principes et les pratiques des banques centrales à travers le monde. Sans valeur contraignante, il est le résultat des travaux d’un groupe de travail international de banquiers centraux. Dans ses conclusions, ce document souligne les éléments suivants : Le bilan d’une banque centrale ne peut pas être assimilé à celui d’une quelconque banque commerciale. « Les banques centrales ne sont pas des banques commerciales. Elles ne recherchent pas le profit et ne sont pas soumises aux mêmes contraintes financières que les établissements privés»[5]. « Les gains et les pertes de la banque centrale appartiennent à la société dans son ensemble »[6] Une banque centrale peut très bien fonctionner avec des fonds propres négatifs. « Il est loin d’être clair pour tout le monde que les fonds propres comptables d’une banque centrale peuvent être négatifs sans qu’il y ait lieu de s’alarmer »[7]. Les marchés financiers, les responsables politiques et le grand public peuvent avoir des perceptions erronées du bilan d’une banque centrale, c’est pourquoi, malgré le fait qu’elle peut fonctionner avec des fonds propres négatifs, « Il importe que la banque centrale reste financièrement indépendante »[8] C’est pourquoi « Les rétentions et les distributions d’excédents doivent être étroitement liées à un objectif de ressources financières qui soit lui-même réglé en fonction du besoin potentiel de ressources en temps de crise et les gains de réévaluation latents et les revenus tirés d’actifs particulièrement risqués ne doivent pas faire l’objet de distributions car ils ne constituent pas des bénéfices définitifs. »[9] L’objectif d’une banque centrale est de long terme, il est normal que la comptabilité déroge de manière sélective et transparente aux normes d’information financière à court terme parce que « Les banques centrales détiennent de nombreux actifs et passifs dont les variations de valeur ne sont pas pertinentes, même selon les normes internationales d’information financière (IFRS). »[10] « En matière de conventions comptables, il peut être nécessaire de s’écarter de manière sélective mais transparente des normes internationales d’information financière (IFRS). »[11]. En dernière analyse, la solidité, la solvabilité et donc la confiance dans la banque centrale et sa monnaie s’apprécient essentiellement par des éléments extérieurs tels que la confiance dans les institutions, la stabilité politique, la qualité du personnel politique, la politique économique et fiscale, la structure et la taille de l’économie, l’état des finances publiques ou … la puissance militaire. Ce sont des attributs extérieurs à la banque centrale et à la monnaie qui en fondent la confiance. « La solidité financière d’une banque centrale, en tant qu’entité autonome, peut donc renforcer sa crédibilité, particulièrement si elle se trouve affaiblie par son histoire, des dispositions institutionnelles ou le climat politique. À l’inverse, si sa crédibilité n’est pas remise en question, la solidité financière n’améliorera pas sa capacité à mener sa stratégie à bien. Il est donc extrêmement difficile de déterminer le niveau de soutien financier dont une banque centrale a besoin. »[12]. Le protocole n°4, article 26, mais surtout l’orientation de la BCE fournissent les principes et le cadre opérationnel de la comptabilité du SEBC. L’article 3, en particulier, définit les caractéristiques qualitatives de la comptabilité. Nous retiendrons ici les éléments suivants : « 1) réalité économique et transparence : les méthodes comptables et l’information financière reflètent la réalité économique, sont transparentes et sont définies dans le respect de l’intelligibilité, la pertinence, la fiabilité et la comparabilité. Les opérations sont enregistrées et présentées conformément à leur nature et à leur réalité économique, et non pas simplement à leur forme juridique » ; « 2) prudence : la valorisation des actifs et des passifs ainsi que la constatation des résultats sont effectuées avec prudence. Dans le contexte de la présente orientation, cela signifie que les plus-values latentes ne sont pas comptabilisées comme des produits dans le compte de résultat, mais enregistrées directement dans un compte de réévaluation, et que les moins-values latentes sont portées au compte de résultat en fin d’année si elles excèdent les plus-values latentes antérieures comptabilisées dans le compte de réévaluation correspondant »[13]; L’article 4 définit les principes comptables dont on retiendra particulièrement l’élément suivant : « 1) principe de continuité de l’exploitation : les comptes sont élaborés conformément au principe de continuité de l’exploitation » ; L’article 9 définit

    Par Peters A.

