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Plus de concurrence, plus de contractuels, plus de précarité

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Plus de concurrence, plus de contractuels, plus de précarité

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Sommaire

    Plus de concurrence, plus de contractuels, plus de précaritéLe projet du gouvernement pour l’enseignement supérieur et la recherche

    Après un examen au pas de charge par au moins dix-sept instances, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), un temps suspendue à cause de la crise du Covid 19, était présentée le mercredi 22 juillet en conseil des ministres. La LPPR, loin de régler les nombreux maux qui enfoncent l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) dans la crise, les amplifie d’une manière sans précédent.

    La crise de l’ESR français peut être résumée simplement : faire plus avec moins, c’est-à-dire accueillir et enseigner à un public toujours plus nombreux tout en faisant de la recherche et publiant avec des moyens de plus en plus limités. Cette logique, initiée avec la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2009, s’est accentuée sous les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Le processus d’autonomie a permis à l’État de faire des économies sur le dos de l’université publique et a, pour cela, assimilé la fonction du président d’université à celle d’un manager d’entreprise. Bien que la LPPR fasse le constat que l’ESR manque de moyens et ne soit plus assez attractif, elle entérine ce qui est déjà à l’œuvre.

    Tout d’abord, l’augmentation du budget de l’ESR présentée dans la LPPR apparaît comme un leurre. En effet, si l’on considère toutes les évolutions de budget par secteurs de la recherche[1], il y aurait seulement une augmentation nette de 104 millions d’euros du budget total de l’ESR en France pour 2021, et de 652 millions d’euros pour 2022. Au-delà des années 2021 et 2022, pour lesquelles la loi de programmation engage le gouvernement, rien n’est inscrit dans le marbre et la hausse de 5 milliards d’euros, promise par le Président de la République le 19 mars 2020 est conditionnée à la volonté des gouvernements futurs. Or, comme le rappelle le CESE dans son avis, celui-ci « n’est pas convaincu que les principales mesures en matière de financement et d’emploi scientifique soient de nature à inverser la tendance imposée à la recherche publique dans notre pays, au service public de recherche et d’enseignement supérieur[2] ». La LPPR apparaît donc comme insuffisante pour reconstruire budgétairement l’université publique, comme l’appelait la ministre de l’ESR, Frédérique Vidal.

    Depuis dix ans, l’ESR est sous-financé, ce qui se traduit avant tout par un déficit de postes de titulaires : – 27% de postes mis au concours pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016 au CNRS, – 36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, – 40% pour les professeurs des universités et – 44% pour les ingénieurs de recherche entre 2008 et 2016. .Dans le cadre de la LPPR, 700 emplois équivalent temps plein (ETP) vont être créés pour 2021, et 1350 ETP en 2022. Cependant, cette augmentation est insuffisante et particulièrement au moment où le taux de réussite exceptionnel au baccalauréat 2020 constitue un nouveau défi pour des universités déjà sous-dotées en capacités d’enseignement.

    Alors qu’il faudrait un plan massif de recrutement de titulaires dans l’ESR, la LPPR donne la priorité à la contractualisation, en remplacement du concours, dans la continuité de la « loi de transformation de la fonction publique » du 6 août 2019. En lieu et place de recruter des maîtres de conférences et des professeurs par voie de concours et de permettre aux doctorants de mener sereinement leurs travaux par l’allocation de bourses spécifiques, l’université s’est tournée vers la contractualisation à marche forcée, qui représente aujourd’hui environ 35% des effectifs. Les enseignements et les missions de recherche qui, auparavant, étaient pourvus à des enseignants-chercheurs titulaires, sont désormais exercés sur la base de CDD. Surtout, le nombre de vacataires ne cesse d’augmenter. Ces derniers sont payés six mois après la fin de leur mission – quand ils sont payés et qu’ils ont un contrat. L’ANCMSP[3] estime à 13000 le nombre de postes de maîtres de conférences occupés par des vacataires, ce qui nuit tant aux conditions de vie des jeunes chercheurs assurant ces fonctions qu’à la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. Il faut en revenir à une règle très simple : à poste égal, statut égal. Point.

    La LPPR accentue également la précarisation des doctorants et jeunes docteurs par la concurrence croissante pour accéder à un poste. En effet, elle prévoit la mise en place de postes de tenure track, ou chaire de professeur junior, sortes de super CDD de six ans, qui peut déboucher sur une titularisation – ou pas. Ces « CDI de projet » représenteraient un quart des créations de postes prévues dans la LPPR. Ce nouveau mode de gestion des carrières renforce encore plus la concurrence de jeunes chercheurs, au point qu’il est surnommé le « modèle du survivant ». Comme cela est observable dans les pays où ce système est déjà largement à l’œuvre, cela conduit à annihiler la cohérence des parcours de recherche et à empêcher une spécialisation pourtant gage d’excellence.

