Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Notes

Comment s’adapter à la crise climatique ? Placer la France sur la voie d’un développement résilient

En dépit des alertes incessantes formulées année après année, les émissions mondiales de gaz à effet de serre poursuivent leur irrésistible croissance, dégradant chaque jour un peu plus le climat et les écosystèmes qui ont permis le développement des activités humaines. Dans le même temps, les conséquences se manifestent de plus en plus brutalement dans le monde et en particulier en France qui a connu son deuxième été le plus chaud jamais enregistré en 2022. Pics de température dépassant régulièrement les 40°C, niveau de sécheresse jamais enregistré, pluies diluviennes responsables d’inondations… l’année 2022 a, une nouvelle fois, fait ressentir les prémices d’un avenir climatique chaotique. Le changement climatique se trouve, à présent, dans sa phase irréversible ce qui signifie qu’un arrêt des émissions stopperait effectivement la dérive sans permettre le retour au climat passé. Autrement dit, il n’est pas exagéré de dire que, même dans les scénarios les plus optimistes, l’été 2022 va constituer la nouvelle norme. La France va, de fait, connaître sur l’intégralité de son territoire une augmentation généralisée des risques climatiques mettant en danger les populations qui y sont exposées et venant disloquer les réseaux et les infrastructures des territoires concernés. L’augmentation de la fréquence d’apparition, de la longueur et de l’intensité des vagues de chaleur va placer en état de stress thermique prononcé les espaces urbains, engendrant ainsi inconfort, mise en danger des plus fragiles et surconsommation énergétique. Le changement climatique aura pour effet d’exacerber les deux extrêmes du cycle hydrologique. D’un côté, la sécheresse généralisée menace de reconfigurer brutalement le système agricole, de conduire à des conflits d’usage et des rationnements de plus en plus réguliers de l’eau. De l’autre, les précipitations extrêmes notamment sur le sud et l’est du pays, ruisselant sur un tissu urbain fortement artificialisé vont désormais forcer un déploiement fréquent des forces d’intervention (pompiers, militaires) pour porter assistance aux populations touchées et remettre en état les réseaux primordiaux (eau, électricité). L’élévation du niveau des mers, les feux de forêt ainsi que le phénomène de retrait / gonflement des sols argileux vont, eux aussi, avoir une incidence majeure sur l’organisation des activités du pays, forçant le déplacement de certaines activités ou la reconstruction d’infrastructures détruites et donc les migrations temporaires ou définitives associées. Ce constat, particulièrement inquiétant, ne doit pas pour autant paralyser, mais au contraire servir de socle de refondation à l’action climatique. Le traitement de la cause, c’est-à-dire, la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste bien entendu fondamentale pour éviter les conséquences les plus dramatiques du réchauffement. Cependant, il apparaît essentiel d’y adjoindre le traitement des conséquences, c’est-à-dire l’adaptation au changement climatique comme une brique d’égale d’importance de la transformation que nous devons opérer. Ainsi, en parallèle d’une politique de réduction drastique des émissions, la France doit se doter d’une réelle stratégie de résilience afin de limiter l’impact du bouleversement climatique qui s’amorce. Cette stratégie devra s’articuler autour de trois piliers. D’abord, l’anticipation des risques par la modélisation climatique des différents futurs possibles et par la compréhension fine des vulnérabilités aux aléas attendus. Ensuite, la prévention des risques par des investissements massifs pour limiter la vulnérabilité des populations, des infrastructures et des écosystèmes aux nouvelles normes climatiques. Finalement, la gestion de crise qui se donne pour objectif de structurer les modes d’interventions et dispositifs de secours lors de catastrophes qui s’avéreront plus fréquentes et plus violentes. Ainsi, comme le réclame le GIEC, « une planification et l’investissement intégrés et inclusifs dans la prise de décision quotidienne »[1] peuvent permettre de limiter les effets attendus du changement climatique pour le pays et ancrer sa trajectoire au sein d’un développement sobre et résilient compatible avec les limites planétaires. Cette note propose donc un panorama des risques climatiques en France hexagonale pour ensuite décrire les enjeux de l’adaptation et formuler 22 propositions concrètes esquissant les contours d’une planification résiliente au service de l’intérêt général. I. De l’urgence de l’adaptation en France : anticiper et planifier 1) Anticiper le risque climatique : un impératif Le changement climatique : « un voyage sans retour » La réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiale sera-t-elle suffisante pour prémunir la France des effets du changement climatique ? La question du devenir du climat une fois la neutralité carbone[2] atteinte, a fait l’objet de recherches récentes et un consensus scientifique a mis du temps à émerger[3]. Le dernier rapport du GIEC affirme dans son résumé aux décideurs qu’un arrêt des émissions entraînerait une stabilisation des niveaux de température actuels. Ainsi, cela signifierait bien un arrêt du réchauffement au niveau verrouillé par nos émissions passées. En revanche, cet arrêt ne signifie en aucun cas un retour en arrière : le climat passé est, donc, perdu à jamais et plus l’ordre économique actuel poussera à la combustion des énergies fossiles restantes plus elle éloignera le climat futur de celui qui a permis l’implantation des activités et réseaux collectifs qui sous-tendent nos conditions d’existence matérielle. L’explication tient dans la nature chimique de la molécule de CO2 principal gaz à effet de serre (environ 70% du forçage radiatif anthropique[4]) et des mécanismes d’accumulation dans l’atmosphère. Produite par la combustion d’énergie fossile, celle-ci ne peut être éliminée de l’atmosphère que par deux phénomènes : la photosynthèse via un contact de surface avec un végétal en respiration ou l’absorption par l’océan via un phénomène de vase communicant appelé pompe physique océanique. Or, ces deux dynamiques d’élimination se déroulent sur des périodes particulièrement longues, de l’ordre du siècle, voire du millénaire[5]. De fait, une molécule de CO2 émise aujourd’hui aurait une durée de vie de l’ordre du millier d’années au contraire d’autres gaz à effet de serre comme le méthane détruit beaucoup plus rapidement via d’autres processus physico-chimiques (12 ans). Ainsi, même si l’on n’émettait plus une seule molécule de CO2 demain, il faudrait un siècle pour éliminer 50 % du stock précédemment accumulé, un millénaire pour en voir disparaître 75 % et 10 000 ans pour qu’il en reste encore 10 % (Figure 1). En utilisant la richesse des solutions fondées sur

Par Moundib I.

