Lorsqu’il reprend à son compte lors de son unique meeting d’entre deux tours l’idée de « planification écologique », le président depuis lors réélu sait qu’elle va susciter l’intérêt ; un intérêt composé d’un mélange de défiance et d’espoir chez les électeurs ayant une sensibilité écologique.
Défiance tout d’abord parce que la « planification écologique » vient se substituer à une longue série d’oxymores telles que « développement durable », « croissance verte », « transition écologique » qui ont en commun d’avoir véhiculé l’idée que la prise en compte de l’environnement pouvait se faire de façon très progressive et indolore[1]. Malheureusement, la volonté politique réelle qui se cachait derrière ces mots a été cruellement mise à défaut au regard des indicateurs environnementaux qui n’ont cessé de se dégrader au gré des alternances politiques. Ces expressions, et leurs promoteurs, ont de fait, été décrédibilisés et suscitent désormais une forte suspicion.
Ce nouveau mantra de « planification écologique » n’a pas de définition précise et unique. On peut toutefois tenter d’en faire la synthèse en indiquant que la planification est la combinaison d’un objectif, d’une trajectoire et d’une maîtrise des moyens pour y répondre. S’il sous-tend lui aussi cette idée de progressivité indolore, s’y insinue toutefois une dimension qui était devenue taboue dans les discours depuis bien longtemps, celle d’un pilotage par l’État.
La planification écologique, au surplus, directement rattachée à Matignon, marquerait-elle ainsi le grand retour de l’État visionnaire, stratège et régulateur ? Cet État-là est connu et connoté plutôt positivement dans l’imaginaire collectif des générations qui ont connu les Trente glorieuses dont il a été l’artisan principal. C’est en ce sens que cette idée de planification écologique peut susciter une forme d’espoir.
Mais l’État de 2022 n’est plus du tout celui des années 60, ni 80, ni même 2010 (Lois Grenelle). L’État, principal garant de l’unité nationale, de l’équité entre citoyens et de l’intérêt général s’est volontairement et méthodiquement effacé depuis les années 80 pour laisser faire les mains invisibles prétendument providentielles de la libéralisation de l’économie et des politiques publiques au travers des actes successifs de décentralisation[2]. Dans les deux cas, cette libéralisation s’est révélée être un échec cuisant en ce qui concerne les sujets environnementaux : l’économie capitaliste ne cherche qu’à en tirer cyniquement toujours davantage de bénéfices tandis que les politiques publiques environnementales, largement amoindries par leur dissémination « façon puzzle », constituent des cibles de choix attaquées, contournées ou dévoyées face aux lobbys nationaux et pressions plus locales. Dans les deux cas, les intérêts privés et immédiats (sous couvert de chantage à l’emploi ou titre du « développement » territorial) priment sur l’intérêt général et une vision à long terme dont l’État se doit pourtant d’être le premier garant.
Le retour d’expérience est également à cette image, très cruel : l’État est depuis plusieurs années incapable de tenir ses objectifs ; notamment dans le domaine de l’environnement où les annonces sont devenues incantatoires. Nonobstant les interrogations fréquentes sur l’adéquation entre les objectifs environnementaux affichés et la volonté politique réelle d’agir en ce sens, l’État n’a parfois même plus la maîtrise des leviers nécessaires à leur atteinte, ni même à leur contrôle. Parmi les exemples les plus marquants et constants d’objectifs non atteints, on peut citer ceux portant sur la réduction de l’artificialisation des sols, la réduction de l’usage des produits phytosanitaires en agriculture ou encore la rénovation énergétique des logements. Plutôt que de chercher à en comprendre les raisons et y remédier, les gouvernements successifs préfèrent se voiler la face et continuer à faire « comme si », en fixant au besoin de nouveaux objectifs plus lointains pour gagner du temps et se redonner de l’air politiquement.
Comment expliquer ces échecs récurrents et patents ? Quels sont leurs points communs ?
Ce sont tout d’abord des sujets clivants et sensibles pour lesquels l’État n’a pas voulu ou pas pu mettre en adéquation les paroles et les actes. Le renoncement face aux pressions internes et externes sur les sujets environnementaux est presque devenu un postulat pour tous les ministres de l’Environnement successifs dont il est désormais de notoriété publique[3] qu’ils perdent systématiquement leurs arbitrages face aux ministères de l’Agriculture ou à Bercy. « On ne fera pas l’écologie contre l’économie » a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne la semaine de sa nomination[4], « il ne faut pas opposer agriculture et écologie » déclarait Julien Denormandie quelques mois auparavant[5]. Ces expressions du registre du « en même temps » et qui apparaissent n’être que de bon sens sont en réalité des marqueurs pour rappeler la hiérarchie des enjeux et donc des ministères au sein du gouvernement.
