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États-Unis : d’un président à l’autre, saisir les ruptures et voir les continuités

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États-Unis : d’un président à l’autre, saisir les ruptures et voir les continuités

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Sommaire

    États-Unis : d’un président à l’autre, saisir les ruptures et voir les continuités

    Il est trop tôt pour savoir quelle sera précisément la politique étrangère de Joe Biden. C’est d’autant plus vrai qu’aux États-Unis le Congrès joue un rôle important en la matière et que le Sénat a de bonnes chances de rester républicain, tandis que les démocrates restent divisés entre centristes et progressistes. Le programme de celui qui fut président de la commission des affaires étrangères du Sénat (2001-2003 et 2007-2009) n’a accordé qu’une importance secondaire à la politique extérieure. Joe Biden s’est toutefois entouré de conseillers expérimentés (Antony Blinken, Jake Sullivan, Michèle Flournoy…) qui ont exercé des responsabilités sous Barack Obama et suivi un cursus classique alternant postes dans l’administration et passages dans des think-tanks influents. C’est aussi le cas de Kathleen Hicks, qui a pris la tête de l’équipe de transition au département de la défense. Autrement dit, des représentants de ce que les critiques appellent the blob, l’establishment qui façonne le discours centriste et volontiers interventionniste dominant à Washington.

    Si la campagne a été centrée sur la lutte contre le coronavirus et la situation économique, quelques lignes de forces se dégagent néanmoins : réinvestissement des institutions multilatérales et des systèmes d’alliances, réintégration de l’accord de Paris sur le climat ainsi que de l’accord sur le nucléaire iranien, attention portée aux droits de l’homme y compris en matière de politique migratoire. De manière plus générale, Joe Biden entend rétablir l’influence des États-Unis non seulement par un changement de style mais aussi par une restauration du soft power américain. Voilà pour les ruptures. Mais on retrouve aussi des éléments de continuité, en particulier la volonté de poursuivre le désengagement du Moyen-Orient et l’adoption du paradigme de la rivalité stratégique sino-américaine. Par ailleurs, quoi qu’en dise le président élu, l’unilatéralisme américain ne disparaîtra pas : Joe Biden n’a ainsi pas l’intention de renoncer aux sanctions économiques ayant un effet extraterritorial.

    Cette continuité dans l’alternance n’a rien de surprenant puisqu’elle se dessinait déjà entre les deux mandats de Barack Obama et la présidence de Donald Trump. Le premier a voulu amorcer, certes avec un succès limité, le retrait américain d’Afghanistan et d’Irak que le second a poursuivi jusqu’à conclure un accord avec les talibans (2020). C’est ainsi que Barack Obama choisit la posture du leading from behind en Libye (2011) et renonça à intervenir en Syrie (2013). La fatigue stratégique face aux forever wars et la réduction de la dépendance énergétique des États-Unis conspiraient en faveur d’une politique de retrait, nuancée par la poursuite des opérations antiterroristes et contrariée par la montée en puissance de l’État islamique. Ce retrait a néanmoins pris forme et laissé la place à d’autres puissances, Iran, Turquie, et bien sûr Russie. Cette dernière, bien avant les complaisances de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine, a bénéficié du reset des relations décidé par Barack Obama (2009). Il est vrai que les relations russo-américaines se sont fortement dégradées entre-temps, mais l’alliance atlantique, reformée dans la guerre contre la terreur, n’en a pas moins perdu de sa centralité. Quant à Joe Biden, s’il a l’intention de jouer la fermeté vis-à-vis de la Russie, il devrait poursuivre dans les grandes lignes la stratégie de désengagement du Moyen-Orient.

    C’est que les États-Unis regardent désormais vers le Pacifique. Là encore, c’est Barack Obama qui amorça le pivot vers l’Asie (2011) afin de contrebalancer la montée en puissance de la Chine, que son prédécesseur George Bush avait déjà qualifiée de concurrent stratégique. Certes, Donald Trump a porté la rivalité sino-américaine à un niveau sans précédent, en particulier ces derniers mois : revitalisation du format Quad (États-Unis, Australie, Inde, Japon), opposition aux prétentions de Pékin en mer de Chine méridionale, visites de hauts responsables américains à Taïwan, mises en garde contre la diplomatie chinoise de la dette en Afrique et en Asie du Sud, et bien sûr appels à un découplage économique et technologique symbolisé par les décisions prises à l’encontre de Huawei et TikTok. De son côté, la Chine n’a pas été en reste pour affirmer sa puissance : militarisation de la mer de Chine méridionale, multiplication des incursions au-delà de la ligne médiane qui sépare le continent de Taïwan, introduction d’une législation répressive à Hong-Kong au mépris de la formule d’un pays, deux systèmes, montée des tensions avec l’Inde dans le Ladakh, diplomatie dite des loups combattants mettant en cause les démocraties et vantant la gestion chinoise de la crise sanitaire…