8 novembre 2022

Clair-obscur de la planification écologique française

Le changement climatique est la plus grande défaillance de marché jamais constatée. Et pourtant, les politiques de régulation ont cherché depuis trente ans, sans succès, à en limiter les causes et les conséquences par des mécanismes de marché. Les conséquences, en matière d’action publique, doivent être tirées de cet échec. Il est ainsi urgent de réhabiliter une politique volontariste permettant de faire advenir une société décarbonée : la planification écologique. Certes, depuis vingt ans, les politiques énergétiques et d’aménagement du territoire ont montré un certain attachement à cette forme particulière d’action publique. Pour autant, la juxtaposition d’outils de planification mal articulés et décorrélés des moyens financiers octroyés ont conduit à l’inefficacité de ces politiques. Cette architecture empêche ainsi de parler d’une véritable planification écologique, conforme à son inspiration des Trente glorieuses. Il convient de s’attaquer à ces maux pour instituer une réelle planification écologique, nécessaire à la transition ordonnée de nos sociétés : – une rationalisation : les outils de planification existants doivent être rationalisés et simplifiés, sous l’égide du nouveau secrétariat à la planification écologique ; – une mise en cohérence : les planifications, aux différentes échelles, doivent être mieux contrôlées afin d’assurer une cohérence d’ensemble et le respect des objectifs fixés au niveau européen et national ; – une politique industrielle verte : une véritable planification écologique est indissociable d’un grand plan d’investissements publics et privés en faveur de la transition écologique de nos sociétés. Synthèse des recommandations Axe n°1 : améliorer la lisibilité de l’arsenal planificateur Recommandation n° 1 : évaluer de l’action du Conseil de défense écologique pendant le quinquennat 2017-2022 afin d’éclairer la doctrine d’action du SGPE Recommandation n° 2 : coordonner et organiser l’élaboration de la loi d’objectifs pour le climat, d’ici juillet 2023, dans un objectif d’harmonisation de l’ensemble des documents de planification en découlant Recommandation n° 3 : engager une évaluation à court terme sur les blocages dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des outils de planification écologique à l’échelle nationale Recommandation n° 4 : rationaliser, à moyen terme, les documents de planification énergétique et écologique au niveau national, afin de privilégier un Plan transversal dont découleraient, le cas échéant, des plans sectoriels Recommandation n° 5 : coordonner une révision de l’ensemble des documents de planification à l’échelle territoriale afin de les aligner sur les objectifs contenus dans la future LPEC et SFEC Axe n°2 : améliorer le contrôle des outils de planification pour assurer une cohérence d’ensemble Recommandation n° 6 : renforcer les rapports de hiérarchie normative (envisager un rapport de conformité ; supprimer les rapports de prise en compte) entre la LPEC et les textes en découlant. Envisager une évolution similaire à l’échelle territoriale entre le SRADDET et les textes reliés (PCAET, schémas nationaux, SCoT, PLU, etc.) Recommandation n° 7 : imposer, dans la loi, une révision systématique, coordonnée par le SGPE, des documents de planification régionaux en cas de révision des documents de planification national (SNBC, LPEC, SFEC) Recommandation n° 8 : organiser un organe de concertation et de dialogue des collectivités locales destiné à articuler et élaborer les outils territoriaux de la planification écologique ; cet organe s’inspirerait des CTAP et tiendrait compte des évaluations produites depuis son entrée en vigueur Recommandation n° 9 : systématiser, sous l’égide du SGPE, l’évaluation des outils et documents de planification écologique Recommandation n° 10 : instaurer la saisine obligatoire du Haut Conseil pour le Climat sur les outils de planification ou textes liés à la transition écologique, par le biais du SGPE et doter le HCC d’un pouvoir d’injonction dans son contrôle Recommandation n° 11 : assurer le respect par la législation nationale des obligations européennes, de manière coordonnée entre le SGPE et le SGAE Axe n°3 : donner des armes à la planification écologique Recommandation n° 12 : réhabiliter l’État interventionniste selon les orientations fixées par la planification écologique ; engager un vaste mouvement d’investissements publics et privés cohérent avec la planification Compenser la hausse des dépenses publiques en faveur de la transition par une baisse des dépenses fiscales néfastes à l’environnement Promouvoir, sur le modèle de l’Inflation Reduction Act américain, une conditionnalité environnementale des instruments mis en œuvre (notamment subventions et crédits d’impôts) Recommandation n° 13 : inscrire la planification territoriale économique dans l’impératif écologique, en renforçant l’articulation du SRDEII avec la réglementation environnementale, en particulier en soumettant son élaboration à une évaluation environnementale Recommandation n° 14 : mieux articuler l’articulation entre planification territoriale économique et écologique, en renforçant l’articulation entre le SRDEII et le SRADDET, en imposant une compatibilité entre le SRDEII et le SRADDET (objectifs et règles générales) Table des matières Une planification écologique française illisible, impuissante et inefficace. 1.1. Une planification illisible : la prolifération des outils non coordonnés et juxtaposés. L’inspiration planificatrice de la politique énergétique nationale. Le renforcement de l’échelle territoriale pour la planification énergétique et écologique. Un paysage aujourd’hui illisible. 1.2. Une planification non contraignante. La planification territoriale : le trou noir du contrôle de légalité et des rapports juridiques de prise en compte Une planification énergétique nationale faiblement prise en compte et non-contrôlée La planification écologique européenne : la contrainte sans contrôle L’appel à une planification contraignante par la jurisprudence française 1.3. Une planification désarmée. Une résultante de l’évolution du rôle de l’État : une planification tombée en désuétude. Un État régulateur incapable de prendre en charge une véritable planification. Construire une véritable planification écologique. 2.1. Améliorer la lisibilité de l’arsenal planificateur. Le rôle du SGPE dans la gouvernance de la planification écologique. Mettre en cohérence les outils de planification existant et rationaliser le paysage aujourd’hui illisible. 2.2. Améliorer le contrôle des outils de planification pour assurer une cohérence d’ensemble. Une articulation des outils de planification à revoir pour établir une réelle cohérence d’ensemble. La systématisation de l’évaluation des outils de planification, condition de la cohérence de la planification écologique. Le renforcement du cadre de planification européen. 2.3. Donner des armes à la planification écologique. Le besoin de traduire la planification écologique dans une véritable politique industrielle verte. La nécessaire programmation des financements pour le climat. Alors

Par Heim G.

