Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Think-Tank Social

L’institut Rousseau traite de plusieurs domaines dont un Think-Tank Social. Nous pensons que l’Etat a un rôle social à jouer dans de nombreux domaines allant de la lutte contre les discriminations, au fléchage par subventions à des domaines prioritaires comme les rénovations thermiques. Cela en passant par tous les sujets sociaux usuels.

Droit du travail, droit zombie Comment reconquérir les zones de non-droit du travail ?

Introduction « Droit du travail, droit vivant » : c’est de cette manière peu académique que le Professeur Jean-Emmanuel Ray a intitulé son manuel de droit du travail. À juste titre d’ailleurs, puisqu’il est parvenu à rendre vivante cette matière réputée technique et austère. Ce faisant, il a grandement contribué à démocratiser le droit du travail qui, par nature, en a tout particulièrement besoin. Dans certains de ses écrits pourtant, ce même auteur fait imperceptiblement passer le droit du travail de vie à trépas pour toute une frange de la population des travailleurs. C’est par exemple le cas dans sa chronique au journal Le Monde datée du 3 mars 2021 et consacrée à une décision de la Cour suprême du Royaume-Uni sur le statut des travailleurs des plateformes numériques[1]. Il y écrit en particulier la phrase suivante : « N’en déplaise aux fanatiques du travail subordonné, idéal insurpassable, le « travail à la demande » correspond pour nombre d’entre eux – en particulier les jeunes – à une « demande de travail » flexible, quitte à en payer le prix : tel le loup face au chien de la fable de La Fontaine. » Dans cette fable, un loup préfère rester affamé et libre plutôt que de devenir comme le dogue, replet mais enchaîné. À y regarder de près, elle éclaire fort mal la position de la Cour suprême britannique, objet de la chronique : en effet, les juges y affirment que les travailleurs des plateformes sont en réalité beaucoup trop subordonnés pour qu’on puisse leur appliquer le statut de travailleur indépendant. On pourrait transposer ce jugement dans la fable de la manière suivante : le loup était tellement affamé qu’il s’est finalement laissé enchaîner, sans espoir d’acquérir un jour l’embonpoint de son compère le dogue. La fable a du moins le mérite de traduire le fond de la pensée de Jean-Emmanuel Ray dont la logique sous-jacente peut être résumée ainsi : puisque le droit du travail implique la subordination du travailleur, celui-ci peut s’en débarrasser en optant pour le statut de travailleur indépendant[2]. Nombreux sont ceux qui font le même raisonnement : c’est d’ailleurs celui qui a conféré aux plateformes une certaine légitimité aux yeux de l’opinion et des pouvoirs publics. Mais il tient en réalité du sophisme car l’idée que le droit du travail engendre la subordination n’est que le résultat d’une construction juridique qui se nourrit d’elle-même. La subordination juridique est en effet le critère retenu par la jurisprudence pour définir le champ d’application du droit du travail. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un artifice purement juridique. Ce n’est pas le droit du travail qui crée la subordination : elle découle de la dépendance économique à laquelle les travailleurs se trouvent réduits à l’égard des donneurs d’ouvrage lorsqu’ils ne disposent ni des moyens de production (matériels ou financiers), ni d’un pouvoir d’organisation de l’activité, ni d’un accès direct à la clientèle. La subordination du travail est en réalité consubstantielle à l’économie capitaliste[3]. Le droit du travail intervient seulement pour empêcher que cette subordination ne s’exerce de manière absolue. Un salarié bénéficiant du droit du travail dispose souvent de plus de marge de manœuvre à l’égard de son employeur qu’un faux indépendant à l’égard de son donneur d’ordre[4]. Enterrer le droit du travail n’épargne donc pas aux travailleurs la subordination mais les prive seulement des protections qu’ils pouvaient en tirer. En tout état de cause, pour une partie non négligeable des travailleurs, le droit du travail est aujourd’hui plus mort que vivant[5]. Il est vrai qu’ils sont largement moins nombreux que ceux pour qui le droit du travail survit, malgré les coups de boutoirs de la flexibilisation. Mais rien ne garantit qu’un nombre croissant de salariés ne viendra pas grossir les cohortes de travailleurs « zombie » au regard du droit du travail. En effet, si on admet, que ce soit en théorie ou en pratique, que le droit du travail puisse ne plus s’appliquer à des travailleurs sans qualification, comment justifier qu’il continue de s’appliquer à des travailleurs objectivement plus autonomes ? Aujourd’hui les dérives de l’ubérisation sont dénoncées tant par des publications académiques[6] que par des articles de presse ou des documentaires[7]. Au-delà de l’ubérisation, les différentes formes d’éviction du droit du travail font également l’objet d’analyses critiques de plus en plus tranchantes[8] et la pertinence du critère de subordination juridique est questionnée de plus en plus directement[9]. Mais les années passent et la part zombie du droit du travail, qu’on peut aussi appeler le « non-droit du travail », ne reflue pas. Elle prospère même dans l’ombre, autorisant le développement de conditions de travail et d’emploi indignes d’une société évoluée. Notre étude entend s’attaquer à la question suivante : comment reconquérir de manière effective les zones de non-droit du travail, ces zones que personne ou presque ne trouve défendables une fois placées sous la lumière des projecteurs ? Pour y parvenir, deux écueils dans la compréhension du problème nous semblent devoir être levés : – Le premier concerne la focalisation sur l’ubérisation, dont l’une des principales spécificités est d’avoir assumé au grand jour l’éviction du droit du travail. Il ne s’agit en réalité que de la partie émergée de l’iceberg. L’ubérisation est l’aboutissement d’un phénomène bien plus ancien et bien plus étendu d’éviction du droit du travail qui, lui, est resté dans l’obscurité. – Le deuxième tient à l’amalgame dans lequel la question du statut des travailleurs indépendants s’est engluée. La plupart du temps, celle-ci est présentée comme un tout dont la solution consiste à rechercher la frontière juridique la plus adéquate entre les statuts de salarié et de travailleur indépendant. Or, pour les travailleurs faussement indépendants, on est en présence d’un problème de non-application abusive du droit du travail plutôt que d’un problème de définition de ses frontières, même si les deux sont imbriqués. Il n’y a donc pas lieu de traiter la situation des faux indépendants dans le même mouvement que les aspirations à l’autonomie de travailleurs hyperqualifiés ou que le rejet par les jeunes générations des organisations contraignantes (on peut du reste douter que ce rejet ait quelque chose à voir avec le droit

Par Euzier J.