    Or Joe Biden, s’il marquera certainement une rupture dans le style, a indiqué qu’il entendait faire preuve de fermeté vis-à-vis de la Chine. Les lois promulguées par Donald Trump au début de l’été sanctionnant des responsables chinois en raison de leur implication dans la répression dans le Xinjiang et à Hong-Kong ont d’ailleurs été adoptées à la faveur d’un très large consensus bipartisan. En réinvestissant les institutions internationales et l’alliance atlantique, la nouvelle administration entendra certainement utiliser son ascendant retrouvé pour contrecarrer la puissance chinoise. L’Europe, quoique naturellement plus proche de Washington que de Pékin, devra veiller à n’en pas être dupe. Le multilatéralisme ne saurait être la projection des seuls intérêts américains, ni le théâtre d’un affrontement à somme nulle entre les États-Unis et la Chine. S’il convient de montrer de la fermeté vis-à-vis de cette dernière pour préserver notre souveraineté, nos valeurs et un système international fondé sur le droit, il n’est pas souhaitable pour autant d’entrer dans une logique de guerre froide. La Chine, dont la (re)montée en puissance est assez naturelle au regard de l’histoire et de la démographie, est un acteur incontournable avec lequel nous devons chercher à avoir un partenariat exigeant, notamment pour la gestion des biens public mondiaux tels que l’environnement.

    De manière plus générale, l’élection de Joe Biden porte le risque de remettre en cause les efforts de consolidation de l’autonomie stratégique européenne que l’attitude de Donald Trump avait progressivement imposés. C’est au contraire le moment d’affirmer cette autonomie, non seulement face à la Chine mais aussi face à la Russie et à la Turquie (membre de l’alliance atlantique) qui jouent de nos faiblesses, ainsi qu’en Afrique, continent lointain pour les États-Unis mais auquel notre avenir est lié à bien des égards. Il ne s’agit pas de préparer une confrontation impérialiste, mais bien de porter une voix forte, indépendante et respectueuse de tous les peuples. Pour cela nous devons analyser de manière réaliste les continuités qui existent entre les administrations américaines successives, aussi bien que notre vulnérabilité aux ruptures qui les distinguent. Il est en l’occurrence une rupture qu’on ne saurait trop saluer, pour conclure cet éditorial sur une note enthousiaste : le soutien à l’accord de Paris sur le climat. Joe Biden s’est non seulement engagé à amener les États-Unis à la neutralité carbone à l’horizon 2050, il dit vouloir faire de la lutte contre le changement climatique une priorité de sa politique étrangère et commerciale. Cette priorité doit aussi être la nôtre.

    Publié le 13 novembre 2020

    États-Unis : d’un président à l’autre, saisir les ruptures et voir les continuités

    Auteurs

    Frédéric Galois

    Il est trop tôt pour savoir quelle sera précisément la politique étrangère de Joe Biden. C’est d’autant plus vrai qu’aux États-Unis le Congrès joue un rôle important en la matière et que le Sénat a de bonnes chances de rester républicain, tandis que les démocrates restent divisés entre centristes et progressistes. Le programme de celui qui fut président de la commission des affaires étrangères du Sénat (2001-2003 et 2007-2009) n’a accordé qu’une importance secondaire à la politique extérieure. Joe Biden s’est toutefois entouré de conseillers expérimentés (Antony Blinken, Jake Sullivan, Michèle Flournoy…) qui ont exercé des responsabilités sous Barack Obama et suivi un cursus classique alternant postes dans l’administration et passages dans des think-tanks influents. C’est aussi le cas de Kathleen Hicks, qui a pris la tête de l’équipe de transition au département de la défense. Autrement dit, des représentants de ce que les critiques appellent the blob, l’establishment qui façonne le discours centriste et volontiers interventionniste dominant à Washington.

    Si la campagne a été centrée sur la lutte contre le coronavirus et la situation économique, quelques lignes de forces se dégagent néanmoins : réinvestissement des institutions multilatérales et des systèmes d’alliances, réintégration de l’accord de Paris sur le climat ainsi que de l’accord sur le nucléaire iranien, attention portée aux droits de l’homme y compris en matière de politique migratoire. De manière plus générale, Joe Biden entend rétablir l’influence des États-Unis non seulement par un changement de style mais aussi par une restauration du soft power américain. Voilà pour les ruptures. Mais on retrouve aussi des éléments de continuité, en particulier la volonté de poursuivre le désengagement du Moyen-Orient et l’adoption du paradigme de la rivalité stratégique sino-américaine. Par ailleurs, quoi qu’en dise le président élu, l’unilatéralisme américain ne disparaîtra pas : Joe Biden n’a ainsi pas l’intention de renoncer aux sanctions économiques ayant un effet extraterritorial.