    19 avril 2021

    Dette publique : qui gardera les gardiens ?

    Ils n’ont pas rongé leur frein bien longtemps, les gardiens obsessionnels de la dette publique. Et ils ne sont pas prêts à accepter que le bel édifice de la dette patiemment bâti et consolidé depuis près de cinquante ans s’effondre d’un coup à cause d’un virus. Rappelons qu’aujourd’hui, 40 % de notre dette publique correspondent au seul remboursement des intérêts que nous acquittons aux marchés financiers. Si nous avions conservé le circuit du Trésor, légué notamment par François Bloch-Lainé, et qui a permis de reconstruire la France d’après-guerre en une génération, au lieu d’inscrire dans le marbre du Traité de Maastricht (qu’il faudra réviser tôt ou tard) l’assujettissement de la souveraineté d’un État aux caprices irrationnels des « marchés », nous n’aurions pas ou peu d’intérêts à payer sur notre dette. Celle-ci pourrait aujourd’hui s’élever à environ 72 % du PIB, au lieu des 120 % qu’elle va franchir en 2020. Ce ratio n’a, certes, aucun sens économique puisqu’il superpose un stock (la dette) sur un flux (le PIB) mais, depuis des décennies, il sert d’alibi à l’idée fausse que nous dépensons trop et qu’il est temps de vivre à la hauteur de nos (modestes) moyens. L’obligation de se financer sur les marchés présente un double avantage pour les partisans de l’austérité et de la financiarisation de l’économie : elle alimente les profits bancaires (et les dividendes de leurs actionnaires) et fait gonfler la dette elle-même, renforçant l’idée que, décidément, nous sommes impécunieux. À la place du circuit du Trésor, l’État a livré aux banques privées, via l’agence France Trésor, le soin de gérer notre dette publique sur les « marchés ». Résultat : 60 % de notre dette sont détenus par des non-résidents, ce qui met la France à la merci du bon vouloir des fonds de pension et des gérants d’actifs étrangers. En Italie, seuls 30 % de la dette publique sont détenus hors de la péninsule, et 5 % au Japon. Aujourd’hui, la dépense publique contribue à hauteur de 22% du PIB français (et non 56 % comme cela est répété à tort aussi bien par le Président de la République que le gouverneur de la Banque de France, qui, l’un comme l’autre, trahissent leur biais idéologique lorsqu’il s’agit de lire les comptes publics). Elle est stable depuis les années 1980 et il est grand temps que l’État prenne ses responsabilités en finançant la reconstruction sanitaire, écologique et sociale de notre pays. M. William Dab, l’ancien directeur général de la Santé, alerte d’ores et déjà sur notre incapacité industrielle à produire en masse le vaccin contre la COVID lorsque celui-ci sera disponible. Qu’attendons-nous pour financer l’investissement dans ces industries ? Il est vrai que nous sommes déjà à cours, à l’automne 2020, de vaccins… contre la grippe. Et qu’au lieu de sauver des vies, le gouvernement français semble vouloir à tout prix convaincre nos concitoyens que l’urgence est de réduire les services publics. Pour cela, rien de tel qu’une dette publique qui augmente. Le deuxième confinement (qui aurait pu être évité grâce