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Comment s’adapter à la crise climatique ?

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Comment s’adapter à la crise climatique ?

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Ilian Moundib

Ilian Moundib

Ilian Moundib est ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique. Diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et titulaire d’un master de science physique de l’Imperial College de Londres. Il est consultant, conférencier et formateur indépendant sur les questions d’adaptation aux risques climatiques. Il accompagne de grands acteurs publics comme privés sur ces sujets cruciaux. Membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau, il a publié trois notes à destination des pouvoirs publics français portant sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique, l’adaptation de la France au changement climatique et le déploiement de la sobriété numérique. Ilian est l’auteur d’une formation en ligne de 10h dispensée sur la plateforme Sator.fr intitulée «Construire l'adaptation climatique - Les enjeux et méthodes de l’adaptation du territoire au changement climatique » . Cette masterclass transmet de manière inédite les notions et les outils d'une adaptation efficace au changement climatique sur nos territoires de France. Villes, agriculture, infrastructures, industrie, énergie, littoraux, forêts, montagnes… Le cours parcourt les méthodes comme les opportunités qui permettront de construire ensemble la véritable résilience à toutes les échelles. Ilian est régulièrement sollicité pour dispenser des conférences grand public, comme à l’Ecole Centrale de Lyon, à l’Académie du climat ou à Produrable ainsi que des formations et ateliers collaboratifs dans un cadre professionnel. En tant que consultant indépendant sur la question de l’adaptation au changement climatique et de la résilience des organisations : il intervient régulièrement dans la réalisation d’étude de risques climatiques physiques et de risques de transition dans le but de diagnostiquer l’exposition et la vulnérabilité de tous types d’acteurs. Habitué à l’usage des modèles climatiques et des cadres réglementaires RSE comme la CSRD, il utilise cette phase de cartographie et d’analyse par scénario pour proposer une quantification des pertes potentielles (coût de l’inaction) et la mise en place de plans de résilience visant à réduire la vulnérabilité de l’acteur en question. La connaissance des sujets liés à l’eau, la biodiversité, les ressources fossiles et métalliques permet de donner un caractère complet et systémique à ses analyses de résilience. Ensuite, il s’est spécialisé sur la question de l’empreinte climatique du numérique et de la mise en application de la sobriété carbone du secteur. Il a ainsi pu mettre sur pied l’un premier modèle d’évaluation de l’impact climatique lié aux différentes étapes du transfert de l’information pour le compte de la société EcoAct pour laquelle il a travaillé 4 ans. Il a également eu l’occasion de publier de nombreuses notes sur le sujet dont une pour l’Institut Rousseau. Finalement, il possède aussi une solide expérience des diagnostics d’émissions des gaz à effet de serre des organisations (Bilan Carbone® et GHG Protocol) ainsi que dans l’établissement de trajectoire de réduction compatible avec les budgets carbone du GIEC. Il se trouve également être formateur pour La Fresque de Climat, et des Ateliers de l’adaptation au changement climatique (AdACC), ateliers de sensibilisation qu’il anime régulièrement.

Comment s’adapter à la crise climatique ?Placer la France sur la voie d’un développement résilient

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En dépit des alertes incessantes formulées année après année, les émissions mondiales de gaz à effet de serre poursuivent leur irrésistible croissance, dégradant chaque jour un peu plus le climat et les écosystèmes qui ont permis le développement des activités humaines. Dans le même temps, les conséquences se manifestent de plus en plus brutalement dans le monde et en particulier en France qui a connu son deuxième été le plus chaud jamais enregistré en 2022. Pics de température dépassant régulièrement les 40°C, niveau de sécheresse jamais enregistré, pluies diluviennes responsables d’inondations… l’année 2022 a, une nouvelle fois, fait ressentir les prémices d’un avenir climatique chaotique. Le changement climatique se trouve, à présent, dans sa phase irréversible ce qui signifie qu’un arrêt des émissions stopperait effectivement la dérive sans permettre le retour au climat passé. Autrement dit, il n’est pas exagéré de dire que, même dans les scénarios les plus optimistes, l’été 2022 va constituer la nouvelle norme. La France va, de fait, connaître sur l’intégralité de son territoire une augmentation généralisée des risques climatiques mettant en danger les populations qui y sont exposées et venant disloquer les réseaux et les infrastructures des territoires concernés.

L’augmentation de la fréquence d’apparition, de la longueur et de l’intensité des vagues de chaleur va placer en état de stress thermique prononcé les espaces urbains, engendrant ainsi inconfort, mise en danger des plus fragiles et surconsommation énergétique. Le changement climatique aura pour effet d’exacerber les deux extrêmes du cycle hydrologique. D’un côté, la sécheresse généralisée menace de reconfigurer brutalement le système agricole, de conduire à des conflits d’usage et des rationnements de plus en plus réguliers de l’eau. De l’autre, les précipitations extrêmes notamment sur le sud et l’est du pays, ruisselant sur un tissu urbain fortement artificialisé vont désormais forcer un déploiement fréquent des forces d’intervention (pompiers, militaires) pour porter assistance aux populations touchées et remettre en état les réseaux primordiaux (eau, électricité). L’élévation du niveau des mers, les feux de forêt ainsi que le phénomène de retrait / gonflement des sols argileux vont, eux aussi, avoir une incidence majeure sur l’organisation des activités du pays, forçant le déplacement de certaines activités ou la reconstruction d’infrastructures détruites et donc les migrations temporaires ou définitives associées.