    Cette continuité dans l’alternance n’a rien de surprenant puisqu’elle se dessinait déjà entre les deux mandats de Barack Obama et la présidence de Donald Trump. Le premier a voulu amorcer, certes avec un succès limité, le retrait américain d’Afghanistan et d’Irak que le second a poursuivi jusqu’à conclure un accord avec les talibans (2020). C’est ainsi que Barack Obama choisit la posture du leading from behind en Libye (2011) et renonça à intervenir en Syrie (2013). La fatigue stratégique face aux forever wars et la réduction de la dépendance énergétique des États-Unis conspiraient en faveur d’une politique de retrait, nuancée par la poursuite des opérations antiterroristes et contrariée par la montée en puissance de l’État islamique. Ce retrait a néanmoins pris forme et laissé la place à d’autres puissances, Iran, Turquie, et bien sûr Russie. Cette dernière, bien avant les complaisances de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine, a bénéficié du reset des relations décidé par Barack Obama (2009). Il est vrai que les relations russo-américaines se sont fortement dégradées entre-temps, mais l’alliance atlantique, reformée dans la guerre contre la terreur, n’en a pas moins perdu de sa centralité. Quant à Joe Biden, s’il a l’intention de jouer la fermeté vis-à-vis de la Russie, il devrait poursuivre dans les grandes lignes la stratégie de désengagement du Moyen-Orient.

    C’est que les États-Unis regardent désormais vers le Pacifique. Là encore, c’est Barack Obama qui amorça le pivot vers l’Asie (2011) afin de contrebalancer la montée en puissance de la Chine, que son prédécesseur George Bush avait déjà qualifiée de concurrent stratégique. Certes, Donald Trump a porté la rivalité sino-américaine à un niveau sans précédent, en particulier ces derniers mois : revitalisation du format Quad (États-Unis, Australie, Inde, Japon), opposition aux prétentions de Pékin en mer de Chine méridionale, visites de hauts responsables américains à Taïwan, mises en garde contre la diplomatie chinoise de la dette en Afrique et en Asie du Sud, et bien sûr appels à un découplage économique et technologique symbolisé par les décisions prises à l’encontre de Huawei et TikTok. De son côté, la Chine n’a pas été en reste pour affirmer sa puissance : militarisation de la mer de Chine méridionale, multiplication des incursions au-delà de la ligne médiane qui sépare le continent de Taïwan, introduction d’une législation répressive à Hong-Kong au mépris de la formule d’un pays, deux systèmes, montée des tensions avec l’Inde dans le Ladakh, diplomatie dite des loups combattants mettant en cause les démocraties et vantant la gestion chinoise de la crise sanitaire…

    Or Joe Biden, s’il marquera certainement une rupture dans le style, a indiqué qu’il entendait faire preuve de fermeté vis-à-vis de la Chine. Les lois promulguées par Donald Trump au début de l’été sanctionnant des responsables chinois en raison de leur implication dans la répression dans le Xinjiang et à Hong-Kong ont d’ailleurs été adoptées à la faveur d’un très large consensus bipartisan. En réinvestissant les institutions internationales et l’alliance atlantique, la nouvelle administration entendra certainement utiliser son ascendant retrouvé pour contrecarrer la puissance chinoise. L’Europe, quoique naturellement plus proche de Washington que de Pékin, devra veiller à n’en pas être dupe. Le multilatéralisme ne saurait être la projection des seuls intérêts américains, ni le théâtre d’un affrontement à somme nulle entre les États-Unis et la Chine. S’il convient de montrer de la fermeté vis-à-vis de cette dernière pour préserver notre souveraineté, nos valeurs et un système international fondé sur le droit, il n’est pas souhaitable pour autant d’entrer dans une logique de guerre froide. La Chine, dont la (re)montée en puissance est assez naturelle au regard de l’histoire et de la démographie, est un acteur incontournable avec lequel nous devons chercher à avoir un partenariat exigeant, notamment pour la gestion des biens public mondiaux tels que l’environnement.

    De manière plus générale, l’élection de Joe Biden porte le risque de remettre en cause les efforts de consolidation de l’autonomie stratégique européenne que l’attitude de Donald Trump avait progressivement imposés. C’est au contraire le moment d’affirmer cette autonomie, non seulement face à la Chine mais aussi face à la Russie et à la Turquie (membre de l’alliance atlantique) qui jouent de nos faiblesses, ainsi qu’en Afrique, continent lointain pour les États-Unis mais auquel notre avenir est lié à bien des égards. Il ne s’agit pas de préparer une confrontation impérialiste, mais bien de porter une voix forte, indépendante et respectueuse de tous les peuples. Pour cela nous devons analyser de manière réaliste les continuités qui existent entre les administrations américaines successives, aussi bien que notre vulnérabilité aux ruptures qui les distinguent. Il est en l’occurrence une rupture qu’on ne saurait trop saluer, pour conclure cet éditorial sur une note enthousiaste : le soutien à l’accord de Paris sur le climat. Joe Biden s’est non seulement engagé à amener les États-Unis à la neutralité carbone à l’horizon 2050, il dit vouloir faire de la lutte contre le changement climatique une priorité de sa politique étrangère et commerciale. Cette priorité doit aussi être la nôtre.

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