à une meilleure anticipation) va provoquer vraisemblablement une perte additionnelle de revenus d’au moins une cinquantaine de milliards d’euros. Le PIB français devrait donc s’effondrer d’au moins 12 % en 2020, en grande partie du fait de l’incurie des autorités publiques. Rappelons que l’Allemagne va s’en sortir avec – 5,5 %, car ses dirigeants n’ont pas hésité à investir massivement. Le gouvernement ne semble pas s’en soucier, puisqu’il n’a strictement rien fait pendant l’été pour préparer la vague automnale du virus. Au contraire, le 29 août, il profitait de la torpeur estivale pour introduire un décret visant à restreindre les critères de vulnérabilité sanitaire ouvrant droit au chômage partiel[1]. À la bonne heure : la chute supplémentaire de nos revenus continue de gonfler le ratio dette publique/PIB et de justifier l’abandon des plus fragiles au motif qu’ils nous coûtent trop cher. Pour les gardiens de l’austérité budgétaire, toutefois, les derniers mois ont eu l’inconvénient majeur de contraindre les États, dont la France, à révéler qu’ils pouvaient emprunter sans délai des centaines de milliards à taux négatifs pour éviter l’effondrement immédiat. De son côté, la BCE doit continuer à affirmer, elle aussi, qu’il n’existe pas « d’argent magique » tout en créant ex nihilo pas loin de 1 800 milliards d’euros depuis le mois de mars à destination des banques privées. Dissonance entre le discours et la réalité ? C’est bien le moins que l’on puisse dire.Il ne faudrait cependant pas que cela dure trop longtemps : certes, les « chiens de garde », selon les termes de Paul Nizan, ont dû accepter de mettre en sourdine leur discours anti-dette (ou plutôt anti-État comme nous le verrons, car c’est bien l’État qui est visé in fine), mais il faut rapidement faire entendre que tout cela n’était que temporaire, une folie passagère induite par un virus réputé imprévisible (dont le retour, après les deux épisodes précédents de 2003 et 2012, avait été pourtant prévu et annoncé par l’OMS depuis sept ans). Même si le mot n’est jamais prononcé, il faudra donc très vite retourner à des politiques d’austérité. Ce fut d’abord la Cour des Comptes dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques du 30 juin 2020 qui lança la première flèche : « au-delà de ces mesures de court terme, la France va devoir rebâtir une stratégie de finances publiques. Une action en profondeur est nécessaire afin d’ancrer la soutenabilité de la dette publique et de rehausser la qualité des politiques publiques ». Le message est clair : préparer l’austérité à moyen terme, après les mesures du plan de « relance » (qui n’en est pas un, ainsi que l’Institut Rousseau l’a montré dans une note récente[2]), et couper dans les dépenses publiques. On se rappelle ainsi la formule du gouverneur de la Banque de France qui, en juin dernier, après avoir estimé que 120 % constituait la limite absolue de tout endettement raisonnable[3], plaidait en faveur de « dépenses publiques enfin plus sélectives ». Ce fut aussi le message du FMI, puis des agences de notation, avec une étude de Standards and Poor publiée