Ce constat, particulièrement inquiétant, ne doit pas pour autant paralyser, mais au contraire servir de socle de refondation à l’action climatique. Le traitement de la cause, c’est-à-dire, la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste bien entendu fondamentale pour éviter les conséquences les plus dramatiques du réchauffement. Cependant, il apparaît essentiel d’y adjoindre le traitement des conséquences, c’est-à-dire l’adaptation au changement climatique comme une brique d’égale d’importance de la transformation que nous devons opérer.

Ainsi, en parallèle d’une politique de réduction drastique des émissions, la France doit se doter d’une réelle stratégie de résilience afin de limiter l’impact du bouleversement climatique qui s’amorce. Cette stratégie devra s’articuler autour de trois piliers. D’abord, l’anticipation des risques par la modélisation climatique des différents futurs possibles et par la compréhension fine des vulnérabilités aux aléas attendus. Ensuite, la prévention des risques par des investissements massifs pour limiter la vulnérabilité des populations, des infrastructures et des écosystèmes aux nouvelles normes climatiques. Finalement, la gestion de crise qui se donne pour objectif de structurer les modes d’interventions et dispositifs de secours lors de catastrophes qui s’avéreront plus fréquentes et plus violentes. Ainsi, comme le réclame le GIEC, « une planification et l’investissement intégrés et inclusifs dans la prise de décision quotidienne »[1] peuvent permettre de limiter les effets attendus du changement climatique pour le pays et ancrer sa trajectoire au sein d’un développement sobre et résilient compatible avec les limites planétaires. Cette note propose donc un panorama des risques climatiques en France hexagonale pour ensuite décrire les enjeux de l’adaptation et formuler 22 propositions concrètes esquissant les contours d’une planification résiliente au service de l’intérêt général.

I. De l’urgence de l’adaptation en France : anticiper et planifier

1) Anticiper le risque climatique : un impératif

Le changement climatique : « un voyage sans retour »

La réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiale sera-t-elle suffisante pour prémunir la France des effets du changement climatique ? La question du devenir du climat une fois la neutralité carbone[2] atteinte, a fait l’objet de recherches récentes et un consensus scientifique a mis du temps à émerger[3]. Le dernier rapport du GIEC affirme dans son résumé aux décideurs qu’un arrêt des émissions entraînerait une stabilisation des niveaux de température actuels. Ainsi, cela signifierait bien un arrêt du réchauffement au niveau verrouillé par nos émissions passées. En revanche, cet arrêt ne signifie en aucun cas un retour en arrière : le climat passé est, donc, perdu à jamais et plus l’ordre économique actuel poussera à la combustion des énergies fossiles restantes plus elle éloignera le climat futur de celui qui a permis l’implantation des activités et réseaux collectifs qui sous-tendent nos conditions d’existence matérielle.

L’explication tient dans la nature chimique de la molécule de CO2 principal gaz à effet de serre (environ 70% du forçage radiatif anthropique[4]) et des mécanismes d’accumulation dans l’atmosphère.  Produite par la combustion d’énergie fossile, celle-ci ne peut être éliminée de l’atmosphère que par deux phénomènes : la photosynthèse via un contact de surface avec un végétal en respiration ou l’absorption par l’océan via un phénomène de vase communicant appelé pompe physique océanique. Or, ces deux dynamiques d’élimination se déroulent sur des périodes particulièrement longues, de l’ordre du siècle, voire du millénaire[5]. De fait, une molécule de CO2 émise aujourd’hui aurait une durée de vie de l’ordre du millier d’années au contraire d’autres gaz à effet de serre comme le méthane détruit beaucoup plus rapidement via d’autres processus physico-chimiques (12 ans). Ainsi, même si l’on n’émettait plus une seule molécule de CO2 demain, il faudrait un siècle pour éliminer 50 % du stock précédemment accumulé, un millénaire pour en voir disparaître 75 % et 10 000 ans pour qu’il en reste encore 10 % (Figure 1). En utilisant la richesse des solutions fondées sur la nature, il est possible de stimuler l’effet des puits de carbone naturels par la reforestation, l’afforestation ou la reconstitution d’espaces naturels marins (mangroves, coraux), mais l’effet sur la stagnation du CO2 dans l’atmosphère restera minime (la photosynthèse représentant environ 15 % du carbone évacué).

Figure 1 : Mécanisme d’élimination du CO2 dans l’atmosphère  [6]

Il est décisif de remarquer par ailleurs que de nombreux changements dus aux émissions passées sont, à présent, irréversibles. C’est le cas de la montée du niveau global des océans, désormais en marche sur plusieurs siècles, ou de la fonte de certaines calottes glaciaires ne pouvant plus être stoppée. Ainsi, chaque gramme de CO2 émis dans l’atmosphère éloigne le climat des conditions qui ont permis la sédentarisation et le développement des organisations socio-économiques actuelles. Un arrêt des émissions mettrait à terme à cette dérive, mais ne permettrait en aucun cas le retour aux conditions d’un climat passé. Les niveaux de sécheresse et de température de 2022 constituent, toutes choses égales par ailleurs, dans le scénario le plus optimiste de réchauffement, la nouvelle normalité. En conséquence, l’enjeu est, à la fois, de limiter au maximum la dérive en cours, mais aussi d’y adapter le fonctionnement de nos sociétés.