3 novembre 2022

La planification écologique est vouée à l’échec sans remise en question de la décentralisation

Lorsqu’il reprend à son compte lors de son unique meeting d’entre deux tours l’idée de « planification écologique », le président depuis lors réélu sait qu’elle va susciter l’intérêt ; un intérêt composé d’un mélange de défiance et d’espoir chez les électeurs ayant une sensibilité écologique. Défiance tout d’abord parce que la « planification écologique » vient se substituer à une longue série d’oxymores telles que « développement durable », « croissance verte », « transition écologique » qui ont en commun d’avoir véhiculé l’idée que la prise en compte de l’environnement pouvait se faire de façon très progressive et indolore[1]. Malheureusement, la volonté politique réelle qui se cachait derrière ces mots a été cruellement mise à défaut au regard des indicateurs environnementaux qui n’ont cessé de se dégrader au gré des alternances politiques. Ces expressions, et leurs promoteurs, ont de fait, été décrédibilisés et suscitent désormais une forte suspicion. Ce nouveau mantra de « planification écologique » n’a pas de définition précise et unique. On peut toutefois tenter d’en faire la synthèse en indiquant que la planification est la combinaison d’un objectif, d’une trajectoire et d’une maîtrise des moyens pour y répondre. S’il sous-tend lui aussi cette idée de progressivité indolore, s’y insinue toutefois une dimension qui était devenue taboue dans les discours depuis bien longtemps, celle d’un pilotage par l’État. La planification écologique, au surplus, directement rattachée à Matignon, marquerait-elle ainsi le grand retour de l’État visionnaire, stratège et régulateur ? Cet État-là est connu et connoté plutôt positivement dans l’imaginaire collectif des générations qui ont connu les Trente glorieuses dont il a été l’artisan principal. C’est en ce sens que cette idée de planification écologique peut susciter une forme d’espoir. Mais l’État de 2022 n’est plus du tout celui des années 60, ni 80, ni même 2010 (Lois Grenelle). L’État, principal garant de l’unité nationale, de l’équité entre citoyens et de l’intérêt général s’est volontairement et méthodiquement effacé depuis les années 80 pour laisser faire les mains invisibles prétendument providentielles de la libéralisation de l’économie et des politiques publiques au travers des actes successifs de décentralisation[2]. Dans les deux cas, cette libéralisation s’est révélée être un échec cuisant en ce qui concerne les sujets environnementaux : l’économie capitaliste ne cherche qu’à en tirer cyniquement toujours davantage de bénéfices tandis que les politiques publiques environnementales, largement amoindries par leur dissémination « façon puzzle », constituent des cibles de choix attaquées, contournées ou dévoyées face aux lobbys nationaux et pressions plus locales. Dans les deux cas, les intérêts privés et immédiats (sous couvert de chantage à l’emploi ou titre du « développement » territorial) priment sur l’intérêt général et une vision à long terme dont l’État se doit pourtant d’être le premier garant. Le retour d’expérience est également à cette image, très cruel : l’État est depuis plusieurs années incapable de tenir ses objectifs ; notamment dans le domaine de l’environnement où les annonces sont devenues incantatoires. Nonobstant les interrogations fréquentes sur l’adéquation entre les objectifs environnementaux affichés et la volonté politique réelle d’agir en ce sens, l’État n’a parfois même plus la maîtrise des leviers nécessaires à leur atteinte, ni même à leur contrôle. Parmi les exemples les plus marquants et constants d’objectifs non atteints, on peut citer ceux portant sur la réduction de l’artificialisation des sols, la réduction de l’usage des produits phytosanitaires en agriculture ou encore la rénovation énergétique des logements. Plutôt que de chercher à en comprendre les raisons et y remédier, les gouvernements successifs préfèrent se voiler la face et continuer à faire « comme si », en fixant au besoin de nouveaux objectifs plus lointains pour gagner du temps et se redonner de l’air politiquement. Comment expliquer ces échecs récurrents et patents ? Quels sont leurs points communs ? Ce sont tout d’abord des sujets clivants et sensibles pour lesquels l’État n’a pas voulu ou pas pu mettre en adéquation les paroles et les actes. Le renoncement face aux pressions internes et externes sur les sujets environnementaux est presque devenu un postulat pour tous les ministres de l’Environnement successifs dont il est désormais de notoriété publique[3] qu’ils perdent systématiquement leurs arbitrages face aux ministères de l’Agriculture ou à Bercy. « On ne fera pas l’écologie contre l’économie » a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne la semaine de sa nomination[4], « il ne faut pas opposer agriculture et écologie » déclarait Julien Denormandie quelques mois auparavant[5]. Ces expressions du registre du « en même temps » et qui apparaissent n’être que de bon sens sont en réalité des marqueurs pour rappeler la hiérarchie des enjeux et donc des ministères au sein du gouvernement. L’autre facteur explicatif vient de la double décentralisation[6]. Sur de nombreux sujets, l’État veut continuer à croire qu’il décide alors même que les compétences ne lui appartiennent plus car transférées, avec plus ou moins de bonheur, aux collectivités locales : régions, départements (dans une moindre mesure pour les sujets environnementaux), EPCI (intercommunalités) et communes. L’autre forme de décentralisation typiquement française, plus discrète et largement poussée par les cabinets de conseil dont on sait qu’ils ont une influence forte sur la désorganisation de l’État[7] en échange de bons procédés[8], est celle qui vise à confier des compétences à des organismes publics dont il a partiellement ou totalement perdu le contrôle. Par construction, ces opérateurs ou établissements sont dotés d’un conseil d’administration au sein duquel l’État est minoritaire et où les décisions sont à nouveau politisées alors même qu’elles ne devraient relever pour l’essentiel que d’une application directe et opérationnelle de politiques nationales dûment adoptées. À ceci s’ajoute le fait que les ministères confient à ces opérateurs des objectifs trop peu précis et suivis et exercent sur eux une tutelle souvent lâche qui conforte les velléités d’autonomie.[9] Leur multiplication puis l’élargissement continu de leurs missions n’a eu pour effet que de réduire, par effet de vases communicants, les effectifs et crédits des services centraux et déconcentrés des ministères, sortant ainsi de la chaîne de décision (et indirectement de la légitimité démocratique) de plus en plus de compétences pourtant ministérielles. Ne peut-on a minima reconnaître à l’État son pouvoir d’influence, notamment au niveau

Par Delelys A.

30 septembre 2022

Quel développement territorial à l’ère du Zéro artificialisation nette ?

