fbpx

Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Frédéric Galois

Sommaire

    Accueil>Auteur>Frédéric Galois

    Frédéric Galois

    Biographie

    Notes publiées

    Repenser les relations avec les sociétés africaines

    La France ne doit plus voir en l’Afrique le théâtre de sa puissance, « le seul [continent] où elle peut, avec cinq cents hommes, changer le cours de l’histoire » comme le disait Louis de Guiringaud, alors ministre des affaires étrangères, dans les années 1970. Plus que toute forme de néocolonialisme ou d’affairisme, c’est sans doute cette illusion persistante qui confère encore aux relations franco-africaines leur anormalité. Les pays africains écrivent leur propre histoire et la position de la France, réelle ou fantasmée, y est mise en concurrence avec celle d’autres puissances. Il ne s’agit pas de se résigner à un quelconque déclassement, au motif qu’il serait le fruit du grand rééquilibrage du monde, ni de faire de l’Afrique le décor d’un nouveau Grand Jeu. Ce serait dans un cas comme dans l’autre ignorer tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle sera : 1,3 milliard d’humains aujourd’hui et 2,5 milliards en 2050. Mais au-delà d’une politique conforme à nos intérêts et à nos valeurs, il nous faut avoir une relation avec les pays africains qui repose sur une connaissance et un respect mutuels. Emmanuel Macron soulignait, dans un entretien récent avec Jeune Afrique, que « pendant des décennies, nous avons entretenu avec l’Afrique une relation très institutionnelle ». Il rappelait dans ce même entretien les différentes initiatives qu’il a engagées pour dépasser ce constat : restitution du patrimoine africain, fin du franc CFA, saison Africa 2020. Cette note propose de prolonger la réflexion. Disons-le d’emblée, elle n’a pas pour prétention d’épuiser le sujet mais d’explorer quelques pistes, parfois dans la droite ligne de ce qui a été commencé, parfois en proposant des bifurcations. Elle veut réfléchir aux moyens d’« écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l’histoire tient en réserve », selon les mots de Claude Lévi-Strauss. Les questions strictement géopolitiques, celles qui, justement, relèvent de relations très institutionnelles, n’y sont pas abordées. Une réflexion plus large sur la politique africaine de la France est néanmoins nécessaire et ne pourra pas faire l’économie d’examiner la légitimité et l’efficacité des interventions militaires comme des stratégies diplomatiques. L’Afrique est un continent divers. Pas plus la géographie que le panafricanisme, politique, culturel ou institutionnel, ne lui confèrent une unité suffisante pour la considérer en bloc. Parler d’Afrique, comme de toute région du monde, c’est nécessairement faire varier la focale et parfois réfléchir à l’universel. C’est pourquoi certains des points abordés dans cette note pourraient tout aussi bien l’être à propos de continents différents, tandis que d’autres concernent d’abord des régions voire des pays particuliers. Pour autant, certains facteurs historiques (esclavage, colonisation), démographiques (transitions inachevées, urbanisation), économiques (prévalence de la pauvreté, importance de l’économie informelle, des industries extractives et de l’agriculture), sociopolitiques (faiblesse des appareils étatiques) qui marquent nombre de sociétés africaines et notre relation à elles justifient que, en faisant la part des exceptions et de la diversité, nous placions notre réflexion, en son point de départ, à ce niveau continental. I. Clarifier les héritages du passé pour bâtir un avenir commun Pour dialoguer avec les sociétés africaines, il n’est ni possible ni souhaitable d’ignorer les fantômes du passé. L’histoire des relations entre la France et les pays africains est marquée par l’esclavage, la colonisation et l’interventionnisme postcolonial. Il ne s’agit pas de solder cet héritage pour repartir à zéro. On peut en revanche remettre en cause certaines survivances et favoriser la connaissance, sur des fondements scientifiques, de ces autres passés qui ne passent pas. À défaut de dépassionner le débat, ce qui prendra du temps, il s’agit de lui donner des bases plus saines, de discuter le dissensus plutôt que de le dissimuler. C’est une affaire difficile car elle mêle la mémoire et l’histoire, le symbole et le concret. Mais c’est une nécessité. En la matière, Emmanuel Macron a pris des initiatives intéressantes mais qu’il convient d’approfondir ou de concrétiser. En 2017, alors candidat, il a parlé en Algérie de crime contre l’humanité à propos de la colonisation. Un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie lui a par ailleurs été remis par Benjamin Stora le 20 janvier. La commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi a quant à elle été créée en avril 2019 pour deux ans et placée sous la présidence de l’historien Vincent Duclert. Composée de quinze experts, elle a pour objectif, sur la base des archives françaises (y compris classifiées) relatives à la période de 1990 à 1994, « d’analyser le rôle et l’engagement de la France au Rwanda […] en tenant compte du rôle des autres acteurs » et « de contribuer au renouvellement des analyses historiques sur les causes du génocide des Tutsi, profondes et plus conjoncturelles, ainsi que sur son déroulement, en vue d’une compréhension accrue de cette tragédie historique et de sa meilleure prise en compte dans la mémoire collective, notamment par les jeunes générations ». Cette initiative, basée sur une démarche scientifique, paraît salutaire, tant le génocide des Tutsi en 1994 constitue un événement majeur de notre histoire contemporaine, et tant le rôle de la France (accusée par certains d’avoir favorisé les génocidaires) est discuté. Le physicien et membre de l’association Survie François Graner, sur la base notamment de nouvelles recherches dans les archives de François Mitterrand, a ainsi affirmé dans un entretien au Monde le 16 janvier que « la politique française qui a été menée est une complicité de génocide ». Pas plus que le rapport de 1998 rédigé par une mission parlementaire présidée par Paul Quilès, celui de la commission, aussi rigoureux soit-il, ne mettra sans doute fin aux débats, ne fût-ce que parce que les sources resteront largement classifiées. Mais il peut constituer une étape majeure dans la construction d’une histoire de cette période qui résonne encore fortement. Hélas la composition de la commission a fait polémique dès le départ (sans que les compétences de ses membres soient niées), écartant des historiens spécialistes du génocide rwandais au profit d’universitaires travaillant sur des sujets connexes. La mise en