Définition et concepts clefs du risque climatique

L’accumulation de carbone dans l’atmosphère va, de fait, se traduire par une augmentation croissante des risques pour les organisations humaines. L’anticipation de leurs impacts sur les populations, les écosystèmes et les infrastructures n’est possible que par une compréhension précise de leur nature. Cette notion de risque climatique se définit classiquement à l’intersection de trois éléments (Figure 2) :

  • Un aléa climatique d’abord, c’est-à-dire un événement météorologique susceptible d’engendrer des dommages (vague de chaleur, inondation ou sécheresse par exemple) ;
  • Une exposition, qui représente le degré auquel le système ressent la contrainte imposée par l’aléa (par exemple, les territoires littoraux seront exposés à l’aléa inondation côtière alors que cela ne sera pas le cas pour une région intérieure) ;
  • Une vulnérabilité qui, quant à elle, se définit comme le degré auquel le système est sensible à l’effet néfaste de l’aléa en question (par exemple, les travailleurs sur un chantier seront bien plus vulnérables aux vagues de chaleur que des salariés travaillant dans un bureau équipé de climatisation).

Le risque climatique se quantifie à la rencontre d’un aléa et du croisement de deux variables, l’une étant fonction de l’évolution physique du climat – l’exposition – et l’autre du mode d’organisation – la vulnérabilité. Répondre aux risques climatiques implique donc de réduire les émissions carbone pour limiter l’exposition à des aléas, et penser l’adaptation pour réduire la vulnérabilité des systèmes aux conséquences de ceux-ci.

Figure 2 : Définition du risque climatique par le Haut Conseil pour le Climat [7]

2) L’adaptation au service d’une planification résiliente
Définition et concepts clés de l’adaptation au changement climatique

Dans un climat qui dérive, la gestion des crises ne peut se réduire à des réponses « réactives ». Il est nécessaire d’adopter une logique d’anticipation utilisant l’analyse par scénario et les connaissances sur le changement climatique attendu au cours des prochaines décennies pour se préparer : c’est le but de l’adaptation.

Le Haut Conseil pour le Climat en définit, alors, trois typologies dans son rapport de juin 2021, intitulé Renforcer l’atténuation, Engager l’adaptation (Figure 3). D’abord, il existe l’adaptation réactive qui correspond à une réponse directe à un aléa mal anticipé sans modifier durablement le niveau de résilience du système. L’adaptation réactive s’apparente le plus souvent à de la mal-adaptation via, par exemple, le recours massif à la climatisation en période de vague de chaleur. Il existe ensuite l’adaptation systémique « qui modifie le système au-delà de l’ajustement marginal, sans en changer toutefois la nature ou l’organisation fondamentale »[8]. Cette adaptation systémique se caractérise par des investissements significatifs pour diminuer la vulnérabilité de du système. Pour l’illustrer, le Haut Conseil pour le Climat donne l’exemple de l’installation d’une pièce rafraîchie dans une maison de retraite pour faire face aux vagues de chaleur. Enfin, reposant sur des transformations structurelles, l’adaptation transformative change profondément la nature du système conduisant à sa bifurcation. Ce mode d’adaptation appelle alors à la fois à des investissements massifs, mais aussi à des changements profonds de mode d’organisation. Ces mesures peuvent, par exemple, concerner la modification des règlements thermiques, le changement des régimes alimentaires, des types de cultures ou la modification des horaires de travail et des normes d’habillement, comme l’évoque le Haut Conseil[9].

Figure 3 : Typologie d’adaptation d’après le Haut Conseil pour le Climat[10]

Prospective, planification résiliente et gestion de crise

La mise en place de mesures d’adaptation structurelles et transformatives exige de raisonner à partir des conséquences locales du changement et donc à l’échelle des territoires, mais également, en mutualisant les moyens d’action face à des menaces souvent trop grandes pour être affrontées sans le soutien de la puissance publique nationale.

Proposition #01 : Diagnostiquer la résilience du territoire

Réaliser, à l’échelle régionale, un diagnostic d’exposition et de vulnérabilité climatique des réseaux critiques, des infrastructures, des populations, des zones agricoles et des forêts en impliquant fortement les Groupes régionaux d’évaluation climatique (GREC).

Intégrer les résultats de cette revue de résilience au sein des plans climat locaux (SRADET, PCAET, etc.), des documents de planification et de contractualisation des marchés publics et déployer un moratoire sur les constructions d’infrastructure augmentant significativement le niveau de vulnérabilité du territoire aux aléas climatiques diagnostiqués comme les plus matériels.

L’urgence climatique pousse alors à élaborer de façon transversale une réelle stratégie nationale d’adaptation adossée à une logique de planification construite à partir du diagnostic local de risque. Celle-ci devra décliner territorialement des objectifs précis de réduction de vulnérabilité appuyée sur la science du climat, des jalons temporels compatibles avec la croissance rapide de l’exposition aux aléas, des indicateurs de progression, et des moyens de financement à la hauteur du niveau de risque.

De façon similaire, l’anticipation des bouleversements structurels engendrés par la crise climatique doit trouver sa place au sein du monde économique, très peu mature sur le sujet. Pour assurer sa pérennité, chaque entreprise doit se doter d’une vision prospective, appuyée par la science du climat, des différents risques physiques pouvant impacter son secteur. Fort de ce diagnostic, chaque acteur pourra alors élaborer, de façon concertée, une réelle stratégie d’adaptation incorporant, d’un côté, un volet de planification des investissements permettant de limiter structurellement sa vulnérabilité tout le long de sa chaîne de valeur, mais aussi un volet de gestion de crise mettant au cœur des plans de continuité d’activités les conséquences, souvent brutales et inattendues, de la crise climatique.