Depuis la loi du 13 avril 2013, le taux d’artificialisation des sols est compris dans les 10 nouveaux indicateurs de richesse nationaux. Face à l’état de fait — 9 % du sol français est artificialisé et la dynamique d’urbanisation est quatre fois plus rapide que la dynamique démographique[2] — les lois ALUR (2014), ELAN (2018) et SRU (2000) précisaient déjà la volonté de sobriété foncière et de limitation de l’étalement urbain. La réduction de l’artificialisation est nécessaire pour limiter l’érosion de la biodiversité, garantir le stockage du carbone dans les sols ou encore limiter ruissellements et débordements lors d’intempéries. L’objectif ZAN (Zéro Artificialisation Nette) est inscrit dans le plan Biodiversité de 2018, mais n’avait, jusqu’à l’adoption de la loi dite « Résilience Climat » de juillet 2021, aucune définition légale ni trajectoire de réduction associée, à l’image de ce qui peut exister pour la réduction des émissions de GES. Quelle vitesse de réduction, quel terme pour le ZAN (2030 ? 2050 ?). Cette question est entrée dans l’agenda législatif à la faveur des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Les réactions sont animées lorsque l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols à horizon 2050 est abordé avec des élus et des professionnels de l’urbanisme : « Remise en cause de nos modes de faire », « Séisme », « Immense défi », « Révolution », « Ruralicide ». Le constat sur les conséquences de l’artificialisation sont globalement partagées – érosion de la biodiversité, appauvrissement des sols, augmentation du risque d’inondation, menaces sur les terres agricoles – mais tous s’interrogent sur les voies pour y parvenir. Fixé par la loi du 22 août 2021[3], l’objectif ZAN vise à cesser l’artificialisation des sols à l’horizon 2050, tout en laissant la possibilité de la compenser[4]. Plus qu’un simple rapport comptable, il s’agit de créer de nouvelles méthodes et d’installer de nouveaux réflexes dans la manière de faire la ville et les territoires, en sanctuarisant des espaces naturels et en renaturant des espaces artificialisés[5], tout en garantissant l’accès au logement pour tous et en assurant un développement économique vertueux. Malgré les éclairages techniques fournis par les deux décrets d’application[6], un flou persiste chez les élus : comment traduire le ZAN dans les politiques publiques ? Comment renforcer l’attractivité de son territoire sans construire sur des terres vierges ? Comment faire pour attirer des jeunes ménages actifs si on ne peut plus leur garantir une maison individuelle avec jardin dans un lotissement ? Comment financer la renaturation d’une friche suite au départ d’un commerce ? Derrière la figure du « maire bâtisseur » qui, dans sa localité, dispose du foncier et des permis de construire comme ressources pour sa commune, se cache une profonde disparité de moyens en financements, en ressources humaines et en outils, pour mettre en place des politiques publiques efficaces. En effet, si aujourd’hui les prémices du recyclage foncier sont plébiscitées partout, leurs exemples se concentrent seulement dans les grandes villes. Aussi, le ZAN étant posé comme un objectif national, la décentralisation de la sobriété foncière est à engager. Ce dossier se place dans cette perspective : donner aux élus des 35 000 communes françaises des pistes pour que l’objectif national, par ailleurs décliné dans les documents réglementaires de collectivités, puisse trouver une application efficace sur les territoires. Zéro Artificialisation ? La définition de l’artificialisation, définie dans la loi Climat et Résilience, explicite une dimension qualitative et le caractère multifonctionnel des sols : « L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage »[7]. Il est important de distinguer l’artificialisation de termes proches : « imperméabilisation » et « urbanisation ». L’imperméabilisation désigne le recouvrement permanent d’un terrain et de son sol par un matériau artificiel imperméable (du bitume par exemple). Or, si tous les sols artificialisés ont été transformés, leur imperméabilisation n’est pas systématique : certains sont « minéralisés », d’autres sont toujours perméables comme les espaces verts le long des routes, par exemple. Un sol peut présenter une belle pelouse, mais être compacté sous une couche de 30 centimètres de sol superficiel. Ainsi, malgré une surface apparemment verte, le sol ne peut pas jouer l’ensemble de ses fonctions écologiques (la compaction empêche l’infiltration des eaux, notamment). L’urbanisation désigne le processus d’extension des villes et prend autant en compte des espaces urbains denses avec des populations et des activités concentrées que des espaces urbanisés diffus, dans les zones péri-urbaines. L’urbanisation passe par l’artificialisation mais toute artificialisation n’est pas synonyme d’urbanisation. Derrière les débats de définition se cache un enjeu d’harmonisation de la méthode de calcul de l’artificialisation. Les mesures peuvent venir des données cadastrales, des fichiers fonciers ou de la télédétection. Selon les sources, le volume moyen serait compris entre 16 000 et 61 000 hectares par an[8]. La méthode de calcul est la clé de voûte pour atteindre l’objectif ZAN. Les décrets d’application sont intéressants en ce qu’ils introduisent une nouvelle nomenclature entre les sols considérés comme artificialisés et ceux non-artificialisés[9]. Mais cette nomenclature ne s’applique pas pour les objectifs de la première tranche de dix ans prévue à l’article 194 de la loi Climat et Résilience[10] : pendant la période de transition, les objectifs porteront sur la réduction de la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers. C’est donc le mode de calcul surfacique qui s’appliquera au détriment de la nouvelle définition qualitative de l’artificialisation. Les zones perméables dans les villes (jardins, pelouses, friches) ne seront pas prises en compte dans l’enveloppe des terres urbanisées. Conséquences de l’artificialisation En 2019, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un rapport spécial sur le changement climatique et « les terres ». Les scientifiques affirment que les changements d’usage des sols ont des impacts sur le changement climatique, en particulier au niveau de la capacité de séquestration du carbone dans les sols ainsi que des conséquences sociales, notamment en termes d’accès au foncier. Des conséquences sont également constatées au niveau de la capacité de régulation des événements climatiques. Dans son rapport de 2019[11], la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) classe l’artificialisation des sols comme la

Par Pont C., Zelinsky A., Gérard H., Caussin C., Maldonado C.

27 septembre 2022

Sept idées fausses sur l’électricité : petit guide de défense intellectuelle à destination des décideurs