    Par Galois F.

    1 février 2021

    États-Unis : d’un président à l’autre, saisir les ruptures et voir les continuités

    Il est trop tôt pour savoir quelle sera précisément la politique étrangère de Joe Biden. C’est d’autant plus vrai qu’aux États-Unis le Congrès joue un rôle important en la matière et que le Sénat a de bonnes chances de rester républicain, tandis que les démocrates restent divisés entre centristes et progressistes. Le programme de celui qui fut président de la commission des affaires étrangères du Sénat (2001-2003 et 2007-2009) n’a accordé qu’une importance secondaire à la politique extérieure. Joe Biden s’est toutefois entouré de conseillers expérimentés (Antony Blinken, Jake Sullivan, Michèle Flournoy…) qui ont exercé des responsabilités sous Barack Obama et suivi un cursus classique alternant postes dans l’administration et passages dans des think-tanks influents. C’est aussi le cas de Kathleen Hicks, qui a pris la tête de l’équipe de transition au département de la défense. Autrement dit, des représentants de ce que les critiques appellent the blob, l’establishment qui façonne le discours centriste et volontiers interventionniste dominant à Washington. Si la campagne a été centrée sur la lutte contre le coronavirus et la situation économique, quelques lignes de forces se dégagent néanmoins : réinvestissement des institutions multilatérales et des systèmes d’alliances, réintégration de l’accord de Paris sur le climat ainsi que de l’accord sur le nucléaire iranien, attention portée aux droits de l’homme y compris en matière de politique migratoire. De manière plus générale, Joe Biden entend rétablir l’influence des États-Unis non seulement par un changement de style mais aussi par une restauration du soft power américain. Voilà pour les ruptures. Mais on retrouve aussi des éléments de continuité, en particulier la volonté de poursuivre le désengagement du Moyen-Orient et l’adoption du paradigme de la rivalité stratégique sino-américaine. Par ailleurs, quoi qu’en dise le président élu, l’unilatéralisme américain ne disparaîtra pas : Joe Biden n’a ainsi pas l’intention de renoncer aux sanctions économiques ayant un effet extraterritorial. Cette continuité dans l’alternance n’a rien de surprenant puisqu’elle se dessinait déjà entre les deux mandats de Barack Obama et la présidence de Donald Trump. Le premier a voulu amorcer, certes avec un succès limité, le retrait américain d’Afghanistan et d’Irak que le second a poursuivi jusqu’à conclure un accord avec les talibans (2020). C’est ainsi que Barack Obama choisit la posture du leading from behind en Libye (2011) et renonça à intervenir en Syrie (2013). La fatigue stratégique face aux forever wars et la réduction de la dépendance énergétique des États-Unis conspiraient en faveur d’une politique de retrait, nuancée par la poursuite des opérations antiterroristes et contrariée par la montée en puissance de l’État islamique. Ce retrait a néanmoins pris forme et laissé la place à d’autres puissances, Iran, Turquie, et bien sûr Russie. Cette dernière, bien avant les complaisances de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine, a bénéficié du reset des relations décidé par Barack Obama (2009). Il est vrai que les relations russo-américaines se sont fortement dégradées entre-temps, mais l’alliance atlantique, reformée dans la guerre