Proposition #02 : Mettre en place une feuille de route adaptation-résilience dans les collectivités comme dans les entreprises et assurer son suivi

Mettre en place, dans chaque collectivité, une feuille de route adaptation-résilience qui, forte du diagnostic de risque climatique, formalisera une stratégie d’adaptation, incluant un volet de planification et un volet de gestion de crise ainsi qu’une batterie d’indicateurs de suivi.

Imposer à chaque entreprise de réaliser une analyse de risques climatiques sur l’intégralité de sa chaîne de valeur dans le but de définir une feuille de route adaptation résilience. Ce document devra comporter, en plus des résultats de l’analyse de risque un volet de planification des investissements permettant de limiter structurellement la vulnérabilité de sa chaîne de valeur, mais aussi un volet de gestion de crise mettant au cœur des plans de continuité d’activités les conséquences, souvent brutales et inattendues, de la crise climatique.

Organiser des espaces de discussion et de coordination entre les collectivités locales et les acteurs économiques pour assurer la compatibilité des feuilles de route. Via ses espaces, cartographier les offres d’ingénierie territoriales à destination des collectivités afin d’assurer la collaboration vertueuse entre les acteurs dans le déploiement opérationnel de ces plans.

Le changement climatique est irréversible et déjà tangible : cette stratégie aura donc pour objectif de renforcer et d’évaluer les actions d’information et de formation afin de développer une « culture du risque climatique et de l’adaptation ». De plus, si l’effort de prévention des risques doit être premier par la sensibilisation des populations et la réorganisation des activités, le dérèglement climatique va confronter le pays de façon récurrente à des situations de crise d’ampleur non connues à ce jour. De fait, le besoin d’adaptation nécessite une refondation des doctrines d’intervention d’urgence. Moyens humains et matériels devront être renforcés pour, par exemple, la mise en place d’une force d’intervention écologique constituée de civils, militaires, secouristes et pompiers formés à l’accompagnement des populations sinistrées et à la remise en état des infrastructures et réseaux critiques.

Proposition #03 : Se préparer à la crise permanente

À l’échelle locale, construire des plans de gestion de crise et des dispositifs d’information des citoyens pour faire face aux chocs climatiques. Organiser notamment des exercices réguliers de mise en situation, afin de mettre en application concrètement ces plans et coconstruire une culture commune du risque. Prévoir des réserves stratégiques de produits essentiels en prévision de ces chocs et assurer l’accès à la production d’énergie renouvelable électrique hors réseau en cas de rupture.

À l’échelle nationale, construire une force citoyenne d’intervention écologique impliquant civils, militaires, secouristes et pompiers formés à l’intervention d’urgence, à la réhabilitation des réseaux primordiaux (eau, électricité) et à l’accompagnement des populations sinistrées suite à des catastrophes naturelles induites par les nouvelles conditions climatiques du pays.

Se donner les moyens de déployer la résilience

Finalement, la construction d’une France résiliente restera un vœu pieux sans des services publics forts et des institutions scientifiques spécialisées sur chacune des questions corollaires à l’adaptation. De fait, les différents chantiers et propositions décrites dans la suite de la note ne pourront pas être déployés sans une trajectoire budgétaire cohérente venant renforcer les moyens d’action des différents opérateurs de l’adaptation. À l’instar du rapport « 2% pour 2°C » de l’Institut Rousseau pour la décarbonation de la France, le laboratoire d’idée I4CE (Institute for Climate Economics), dans son rapport « Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France, de combien parle-t-on ? », estime un surplus d’investissement public de l’ordre de 2,3 milliards d’euros par an pour mener à bien l’adaptation des bâtiments, des infrastructures de transport et d’énergie, du système de production alimentaire, des économies de montagne et des littoraux face au changement climatique[11].

Pourtant, le chemin suivi est malheureusement toute autre : I4CE constate une diminution généralisée des effectifs chez l’intégralité des acteurs de l’adaptation. Entre 2014 et 2022, l’austérité budgétaire a conduit par exemple à supprimer près de 20% des effectifs de Météo France, du CEREMA ou des agences de l’eau. Des institutions comme l’ADEME ou l’ONF ont également dû faire face à des réductions d’effectifs importants de l’ordre de 10%[12].

Figure 4 : Évolution cumulée entre 2014 et 2021 des effectifs totaux des principaux opérateurs contribuant à l’adaptation d’après le point climat N°65 d’I4CE l’adaptation dans le budget de l’état

Proposition #04 : Mettre les moyens financiers au niveau des besoins d’adaptation
Évaluer à l’aide d’une analyse prospective le coût financier de l’impréparation aux conséquences du changement climatique (valeur des actifs détruits ou dégradés par la montée du niveau des eaux ou le retrait-gonflement des argiles, pertes de production agricole du fait de la sécheresse, surcoût de prise en charge hospitalière lors des vagues de chaleur). En discussion avec chacune des échelles de décisions administratives pertinentes (communes, communautés de communes, départements, Régions, agglomérations), budgéter les investissements en faveur de l’adaptation au changement climatique à minima la hauteur de ce coût de l’impréparation.

En plus de cela, prévoir, chaque année, dans le budget de l’État une enveloppe conséquente permettant de réaliser les investissements d’adaptation ne pouvant pas être pris en charge par les collectivités (par exemple la relocalisation des populations habitant actuellement dans des zones menacées par l’élévation du niveau de la mer).