La crise énergétique qui touche de plein fouet l’Union européenne depuis quasiment un an semble malheureusement vouloir s’inscrire dans la durée, avec pour conséquence une hausse généralisée des prix des biens et services. Face à cette situation, la protection des ménages précaires et des entreprises fortement consommatrices d’énergie constitue logiquement la priorité de l’État français sur le court terme. Cependant, seules des décisions politiques sur le long terme permettront véritablement d’améliorer la résilience des États face aux crises : sobriété et indépendance énergétique sont désormais les maîtres mots. En ce sens, la question de l’avenir du système électrique français sera tout particulièrement au cœur des travaux de la nouvelle Assemblée nationale : à l’automne 2022 tout d’abord via une loi simplifiant les procédures de développement des énergies renouvelables, puis en 2023 à travers la future loi de programmation sur l’énergie et le climat. Les parlementaires de tous bords devront ainsi fixer un mix électrique cible pour les prochaines décennies, en se positionnant à la fois sur le rythme de développement des énergies renouvelables et sur le lancement ou non d’un nouveau programme de construction de réacteurs nucléaires. De plus, au-delà du choix technique des moyens de production, la politique mise en place devra permettre d’assurer la fourniture d’une électricité bas-carbone, de qualité et à un prix juste pour tous, conditions nécessaires à l’atteinte de la neutralité carbone d’ici la moitié du siècle. Dans le but d’éclairer cette décision politique, plusieurs acteurs comme l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou NégaWatt ont publié des rapports présentant les avantages et inconvénients de différents mix à horizon 2050. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE a quant à lui rendu public six scénarios comparant différents mix électriques à cette échéance, chacun avec des proportions différentes de nucléaire et d’énergies renouvelables. Tous ces scénarios sont comparés prioritairement sous un angle technique, mais ils sont également analysés à travers les prismes climatique, économique, de besoin en ressources et même de résilience au changement climatique. Il paraît donc indispensable que l’ensemble des parlementaires lise avec attention ce qu’il ressort de la synthèse de ces études. Cependant, le fonctionnement du système électrique est complexe et ses impacts en termes climatique, économique ou sociétaux sont par conséquent souvent mal appréhendés par les citoyens, les journalistes et, malheureusement, par les personnalités politiques elles-mêmes qui, pourtant, devraient avoir en tête des arguments scientifiques et objectifs permettant de prendre les meilleures décisions possibles pour l’avenir de la France. Afin d’assainir le débat autour de la question du mix électrique français, la présente note détaille les raisons pour lesquelles les sept affirmations suivantes, pour bon nombre d’entre-elles véritablement prononcées par des personnalités politiques de premier plan, sont fausses. 1. « L’énergie consommée en France est majoritairement issue du nucléaire. » Lorsque la question énergétique est abordée, la formule « l’énergie de la France, c’est le nucléaire » paraît trop souvent définir le périmètre du débat. Malheureusement, le fait que la France fasse effectivement partie du groupe des pays les plus nucléarisés du monde[1] ouvre la porte à un mauvais réflexe national : à peine prononcé ou écrit, le mot « énergie » laisse rapidement sa place à la question du nucléaire et à l’analyse de son poids prédominant dans le mix électrique national. Bien que pouvant paraître anodin, ce raccourci n’en est pourtant pas moins grave car il participe à tromper (ou à tout le moins embrouiller) des citoyens de bonne foi qui souhaiteraient mieux comprendre le lien direct entre consommation d’énergie et émissions de gaz à effet de serre. En effet, rappelons que 60 % de l’énergie finale consommée en France est encore issue d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel[2]) tandis que la part de l’électricité ne s’élève qu’à 26 %[3]. Le nucléaire étant lui-même directement à l’origine d’environ 70 % de la production des électrons, il est ainsi plus exact d’affirmer que seulement 18 % de l’énergie que les Français consomment est issue du nucléaire[4]. De plus, afin d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, il est indispensable de rappeler que la part de l’électricité (décarbonée) française dans la consommation d’énergie doit augmenter afin de remplacer les énergies fossiles dans de nombreux secteurs aujourd’hui très émetteurs de gaz à effet de serre comme les transports ou le chauffage des bâtiments[5]. La part qu’occupera le nucléaire à cet horizon est encore inconnue et nécessite d’être débattue de façon sérieuse, mais il est certain que l’urgente éducation populaire au changement climatique, à ses causes et à ses conséquences, souffre de la place disproportionnée accordée à cette source de production d’électricité. Le bon emploi des termes « énergie » et « électricité » est donc fondamental, aussi on comprendra aisément que se prononcer pour un mix énergétique 100 % renouvelable au lieu d’un mix électrique 100 % renouvelable, revienne à englober un spectre bien plus large en visant une totale indépendance de la France par rapport aux énergies fossiles et donc implique un changement bien plus profond de notre société. 2. « Le nucléaire émet plus de CO2 que l’éolien ou le solaire. » Contrairement aux énergies fossiles, ni le nucléaire, ni les énergies renouvelables n’émettent de gaz à effet de serre lors de la production d’électricité. Pourtant ces énergies « émettent » bien des gaz à effet de serre dès lors que l’on utilise une approche en cycle de vie, c’est-à-dire que l’on prend en compte les émissions dites « amont », générées lors de la fabrication des composants du système, de son installation, de son utilisation et de sa maintenance et, en « aval », de sa désinstallation et de son traitement en fin de vie. Cette approche en analyse de cycle de vie permet donc de déterminer la quantité de gaz à effet de serre (en équivalent CO2) émise par chaque type de centrale lors de la production d’un kilowattheure d’électricité : Figure 1 : Comparaison des facteurs d’émissions des principales sources de production d’électricité, en analyse de cycle de vie. Les valeurs françaises sont issues de la Base Carbone de l’ADEME[6], les valeurs mondiale proviennent des travaux du troisième groupe de travail du GIEC dans sa contribution au

Par Rougetet Y.

20 septembre 2022

2 % for 2° C! Memo for policy makers

“Climate disruption is a battle for our lives” – UN Secretary-General António Guterres “Money is the sinews of war” – Cicero Although Cicero and Napoleon stressed that “money is the sinews of war”, the country of the Paris accords until 2022 failed to have a trans-sector holistic plan to address the need for decarbonization. Our report “2% for 2 degrees” is the first ever country wide plan to integrate the measures, financial needs, and suggestions for financing required to reach carbon neutrality by 2050. After more than 10,000 years of relative stability, the earth’s climate is changing. As average temperatures rise, climate science finds that acute hazards such as heat waves and floods grow in frequency and severity, and chronic hazards, such as drought and rising sea levels, intensify. The Institut Rousseau leverages existing studies and national strategies to define the most relevant levers that would enable France to reduce its emissions to almost zero. Based on industry-validated figures and linked to political and social measures, our report identifies thirty-three levers to address climate change and reach carbon neutrality by 2050, across all sectors of the economy. The impact of the sector-specific «decarbonisation levers» proposed in this study would enable us to reduce greenhouse gas emissions by 87% in 2050 compared to today. The remaining 13% are covered by the development of a final negative emission sector, the carbon sinks. Reaching the objective requires to align existing finance schemes with the goal of decarbonation and unlock additional means across sectors. We show that a total investment of 182 billion euros per annum is needed to achieve the low-carbon transition of France by 2050, 125 billion of those already part of the existing schemes or their continuation. At the national level, the transition requires a thorough review of the current frameworks. At the European scale, we propose that climate-friendly investments be excluded from the calculation of the public deficit constraints, and monetary policy framework reformed as well as the introduction of moderate and targeted amount of debt-free money. The additional 57 billion per year represent 2.3% of France’s COVID-19-impacted GDP in 2021 and cover all the public and private expenditures necessary to achieve the objectives set, including investments but also subsidies, tax credits, tax breaks, incentives, and aids. The building sector benefits most (36%) from additional effort compared to the current efforts and is followed by energy production (28% of the additional efforts). Because ecological reconstruction must come with social justice, the transition requires financial and operational support for the poorest citizens and the least well-endowed companies. For this reason, we show that public authorities must bear a significant part of the additional investment of the transition (63% out of the 57 billion euros), with 36 billion euros per year. This amount is less than the first emergency budget plan put in place at the start of the pandemic in March 2020 (42 billion euros). We show that it can be financed easily over time if linked to budgetary and monetary reforms and furthermore if leveraging innovative sources of funding. We also reveal how it will prompt a virtuous circle of social and environmental impacts. The initial public funded trigger would generate considerable benefits on public finances, purchasing power of households, savings of social security and the healthcare system, as well as on the national trade balance. Besides its holistic nature, our report stands out by the vision it offers of what a multiannual framework for financing ecological reconstruction should contain, sector by sector. Every further delay activating the levers towards decarbonization will lead to an investment overload in future years. Delaying the investment in any sector will only make the ecological transition more difficult, it will also make it more expensive. The EU-wide goal of «Fit for 55» goal is already at risk. Download the executive summary (18 pages).