L’autre facteur explicatif vient de la double décentralisation[6]. Sur de nombreux sujets, l’État veut continuer à croire qu’il décide alors même que les compétences ne lui appartiennent plus car transférées, avec plus ou moins de bonheur, aux collectivités locales : régions, départements (dans une moindre mesure pour les sujets environnementaux), EPCI (intercommunalités) et communes.
L’autre forme de décentralisation typiquement française, plus discrète et largement poussée par les cabinets de conseil dont on sait qu’ils ont une influence forte sur la désorganisation de l’État[7] en échange de bons procédés[8], est celle qui vise à confier des compétences à des organismes publics dont il a partiellement ou totalement perdu le contrôle. Par construction, ces opérateurs ou établissements sont dotés d’un conseil d’administration au sein duquel l’État est minoritaire et où les décisions sont à nouveau politisées alors même qu’elles ne devraient relever pour l’essentiel que d’une application directe et opérationnelle de politiques nationales dûment adoptées. À ceci s’ajoute le fait que les ministères confient à ces opérateurs des objectifs trop peu précis et suivis et exercent sur eux une tutelle souvent lâche qui conforte les velléités d’autonomie.[9]
Leur multiplication puis l’élargissement continu de leurs missions n’a eu pour effet que de réduire, par effet de vases communicants, les effectifs et crédits des services centraux et déconcentrés des ministères, sortant ainsi de la chaîne de décision (et indirectement de la légitimité démocratique) de plus en plus de compétences pourtant ministérielles.
Ne peut-on a minima reconnaître à l’État son pouvoir d’influence, notamment au niveau local où le préfet est encore une figure respectée et écoutée ? Là encore, ce qui était vrai il y a encore une douzaine d’années ne l’est plus. L’influence d’un État qui a perdu ses compétences demeure dans sa connaissance technique, ses leviers financiers, réglementaires, ou encore par le contrôle. Tous ces moyens se sont considérablement et volontairement réduits en même temps qu’une grande partie de sa crédibilité. Les préfets n’ont plus qu’une option, se plier à la pression locale de bonne ou mauvaise grâce.
Le roi est nu : il a volontairement et consciemment perdu les compétences, le savoir-faire, les moyens, la vision et, le plus pénalisant, la crédibilité vis-à-vis tant de la population, des parties prenantes (élus, associations, entreprises, etc.). Tout est à reconstruire au sein de l’État, et s’il veut pouvoir mener la planification écologique et guider les autres acteurs, il se doit de commencer par ce chantier interne.
Dès lors, afficher des objectifs de réussite sur des thématiques dont on a perdu l’essentiel des leviers et compétences revient à un vœu pieux.
La planification écologique diffère de ce qu’ont pu être les trente glorieuses car cette fois, il ne s’agit pas de faire que des heureux, mais de prendre des décisions difficiles. Même si l’écologie ne peut politiquement pas être punitive[10], elle ne peut objectivement se faire sans modifier les comportements, prérogatives ou libertés perçues de chacun. Créer un espace protégé revient bien à limiter certains usages, augmenter la taxation sur des produits néfastes revient bien à induire un changement de comportement du consommateur, refuser l’urbanisation d’une parcelle revient bien à décevoir un entrepreneur et souvent un élu…
Aussi, la planification écologique doit-elle intégrer, à chaque étape, une évaluation des conséquences sociales directes et indirectes et systématiquement un volet relatif aux politiques d’accompagnement social. Cela nécessite une réelle volonté et de nouveaux outils pour associer le citoyen plus directement à la compréhension des décisions et au choix des modalités d’accompagnement des impacts sur son mode de vie.
Planifier revient à énoncer et respecter des principes :
- Se fixer des objectifs avec une échéance et points de passage obligés ;
- Prévoir sur le temps long et donc s’assurer de la continuité de l’application des décisions par une forme d’irréversibilité (loi, constitution) ;
- Décliner ces objectifs de façon précise à chaque échelle : régionale, départementale et locale où la subsidiarité doit être plus grande, à condition de respecter les autres principes et de s’assurer de la complémentarité (au sens mathématique) entre les contributions de chaque territoire aux objectifs supra ;
- Se fixer des indicateurs de réussite et correction éventuelles, prévoir différents scénarios/trajectoires ;
- Quantifier et déployer les moyens nécessaires (humains et financiers) ainsi que leur localisation et leur déploiement dans le temps.
- Avoir une réelle politique de contrôles et d’application de sanctions et corrections ;
- Hiérarchiser les objectifs et que cette hiérarchisation soit très clairement exprimée, vérifiée et appliquée à chaque échelon et pour toute décision ;
- Prévoir en conséquence un volet pédagogique et d’accompagnement social fort pour expliquer ces choix et en prévenir l’acceptabilité : information, association, atténuation et adaptation.