20 décembre 2021

L’alliance entre l’école et les familles pour mettre fin à l’échec scolaire : leçons du projet Réconciliations

Introduction Cette note est la brève présentation du projet Réconciliations, basé sur une méthode pédagogique développée conjointement par Jérémie Fontanieu et David Benoit au lycée Eugène Delacroix de Drancy depuis 2012 et dont les résultats sont extraordinairement prometteurs[1]. En 2021, le projet entre dans une seconde phase de développement avec sa diffusion auprès des professeurs intéressés par l’alliance entre l’école et les familles : dès l’année scolaire 2021/2022, une dizaine de « classes pilote » essaime sur l’ensemble du territoire. D’un point de vue philosophique, cette méthode pédagogique traduit un certain nombre de convictions et de partis-pris parfaitement subjectifs et singuliers aux enseignants impliqués, ce qui explique qu’elle ne saurait avoir de portée normative : l’état d’esprit et les outils qui sont les leurs résultent de leur propre cheminement en tant que professeurs et reflètent leurs personnalités, ce qui interdit toute forme d’ambition axiologique, le refus d’approcher d’une forme de vérité n’empêchant pas pour autant l’ambition de constituer une forme d’inspiration.   Projet Réconciliations : éléments concrets Le projet a été mené chaque année depuis 2012 sur la classe de Seconde, Première ou Terminale dont Jérémie Fontanieu et David Benoit étaient professeurs principaux. Chaque promotion comptant entre 25 et 35 élèves, environ 250 familles ont participé à l’expérimentation sur neuf années scolaires. Le travail avec les familles s’inscrivant parmi les nombreuses tâches que les professeurs accomplissent en dehors des cours (préparation des séances, correction de copies, réunions, accompagnement pour l’orientation, etc.), le projet n’a fait l’objet de décharge ni d’heures supplémentaires institutionnelles (HSA / HSE). Les différents personnels de direction qui se sont succédé depuis 2012 ont autorisé et accompagné cette expérimentation pédagogique, aux côtés des nombreuses autres qui existent dans l’établissement (atelier Sciences-Po, conseil des éco-délégués, club de lecture, club radio, etc.). La coopération avec les familles coûte un temps de travail supplémentaire important en tout début d’année scolaire, nécessaire pour faire naître la confiance entre les parents et l’école (appels individuels, réunion de rentrée, etc.). Après ces premières semaines, l’envoi de SMS hebdomadaires ne prend qu’environ 30 minutes par semaine grâce à des astuces pratiques (SMS en partie automatisés et envoyés par ordinateur) ; ce travail supplémentaire, facilité par la suppression de tâches habituellement chronophages (banalisation des QCM comme évaluations, réutilisation chaque année des mêmes cours), est rapidement rentabilisé par les gains de temps considérables induits par la mise au travail des élèves et le développement croissant de leur bonne volonté.   1. Constat Le système scolaire français rencontre des difficultés considérables qui peuvent être mesurées à une échelle globale comme à une échelle individuelle. À une échelle globale, de nombreux travaux montrent que l’école française dysfonctionne. La sociologie française nous apprend depuis plus de 50 ans que notre système scolaire accroît les inégalités[1], et les enquêtes PISA de l’OCDE (comparaisons internationales de systèmes éducatifs) classent celui-ci comme l’un des plus injustes au sein des pays développés car la France est l’une des sociétés dans lesquelles l’origine sociale des élèves a le plus d’impact sur leurs résultats scolaires[2]. L’école en France rencontre donc non seulement de fortes difficultés, mais ce constat d’échec revêt même une dimension cruelle dans la mesure où il est parfaitement opposé aux promesses républicaines « d’ascenseur social », d’égalité des chances ou de principe méritocratique. Autrement dit, non seulement le système scolaire français dysfonctionne, mais ses difficultés sont d’autant plus douloureuses qu’elles sont en parfaite contradiction avec ses nobles ambitions originelles. À une échelle individuelle, beaucoup de professeurs ont le sentiment d’être impuissants face à cette machine à reproduire les inégalités qu’est devenue l’école, dépassés par un système qui broie les élèves en difficulté. À l’ambition et l’enthousiasme des débuts de carrière succède souvent une forme de désillusion et, petit à petit, les meilleures intentions semblent ruinées par un fatalisme ou une résignation pesante. Un, deux ou trois élèves qui décrochent chaque année dans chaque classe : peut-on vraiment y échapper ? Des élèves qui ne s’investissent pas outre mesure et qui n’exploitent pas leur véritable potentiel : peut-on y changer quoi que ce soit ? Des conseils de classe dans lesquels prédominent un sentiment mitigé et la conviction que les élèves n’ont pas véritablement exploité leur potentiel : que peut-on y faire ? La lecture attentive des bulletins donne le sentiment que les élèves ne produisent pas assez d’efforts : ils auraient pu être plus assidus, plus concentrés en classe, de meilleure volonté, plus réguliers dans leurs révisions ; ils auraient pu faire plus, ils auraient pu faire mieux. Le projet Réconciliations part de cette interrogation initiale : que faire pour que les élèves fassent davantage d’efforts ? Comment, à l’échelle du professeur, faire en sorte qu’ils travaillent davantage ? 2. Causes Pour parvenir à comprendre pourquoi les élèves ne font pas autant d’efforts qu’ils le pourraient ou qu’ils le devraient, il faut prendre le temps de se mettre à leur place. De leur point de vue, les obstacles à une véritable mise au travail sont considérables. Pour énoncer quelques-unes des justifications les plus fréquentes : – ils n’en ont d’abord pas envie (ce qui semble compréhensible, car ils sont jeunes, enfants ou adolescents) ; – ils ne veulent pas subir le regard critique des autres élèves ; – ils ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas encore ; – ils ont intériorisé les représentations que les médias et de nombreux responsables politiques relaient fréquemment au sujet des « jeunes de banlieue » (« bons à rien », « refusent de s’intégrer », « séparatistes », etc.). Il en résulte une très faible confiance en eux, ce qui ne les aide pas à s’investir dans les études et les pousse souvent plutôt à s’autocensurer ; par ailleurs, les élèves sont des adolescents, un âge de la vie difficile où l’on essaie de se forger petit à petit une identité et durant lequel on est souvent très dur avec soi-même. Pour toutes ces raisons, ils sont convaincus qu’ils sont incapables de fournir les efforts attendus ou sont fatalistes quant à leurs chances de réussite ; – ils sont découragés par leur perception de la situation économique française ; – ils sont lucides au sujet des discriminations

Par Fontanieu J.