Par Institut Rousseau

18 septembre 2022

L’inflation par les profits, la dernière nouvelle béquille d’un capitalisme actionnarial écocidaire et moribond

Une lecture conjoncturelle de l’inflation qui permet d’occulter un problème structurel Sous l’effet du retour de l’inflation à l’échelle mondiale depuis ces derniers mois, la question de la défense du pouvoir d’achat redevient centrale dans les préoccupations des Français et le débat public. Pour l’heure, la communication des autorités officielles politiques et monétaires, ainsi que des services publics de statistiques, est très bien rodée, à l’image des derniers points conjoncturels de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)[1], qui fait état d’une hausse des prix à la consommation de 6,1 % sur un an en juillet dernier et prévoit une inflation à l’horizon de la fin de l’année à un niveau proche de 7 % en glissement annuel (5,5 % en moyenne annuelle en 2022 contre 1,6 % en 2021). Le discours officiel se limite en effet à une simple analyse descriptive des faits, à savoir qu’après une longue période de 35 ans de très grande « sagesse » des prix, l’inflation a fait son retour en 2021, déclenchée par une reprise économique synchrone sur tous les continents au sortir de la crise du Covid-19 face à une offre productive déstabilisée par la crise sanitaire ; et qu’elle connaît une nouvelle aggravation en 2022 du fait des conséquences de la guerre en Ukraine et des confinements répétés en Chine, décidés par les autorités chinoises dans le cadre de leur politique sanitaire « zéro Covid ». Même s’il n’y a rien à redire sur la véracité des faits explicatifs conjoncturels ainsi mis en avant, l’économiste et le sociologue à la tête bien faite et de bonne foi intellectuelle ont cependant de quoi rester sérieusement sur leur faim et objecteront bien volontiers, et à raison, que cette présentation officielle, faite par la doxa néolibérale, est un peu courte, et qu’elle ignore insidieusement toute l’importante dimension structurelle de l’inflation relevant du conflit dans la répartition des richesses créées (la valeur ajoutée dans le jargon de la comptabilité nationale) entre le travail et le capital, une conflictualité centrale dans la dynamique de la lutte des classes. Et pour cause ! La prise en compte de ce conflit dans la répartition de la valeur ajoutée entre les travailleurs et les capitalistes nous plonge inévitablement au cœur même des principales contradictions internes d’un capitalisme actionnarial climaticide. Par ailleurs, le silence radio en la matière permet aux gouvernants actuels de se limiter à ne proposer que des pansements ponctuels, bien éloignés des véritables enjeux posés par le regain inflationniste actuel, en laissant totalement de côté les indispensables transformations structurelles concernant un partage de la valeur ajoutée aujourd’hui historiquement défavorable aux salariés. Or, ce sont pourtant des mesures oeuvrant en faveur de ces mutations structurelles qui apparaissent indispensables pour répondre à la fois à la question de la protection du pouvoir d’achat des Français de façon durable et aux objectifs d’une transition écologique ambitieuse, ces deux aspects socio-économique et écologique étant inséparables. L’inflation actuelle n’est pas d’origine monétaire Tout d’abord, pour mieux appréhender tout l’enjeu qu’il y a du point de vue de la protection pérenne du pouvoir d’achat des ménages, d’une répartition plus partageuse de la richesse créée au sein des entreprises entre le travail et le capital, il convient de revenir sur un certain nombre de fausses explications du phénomène inflationniste actuel, que l’on peut parfois entendre sur certains médias ou réseaux sociaux. D’emblée, éliminons l’argumentaire selon lequel l’inflation actuelle aurait, au-delà de ses causes conjoncturelles économiques et géopolitiques, une origine monétaire. Cet argument, systématiquement avancé à la moindre occasion par les phobiques de la « planche à billets », trouve son ancrage théorique dans les thèses monétaristes du célèbre Milton Friedman. En reprenant la théorie quantitative de la monnaie, dont une première version avait été donnée par Jean Bodin sous forme de postulat en 1568[2], le monétarisme considère, en particulier, que tout déficit public financé par création monétaire ne génère à long terme qu’inflation sans augmenter le niveau de l’activité économique en volume. On retrouve là l’une des critiques traditionnelles des politiques budgétaires de relance d’inspiration keynésienne financées par création monétaire. Cela a d’ailleurs très largement inspiré la rédaction des traités européens, notamment quant à la définition même du statut de la Banque centrale européenne (BCE) et son impossibilité de prêter directement aux États. Certains observateurs constatent très justement que, ces dernières années, et en particulier dans le cadre du « quoi qu’il en coûte » pendant la pandémie du Covid-19, les banques centrales ont déversé sur les marchés financiers des torrents de liquidités en rachetant des titres obligataires pour faire baisser les taux d’intérêt à long terme – d’où l’explosion des bilans des banques centrales des deux côtés de l’Atlantique (multiplication par 9 des bilans respectifs de la BCE et de la Réserve fédérale américaine entre la veille de la crise financière de 2007-2008 et le début de 2022). Ils en déduisent alors que ces politiques monétaires non conventionnelles de détente quantitative, menées par les banques centrales, auraient une part de responsabilité importante dans la résurgence de l’inflation. Il est certes indéniable que le quantitative easing des banques centrales a alimenté, et continue à le faire, des bulles financières et immobilières pour le plus grand bonheur du patrimoine des plus riches, au risque de surcroît de favoriser le déclenchement d’une nouvelle crise financière d’envergure ; il ne faut toutefois pas pour autant confondre la hausse des prix des actifs financiers et immobiliers avec l’inflation, phénomène qui concerne quant à lui, tout du moins dans la mesure officielle qui en est faite, les prix à la consommation des ménages. Par ailleurs, ces commentateurs commettent également une confusion majeure entre les notions, pourtant différentes, de masse monétaire (l’ensemble des moyens de paiement possédés par les agents économiques non financiers résidents) et de base monétaire (le passif du bilan d’une banque centrale). Une demande toujours en berne Évacuons également, comme grille de lecture de l’inflation actuelle, une inflation par la demande. Ce type d’inflation intervient dans un contexte bien précis de forte croissance économique et d’une demande dynamique, alimentée par la croissance du pouvoir d’achat des

Par Besançon Y.