contre la terreur, n’en a pas moins perdu de sa centralité. Quant à Joe Biden, s’il a l’intention de jouer la fermeté vis-à-vis de la Russie, il devrait poursuivre dans les grandes lignes la stratégie de désengagement du Moyen-Orient. C’est que les États-Unis regardent désormais vers le Pacifique. Là encore, c’est Barack Obama qui amorça le pivot vers l’Asie (2011) afin de contrebalancer la montée en puissance de la Chine, que son prédécesseur George Bush avait déjà qualifiée de concurrent stratégique. Certes, Donald Trump a porté la rivalité sino-américaine à un niveau sans précédent, en particulier ces derniers mois : revitalisation du format Quad (États-Unis, Australie, Inde, Japon), opposition aux prétentions de Pékin en mer de Chine méridionale, visites de hauts responsables américains à Taïwan, mises en garde contre la diplomatie chinoise de la dette en Afrique et en Asie du Sud, et bien sûr appels à un découplage économique et technologique symbolisé par les décisions prises à l’encontre de Huawei et TikTok. De son côté, la Chine n’a pas été en reste pour affirmer sa puissance : militarisation de la mer de Chine méridionale, multiplication des incursions au-delà de la ligne médiane qui sépare le continent de Taïwan, introduction d’une législation répressive à Hong-Kong au mépris de la formule d’un pays, deux systèmes, montée des tensions avec l’Inde dans le Ladakh, diplomatie dite des loups combattants mettant en cause les démocraties et vantant la gestion chinoise de la crise sanitaire… Or Joe Biden, s’il marquera certainement une rupture dans le style, a indiqué qu’il entendait faire preuve de fermeté vis-à-vis de la Chine. Les lois promulguées par Donald Trump au début de l’été sanctionnant des responsables chinois en raison de leur implication dans la répression dans le Xinjiang et à Hong-Kong ont d’ailleurs été adoptées à la faveur d’un très large consensus bipartisan. En réinvestissant les institutions internationales et l’alliance atlantique, la nouvelle administration entendra certainement utiliser son ascendant retrouvé pour contrecarrer la puissance chinoise. L’Europe, quoique naturellement plus proche de Washington que de Pékin, devra veiller à n’en pas être dupe. Le multilatéralisme ne saurait être la projection des seuls intérêts américains, ni le théâtre d’un affrontement à somme nulle entre les États-Unis et la Chine. S’il convient de montrer de la fermeté vis-à-vis de cette dernière pour préserver notre souveraineté, nos valeurs et un système international fondé sur le droit, il n’est pas souhaitable pour autant d’entrer dans une logique de guerre froide. La Chine, dont la (re)montée en puissance est assez naturelle au regard de l’histoire et de la démographie, est un acteur incontournable avec lequel nous devons chercher à avoir un partenariat exigeant, notamment pour la gestion des biens public mondiaux tels que l’environnement. De manière plus générale, l’élection de Joe Biden porte le risque de remettre en cause les efforts de consolidation de l’autonomie stratégique européenne que l’attitude de Donald Trump avait progressivement imposés. C’est au contraire le moment d’affirmer cette autonomie, non seulement face à la Chine mais aussi face à la Russie et à la Turquie (membre de l’alliance atlantique) qui jouent de nos faiblesses, ainsi qu’en Afrique, continent lointain

    Par Galois F.