    Par Giraud G., Dufrêne N., Wegner O.

    26 novembre 2020

    Plan de relance européen : quand l’artifice des petits pas se transforme en occasion manquée

    Dans un éditorial du 12 avril dernier, l’Institut Rousseau alertait sur les mirages et les faux-semblants de l’idée en vogue des « Coronabonds »[1] et d’un mécanisme de financement européen. Nous écrivions : « le principal intérêt des Eurobonds serait alors de rajouter une capacité de financement budgétaire supérieure à celle de la totalité des États membres pris individuellement. On fait alors le pari que le tout dépasserait la somme des parties, et que davantage d’investissements seraient permis en Europe, en particulier au Sud, car les pays du Sud ne disposent pas de réserves budgétaires équivalentes à celle du Nord. ». Ce pari que le tout dépasserait la somme des parties est-il tenu dans le plan de relance européen qui vient d’être conclu ce mardi 21 juillet 2020 ? Assurément non, et ce n’est pas là le seul de ses défauts.   I. La taille compte   Le Président de la République en a fait lui-même l’aveu ce même jour lors de son intervention télévisuelle. Alors que la France devrait percevoir 40 milliards d’euros de subventions dans le cadre de ce plan, Emmanuel Macron a indiqué que cette somme couvrira 40 % des dépenses du plan de relance français envisagé à hauteur de 100 milliards d’euros en deux ans. Le plan de relance européen (390 milliards d’euros de subventions et 310 milliards d’euros de prêts potentiels sur trois ans) ne vient donc pas en complément du plan de relance français mais en substitution d’une partie de celui-ci. Il n’y a pas addition mais remplacement. Ceci est d’autant plus regrettable que le principal intérêt de percevoir des subventions issues d’un mécanisme européen mutualisé de financement tient précisément au fait que cela n’alourdit pas la dette publique nationale. Derrière ce problème d’additionnalité, se cache celui du volume. En matière de relance, la taille compte. 40 à 50 milliards d’euros par an, c’est la somme minimale qu’il faudrait ne fût-ce que pour mettre en place une véritable politique de reconstruction écologique au niveau national. Nous en sommes très loin puisqu’il s’agit de 40 milliards sur trois ans. Même constat au niveau européen : 390 milliards d’euros de subventions, soit 130 milliards par an sur trois ans, cela représente moins de 0,7 % du PIB européen. C’est très peu pour un plan de « relance ». D’autant que, selon les calculs de la Commission européenne, il faudrait investir au moins 260 milliards d’euros supplémentaires par an jusqu’en 2030 pour réussir la transition écologique, soit 2.600 milliards d’euros en dix ans. Si l’on ajoute à ce constat pré-pandémie, la chute drastique de l’investissement public et privé provoquée par le confinement, que la Commission estime elle-même à au moins 850 milliards d’euros pour les seules années 2020 et 2021, on comprend combien nous sommes loin de ce qui était et demeure nécessaire. Ce n’est pas pour rien que le Parlement européen et le commissaire européen Thierry Breton avaient plaidé pour un plan de relance d’au moins 2.000 milliards