6 septembre 2022

Intégration des enjeux climatiques dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne : après ces premiers pas, la route reste encore longue La BCE reconnait son rôle en matière de risque climatique : il était temps !

« La Banque centrale européenne prend de nouvelles mesures visant à intégrer le changement climatique à ses opérations de politique monétaire ». Tel est le titre du communiqué que la BCE vient de publier[1]. Les dispositions suivantes seront mises en œuvre : La BCE intégrera désormais des critères relatifs à la performance climatique des entreprises dans le cadre de son programme d’achat d’obligations d’entreprises (« Corporate Sector Purchase Program », CSPP). La BCE limite la part des titres liés à des entreprises polluantes admise comme garantie des emprunts des banques auprès des banques centrales des États européens, sous la forme d’une décote automatique de la valeur des titres les plus vulnérables aux risques climatiques[2]. La BCE contrôlera le respect par les entreprises de l’obligation de publier leurs informations climatiques (directive dite « Corporate Sustainability Reporting », CSRD), sous peine de les exclure de ses mécanismes de garantie de crédit. La BCE renforcera ses efforts d’évaluation et de gestion des risques climatiques, notamment par la mise en place d’un ensemble de normes communes pour intégrer les risques liés au climat dans les notations produites par les systèmes d’évaluation du crédit par les banques centrales nationales. L’Institut Rousseau se réjouit de constater que la BCE sort de son positionnement attentiste en matière de risque climatique. Pour la première fois, celle-ci reconnait explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours du ferme attachement au principe de neutralité des marchés qu’elle brandissait jusqu’alors pour justifier son manque de volontarisme à l’égard des enjeux climatiques. La BCE et ses dirigeants reconnaissent finalement le rôle primordial et moteur qu’ils doivent jouer dans l’indispensable transition que doit mener le système financier, au-delà des déclarations de principe. Ceci en particulier dans la juste appréciation des risques que constituent les actifs échoués, ces prêts mis en place à destination des filières dépendantes du charbon, du pétrole et gaz, et qui pâtiront de la transition écologique à venir (voir la note de l’Institut Rousseau qui traite du risque que représentent particulièrement les actifs fossiles : « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes »[3]). Si les actions associées ne sont pas suffisamment ambitieuses, les déclarations de la BCE ne constitueront que les perles d’un très beau collier La BCE admet finalement la validité des arguments des économistes qui appelaient intégrer les risques climatiques au cadre de politique monétaire européen – comme l’Institut Rousseau l’a fait dans nombre de ses travaux. Les raisons énoncées par la BCE pour justifier ce changement, toutes pertinentes et justifiées, ne constituent toutefois à ce stade que les perles d’un très beau collier. Ainsi, la BCE reconnait que l’inclusion de critères liés aux risques climatiques permettra de « réduire le risque financier lié au changement climatique dans le bilan de l’Eurosystème ». Elle se dit prête à « soutenir la transition écologique de l’économie » pour permettre un « alignement sur les objectifs de l’Accord de Paris et les objectifs de neutralité climatique de l’UE » (voir à ce sujet le rapport de l’Institut Rousseau sur les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050[4]). La BCE cite également la nécessité d’« intégrer les questions liées au changement climatique au cadre de politique monétaire de l’Eurosystème » et enfin d’« inciter les entreprises et les établissements financiers à faire preuve de davantage de transparence en ce qui concerne leurs émissions de carbone, et à les réduire » (voir à ce sujet la note de l’Institut Rousseau appelant à une réforme de la règlementation financière en matière de climat[5]). On pourrait croire, à la lecture de ce communiqué, qu’au-delà des grandes déclarations de principe, la BCE et ses dirigeants prennent enfin conscience du rôle moteur et primordial qui doit être le leur dans la réorientation des flux financiers vers des produits soutenables du point de vue écologique, et dans la meilleure appréciation des risques que constituent les actifs « échoués » mentionnés plus haut. Les premiers pas effectués par la BCE démontrent effectivement un revirement de doctrine bienvenu, qui était attendu depuis que la revue stratégique de politique monétaire[6] en juillet dernier avait posé les prémisses d’une modification du cadre d’intervention, sans pour autant que la BCE accepte de renoncer à la doctrine de la « neutralité de marché ». Cette notion désigne le principe selon lequel la BCE s’efforçait jusqu’à présent d’investir dans des actifs financiers qui représentent fidèlement la masse de titres financiers en circulation, afin de ne pas créer de distorsion sur les marchés. Cela l’a empêchée jusqu’ici d’imposer des critères écologiques dans ses stratégies d’investissement. Le communiqué du 4 juillet 2022 représente donc un tournant majeur, en ce que la BCE reconnait pour la première fois explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours, peut-on espérer, du ferme attachement au principe de neutralité de marché dont elle fait encore preuve. Cette modification traduit un changement profond dans la manière d’envisager les risques climatiques et environnementaux, et reflète un consensus concernant la légitimité de l’action de la BCE dans le cadre de son mandat actuel pour lutter contre les dérèglements climatiques et favoriser la transition. Toutefois, cette première avancée notable ne doit pas éclipser le fait que ces annonces demeurent pour l’heure largement insuffisantes au vu de l’ampleur considérable des changements à mener, et de l’urgence de la tâche. Le périmètre et les délais de mise en œuvre des mesures annoncées : limites majeures de l’initiative de la BCE Concernant les programmes d’achat, il faudra savoir ce que la BCE entend par « des émetteurs présentant de bons résultats climatiques » vers lesquelles elle veut orienter ses réinvestissements. La définition donnée, à savoir les entreprises ayant « une bonne performance climatique (qui) sera caractérisée par de faibles émissions de gaz à effet de serre, des objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone et des déclarations satisfaisantes en matière de climat », est très large et particulièrement floue. Elle devra notamment être précisée afin d’exclure les entreprises dont les plans d’alignement sont trop peu crédibles et relèvent avant tout d’une démarche de « greenwashing ». L’une des limites principales de la mesure

Par Dicale L., Saviuc A., Dufrêne N.