21 octobre 2021

Repenser les fondements, le financement et la finalité de la protection sociale, socle républicain de la cohésion sociale

La crise sanitaire a été l’occasion de mesurer l’agilité et la puissance de la protection sociale à la française. L’État a décidé, par l’assurance maladie obligatoire, de prendre en charge les coûts engendrés par la pandémie (hospitalisation, dépistage, vaccination, etc.), ainsi que le financement des téléconsultations pour garantir l’accès aux soins. Outre l’assurance maladie, les complémentaires santé sont intervenues pour accompagner la crise, les populations, notamment les mutuelles. Dans le même temps, par le chômage partiel, la protection sociale a parachevé l’accompagnement des personnes pour les secteurs les plus affectés économiquement compte-tenu des fermetures administratives pour raisons sanitaires (restauration, tourisme, culture, événementiel, etc.). Pour le dire autrement, la protection sociale a été l’un des leviers puissants des mesures d’accompagnement mises en œuvre par la puissance publique et s’est traduite par le fameux « quoiqu’il en coûte » affirmé par le Président de la République dès mars 2020. Pourtant, ce facteur essentiel de redistribution est confronté à une crise de modèle : en plus de souffrir d’une image très dégradée dans l’opinion publique, notre conception actuelle de la protection sociale pourrait ne pas résister à l’épreuve du réchauffement climatique sans une refondation profonde de ses objectifs et de son financement. Repenser notre rapport à la protection sociale pour l’inscrire au cœur de la reconstruction écologique La protection sociale est aujourd’hui un des principaux leviers de redistribution et de cohésion sociale. Pour rappel, en 1985, les dépenses de protection sociale représentaient 26 % du PIB, contre 31 % des dépenses du PIB actuellement. Cela est dû à une augmentation des dépenses de santé, à la technicisation des soins, à l’explosion des pathologies chroniques, mais aussi au vieillissement de la population et à l’élargissement du filet social souhaité par la population. Ce pourcentage augmenterait encore si nous décidions de socialiser les dépenses liées à la prise en charge de la perte d’autonomie chez les personnes âgées. La comparaison des effets de la crise en France par rapport à d’autres pays européens au cours de l’année écoulée a démontré combien il était nécessaire de socialiser cette dépense afin de constituer un amortisseur social en période de crise. Néanmoins, force est de constater que nombre de nos concitoyens n’ont pas une perception positive de cette protection collective. À force de ne pas expliquer, de ne pas démontrer son utilité, s’installe l’idée que la protection sociale est trop coûteuse. On la perçoit comme une charge et non comme un investissement social et solidaire. On ne mesure pas les externalités positives qu’elle constitue au travers de la redistribution induite, notamment par la misère évitée aux plus fragiles. Face à cela, il est nécessaire de remettre le modèle de protection sociale au cœur du débat afin que les assurés sociaux en comprennent les ressorts, le fonctionnement, et perçoivent son caractère redistributif et solidaire. À l’heure où de plus en plus d’acteurs économiques, de femmes et d’hommes engagés, d’ONG, plaident pour que nous révisions notre modèle de production et de consommation afin d’adopter une approche qui soit économiquement plus durable, mais aussi écologiquement et solidairement plus responsable, il est également essentiel de nous interroger sur la manière de financer la protection sociale. Les trente dernières années permettent en effet de constater que les grandes phases de déficit de la sécurité sociale, socle de notre protection sociale, sont essentiellement dues à des chutes massives de la production et au chômage de masse. Ainsi, la hausse massive du chômage au cours de la période 1993 – 1996 a provoqué un déficit de 10 milliards d’euros de l’assurance maladie. La crise financière puis économique de 2008 – 2010 a ensuite entraîné un déficit de 28 milliards d’euros. À son tour, la crise sanitaire de 2020 a provoqué un déficit de la branche maladie de 38 milliards d’euros. Les modalités actuelles de financement induisent des déficits majeurs dès que les recettes diminuent, en raison d’une hausse du chômage et / ou d’une baisse de l’activité économique. Malgré la fiscalisation d’une partie du financement de la protection sociale avec la Contribution sociale généralisée (CSG) ou la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), le financement de la protection sociale demeure très dépendant du PIB. Appuyer notre modèle de production sur une nouvelle définition de la santé, élargie au bien-être Pour engager la transition écologique de notre modèle de production et de consommation sans altérer le niveau de protection sociale, il est nécessaire d’interroger la manière de financer durablement la protection sociale afin de la rendre plus résiliente aux aléas du PIB, et substituer la mesure du progrès à une autre norme : la mesure du progrès intérieur au bien-être (PIBE) qui élargit la notion de santé à l’état de complet bien-être physique, psychique, social et environnemental, pour paraphraser la charte d’Ottawa. Pour cela, il sera nécessaire de s’appuyer sur les indicateurs de bien-être existants, mais également d’en construire de nouveaux. Cette mesure du PIBE pourrait ainsi prendre en compte les externalités positives et négatives induites par un modèle de production. Ainsi, un modèle qui induit des pollutions engendrant des dépenses sanitaires et sociales devra être appréhendé d’une manière moins positive qu’un modèle qui améliorerait au contraire le bien être, la santé, etc. Or, la mesure actuelle du produit intérieur brut valorise davantage le premier modèle de production, puisqu’elle additionnera à la production initiale les flux économiques liés à la pollution occasionnée. Cette incohérence alimente le hiatus perçu par une partie de la population qui ne se reconnaît plus dans les améliorations revendiquées par les indicateurs macroéconomiques, censés objectiver l’amélioration de leur bien-être et de la richesse nationale. Il faut ainsi ouvrir une grande réflexion sur les indicateurs qui guident l’action publique. La démocratie sociale comme ancrage pour adapter la protection sociale aux risques environnementaux Nos engagements internationaux pris lors de la COP 21 en 2015 afin de réduire la hausse de la température à moins de 1,5°C d’ici la fin du siècle affecteront la croissance économique du pays, et détermineront en particulier le type de croissance que nous adopterons. En parallèle,

Par Chenut É.