    Cette mise en concurrence se généralise dans la recherche, avec, aujourd’hui, une surreprésentation des appels à projets de l’ANR, qui vise à faire du financement par mission – et non plus par poste – la norme. Ce mode de financement, fondé sur une approche court-termiste et utilitariste, est contraire à ce qu’est la recherche même : une réflexion sur le temps long. Il risque de dégrader la qualité des travaux, en contraignant des chercheurs engagés dans des démarches scientifiques au long terme à courir de projet en projet pour des raisons financières.

    À rebours de cette logique de contractualisation qui précarise et affaiblit l’enseignement et la recherche en France, il faut créer massivement des postes de titulaires dans l’ESR, en suivant l’avis du CESE (entre 5000 et 6000 nouveaux postes par an pendant cinq ans pour les enseignants-chercheurs et le personnel administratif), et revaloriser la grille des salaires pour l’ensemble des personnels. De même, il est nécessaire d’encadrer très fortement le statut de vacataire, ainsi que de mensualiser leurs indemnités, comme le prévoit la circulaire n° 2017-078 du 25 avril 2017. Nous pensons également que chaque doctorant et docteur sans poste doit avoir accès à un financement stable, sous la forme d’un contrat doctoral ou postdoctoral de plusieurs années.

    Concernant la recherche à proprement parler, il est impérieux d’arrêter les financements sur projet qui précarisent la recherche et la placent dans une démarche de court-terme, empêchant la prise de risque, l’innovation, le développement de sujets originaux qui ne sont pas forcément soutenus ou compris par l’administration. Si l’ANR peut avoir un rôle positif d’impulsion et de financements exceptionnels dans des domaines innovants et à forte valeur ajoutée dans un contexte politique contemporain (santé, transition écologique, etc.), les financements par projet ne doivent pas se substituer au fonctionnement privilégié de la recherche, structurée autour de titulaires auxquels il est permis de travailler en profondeur, sur le long terme, à des sujets uniquement limités par l’évaluation des pairs. L’excellence, l’attractivité et l’indépendance de la recherche publique française sont à ce prix.

     

    [1] Projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030. Disponible sur : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/files/2020/06/LPPR-PROJET-DE-LOI.pdf

    [2] Avis du CESE sur la programmation budgétaire du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, 24 juin 2020, p. 20. Disponible sur : https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_13_programmation_pluriannuelle_recherche.pdf

    [3] L’Association Nationale des Candidats aux Métiers de la Science Politique.

    Publié le 23 juillet 2020

    Plus de concurrence, plus de contractuels, plus de précarité
    Le projet du gouvernement pour l’enseignement supérieur et la recherche

    Auteurs

    Victor Audubert
    Docteur et enseignant en droit public.

    Après un examen au pas de charge par au moins dix-sept instances, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), un temps suspendue à cause de la crise du Covid 19, était présentée le mercredi 22 juillet en conseil des ministres. La LPPR, loin de régler les nombreux maux qui enfoncent l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) dans la crise, les amplifie d’une manière sans précédent.

    La crise de l’ESR français peut être résumée simplement : faire plus avec moins, c’est-à-dire accueillir et enseigner à un public toujours plus nombreux tout en faisant de la recherche et publiant avec des moyens de plus en plus limités. Cette logique, initiée avec la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2009, s’est accentuée sous les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Le processus d’autonomie a permis à l’État de faire des économies sur le dos de l’université publique et a, pour cela, assimilé la fonction du président d’université à celle d’un manager d’entreprise. Bien que la LPPR fasse le constat que l’ESR manque de moyens et ne soit plus assez attractif, elle entérine ce qui est déjà à l’œuvre.

    Tout d’abord, l’augmentation du budget de l’ESR présentée dans la LPPR apparaît comme un leurre. En effet, si l’on considère toutes les évolutions de budget par secteurs de la recherche[1], il y aurait seulement une augmentation nette de 104 millions d’euros du budget total de l’ESR en France pour 2021, et de 652 millions d’euros pour 2022. Au-delà des années 2021 et 2022, pour lesquelles la loi de programmation engage le gouvernement, rien n’est inscrit dans le marbre et la hausse de 5 milliards d’euros, promise par le Président de la République le 19 mars 2020 est conditionnée à la volonté des gouvernements futurs. Or, comme le rappelle le CESE dans son avis, celui-ci « n’est pas convaincu que les principales mesures en matière de financement et d’emploi scientifique soient de nature à inverser la tendance imposée à la recherche publique dans notre pays, au service public de recherche et d’enseignement supérieur[2] ». La LPPR apparaît donc comme insuffisante pour reconstruire budgétairement l’université publique, comme l’appelait la ministre de l’ESR, Frédérique Vidal.