    13 novembre 2020

    Repenser les relations avec les sociétés africaines

    La France ne doit plus voir en l’Afrique le théâtre de sa puissance, « le seul [continent] où elle peut, avec cinq cents hommes, changer le cours de l’histoire » comme le disait Louis de Guiringaud, alors ministre des affaires étrangères, dans les années 1970. Plus que toute forme de néocolonialisme ou d’affairisme, c’est sans doute cette illusion persistante qui confère encore aux relations franco-africaines leur anormalité. Les pays africains écrivent leur propre histoire et la position de la France, réelle ou fantasmée, y est mise en concurrence avec celle d’autres puissances. Il ne s’agit pas de se résigner à un quelconque déclassement, au motif qu’il serait le fruit du grand rééquilibrage du monde, ni de faire de l’Afrique le décor d’un nouveau Grand Jeu. Ce serait dans un cas comme dans l’autre ignorer tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle sera : 1,3 milliard d’humains aujourd’hui et 2,5 milliards en 2050. Mais au-delà d’une politique conforme à nos intérêts et à nos valeurs, il nous faut avoir une relation avec les pays africains qui repose sur une connaissance et un respect mutuels. Emmanuel Macron soulignait, dans un entretien récent avec Jeune Afrique, que « pendant des décennies, nous avons entretenu avec l’Afrique une relation très institutionnelle ». Il rappelait dans ce même entretien les différentes initiatives qu’il a engagées pour dépasser ce constat : restitution du patrimoine africain, fin du franc CFA, saison Africa 2020. Cette note propose de prolonger la réflexion. Disons-le d’emblée, elle n’a pas pour prétention d’épuiser le sujet mais d’explorer quelques pistes, parfois dans la droite ligne de ce qui a été commencé, parfois en proposant des bifurcations. Elle veut réfléchir aux moyens d’« écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l’histoire tient en réserve », selon les mots de Claude Lévi-Strauss. Les questions strictement géopolitiques, celles qui, justement, relèvent de relations très institutionnelles, n’y sont pas abordées. Une réflexion plus large sur la politique africaine de la France est néanmoins nécessaire et ne pourra pas faire l’économie d’examiner la légitimité et l’efficacité des interventions militaires comme des stratégies diplomatiques. L’Afrique est un continent divers. Pas plus la géographie que le panafricanisme, politique, culturel ou institutionnel, ne lui confèrent une unité suffisante pour la considérer en bloc. Parler d’Afrique, comme de toute région du monde, c’est nécessairement faire varier la focale et parfois réfléchir à l’universel. C’est pourquoi certains des points abordés dans cette note pourraient tout aussi bien l’être à propos de continents différents, tandis que d’autres concernent d’abord des régions voire des pays particuliers. Pour autant, certains facteurs historiques (esclavage, colonisation), démographiques (transitions inachevées, urbanisation), économiques (prévalence de la pauvreté, importance de l’économie informelle, des industries extractives et de l’agriculture), sociopolitiques (faiblesse des appareils étatiques) qui marquent nombre de sociétés africaines et notre relation à elles justifient que, en faisant la part des exceptions et de la diversité, nous placions notre réflexion, en son point de départ, à ce niveau continental. I. Clarifier les héritages du passé pour bâtir un avenir commun Pour dialoguer avec les sociétés africaines, il n’est ni possible ni souhaitable d’ignorer les fantômes du passé. L’histoire des relations entre la France et les pays africains est marquée par l’esclavage, la colonisation et l’interventionnisme postcolonial. Il ne s’agit pas de solder cet héritage pour repartir à zéro. On peut en revanche remettre en cause certaines survivances et favoriser la connaissance, sur des fondements scientifiques, de ces autres passés qui ne passent pas. À défaut de dépassionner le débat, ce qui prendra du temps, il s’agit de lui donner des bases plus saines, de discuter le dissensus plutôt que de le dissimuler. C’est une affaire difficile car elle mêle la mémoire et l’histoire, le symbole et le concret. Mais c’est une nécessité. En la matière, Emmanuel Macron a pris des initiatives intéressantes mais qu’il convient d’approfondir ou de concrétiser. En 2017, alors candidat, il a parlé en Algérie de crime contre l’humanité à propos de la colonisation. Un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie lui a par ailleurs été remis par Benjamin Stora le 20 janvier. La commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi a quant à elle été créée en avril 2019 pour deux ans et placée sous la présidence de l’historien Vincent Duclert. Composée de quinze experts, elle a pour objectif, sur la base des archives françaises (y compris classifiées) relatives à la période de 1990 à 1994, « d’analyser le rôle et l’engagement de la France au Rwanda […] en tenant compte du rôle des autres acteurs » et « de contribuer au renouvellement des analyses historiques sur les causes du génocide des Tutsi, profondes et plus conjoncturelles, ainsi que sur son déroulement, en vue d’une compréhension accrue de cette tragédie historique et de sa meilleure prise en compte dans la mémoire collective, notamment par les jeunes générations ». Cette initiative, basée sur une démarche scientifique, paraît salutaire, tant le génocide des Tutsi en 1994 constitue un événement majeur de notre histoire contemporaine, et tant le rôle de la France (accusée par certains d’avoir favorisé les génocidaires) est discuté. Le physicien et membre de l’association Survie François Graner, sur la base notamment de nouvelles recherches dans les archives de François Mitterrand, a ainsi affirmé dans un entretien au Monde le 16 janvier que « la politique française qui a été menée est une complicité de génocide ». Pas plus que le rapport de 1998 rédigé par une mission parlementaire présidée par Paul Quilès, celui de la commission, aussi rigoureux soit-il, ne mettra sans doute fin aux débats, ne fût-ce que parce que les sources resteront largement classifiées. Mais il peut constituer une étape majeure dans la construction d’une histoire de cette période qui résonne encore fortement. Hélas la composition de la commission a fait polémique dès le départ (sans que les compétences de ses membres soient niées), écartant des historiens spécialistes du génocide rwandais au profit d’universitaires travaillant sur des sujets connexes. La mise en