13 octobre 2021

La gouvernance des entreprises : changer de paradigme

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contacts : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et nicolas.dufrene@gmail.com. Télécharger le brief en pdf Download the English version as a pdf   ____ Introduction   « Deux institutions surdéterminent le sort réservé à l’être humain au travail et à la planète Terre : ce que les économistes appellent le marché du travail et l’entreprise » (1). Si l’on admet que l’entreprise et les marchés sur lesquels elle interagit, ont un impact déterminant sur nos vies et notre futur, alors la composition et la légitimité des organes qui la gouvernent représentent un enjeu de premier plan. On comprend alors que l’évolution de la gouvernance constitue un puissant levier pour enclencher et accélérer la transformation de notre société et pour agir efficacement sur la transition écologique et la réduction des inégalités. Nous verrons, dans une première partie, si les nouvelles dispositions du volet 3 de la loi Pacte, consacré à la gouvernance des entreprises sont à hauteur de cette ambition et si elles marquent une véritable évolution, voire une rupture, en matière de gouvernance des entreprises ou au contraire, si elles relèvent d’une adroite et séduisante stratégie de communication sans réelle volonté de faire bouger les lignes. Nous examinerons dans une seconde partie, les conditions d’un changement de paradigme dans ce domaine, ce qui nous amènera à nous interroger sur la notion de « bien commun » et à nous poser la question centrale de la propriété de l’entreprise, de laquelle découle toute réflexion sur une plus juste et indispensable représentativité des parties prenantes au sein des instances de gouvernance et contribution aux prises de décisions stratégiques. Cinq propositions seront formulées, certaines fondées sur la nécessité d’un schéma institutionnel rénové en profondeur et non sur la recherche, sans doute illusoire et certainement insuffisante, de bonnes pratiques dans un cadre inchangé.   I. La loi Pacte et la place de l’entreprise dans la société : ambiton ou discours ? (2)   Le troisième volet de la loi Pacte promulguée en 2019, intitulé « des entreprises plus justes », inspiré pour l’essentiel des recommandations du rapport Notat/Sénart, affiche comme ambition une place de l’entreprise dans la société repensée. 1.1. Présentation des principales dispositions du volet 3 de la loi Pacte 3 consacré à la gouvernance des entreprises et inspiré du rapport établi par Nicole Notat/Jean-Dominique Sénart   La loi Pacte promulguée en 2019 prend acte des recommandations du rapport établi en 2018 par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénart et établit en particulier : un abaissement de douze à huit du nombre d’administrateurs comme seuil à partir duquel deux administrateurs salariés sont nommés, évolution qui, en réalité, ne remet pas en cause la façon dont fonctionnent aujourd’hui les conseils d’administration et de surveillance et dont sont nommés les dirigeants ; la reconnaissance par le Code Civil d’une « raison d’être » de l’entreprise reprise et explicitée dans les statuts. L’article 1883 modifié du Code Civil introduit la qualité de « société à mission », celle-ci désignant un progrès souhaitable, un futur désirable, un objectif « commun » à caractère environnemental, sociétal, culturel. Il précise que : « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociétaux et environnementaux de son activité ». À noter que le tribunal judiciaire de Nanterre, dont la compétence était contestée par la société Total SE dans une affaire l’opposant à plusieurs parties prenantes, s’est appuyé sur cet article pour se déclarer compétent en la matière (ordonnance de février 2021). Une nouvelle structure de gouvernance est proposée, le conseil de mission, composé de membres représentant les salariés, d’autres parties prenantes comme des ONG, des représentants de collectivités territoriales. Les auteurs du rapport insistent aussi sur la nécessaire revalorisation du rôle des dirigeants, dans l’esprit des travaux du Collège des Bernardins qui considèrent le dirigeant aujourd’hui comme le mandataire des actionnaires (théorie de l’agence) au détriment de « l’efficacité du pouvoir de direction » et de la « dimension créatrice de la fonction managériale » (3).   1.2 « Une forme de droit nouveau en train de se créer » (4) ou la recherche du plus petit dénominateur commun sur le sujet de la gouvernance ? Ces dispositions apportent-elles une vraie novation en matière de représentativité d’autres parties prenantes que les actionnaires au sein des instances de gouvernance de l’entreprise ? Si le concept de mission est incontestablement séduisant, ce qui importe c’est d’apprécier en quoi le conseil de mission constituerait un efficace contrepoids au pouvoir des actionnaires et mesurer la force contraignante de ses avis en cas de « conflits » entre les attentes des actionnaires et les objectifs de la mission dont il assure le suivi. Or que dit le rapport Notat/Sénard à ce sujet ? Quel rôle entend-il faire jouer à ce conseil de mission et quel pouvoir lui confère-t-il ? Selon les auteurs, il a pour vocation de permettre « aux dirigeants de prendre du recul sur leurs décisions », « d’obtenir des avis complémentaires sur la raison d’être de l’entreprise », « de fournir un aiguillon externe en faveur de la Responsabilité sociétal de l’entreprise (RSE) et parfois de trouver des solutions à des situations difficiles ». Enfin, « le conseil d’administration serait informé par les dirigeants des éventuelles conclusions de ce comité ». Ce conseil de mission jouerait un peu le rôle de bonne conscience des dirigeants et du conseil d’administration. Les auteurs du rapport parlent d’ailleurs de « prise de conscience », de « prise de recul de l’entreprise sur les risques et les opportunités provoqués par ses prises de position et son activité en matière sociale et environnementale », autant de formulations dont le caractère flou et non contraignant, souligne la volonté de ne pas remettre en cause le rapport de force existant et très déséquilibré entre les actionnaires et les autres parties prenantes, et donc l’absence de pouvoir réel de ce comité. Il est frappant de constater que les auteurs du rapport évacuent de la réflexion ce qui devrait pourtant en constituer l’élément central en matière de

Par Moutenet P.