De façon similaire, en plus des opérateurs de création et de diffusion de connaissance sur les effets changement climatique, déployer opérationnellement l’adaptation ne pourra être possible sans intégrer pleinement ces questions à chaque échelle de la décision publique. Le caractère territorial de la résilience climatique impose à chaque niveau de la décision publique de se doter des moyens de formation des élus et des personnels aux enjeux. C’est notamment la proposition phare du Shift Project, qui dans les trois volets de son rapport sur la résilience des territoires propose de consacrer 1 % du budget annuel des collectivités « dans la formation, l’expertise et la production de connaissances sur les conséquences des bouleversements climatiques et les enjeux de la transition écologique sur les territoires »[13] .

Proposition #05 : Investir dans la formation massive aux enjeux de la résilience

Investir, comme le propose le Shift Project, « 1 % / an du budget de fonctionnement de la collectivité, sur la durée des mandats actuels, dans la formation, l’expertise et la production de connaissances sur les conséquences des bouleversements climatiques et les enjeux de la transition écologique sur les territoires. ».

En particulier assurer une formation obligatoire pour les élus et dirigeants sur la problématique climat-énergie et le risque climatique. Renforcer autant que possible l’implication populaire en initiant une démarche participative d’évaluation de l’action territoriale, des ateliers de prospective et en organisant des événements à destination de la société civile souhaitant être impliquée dans la construction d’un territoire résilient.

Une fois les enjeux compris, la définition des plans de résilience locaux nécessitera un effort important de coordination entre les différents échelons administratifs ainsi que le suivi précis du sujet à la fois au niveau de la commune, du département, de la région et de l’État. Au niveau étatique, I4CE propose par exemple d’intégrer au moins un référent adaptation dans chacun des 12 ministères directement concernés par la question et de renforcer, au sein de chaque administration, les effectifs alloués à la coordination des différents échelons de décision. Le think tank suggère également de désigner un référent adaptation à temps plein dans chaque département français et de créer une cellule de coordination et de suivi de ces initiatives au niveau régional.

II. Le tissu urbain face aux conséquences du changement climatique : l’artificialisation des sols une tendance à inverser

1) Des vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses mettant en danger la ville

Une exposition croissante sur l’intégralité du territoire

L’été 2022 a été l’été le plus chaud jamais enregistré en Europe depuis le début des mesures météorologiques avec des températures dépassant, par exemple, sur le mois d’août la moyenne de la période 1991-2020 de près de 1,72 °C[14]. En France, la période estivale a été l’occasion de trois épisodes caniculaires, de vagues de chaleur démarrant avant même le début de l’été et de températures dépassant régulièrement les 40°C. L’INSEE estime que 11 000 personnes auraient trouvé la mort du fait de ces épisodes de chaleur intense[15].

Dans l’Hexagone, la hausse des températures moyennes a atteint 1,7 °C par rapport à 1990[16], avec une accentuation du rythme de celui-ci au cours des trente dernières années. Ce réchauffement s’observe sur les températures moyennes, mais aussi, et surtout sur les extrêmes maximaux responsables des impacts les plus prégnants. De fait, le pays devra faire face à des épisodes de vagues de chaleur [17] plus fréquentes et plus intenses. D’après le Haut Conseil pour le Climat, on constate que « dans un « climat anthropisé », les « événements rares » des années 1950 deviennent « normaux », les « événements extrêmes » de cette époque rejoignent la catégorie des « événements rares » et ce qui était impossible il y a soixante-dix ans ne l’est plus [18] (Figure 5).

Figure 5 : Évolution des températures extrêmes en France selon le scénario RCP 8.5 d’après la plateforme DRIAS

En particulier, le réchauffement a également pour effet d’augmenter la fréquence et la longueur des événements caniculaires en rehaussant les minimas nocturnes. Les conséquences sanitaires de ces événements sont multiples. En effet, d’après le Haut Conseil, « les nuits au-dessus de 20°C vont occasionner une surmortalité significative chez les personnes vulnérables: personnes âgées, malades, sans abris, très jeunes enfants ». Enfin, les pics de chaleur auront tendance à augmenter l’inconfort dans la vie quotidienne, à rendre les conditions de travail en extérieur ponctuellement impossibles et à détériorer la qualité de l’air par l’accentuation de la pollution à l’ozone[19].

Proposition #06 : Préserver les plus vulnérables face aux vagues de chaleur  

Réaliser un diagnostic d’exposition des populations aux vagues de chaleur, aux nuisances et aux pollutions (notamment la pollution à l’ozone renforcée lors de ce genre d’événement). Localiser les bassins de populations les plus vulnérables et calibrer géographiquement les dispositifs de soutien financier (à la rénovation thermique par exemple) et les plans canicules (distribution d’eau, messages de sensibilisation, etc.) pour maximiser l’efficacité du déploiement des procédures de gestion de crise.

Pour les établissements accueillant des résidents fortement vulnérables aux vagues de chaleur, financer en priorité le déploiement de dispositifs de climatisation bas carbone, l’installation d’une pièce froide et redimensionner les plans canicules en vigueur au niveau de fréquence et d’intensité attendues du fait du réchauffement climatique.