d’euros. Au-delà de la taille, le taux d’emprunt et la vitesse de remboursement comptent aussi. En l’occurrence, il faut investir le plus rapidement possible, en empruntant aux taux les plus faibles et retarder autant que possible le moment de rembourser. Déployer 390 milliards d’euros de subventions en trois ans, ce n’est déjà pas très rapide. Quant aux prêts, on ne sait même pas s’ils seront vraiment utilisés. En effet, une dette mutualisée doit permettre aux États les plus fragiles de réduire leur endettement individuel, lequel est exposé au risque de taux, et de compter sur un endettement collectif. Mais en réalité, la BCE permet déjà de conjurer le risque d’une remontée des taux d’intérêts des dettes souveraines des pays membres de la zone euro grâce à son pandemic emergency purchase program (PEPP), puisqu’elle a fait sauter la limitation qui consistait à ne pas racheter plus d’un tiers de la dette d’un État. Il n’est donc pas certain qu’avec une action forte de la BCE sur les taux, le recours à une dette mutualisée soit utile techniquement pour obtenir des taux plus bas. À ce titre, le prétendu “plan de relance européen” historique risque fort de n’être qu’une opération symbolique. On peut toutefois reconnaître que le tabou de l’endettement commun a été levé.   II. Un calendrier et des ressources problématiques   Mais c’est surtout l’échelonnement des remboursements qui pose question. Le diable se cache toujours dans les détails. En effet, ce qui a échappé à la quasi-totalité des commentateurs, c’est une petite phrase que l’on trouve à la quatrième page des conclusions du Conseil européen[2]. Il y est écrit que « les montants dus par l’Union au cours d’une année donnée pour le remboursement du principal ne dépassent pas 7,5 % du montant maximal de 390 milliards d’euros prévu pour des dépenses ». L’on trouve dans cette phrase une réponse à la question que l’on pouvait se poser en étudiant le plan de relance franco-allemand, puis celui de la Commission, qui prévoyait un remboursement échelonné de la dette mutualisée entre 2028 et 2057. Pourquoi une telle latitude dans les dates de remboursement ? En effet, il faut savoir qu’une obligation publique, c’est-à-dire un titre de dette émis par un État ou par une organisation internationale, se rembourse à l’échéance et que seuls les intérêts sont payés au fur et à mesure (et encore, pas toujours). Autrement dit, quand l’État français émet, par exemple, une obligation assimilable au Trésor (OAT) de 100 millions d’euros à 30 ans (il emprunte à 0,58% en juillet 2020), cela signifie qu’il versera un coupon de seulement 0,58 % de la valeur de l’obligation jusqu’à ce qu’il rembourse totalement la valeur de l’obligation (100 millions) en juillet 2050 (30 ans plus tard). Plus la durée est longue et plus l’échéance de remboursement est lointaine. Si l’on fait le pari d’une croissance positive de 1, 2 ou 3 % par an pendant cette période de 30 ans, la valeur (vue d’aujourd’hui) du principal à rembourser sera réduite d’une fraction comprise entre un quart et deux tiers. Il est donc tout à fait intéressant d’emprunter sur la durée

    Par Giraud G., Dufrêne N.