7 juin 2021

Repenser le financement des entreprises vertueuses et les politiques prudentielles en intégrant la solvabilité socio-environnementale

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com Télécharger le brief en pdf Download the pdf version in English   ____   Introduction Face aux contraintes environnementales de plus en plus pressantes[3] et à l’insuffisance de l’effet du pricing du carbone, une transition environnementale va nécessiter des investissements massifs « vertueux » vers les secteurs décarbonés et une réduction des investissements dans les secteurs polluants, mais aussi dans les secteurs sociaux, solidaires et circulaires. Or, les investissements verts sont encore largement insuffisants. En effet, leurs coûts initiaux étant généralement très importants, il est rare que les entreprises aient les fonds propres nécessaires, et ces dernières se tournent donc vers des sources de financement externe (crédit bancaire, marchés de capitaux, marchés boursiers) et se heurtent à une indisponibilité des ressources financières. Le crédit bancaire étant souvent rationné, les entreprises sont donc incitées à chercher des financements sur les marchés de capitaux et boursiers, difficilement trouvables du fait de faibles rendements et liquidité et de hauts risques, auxquelles s’ajoutent les appels de marge des chambres de compensation[4]. En prenant des appels de marge, elles garantissent la transaction si l’une des parties fait défaut, afin d’éviter une faillite à la chaîne. Or la hauteur des appels de marge et les commissions des courtiers peuvent pousser des entreprises à quitter les marchés organisés eux-mêmes pour se financer sur les marchés de gré à gré risqués et dark pools, augmentant le risque systémique. Trois problématiques en découlent : La dégradation de l’environnement et son impact sur la production ; Le risque systémique financier du fait de la dérégulation financière et de la croissance des marchés de gré à gré ; Le risque macro-économique déflationniste : une explosion de la dette privée et une situation économique trop faible pour la soutenir mènent à une spirale déflationniste et à une dépression forcée (scénario « à la japonaise »). Le niveau de dette privée provoque une faillite des ménages et des entreprises en chaîne et donc potentiellement des banques, une explosion du chômage, et bloque tout investissement. Nous en concluons qu’il semble impossible de mener une politique environnementale qui ne soit pas macro-prudentielle, car il ne serait alors pas possible de réunir les incitations et investissements nécessaires à la transition. Et inversement, une politique macro-prudentielle doit nécessairement être environnementale[5], autrement la dégradation de l’environnement mènerait à la dégradation de la production, du capital, de l’emploi, du ratio d’endettement et de la qualité de vie sur terre, et donc à une dépression forcée. Les politiques environnementales et macro-prudentielles sont donc liées[6], et il est vital que cette interdépendance soit comprise par le régulateur avec la réalisation de stress-tests environnementaux. Nous proposons donc une politique macro-prudentielle écosystémique intégrant la régulation socio-environnementale, dont l’objectif serait d’augmenter les capacités de financements, les incitations et l’accès à l’investissement vert tout en réduisant les risques déflationnistes et environnementaux. Elle se décline à la fois sur le financement bancaire, le refinancement des banques commerciales et le financement de marché désintermédié, pour cibler tout type d’entreprise et toute source d’instabilité financière, en s’appuyant sur une redéfinition des principes comptables intégrant la solvabilité socio-environnementale. Politiques de régulation macro-prudentielles écosystémiques L’objectif de ces politiques est d’élaborer un système de réallocation des capacités de financement des entreprises non-vertueuses vers les plus vertueuses avec des garanties publiques, visant à réduire le ratio d’endettement tout en augmentant les investissements verts, avec des politiques monétaires et des formes de partenariat public-privé pour ce faire. Faciliter le financement des entreprises vertueuses verdirait le capital total mais augmenterait son volume, neutralisant en partie l’impact environnemental positif. Il est donc nécessaire d’également limiter l’expansion du financement des entreprises « brunes ». Cela réduirait les opérations risquées et favoriserait des investissements à effet de levier plus faibles et plus connectés à l’économie réelle, diminuant le risque financier systémique. Des régulations prudentielles (Bâle III, Solvabilité II) ont déjà été introduites après la crise de 2007, obligeant les banques à maintenir un certain ratio de liquidité et de solvabilité[7] afin d’éviter une nouvelle crise causée par une expansion incontrôlée du crédit et une crise de liquidité. Toutefois, ces régulations absolument nécessaires viennent directement pénaliser l’investissement vert car plus risqué et peu rentable.[8] L’enjeu est de ne pas pénaliser les investissements vertueux tout en maintenant un même niveau prudentiel écosystémique justement par la diminution du risque environnemental et le transfert des surcapacités de financement, garanties et collatéraux des investissements polluants vers les investissements vertueux. Ainsi, plusieurs solutions existent pour diminuer la contrainte bancaire de crédit :   Une politique des taux Bien que les trois principaux taux directeurs, communs à toute banque, soient déjà faibles, il serait possible de les différencier selon les établissements et les prêts, en : Individualisant le taux de refinancement auprès de la banque centrale (refi) pour chaque établissement et demande de refinancement, avec un taux plus faible pour les banques avec un bilan/une demande « verts », et un taux réellement pénalisant pour les bilans/demandes « bruns ». Réduisant et plafonnant le taux de prêt marginal (le taux de prêt de liquidité aux banques commerciales qui dépassent le volume de création monétaire permise par le refi, prêt toujours accepté) pour les banques à bilan vert, et inversement pour les bilans bruns. Augmentant le taux de rémunération des dépôts à la banque centrale seulement pour les banques qui ont un niveau particulièrement élevé de créances vertes. Cela inciterait les banques à verdir leur bilan pour profiter de cette rémunération aujourd’hui négative donc à perte, et une fois verdis les dépôts réalisés à la banque centrale limiteraient d’autres effets de levier et auraient un rôle prudentiel. Ainsi, individualiser les taux pour chaque demande de refinancement serait particulièrement incitateur pour les banques et renforcerait la transparence d’information pour le régulateur car obligerait les banques à motiver leurs demandes selon le type de prêt et à flécher leur allocation de crédit. Pour

Par Chémali L., Souffron C.