Une artificialisation des sols au cœur de la vulnérabilité urbaine

En plus d’une exposition croissante à des phénomènes de vagues de chaleur, le tissu urbain y est également significativement vulnérable du fait des choix d’aménagement passés. Aujourd’hui, 80 % de la population française vit en milieu urbain, chiffre en constante augmentation depuis l’après-guerre[20]. Corollaire de cette tendance, l’étalement urbain et l’imperméabilisation des sols augmentent, encore aujourd’hui, à une cadence extrêmement soutenue avec presque 30 000 hectares artificialisés chaque année, un rythme déconnecté des besoins progressant presque quatre fois plus rapidement que l’augmentation de la population[21].

De plus, la topographie urbaine (hauteur, densité et nombre de bâtiments qui viennent réduire la ventilation naturelle), les sources de chaleur locales (moteur thermique, impact des climatisations sur l’extérieur) ainsi que les matériaux de construction (béton, enrobé bitumineux, toits foncés qui retiennent la chaleur diurne) sont à l’origine du phénomène d’îlot de chaleur urbain venant accentuer le stress thermique en période de forte chaleur. En effet, les surfaces sombres ou bétonnées ont tendance à absorber la chaleur et à la « plaquer » au sol ce qui peut se traduire par des différentiels de température ressentie de + 10°C.

L’exposition à cet effet est d’ailleurs plus prégnante dans les quartiers populaires, ce qui fait de la lutte contre le stress thermique en ville un enjeu de justice sociale. Par exemple, la commune d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis ne compte que 1,42 m² d’espaces verts par habitant soit 6 fois moins que Paris et bien en deçà de l’objectif de 10 m² fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la région Île-de-France[22].

Proposition #07 : Résister à l’étalement urbain [23]:

En utilisant l’outil du Plan local d’urbanisme (PLU), déployer opérationnellement le ralentissement de l’étalement urbain pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050 inscrit dans la loi Climat – Résilience. De fait, procéder au déclassement massif des zones à urbaniser et exclure les projets de construction sur terre non imperméabilisée de l’accès aux prêts à taux zéro ou à des dispositifs de dégrèvement d’impôts (loi Pinel).

À l’échelle de la région, soumettre les projets visant à renforcer l’attractivité du territoire à un contrôle démocratique, en mettant en débat auprès d’un panel de citoyens tirés au sort les impacts des projets avec les bénéfices à long terme pour les habitants.

« Renaturer » les espaces extérieurs pour réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain

Pour limiter l’impact d’un stress thermique généralisé, il est nécessaire de s’affranchir des normes d’urbanisme actuelles. Ainsi la première mesure serait de se diriger aussi rapidement que possible vers la zéro artificialisation nette et la dé-bétonisation pour reformer des îlots de végétation, plus résilients aux fortes températures et aux inondations (Figure 6). Ce nouveau paradigme de « sobriété foncière » doit s’articuler avec un objectif de densification du tissu urbain en incitant fortement à la réhabilitation des espaces non utilisés, en augmentant le temps d’occupation des locaux vides, en réquisitionnant une partie des logements vacants et en encourageant à la construction surélevée.

Proposition #08 : Contre l’artificialisation, dé-imperméabiliser et densifier la ville :

Adjoindre à la trajectoire de « sobriété foncière », des objectifs clairs de dé-imperméabilisation des sols afin de reformer des îlots de végétalisation ainsi que des bassins de capture ou d’acheminement des eaux pluviales.

Articuler en parallèle une trajectoire de dé-imperméabilisation des sols avec un renforcement des projets de densification de la ville. En guise d’incitation, cette mesure pourrait se traduire par la surtaxation des logements vides, et par l’exonération de taxe d’aménagement pour les projets de densification urbaine ne modifiant pas la surface au sol : réhabilitation de friches industrielles, construction d’espace surélevé, reconversion de bâtiments tertiaires vers le logement, développement de la multifonctionnalité et des nouveaux usages des bâtiments.

Diminuer la vulnérabilité des villes passera par la végétalisation du tissu urbain. Cette stratégie peut se décliner par l’augmentation de la surface d’espaces verts (parcs, pelouses, prairies) l’amélioration de leur accessibilité, la plantation d’arbres et de couverts végétaux, la régénération de marais ou de lacs urbains ainsi que la végétalisation des toitures et des façades de bâtiments. Ces exemples de solutions fondées sur la nature permettent une climatisation naturelle et une augmentation de la surface ombragée. Les dispositifs de rafraîchissement extérieurs sont également une bonne solution pour limiter l’impact des vagues de chaleur sur les populations. De fait, il est également nécessaire d’investir massivement dans la rénovation du réseau de canalisation dans le but de minimiser les pertes issues du transport de l’eau pour l’implantation massive de fontaines urbaines, de jets d’eau ou de brumisateurs dans les villes.

Proposition #09 : Végétaliser la ville pour la rendre plus vivable

Planifier la végétalisation maximale du tissu urbain par l’augmentation de la surface d’espaces verts (parcs, pelouses, prairies urbaines), le déploiement de couverts végétaux sur les toitures et façades des bâtiments, la plantation d’arbres, la multiplication de zones d’ombrages et de couverts végétaux. L’accès à la nature étant une question de justice sociale primordiale, il est nécessaire de garantir l’égalité d’accès à ces espaces de nature à tous les quartiers populaires souvent exposés bien plus significativement aux effets des vagues de chaleur.

Afin de positionner ces îlots le plus efficacement possible, cartographier l’indice global de végétation à l’échelle la commune afin d’identifier les zones urbaines particulièrement sensibles à la chaleur afin de cibler les mesures de contrôle et les campagnes de sensibilisation sur les localisations les plus vulnérables. Cette cartographie devra repérer en priorité les zones fortement sensibles à l’effet îlots de chaleur urbain (espace fortement bétonné et sans ombrage).