    22 juillet 2020

    En Europe, le poison de la défiance

    « Répugnant ». C’est le terme qu’a employé Antonio Costa, Premier ministre du Portugal, pour qualifier l’attitude du ministre des Finances néerlandais, Wopke Hoekstra, après un sommet européen tendu le 26 mars. Non content de bloquer toute mesure de solidarité budgétaire européenne, le ministre néerlandais et leader de la « nouvelle ligue hanséatique » (groupe de pays rétifs à tout transfert budgétaire au sein de la zone euro) avait demandé à la Commission européenne « d’enquêter » sur ce qui aurait empêché les pays du sud de l’Europe d’accumuler des réserves financières pour faire face à la crise. Cette tocade a fait jaser mais ne dit rien de nouveau sur l’atmosphère de défiance qui règne depuis de nombreuses années au sein de la zone euro. Ou plutôt, si : elle dit que les pays du Sud, autrement appelés les pays du « Club Med » ont décidé de ne plus rester silencieux face à ceux qui leur dispensent des leçons depuis trop longtemps. Voilà plus de 10 ans que l’Europe est en proie à la défiance. L’importance qu’a pris la notion « d’aléa moral » dans l’architecture institutionnelle de la zone euro en témoigne. La défiance est un poison lent. Elle s’est insinuée partout : entre les nations européennes, entre les institutions européennes et les nations, à l’intérieur même des nations. La défiance est très difficile à contrer. Au fur et à mesure qu’elle s’installe, elle a tôt fait de perdre tout lien avec la raison. Elle n’est plus que sentiment, ou plutôt ressentiment, aveugle, de plus en plus inexplicable, ancré. Après la décennie « heureuse » des années 1990 et la grande « réunification » du continent en 2004, la crise économique de 2008 puis celle des dettes souveraines a eu raison de la « coopération sincère » en Europe. Voilà dix ans que, malgré les moments de crise qui fournissaient autant d’occasions d’accélérer l’Histoire, les nations européennes ne parviennent pas à s’entendre sur une définition du bien commun et se maintiennent dans l’impuissance. Les fractures sont multiples et connues, entre le « Nord » et le « Sud », « l’Est » et « l’Ouest », les « in » (membres de la zone euro) et les « outs ». Les États européens ne négocient plus dans l’acceptation d’un dépassement de leurs intérêts immédiats, mais dans le souci permanent du retour : que vais-je perdre, et que vais-je pouvoir demander ? Comment « gagner » ? Tout est soumis au même « bargain », négociation permanente où chaque pays veut tirer son épingle du jeu, conserver sa position dominante ou grignoter celle des autres, s’enfermant dans un dilemme du prisonnier sans fin. La lutte contre la pandémie de coronavirus expose une fois de plus au grand jour la défiance qui règne sur le continent. Mais cette fois-ci, on n’est même plus surpris. Et la coopération n’est même plus feinte. La Pologne, l’Allemagne ou encore l’Autriche ont fermé leurs frontières du jour au lendemain. Au début du mois de mars, l’appel à l’aide de l’Italie pour la fourniture de masques et d’appareils respiratoires n’a été entendu que par la Chine. Le Conseil européen se déchire du Nord au Sud sur la possibilité de contracter un emprunt commun (« Corona bonds ») ou d’utiliser l’argent dormant (500 Mds de capacité de prêt) du Mécanisme européen de stabilité, qui soumet toute aide financière au respect de conditions strictes et au contrôle politique du Bundestag, chambre haute du parlement allemand. Jamais les traités sur lesquels se fondent encore l’Union européenne, qui affirment le principe de solidarité, n’ont paru plus déconnectés de la réalité. C’est dire le peu de cas que nous en faisons. L’ironie est que nous ne pouvons plus les réformer, tant leur réouverture serait impossible à refermer. Ce que la politique ne peut plus changer, elle s’en désintéresse, ou le contourne. À court terme, l’urgence est de se maintenir à flot. Il ne s’agit de rien de moins que de maîtriser la pandémie, éviter la faillite d’États fortement touchés et endettés (Italie, Espagne) et l’implosion de la zone euro. L’échange de noms d’oiseaux ne veut pas dire que tout s’effondre. Dans un contexte tout aussi tendu, en 2010-2012, les États européens avaient fait mentir tous ceux qui prédisaient l’explosion de la zone euro. Une fois sortie de l’œil du cyclone, il faudra en prendre acte et préparer l’avenir. L’Union européenne n’a jamais su tirer les leçons de la crise de 2008. Si elle ne le fait pas pour la pandémie de Covid-19, elle explosera avec éclat ou continuera de s’éteindre à petit feu. Il nous faudra formuler une nouvelle idée européenne, sur les cendres de celle qui est déjà morte. Pour cela, il faudra répondre à trois questions : pourquoi l’Europe ? Vers où ? Comment ? Longtemps, lorsque l’on demandait pourquoi, les européens répondaient « pour la paix ». Il ne fait plus de doute que cet objectif existentiel qui a présidé aux balbutiements de l’infrastructure européenne est totalement dépassé. Pourtant, un objectif « existentiel » de remplacement à celui de la paix tarde à apparaître. Il y a de la concurrence : certains voudraient faire l’Europe pour protéger la civilisation européenne « blanche et chrétienne » du grand remplacement. D’autres voudraient construire un grand marché dérégulé et ouvert qu’ils imaginent être la condition d’une « Europe puissance ». Alors, pourquoi l’Europe ? Parce qu’une affinité culturelle et un faisceau historique commun offrent aux nations européennes un terreau propice pour affronter des problèmes qui dépassent leurs frontières (ex. le changement climatique), où pour protéger leur droits – démocratiques, sociaux – et leur indépendance économique vis-à-vis de puissances à tendance impérialiste. Nous ne parvenons pour l’instant ni à l’un, ni à l’autre de ces objectifs. La réponse à la question « vers où » doit reconnaître comme vaine « l’union sans cesse plus étroite » et rompre une bonne fois pour toutes avec une certaine idée fédérale de l’Union européenne. Les nations restent le lieu privilégié de la solidarité