16 juillet 2022

Élections législatives de 2022 : entre approfondissement et contradictions, une nouvelle étape de la crise démocratique

Les élections législatives de 2022 se sont tenues les 12 et 19 juin 2022. Un mois et demi après la réélection par défaut d’Emmanuel Macron à la présidence de la République face à Marine Le Pen, elles se sont conclues par une campagne électorale assez insaisissable entre atonie/anomie en profondeur et emballement en surface. Dès le soir du premier tour, les résultats ont apporté plusieurs enseignements notables – de fortes évolutions et d’inquiétantes constantes – que nous proposons d’analyser en croisant les informations issues de l’observation à différentes échelles géographiques. Je décrypte la manière dont s’est traduite dans les urnes une forme inédite de rassemblement de la gauche sous une direction insoumise. Nous analyserons enfin les phénomènes qui ont joué au second tour pour aboutir à une Chambre basse sans majorité évidente, où l’extrême droite entre en masse sans que cela ait été perceptible à ce niveau au soir du 12 juin. Ces élections législatives ouvrent une période politique confuse et incertaine, traduisant comme jamais l’état de crise démocratique de nos institutions et plus largement du pays. Principal enseignement du premier tour : la consolidation d’une abstention massive L’abstention s’est établie le 12 juin 2022 à 52,49 % des inscrits, soit près de 25,7 millions d’électeurs. Le 11 juin 2017, l’abstention s’établissait à 51,3 % des inscrits, soit plus de 24,4 millions d’électeurs, c’est-à-dire que l’on compte en 2022 une progression de 1,2 points et 1,25 millions d’abstentionnistes supplémentaires. Cependant, comme le corps électoral a connu un accroissement, le premier tour de 2022 a compté près de 23,26 millions de votants, soit quelques 90 000 électeurs supplémentaires. La progression de l’abstention est un phénomène désormais structurel de notre démocratie électorale : elle atteint des niveaux importants à toutes les élections, à l’exception de l’élection présidentielle. Pour les élections législatives, cette situation politique est relativement récente à l’échelle de la Ve république : de 1967 à 1986, la participation côtoyait les 80 % (en-deçà ou au-delà), avec une exception en 1981 à 70,6 % (démobilisation de la droite). La réélection de François Mitterrand en 1988 a ouvert une phase de transition avec une participation plus faible aux élections législatives, qui a fluctué entre 65 et 69 % de 1988 à 1997. Une rupture importante est intervenue en 2002 avec l’adoption l’année précédente du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, plaçant désormais les législatives dans la foulée de l’élection présidentielle : cette situation induit que la majorité parlementaire issue des élections est redevable au président de la République qui vient d’être élu, les Français ne changeant pas d’idée comme de chemise en un mois et demi. Au-delà de la disparition d’une possibilité de cohabitation, elle induit des comportements parlementaires plus que jamais inféodés à l’exécutif ; le pouvoir parlementaire déjà largement bridé par le parlementarisme rationalisé de la Ve République n’en est que plus abaissé structurellement. En réaction, les électeurs se démobilisent face à un scrutin qui perd en politisation et donc en intérêt, l’élection apparaissant déjà jouée, entre futurs députés tenus par une obéissance à l’exécutif et opposants sans pouvoir. On remarquera que les raisonnements sont contradictoires mais qu’ils se conjuguent pour accroître l’abstention. La participation est passée dès 2002 à moins de 65 %, alors que l’électorat de gauche s’était remobilisé pour limiter la défaite de son camp et « se faire pardonner » de l’élimination de Lionel Jospin, pour chuter à près de 60 % en 2007, puis 57 % en 2012. Une chute désormais continue et accélérée. Le quinquennat de François Hollande explique une nouvelle rupture : il a été à la fois la démonstration de la trahison des élites – le président et ses soutiens parlementaires ont mené et soutenu une politique néolibérale contraire à leurs engagements de campagne et se plaçant finalement dans la continuité du quinquennat de droite précédent – et de l’impossibilité d’une révolte parlementaire qui rétablirait un cours exécutif plus conforme aux « promesses électorales ». Pourquoi donc, dans ces conditions, voter pour que les politiques publiques ne changent pas ou peu d’orientation ? Pourquoi voter pour des parlementaires qui n’ont aucun pouvoir sérieux sur l’exécutif ou qui le suivent servilement dans leur majorité ? La participation s’est effondrée de 8,5 points de 2012 à 2017, accompagnant l’élection d’une Chambre largement dominée par le parti du nouveau président de la République, Emmanuel Macron, renforçant la logique de soumission ou de servilité du législatif à l’exécutif. Le spectacle donné par la majorité parlementaire « Playmobil » mais sans doute aussi par une partie de l’opposition (ce n’est pas parce qu’on hurle dans l’hémicycle que l’on est plus apprécié par les abstentionnistes) n’a pas suscité un renversement de tendance en 2022 mais une confirmation à la baisse (cependant moins rapide). La carte de l’abstention de 2022 apparaît relativement classique, mais connaît quelques petites évolutions. On retrouve le schéma classique d’une abstention élevée – une constante des élections législatives des vingt dernières années – dans les territoires de l’ancienne France ouvrière désindustrialisée du nord et de l’est, de la vallée du Rhône et du pourtour méditerranéen, des zones péri-urbaines et les banlieues des grandes agglomérations (dont celles de la capitale), du bassin parisien et enfin de l’outre-mer. Le mauvais score de la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron (Ensemble ! : LaREM, MoDem, Horizons, Agir) au soir du premier tour s’explique en partie par une poussée de l’abstention dans quelques régions hors des territoires précédemment énoncés. Si l’on regarde attentivement l’illustration n°3 de cette note, qui cartographie les évolutions de participation entre juin 2017 et juin 2022, on remarque une très forte progression de l’abstention dans l’ouest de la France, le nord-ouest de la région Centre Val-de-Loire, les Pays de la Loire, la Vienne et la Bretagne, territoires qui s’étaient donnés à Emmanuel Macron et à sa majorité parlementaire en 2017, et pour une large part à nouveau à Emmanuel Macron le 10 avril 2022. Dans ces territoires, cette progression de l’abstention au-delà de 2,5 points (avec des pointes au-delà de 5 points) a diminué d’autant les scores de la majorité présidentielle à 5 ans de distance. Cela explique également le recul en voix des

Par Faravel F.

15 juillet 2022

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