Rénover et repenser le bâtiment pour augmenter la résilience thermique des espaces intérieurs

La rénovation thermique des bâtiments est un impératif pour avoir moins froid en hiver et faire face aux vagues de chaleur en été. Mais elle est beaucoup trop lente à l’heure actuelle : il est essentiel de monter rapidement à 1 million de logements rénovés chaque année. Le Shift Project dans son Plan de transformation de l’économie française (PTEF) propose de se fixer une montée à ce niveau d’ici 10 ans[24]. Renforcer la résilience passe également par des solutions plus rapidement déployables comme le blanchiment des toitures, l’utilisation de revêtements à albédo fort[25] sur les façades permettant d’améliorer la réflexion des rayons du soleil. Enfin, l’installation de dispositifs de refroidissement passif dans les nouvelles constructions (ventilation transversale, brise-soleil, stores, orientation du bâtiment) préparerait ces infrastructures et leurs résidents à un climat anthropisé.

Comme le suggère le rapport « 2% pour 2°C » de l’Institut Rousseau [26] ou les travaux du Shift Project dans le cadre du PTEF[27], il s’avère nécessaire de repenser les dispositifs d’aide à la rénovation thermique du bâtiment en ciblant particulièrement leur accès pour les ménages les plus modestes (par l’augmentation des plafonds, la diminution du reste à charge) et en créant des guichets pour accompagner et informer les particuliers dans leur démarche. De même, pour les bâtiments d’entreprise, il est possible de généraliser les dispositifs suggérés par France Stratégie, où une société de rénovation prend à sa charge la conduite des travaux et se finance sur les économies d’énergie réalisées par la suite[28].

Proposition #10 : Massifier la rénovation thermique des bâtiments :

Organiser et financer la rénovation globale du parc immobilier afin d’atteindre, d’ici 10 ans, une cadence de 1 million de logements rénovés chaque année vers une étiquette énergétique de A, B ou C[29]. Généraliser dans la construction neuve comme dans les travaux de rénovation l’inclusion de système de refroidissement passif comme la peinture des toitures avec des revêtements à fort albédo, la végétalisation des façades, l’installation de brise-soleil, de dispositifs de free-cooling[30] (ou « refroidissement gratuit »).

Pour cela, faire évoluer les dispositifs actuels en relevant les plafonds d’aide pour les ménages les plus modestes, en simplifiant leur accessibilité par la création de guichets au niveau de la collectivité pour informer les citoyens. Inclure explicitement dans ces dispositifs d’aide toutes les typologies de travaux en mesure d’augmenter la résilience thermique des bâtiments.

Expérimenter, comme le propose France Stratégie, une conduite des rénovations par des opérateurs finançant les coûts des travaux et se remboursant sur les économies d’énergie réalisées.

Figure 6 : Quelques stratégies d’adaptation pour la ville (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

2) Précipitations extrêmes et inondations fluviales : se préparer à l’aide de la nature

Une exposition circonscrite, mais préoccupante

Le changement climatique aura plusieurs conséquences hydrologiques importantes en France. En particulier, une généralisation des épisodes d’inondation est attendue, du fait de l’augmentation en fréquence et en intensité des précipitations extrêmes. À l’échelle planétaire, le réchauffement climatique cause une intensification des pluies extrêmes en raison de l’augmentation du contenu de vapeur d’eau de l’atmosphère. Pour 1°C de réchauffement, l’intensification des pluies extrêmes augmente de 7 %. En France, les précipitations annuelles augmentent dans la moitié nord, et diminuent au sud[31]. De plus, les projections soulignent une accentuation des maximas de précipitation. On constate déjà une augmentation de l’intensité et de la fréquence des événements pluvieux extrêmes sur le pourtour méditerranéen et dans l’est du pays au cours des dernières décennies (Figure 7). Ces événements de précipitations extrêmes sont induits, en particulier, par le réchauffement de la mer Méditerranée : lors du mois de juillet de 2022, celle-ci était en moyenne 5°C plus chaude que lors des saisons estivales précédentes. Cette augmentation de température, en plus des conséquences sur les écosystèmes marins, a pour conséquence une hausse de l’évaporation et donc de l’intensité des précipitations futures attendues comme plus intenses durant la saison automnale notamment sur le pourtour méditerranéen et la partie est du pays.

Figure 7 : Impact de précipitations extrêmes en France d’après la plateforme DRIAS

Cependant ces projections souffrent, encore aujourd’hui, d’un niveau d’incertitude significatif notamment sur le niveau des précipitations moyennes. Pour l’Europe de l’Ouest, les projections d’évolution des précipitations montrent bien un contraste entre le nord où les précipitations augmentent et le sud qui s’assèche. La localisation de la limite entre ces deux zones varie cependant d’un modèle à l’autre, induisant de larges incertitudes dans la bande de latitudes où se situe la France. Malheureusement, peu importe le scénario d’émissions considéré, les projections climatiques ne s’accordent pas sur le signe du changement des précipitations moyennes annuelles en France. Pour les précipitations extrêmes également, les modèles climatiques souffrent d’incertitude sur l’intensité des phénomènes futurs rendant le dimensionnement des procédures et des infrastructures d’adaptation plus difficile encore.