    Depuis dix ans, l’ESR est sous-financé, ce qui se traduit avant tout par un déficit de postes de titulaires : – 27% de postes mis au concours pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016 au CNRS, – 36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, – 40% pour les professeurs des universités et – 44% pour les ingénieurs de recherche entre 2008 et 2016. .Dans le cadre de la LPPR, 700 emplois équivalent temps plein (ETP) vont être créés pour 2021, et 1350 ETP en 2022. Cependant, cette augmentation est insuffisante et particulièrement au moment où le taux de réussite exceptionnel au baccalauréat 2020 constitue un nouveau défi pour des universités déjà sous-dotées en capacités d’enseignement.

    Alors qu’il faudrait un plan massif de recrutement de titulaires dans l’ESR, la LPPR donne la priorité à la contractualisation, en remplacement du concours, dans la continuité de la « loi de transformation de la fonction publique » du 6 août 2019. En lieu et place de recruter des maîtres de conférences et des professeurs par voie de concours et de permettre aux doctorants de mener sereinement leurs travaux par l’allocation de bourses spécifiques, l’université s’est tournée vers la contractualisation à marche forcée, qui représente aujourd’hui environ 35% des effectifs. Les enseignements et les missions de recherche qui, auparavant, étaient pourvus à des enseignants-chercheurs titulaires, sont désormais exercés sur la base de CDD. Surtout, le nombre de vacataires ne cesse d’augmenter. Ces derniers sont payés six mois après la fin de leur mission – quand ils sont payés et qu’ils ont un contrat. L’ANCMSP[3] estime à 13000 le nombre de postes de maîtres de conférences occupés par des vacataires, ce qui nuit tant aux conditions de vie des jeunes chercheurs assurant ces fonctions qu’à la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. Il faut en revenir à une règle très simple : à poste égal, statut égal. Point.

    La LPPR accentue également la précarisation des doctorants et jeunes docteurs par la concurrence croissante pour accéder à un poste. En effet, elle prévoit la mise en place de postes de tenure track, ou chaire de professeur junior, sortes de super CDD de six ans, qui peut déboucher sur une titularisation – ou pas. Ces « CDI de projet » représenteraient un quart des créations de postes prévues dans la LPPR. Ce nouveau mode de gestion des carrières renforce encore plus la concurrence de jeunes chercheurs, au point qu’il est surnommé le « modèle du survivant ». Comme cela est observable dans les pays où ce système est déjà largement à l’œuvre, cela conduit à annihiler la cohérence des parcours de recherche et à empêcher une spécialisation pourtant gage d’excellence.

    Cette mise en concurrence se généralise dans la recherche, avec, aujourd’hui, une surreprésentation des appels à projets de l’ANR, qui vise à faire du financement par mission – et non plus par poste – la norme. Ce mode de financement, fondé sur une approche court-termiste et utilitariste, est contraire à ce qu’est la recherche même : une réflexion sur le temps long. Il risque de dégrader la qualité des travaux, en contraignant des chercheurs engagés dans des démarches scientifiques au long terme à courir de projet en projet pour des raisons financières.

    À rebours de cette logique de contractualisation qui précarise et affaiblit l’enseignement et la recherche en France, il faut créer massivement des postes de titulaires dans l’ESR, en suivant l’avis du CESE (entre 5000 et 6000 nouveaux postes par an pendant cinq ans pour les enseignants-chercheurs et le personnel administratif), et revaloriser la grille des salaires pour l’ensemble des personnels. De même, il est nécessaire d’encadrer très fortement le statut de vacataire, ainsi que de mensualiser leurs indemnités, comme le prévoit la circulaire n° 2017-078 du 25 avril 2017. Nous pensons également que chaque doctorant et docteur sans poste doit avoir accès à un financement stable, sous la forme d’un contrat doctoral ou postdoctoral de plusieurs années.

    Concernant la recherche à proprement parler, il est impérieux d’arrêter les financements sur projet qui précarisent la recherche et la placent dans une démarche de court-terme, empêchant la prise de risque, l’innovation, le développement de sujets originaux qui ne sont pas forcément soutenus ou compris par l’administration. Si l’ANR peut avoir un rôle positif d’impulsion et de financements exceptionnels dans des domaines innovants et à forte valeur ajoutée dans un contexte politique contemporain (santé, transition écologique, etc.), les financements par projet ne doivent pas se substituer au fonctionnement privilégié de la recherche, structurée autour de titulaires auxquels il est permis de travailler en profondeur, sur le long terme, à des sujets uniquement limités par l’évaluation des pairs. L’excellence, l’attractivité et l’indépendance de la recherche publique française sont à ce prix.

     

    [1] Projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030. Disponible sur : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/files/2020/06/LPPR-PROJET-DE-LOI.pdf

    [2] Avis du CESE sur la programmation budgétaire du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, 24 juin 2020, p. 20. Disponible sur : https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_13_programmation_pluriannuelle_recherche.pdf

    [3] L’Association Nationale des Candidats aux Métiers de la Science Politique.

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