    Par Galois F.

    22 juin 2021

    États-Unis : d’un président à l’autre, saisir les ruptures et voir les continuités

    Il est trop tôt pour savoir quelle sera précisément la politique étrangère de Joe Biden. C’est d’autant plus vrai qu’aux États-Unis le Congrès joue un rôle important en la matière et que le Sénat a de bonnes chances de rester républicain, tandis que les démocrates restent divisés entre centristes et progressistes. Le programme de celui qui fut président de la commission des affaires étrangères du Sénat (2001-2003 et 2007-2009) n’a accordé qu’une importance secondaire à la politique extérieure. Joe Biden s’est toutefois entouré de conseillers expérimentés (Antony Blinken, Jake Sullivan, Michèle Flournoy…) qui ont exercé des responsabilités sous Barack Obama et suivi un cursus classique alternant postes dans l’administration et passages dans des think-tanks influents. C’est aussi le cas de Kathleen Hicks, qui a pris la tête de l’équipe de transition au département de la défense. Autrement dit, des représentants de ce que les critiques appellent the blob, l’establishment qui façonne le discours centriste et volontiers interventionniste dominant à Washington. Si la campagne a été centrée sur la lutte contre le coronavirus et la situation économique, quelques lignes de forces se dégagent néanmoins : réinvestissement des institutions multilatérales et des systèmes d’alliances, réintégration de l’accord de Paris sur le climat ainsi que de l’accord sur le nucléaire iranien, attention portée aux droits de l’homme y compris en matière de politique migratoire. De manière plus générale, Joe Biden entend rétablir l’influence des États-Unis non seulement par un changement de style mais aussi par une restauration du soft power américain. Voilà pour les ruptures. Mais on retrouve aussi des éléments de continuité, en particulier la volonté de poursuivre le désengagement du Moyen-Orient et l’adoption du paradigme de la rivalité stratégique sino-américaine. Par ailleurs, quoi qu’en dise le président élu, l’unilatéralisme américain ne disparaîtra pas : Joe Biden n’a ainsi pas l’intention de renoncer aux sanctions économiques ayant un effet extraterritorial. Cette continuité dans l’alternance n’a rien de surprenant puisqu’elle se dessinait déjà entre les deux mandats de Barack Obama et la présidence de Donald Trump. Le premier a voulu amorcer, certes avec un succès limité, le retrait américain d’Afghanistan et d’Irak que le second a poursuivi jusqu’à conclure un accord avec les talibans (2020). C’est ainsi que Barack Obama choisit la posture du leading from behind en Libye (2011) et renonça à intervenir en Syrie (2013). La fatigue stratégique face aux forever wars et la réduction de la dépendance énergétique des États-Unis conspiraient en faveur d’une politique de retrait, nuancée par la poursuite des opérations antiterroristes et contrariée par la montée en puissance de l’État islamique. Ce retrait a néanmoins pris forme et laissé la place à d’autres puissances, Iran, Turquie, et bien sûr Russie. Cette dernière, bien avant les complaisances de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine, a bénéficié du reset des relations décidé par Barack Obama (2009). Il est vrai que les relations russo-américaines se sont fortement dégradées entre-temps, mais l’alliance atlantique, reformée dans la guerre contre la terreur, n’en a pas moins perdu de sa