Des multiples articles ou rapports parus récemment sur le sujet de la planification écologique[11], aucun n’aborde étonnamment le déploiement territorial de la planification. Les ramifications de l’État sont composées des services déconcentrés sous tutelle des préfets et des compétences dévolues aux collectivités locales. S’il n’est plus concevable de revenir à l’organisation de l’État telle que Chaptal l’avait énoncée « Le préfet, essentiellement occupé de l’exécution, transmet les ordres au sous-préfet, celui-ci aux maires des villes, bourgs, et villages, en sorte que la chaîne d’exécution descend sans interruption du ministre à l’administré et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu’aux dernières ramifications de l’ordre social avec la rapidité du fluide électrique », si l’État veut instaurer une véritable planification écologique doit s’assurer que les décisions décidées par la représentation nationale s’appliquent dans l’ensemble de la ramification et jusqu’au dernier niveau de celle-ci, la commune, soit directement s’il a la compétence, soit indirectement par la pédagogie, l’accompagnement, la facilitation et le contrôle si la compétence ne lui appartient plus.
La planification écologique constitue une réponse à l’urgence environnementale. Elle ne peut pas être un simple échec de plus mais va engendrer des oppositions inédites. Ce contexte remet l’État au centre du jeu : lui-seul est encore à même de mener cette réforme, cette révolution. Il y retrouvera ainsi son rôle premier : préserver l’intérêt général, garantir l’équité et la répartition optimale des ressources pour y arriver tout en ayant un rôle d’amortisseur et d’arbitrage sur les nécessaires difficultés d’application.
Pour ce faire, il doit commencer, et de façon rapide et volontaire, à se reconstruire de l’intérieur : briser le tabou du recrutement, renforcer ses services déconcentrés, réaffirmer sa maîtrise des établissements publics et opérateurs en les spécialisant dans des missions au service, revoir complètement la hiérarchie des politiques nationales, des décisions locales et des normes entre documents de planification, réinterroger la répartition des compétences entre échelons territoriaux au regard des objectifs et trajectoires de transition et s’assurer que chacun prend sa juste part dans celle-ci.
C’est donc, d’abord, par sa propre révolution que l’État et l’affirmation de son rôle central à tous les niveaux, que pourra être espéré le succès de la planification écologique.
[1] Confère le dictionnaire des mots nuisibles : https://www.socialter.fr/article/dictionnaire-des-mots-nuisibles
[2] Confère les notes publiées par l’Institut Rousseau: https://institut-rousseau.fr/decentralisation-et-organisation-territoriale-vers-un-retour-a-letat/ ; https://institut-rousseau.fr/refonder-lorganisation-de-letat-local-et-mettre-fin-a-la-liberalisation-des-politiques-publiques-environnementales-consecutive-aux-vagues-de-decentralisation/ :
[3] https://www.nova.fr/news/avec-la-poudre-aux-yeux-la-journaliste-justine-reix-livre-une-enquete-edifiante-sur-le-ministere-de-lecologie-180827-05-04-2022/ https://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/en-immersion-dans-le-ministere-de-limpossible-1400489
[4] https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/02/elisabeth-borne-nous-ne-ferons-pas-l-ecologie-contre-l-economie_6128651_823448.html
[5] https://www.natura-sciences.com/decider/julien-denormandie-ministre-agriculture-controverses.html
[6] Ibid., page 1.
[7] https://qg.media/2022/03/31/les-cabinets-comme-mckinsey-sont-dans-une-logique-de-sabotage-methodique-du-service-public/
[8] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/02/a-l-agence-nationale-de-l-habitat-les-consultants-prives-de-capgemini-font-la-loi_6133100_4355770.html
[9] Voir audit de la cour des comptes : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-01/20210127-132-6-relations-Etat-operateurs.pdf
[10] https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/les-mots-et-les-maux-de-lecologie/
[11] https://www.actu-environnement.com/ae/news/planification-ecologique-mode-d-emploi-39612.php4 https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/a-quoi-ressemblera-le-nouveau-ministere-de-la-planification-ecologique-150783.html https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/27/eric-monnet-le-demantelement-des-activites-industrielles-polluantes-doit-etre-un-des-objectifs-premiers-de-la-planification_6127885_3232.html https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2022/05/24/la-planification-ecologique-a-quoi-ca-sert_6127406_5463015.html https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/16/d-emmanuel-macron-a-jean-luc-melenchon-la-planification-est-redevenue-l-ardente-obligation-gaullienne-de-jadis_6126255_3232.html https://reporterre.net/Planification-ecologique-l-imposture-Macron