1 juin 2021

Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com Télécharger la note en pdf Download the English version as a pdf   ____   I. Problème identifié : l’absence de lutte contre l’optimisation fiscale légale, mais abusive Le terme optimisation fiscale peut parfois prêter à confusion. Il existe en effet deux types d’optimisation fiscale. L’une, illégale, consiste à contourner les règles des impôts en allant à l’encontre de la loi. Son coût pour les finances publiques françaises pourrait atteindre 100 milliards d’euros selon le syndicat Solidaires finances publiques[3]. L’autre, légale, consiste à jouer avec les règles fiscales en vigueur, tant en France qu’à l’étranger, afin de payer le moins d’impôt possible. Celle-ci est par nature difficile à chiffrer, puisque la frontière entre ce qui relève de l’optimisation ou non est subjective. Et ce notamment concernant les départs de contribuables à l’étranger. Comment définir si un départ à l’étranger s’est fait dans le but de payer moins d’impôt ou non ? Cela peut parfois relever d’une mosaïque de raisons, parmi lesquelles figure en bonne position le fait de pouvoir payer moins d’impôt. Il est donc aujourd’hui difficile pour l’administration fiscale française de récupérer les recettes qui lui échappent du fait de cette optimisation fiscale légale à l’étranger. Or, celle-ci est rendue d’autant plus facile pour les contribuables français qu’elle peut se faire au sein même de l’Union européenne, chaque pays ayant ses règles fiscales propres, alors même que la circulation des capitaux et des personnes y est libre. Les négociations en cours au niveau de l’OCDE et du G20, notamment concernant le projet « BEPS » ne concernent que l’impôt sur les sociétés et trainent depuis 2012, faute de pouvoir atteindre un consensus politique international. Notre conviction est donc qu’il ne faut donc pas attendre ce type d’accords internationaux pour agir. En créant un outil qui peut être mis en place de manière unilatérale par la France, nous pouvons espérer pouvoir agir vite pour endiguer ce phénomène. En outre, les autres États auraient tout intérêt à imiter la France et petit à petit, nous pouvons donc atteindre un consensus international par l’exemple. Plus aucun État n’aurait alors intérêt à pratiquer le dumping fiscal. L’harmonisation fiscale par le haut s’effectuerait donc de fait. L’objectif est ambitieux. Cependant, ce papier ne prétend pas proposer une solution clef en main pour régler ce fléau. Il propose un outil. Mais celui-ci devra faire l’objet d’une large concertation, notamment avec l’administration fiscale, afin de le perfectionner avant que l’on envisage sa mise en place. L’objectif ici est donc de lancer la réflexion et le débat autour de ce qui pourrait être un moyen simple et rapide de mettre fin à l’optimisation fiscale à l’étranger certes légale, mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé par les contribuables les plus aisés. II. Analyse et constat pour la France a) Nos principaux outils nationaux de lutte contre l’optimisation fiscale abusive sont des dispositifs anti-abus « ciblés » qui, trop nombreux et juridiquement fragiles, rendent l’impôt illisible En l’état du droit actuel, notre constat est que l’État français reste insuffisamment outillé pour lutter contre l’optimisation fiscale légale mais abusive. Premièrement, à grands traits, son principal outil consiste en des modalités particulières de l’impôt, à savoir des dispositifs anti-abus « ciblés ». Et précisément, la complexité actuelle de certains impôts (tels l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA) s’explique notamment par les strates successives de lois fiscales accumulées, chaque fois intervenues pour combler des incertitudes juridiques ou contrer l’inventivité des juristes fiscalistes, mais bien souvent après que ces failles aient été exploitées. Ces mécanismes particuliers de l’impôt, qui à chaque fois ont tenté de contrer ou de limiter des abus, sont bien souvent juridiquement fragiles et peuvent ainsi contrevenir aux normes de rang constitutionnel (égalité devant l’impôt, égalité devant les charges publiques, etc.) ou plus souvent au droit de l’Union européenne (en particulier les « libertés » de circulation des capitaux et d’établissement). Bien qu’utiles et nécessaires, ces dispositifs anti-abus particuliers constituent toutefois une mosaïque juridique rendant les impôts très peu lisibles pour les contribuables, ce d’autant plus que celle-ci est par nature évolutive et juridiquement fragile. b) Les dispositifs « généraux » existants restent incomplets et n’ont pas pour ambition de limiter drastiquement l’optimisation fiscale Deuxième principal outil existant, les dispositifs anti-abus « généraux » visent surtout à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale illégales et non contre l’optimisation fiscale légale. Le plus important est celui de « l’abus de droit » fiscal (articles L. 64 et suivants du livre des procédures fiscales – LPF) qui a été mis en place dès 1941, puis progressivement étayé, et qui permet à l’administration d’écarter les actifs fictifs, recherchant une application littérale des textes détournant leur lettre et esprit, si ceux-ci ont pour seul but d’éluder ou de diminuer l’impôt normalement dû. Si ce mécanisme a été récemment renforcé (lois de finances pour 2019) par la création d’un « mini abus de droit » (article 64 A du LPF) pour les abus ayant pour but « principal » (et non « exclusif » comme l’abus de droit initial du L. 64 LPF) d’éluder ou de diminuer l’impôt dû, ces dispositifs seuls restent insuffisants et posent deux difficultés principales. Ces dispositifs n’ont pas pour but d’aider à une guerre généralisée contre les abus de droits fiscaux, mais s’apparentent plutôt à des frappes chirurgicales qui impliquent une charge de travail et d’analyse importante pour l’administration, la charge de la preuve reposant sur elle. Surtout, ils ne visent pas la majorité de l’optimisation fiscale qui profite d’importantes différences de fiscalité entre deux États, deux systèmes juridiques distincts. En outre, signalons la limite d’un autre dispositif « général » inabouti, le mécanisme des « listes noires » de paradis fiscaux (liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales de l’Union européenne et de la France). Celles-ci ne concernent qu’un nombre limité d’États

Par Iss A., Bouzol-Broitman B.