centralité. Quant à Joe Biden, s’il a l’intention de jouer la fermeté vis-à-vis de la Russie, il devrait poursuivre dans les grandes lignes la stratégie de désengagement du Moyen-Orient. C’est que les États-Unis regardent désormais vers le Pacifique. Là encore, c’est Barack Obama qui amorça le pivot vers l’Asie (2011) afin de contrebalancer la montée en puissance de la Chine, que son prédécesseur George Bush avait déjà qualifiée de concurrent stratégique. Certes, Donald Trump a porté la rivalité sino-américaine à un niveau sans précédent, en particulier ces derniers mois : revitalisation du format Quad (États-Unis, Australie, Inde, Japon), opposition aux prétentions de Pékin en mer de Chine méridionale, visites de hauts responsables américains à Taïwan, mises en garde contre la diplomatie chinoise de la dette en Afrique et en Asie du Sud, et bien sûr appels à un découplage économique et technologique symbolisé par les décisions prises à l’encontre de Huawei et TikTok. De son côté, la Chine n’a pas été en reste pour affirmer sa puissance : militarisation de la mer de Chine méridionale, multiplication des incursions au-delà de la ligne médiane qui sépare le continent de Taïwan, introduction d’une législation répressive à Hong-Kong au mépris de la formule d’un pays, deux systèmes, montée des tensions avec l’Inde dans le Ladakh, diplomatie dite des loups combattants mettant en cause les démocraties et vantant la gestion chinoise de la crise sanitaire… Or Joe Biden, s’il marquera certainement une rupture dans le style, a indiqué qu’il entendait faire preuve de fermeté vis-à-vis de la Chine. Les lois promulguées par Donald Trump au début de l’été sanctionnant des responsables chinois en raison de leur implication dans la répression dans le Xinjiang et à Hong-Kong ont d’ailleurs été adoptées à la faveur d’un très large consensus bipartisan. En réinvestissant les institutions internationales et l’alliance atlantique, la nouvelle administration entendra certainement utiliser son ascendant retrouvé pour contrecarrer la puissance chinoise. L’Europe, quoique naturellement plus proche de Washington que de Pékin, devra veiller à n’en pas être dupe. Le multilatéralisme ne saurait être la projection des seuls intérêts américains, ni le théâtre d’un affrontement à somme nulle entre les États-Unis et la Chine. S’il convient de montrer de la fermeté vis-à-vis de cette dernière pour préserver notre souveraineté, nos valeurs et un système international fondé sur le droit, il n’est pas souhaitable pour autant d’entrer dans une logique de guerre froide. La Chine, dont la (re)montée en puissance est assez naturelle au regard de l’histoire et de la démographie, est un acteur incontournable avec lequel nous devons chercher à avoir un partenariat exigeant, notamment pour la gestion des biens public mondiaux tels que l’environnement. De manière plus générale, l’élection de Joe Biden porte le risque de remettre en cause les efforts de consolidation de l’autonomie stratégique européenne que l’attitude de Donald Trump avait progressivement imposés. C’est au contraire le moment d’affirmer cette autonomie, non seulement face à la Chine mais aussi face à la Russie et à la Turquie (membre de l’alliance atlantique) qui jouent de nos faiblesses, ainsi qu’en Afrique, continent lointain

    Par Galois F.

    22 juin 2021

    Travaux externes

      Partager

      EmailFacebookTwitterLinkedInTelegram