    Par Ridel C.

    30 mars 2020

    « Il y aura un avant et un après » : La rengaine trompeuse de l’après-coronavirus

    Emmanuel Macron a donné le « la » dans son allocution télévisée du 12 mars : « Plus rien ne sera comme avant ». C’est entendu, il y aura un avant et un après-coronavirus. Le refrain est entonné par de multiples voix en France ou ailleurs. Un éditorialiste du New York Times va même jusqu’à écrire que les années du XXIe siècle seront suivies désormais de la mention « B.C. » ou « A.C. » : « before » et « after Corona ». Pour beaucoup, l’après-corona a des allures de revanche. Le coronavirus a montré les risques que faisait courir à la société l’austérité imposée à l’hôpital public. Les politiques de réduction du nombre de lits et de gestion à flux tendu des capacités, énoncées durant des années comme des évidences, sont aujourd’hui réinterrogées. Le spectaculaire affaiblissement des stocks stratégiques de masques de l’État au cours des années 2010 est dévoilé. La dépendance de notre approvisionnement en médicaments aux principes actifs fabriqués en Chine est aujourd’hui dénoncée jusque par le ministre de l’Économie. La liste est longue. Au-delà des sujets sanitaires, le coronavirus révèle la fragilité des économies libérales et leur dépendance à l’État, seule institution à même de prendre les décisions de gestion de la crise et d’en amortir les conséquences économiques. De ce constat à la remise en cause de la domination du néo-libéralisme, il n’y a qu’un pas. L’après-coronavirus pencherait-il à gauche ? Hélas, ce chœur entonné plus ou moins à l’unisson suscite une forte impression de « déjà-vu ». Et il n’est pas besoin de remonter loin dans nos mémoires pour en déceler l’origine. Souvenons-nous de la crise des subprimes. L’apoplexie des marchés interbancaires entraînait le renflouement massif des institutions financières par les États et une course sans précédent aux plans de relance. Le gouverneur de la Federal Reserve Ben Bernanke tirait les leçons des années 1930 dont il était un spécialiste distingué : chacun redécouvrait les vertus du keynésianisme en temps de crise. Quelques années plus tard, la crise financière s’était muée en crise des dettes souveraines, la troïka imposait des cures d’austérité aux pays européens en difficulté et les réformes dites structurelles d’inspiration néolibérale avaient partout le vent en poupe. Souvenons-nous des attentats terroristes. Le 11 janvier 2015, la France entière (ou presque) était Charlie, était flic, était juive, était la République. De cette épreuve allait ressortir une communauté nationale unie autour des valeurs républicaines. Quelques années plus tard, les attentats nous ont surtout légué un arsenal de lois sécuritaires considérablement renforcé. L’unité nationale n’est nulle part : les musulmans sont toujours autant discriminés, les juifs inquiétés et la confiance des Français dans les forces de l’ordre n’a jamais été aussi faible. Souvenons-nous des gilets jaunes. Emmanuel Macron, qui a décidément le sens de la formule, déclarait le 10 décembre 2018 : « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies ». Mis à part la dizaine de milliards d’euros dépensée en urgence et le gel de la taxe carbone, quel changement peut-on constater aujourd’hui ? Le pouvoir ne cesse depuis lors d’ouvrir « l’acte II » du quinquennat, censé avoir débuté il y a plus d’un an. Ces précédents ne doivent pas nous désespérer mais doivent nous garder de quelques illusions dans la préparation de l’après-coronavirus. Deux d’entre elles doivent être particulièrement dissipées. – L’illusion de l’unanimité : la crise actuelle le montre jusqu’à la caricature, chacun voit midi à sa porte. Pour les écologistes, le coronavirus prouve l’inanité du consumérisme, pour Jean-Luc Mélenchon, la faillite du libéralisme et pour Marine Le Pen, la nécessité du rétablissement des frontières. La manière dont chacun vit la crise est socialement déterminée : confinement au vert pour les plus fortunés, en logement plus ou moins exigu pour les travailleurs du tertiaire, exposition au virus pour ceux qui doivent continuer à travailler, souvent sans protection adéquate, et qui sont essentiellement des soignants et des ouvriers. – L’illusion de l’affaiblissement de la pensée libérale : c’est une vérité maintes fois éprouvée, lors de chaque crise ou scandale, les tenants du laisser-faire laissent passer l’orage avant de revenir à la charge. Renfloués massivement par les États, les marchés peuvent le lendemain spéculer sur le risque de défaut sur la dette pourtant générée par la nécessité de les secourir. La prochaine séquence se dessine déjà : 2020 verra les dettes publiques se creuser à une vitesse au moins égale à celle de l’après-crise financière, alors que mis à part l’Allemagne, aucun grand pays européen n’est parvenu à résorber les conséquences de celle-ci. Les moyens d’y faire face seront l’enjeu d’affrontements qui dessineront le visage de l’après-coronavirus et dont l’issue n’est pas acquise : nouveaux programmes d’austérité, dont on connaît pourtant le coût social et l’effet récessif ; mutualisation des dettes européennes, à laquelle rien ne montre que les pays du nord de l’Europe soient davantage prêts qu’au cours de la dernière décennie ; financement par la création monétaire, sans que les limites de la capacité des banques centrales à l’expansion de leur bilan ne soient connues ; restructuration des dettes publiques (c’est-à-dire un défaut plus ou moins organisé), qui demeure aujourd’hui un tabou dans le débat politique même si nombre d’économistes la jugent inévitable ; prise en charge d’une partie de la dette des pays fragiles par la Chine, qui sort renforcée de l’épidémie qu’elle a su à ce stade juguler et dont les livraisons de masques à l’Italie montrent qu’elle est prête à pousser son avantage. C’est donc au combat politique et non aux lendemains qui chantent d’un unanimisme de façade qu’il faut se préparer. Ceux qui souhaitent que l’après-coronavirus soit l’occasion de construire des sociétés plus solidaires, plus résilientes et plus respectueuses de la planète doivent bâtir le programme pour y parvenir et la majorité politique et sociale qui le soutiendra.

    Par Institut Rousseau

    24 mars 2020

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