24 mai 2021

Utiliser l’impôt abc pour une réforme d’ampleur en faveur de la justice fiscale

La proposition de réforme globale de la fiscalité de l’Institut Rousseau se fonde sur la note technique décrivant et détaillant le fonctionnement de l’impôt ABC. Cette note a été élaborée par Joseph Enguehard, Gaël Giraud, Éric Levieil et Mathilde Salin. Elle est téléchargeable directement en PDF en cliquant sur le lien suivant : Un outil pour la délibération fiscale : l’impôt abc La présente note complète la note technique de présentation de l’impôt abc qui paraît simultanément. Elle vise à offrir une interprétation politique de ce qu’il pourrait être souhaitable de mettre en œuvre grâce à l’impôt abc. Pour cela, après avoir montré que toute réforme fiscale doit corriger un système de taxation devenu profondément injuste, nous définissons nos paramètres “idéaux” de l’impôt ABC et détaillons nos propositions pour le rendre à la fois plus juste et plus lisible pour les citoyens. Nous replaçons enfin l’ensemble dans une perspective historique afin de montrer en quoi la question de la réforme de l’impôt s’inscrit dans la longue histoire de la souveraineté populaire. En complément de cette note nous proposons un simulateur afin que chaque citoyen puisse proposer la réforme fiscale correspondant le plus, selon lui, à l’intérêt général. Plan. I. L’impôt abc, une réforme pour transformer un système fiscal devenu injuste 1. L’impôt sur le revenu, une taxation devenue injuste 2. L’impôt abc, un moyen de renouer avec la progressivité II. Un impôt plus simple et plus lisible pour tous les citoyens 1. Supprimer les abattements, le PFU et la décote 2. D’autres pistes à explorer pour rendre l’impôt plus juste 3. La question des niches fiscales 4. Lutter contre la fraude et l’optimisation des ultra-riches III. L’impôt abc, un moyen pour le peuple de se réemparer de la question fiscale 1. À l’origine de l’impôt en France, la question du consentement des populations 2. Le moment révolutionnaire et la marche vers plus de justice fiscale 3. Les nouvelles révoltes fiscales et la soif d’une plus juste imposition à l’origine de la nécessité d’une réforme fiscale radicale Glossaire I. L’impôt abc, une réforme pour transformer un système fiscal devenu injuste 1. L’impôt sur le revenu, une taxation devenue injuste En France, l’impôt sur le revenu est historiquement associé à l’idée de progressivité et de justice fiscale. C’est ainsi que Jean Jaurès affirme en 1904 que « l’impôt qui a le plus de chances de porter en effet sur les classes de contribuables aisés auxquelles on l’applique, c’est l’impôt personnel et progressif sur le revenu »[1]. Il reste aujourd’hui l’impôt qui porte la charge symbolique la plus forte auprès des Français. Pourtant, la progressivité, qui doit normalement assurer la justice fiscale de cet impôt et sa fonction redistributrice, n’est aujourd’hui plus guère qu’une vue de l’esprit. Très concrètement, du fait du prélèvement forfaitaire unique (PFU), le taux d’imposition moyen des revenus des plus riches baisse. Par exemple, si le PFU n’avait pas été mis en place, un individu gagnant un million d’euros par an aurait en moyenne acquitté 310 000 euros d’impôt sur le revenu en 2021 (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR)[2] comprise), mais le PFU a réduit ce montant d’environ un tiers, à 202 000 euros[3]. Considérons maintenant un individu n’ayant que des revenus du capital mobilier : aussi riche qu’il soit, son taux effectif d’imposition au titre de l’impôt sur le revenu et de la CEHR a été plafonné à 16,8 % (12,8 % de PFU plus 4 % de CEHR), soit le taux acquitté par un individu gagnant 4 900 euros par mois si ce dernier n’a que les revenus de son travail. En pourcentage, un milliardaire rentier est donc moins imposé qu’un salarié à 5 000 euros par mois[4]. Le principe même de la progressivité de l’impôt est donc désormais caduc. Ce type de fiscalité illégitime ne fait qu’abîmer encore davantage le consentement de tous face à l’impôt. Outre ce cas particulier, ce constat se confirme lorsque l’on s’intéresse au taux effectif d’imposition d’une personne dont les revenus se décomposent entre revenus du travail, du capital mobilier, etc., selon les proportions moyennes des personnes ayant le même niveau de revenu. Celui-ci ne dépasse pas les 21 %, même si cette personne gagne plusieurs millions d’euros par an et qu’elle est célibataire, qu’elle n’a pas d’enfant et ne bénéficie d’aucune niche fiscale ! En outre, de par la complexité de son mode de calcul, l’impôt est illisible et peut difficilement faire l’objet d’une véritable appropriation démocratique du débat fiscal. Les barèmes par tranches de taux marginal en sont l’illustration parfaite puisque la notion même de taux marginal est souvent confondue avec celle de taux effectif réellement payé. Ainsi, les français peuvent parfois croire que les riches sont imposés sur leurs revenus à 45 %, (le taux marginal de leur impôt en réalité) alors même qu’ils ne le sont au maximum qu’à 21 %. Et ce taux peut même encore être réduit si l’on prend en compte les différentes niches fiscales dont ils pourraient bénéficier… L’impôt abc constitue à ce titre un formidable outil qui nous permet d’imaginer une réforme fiscale de grande ampleur de l’imposition sur les revenus, laquelle poursuivrait le double objectif de rendre l’impôt plus lisible pour l’ensemble des citoyens, ainsi que d’alléger l’imposition des classes moyennes en le finançant par une imposition renforcée des plus aisés, à savoir des 4 % de la population qui touchent les plus hauts revenus. La réforme que nous proposons vise ainsi à alléger l’imposition de tous ceux qui sont rémunérés moins de 6 000 euros par mois, d’accentuer légèrement l’imposition de ceux dont les revenus sont compris entre 6 et 10 000 euros et de les imposer plus fortement au-delà de 10 000 euros. 2. L’impôt abc, un moyen de renouer avec la progressivité L’impôt abc est donné par une formule très simple[5], dans laquelle trois paramètres déterminent le taux effectif d’imposition associé à une assiette fiscale donnée (le “revenu imposable”). Dans le simulateur[6], on prend comme exemple de cette assiette fiscale le revenu d’une personne (soit un impôt abc sur le

Par Bouzol-Broitman B., Dufrêne N., Giraud G., Kuhanathan A., Varenne D.

15 février 2021

Pour une garantie à l’emploi vert

Le chômage est une épreuve. Pour qui est privé d’emploi, sa prolongation constitue une expérience d’autant plus difficile que le travail utile à la société est inépuisable. Comment qualifier une société qui condamne des millions de gens à « l’inutilité » ? Comment accepter un phénomène de marginalisation sociale à grande échelle ? L’habitude du chômage nous fait parfois oublier à quel point il est une absurdité. Le chômage, au sens moderne du terme, est la privation d’un emploi salarié. Il naît avec l’essor du salariat et les premières crises du capitalisme industriel au XIXème siècle. Il se «massifie » au crépuscule des Trente Glorieuses, pour atteindre des taux oscillant entre 7 et 11 % de la population active française. Aucun gouvernement n’en est venu à bout. Nous nous accommodons trop souvent du chômage de masse. Il ne serait, finalement, qu’une variable d’ajustement douloureuse en période de crise, le pendant négatif d’un modèle économique par ailleurs vertueux. En dépit de sa nécessité, l’assurance chômage contribue à entretenir cette apparence de normalité. Comme son nom l’indique, elle assure les personnes contre un nouveau risque créé par la société industrielle. Pourtant, le chômage de longue durée provoque la dissolution du lien social. En France, il est plus élevé que la moyenne des pays développés. « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » affirme le préambule de la Constitution de 1946. À ce titre, le droit à l’emploi fait partie du « bloc de constitutionnalité ». Sa valeur juridique est supérieure aux lois.Force est de constater qu’il est bafoué dans les faits. L’institut Rousseau et Hémisphère gauche proposent de donner corps à cette promesse constitutionnelle en créant un million d’emplois dans les métiers de la reconstruction écologique et dans ceux du lien social. La garantie à l’emploi propose un emploi à ceux qui en sont durablement privés, tout en contribuant à l’effort de reconstruction écologique de notre pays. L’État impulse et finance cette proposition, tandis que les emplois sont identifiés localement en fonction des besoins de chaque territoire. Ces emplois peuvent être portés par des entreprises, des administrations ou des structures de l’économie sociale et solidaire. Un million d’emplois pourraient êtrecréés grâce à ce dispositif, pour un coût inférieur aux politiques de lutte contre le chômage existantes.   Sommaire I/ Le chômage de masse est une absurdité économique et sociale dont le coût est exorbitant pour la société. A/ Le chômage de longue durée est une absurdité, synonyme de perte de richesse pour la société et d’exclusion sociale B/ Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage présentent un bilan décevant et n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée II/ La garantie à l’emploi : un nouvel horizon de la lutte contre le chômage A/ Le droit à l’emploi, qui a valeur constitutionnelle, doit être réaffirmé B/ La garantie à l’emploi émerge comme une politique volontariste de lutte contre le chômage C/ La France connaît déjà plusieurs embryons de garantie à l’emploi III/ La garantie à l’emploi devrait être ciblée sur les emplois nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social A/ Identifier les besoins : la reconstruction écologique et les métiers du lien B/ Partir des territoires : les emplois doivent être identifiés au niveau de chaque bassin de vie, par des comités locaux pour l’emploi solidaire C/ Les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur plusieurs dispositifs IV/ Conclusion   I/ Le chômage de masse est une absurdité économique et sociale dont le coût est exorbitant pour la société. A/ Le chômage de longue durée est une absurdité, synonyme de perte de richesse pour la société et d’exclusion sociale.   1. La France compte près de 4 millions de chômeurs. La France compte 3,8 millions de personnes sans emploi[1]. À ces 3,8 millions de chômeurs, s’ajoutent 2,2 millions de personnes en situation d’emploi précaire : elles enchaînent des intérims, subissent des temps partiels. Les contrecoups de la pandémie de Covid-19 pourraient encore accroître le chômage en 2021. Dans le contexte de la pandémie, les plans sociaux s’accumulent. Du mois de septembre 2020 au mois de décembre, 35 000 licenciements ont été annoncés[2]. Avant le secteur du commerce (6 057 suppressions de postes) et de l’hébergement-restauration (4 659 postes), c’est celui de l’industrie manufacturière où les destructions de postes sont les plus nombreuses (17 570). En cumul depuis le 1er mars 2020 et le 1er janvier 2021, 84 100 ruptures de contrats de travail ont été prononcées dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), soit près de trois fois plus que sur la même période l’année précédente. Un million de personnes supplémentaires pourraient se retrouver au chômage d’ici à la fin du premier semestre 2021. Depuis près de 40 ans, la France connaît un chômage massif qui oscille entre 8 et 10 % de la population active. Taux de chômage, France, 1975-2019 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 Taux (%) 3.4 5.3 8.8 7.9 10.0 8.6 8.9 9.3 10.3 8.4 Source : Insee, enquêtes Emploi, séries longues sur le marché du travail.   Parmi eux, les chômeurs de longue durée, privés d’emploi depuis plus d’un an, représentent une part stable et élevée, autour de 40 % du nombre de chômeurs global (entre 3,5 et 4 % de la population active). Le chômage de longue durée a pris une ampleur préoccupante en France. Au quatrième semestre de 2020, il concerne 2,8 millions de personnes selon Pôle emploi[3] et 1,2 millions selon l’INSEE. Entre 2006 et 2015, le taux de chômage de longue durée est en progression de 3,9% alors que dans le même temps il a diminué de plus de 25 % en Allemagne. Dans les pays de l’OCDE, les chômeurs de longue durée représentent en moyenne 25,8 %[4] du total des chômeurs, soit 15 points de moins qu’en France.   2. Le chômage de longue durée est une exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et une perte de richesse pour la société.   Le chômage de

Par Hémisphère Gauche, Institut Rousseau, Ridel C., Ouizille A.

7 février 2021

Mettre la politique commerciale au service de l’autonomie stratégique, du climat et de l’emploi

La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein. I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale   1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales   La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine. On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3]. Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.   2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale   En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.   II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde 1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres   La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu

Par Ridel C.

22 mai 2020

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