Effet corollaire, les précipitations extrêmes participent à l’augmentation de la fréquence des inondations fluviales. Celle-ci a d’ailleurs augmenté d’environ 11 % par décennie sur l’Europe de l’Ouest depuis les années 60 avec une aggravation constatée des dégâts sur les personnes et les infrastructures[32]. Cette tendance est également matérialisée par l’augmentation attendue du débit de crue décennale (c’est-à-dire le débit maximum d’un cours d’eau attendu sur 10 ans sur la période de référence), à 2050 avec une augmentation très significative sur le sud de la France (> 30 %), mais aussi dans un large quart nord-est (bassin versant de la Seine, de la Saône, de la Moselle et du Rhin) (Figure 8)[33].

Figure 8 : Variations du débit de la crue de référence sur période de retour de 10 ans pour chaque bassin versant entre aujourd’hui et 2050 d’après le livre blanc COVEA .

L’imperméabilisation des sols menace la viabilité des villes

L’artificialisation des villes ou des espaces ruraux à proximité des cours d’eau augmente fortement la vulnérabilité aux inondations. En effet, l’imperméabilisation des surfaces favorise le ruissellement des eaux et empêche leur absorption par les sols. Les conséquences sont alors désastreuses : pertes en vie humaine, dégradation voire destruction des infrastructures d’un territoire, salinisation des sols agricoles et migrations forcées de population.

L’été 2021 a été d’ailleurs l’occasion de constater l’ampleur des impacts sur les villes et l’impréparation des pouvoirs publics à gérer ces crises : les inondations en Belgique et en Allemagne d’août 2021 ont provoqué environ 200 morts et 30 milliards d’euros de dégâts avec notamment l’éclatement de réseaux de canalisation forçant les habitants à remplir leur baignoire pour s’assurer un accès à l’eau potable lors de la durée de l’événement [34]. En France, on pense également aux événements de la vallée de la Roya sur la Côte d’Azur en octobre 2020 qui ont provoqué des traumatismes majeurs au sein de la population en plus de dégâts matériels considérables[35].

« Renaturer » l’hydrologie des villes et restaurer les écosystèmes fluviaux : les solutions fondées sur la nature sont en pointe pour faire face aux inondations

De nombreuses villes densément peuplées sont sujettes aux inondations et les infrastructures existantes ne sont généralement pas assez résistantes pour faire face à l’augmentation des précipitations et des pics de débit qui pourraient survenir avec le changement climatique. Face aux inondations, le biomimétisme et les solutions fondées sur la nature sont, là aussi, les plus efficaces (Figure 9). Il faut d’abord protéger et restaurer les écosystèmes naturels dans les bassins versants. En effet, les zones humides et leurs forêts riveraines ou inondables stockent, distribuent et retiennent l’eau dans les écosystèmes, limitant ainsi le ruissellement sur les surfaces anthropisées. Ce sont également des espaces très efficaces pour la régulation de l’eau et de la matière, la fixation des polluants et la rétention des eaux de crue.

L’urbanisme contemporain est à l’origine d’une détérioration de l’état des écosystèmes fluviaux, des zones humides et d’une perte de la biodiversité en eau douce. Une transition résiliente impose à présent de travailler à la restauration des flux naturels des cours d’eau, de leurs connectivités et de leurs débits afin de mieux résister aux inondations fluviales. Les interventions peuvent aller de la régénération naturelle à des mesures beaucoup plus invasives, comme la reconstruction physique des lits de rivière. De plus, la désimperméabilisation du tissu urbain par la création de bassins de végétation, de lacs ou de marais urbains permet un renforcement de l’absorption des eaux par les sols ainsi qu’un enrichissement de la biodiversité au sein de la ville. Ces mesures peuvent d’ailleurs s’inscrire dans le cadre d’un urbanisme d’un nouveau genre : les villes éponges, qui visent à rendre à la ville sa perméabilité, tout en renforçant la collecte et l’utilisation des eaux de pluie.

L’occurrence de plus en plus régulière de ce genre d’événement est inévitable et les incertitudes sur les moyens d’en contrôler les impacts sont difficiles à quantifier. Ainsi, il apparaît essentiel d’adjoindre à cette renaturation planifiée des villes et des cours d’eau, des procédures de gestion de crises largement diffusées aux populations les plus exposées. L’accès aux dispositifs d’indemnisation porté par le régime CatNat[36], récemment reformé, constitue également un enjeu important d’accompagnement des sinistrés en plus de l’acquisition collective d’une culture du risque.

Figure 9 : Quelques stratégies d’adaptation face aux inondations pluviales (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

Proposition #12 : Articuler les solutions fondées sur la nature et les plans de gestion de crise pour faire face aux inondations

Refonder les principes de l’urbanisme actuel pour l’orienter vers la constitution de villes éponges par la végétalisation maximale à proximité des cours d’eau, la régénération de marais ou de lacs urbains, la restauration des flux, des connectivités et du débit naturel des fleuves.

Adosser à cette stratégie de transformation des villes, la création au niveau local de force citoyenne d’intervention écologique ayant pour mandat de venir au secours des populations en cas d’épisodes d’inondations graves, de réparer les réseaux primordiaux et les infrastructures ayant pu être détruites lors de l’épisode.

Sensibiliser les populations par des messages clairs afin de diffuser largement une culture du risque dans les zones les plus menacées par l’aléa de précipitations extrêmes et assurer la simplification d’accès au remboursement par les sinistrés par le régime CatNat.

III. Système de production alimentaire et écosystèmes forestiers : nos territoires face à la dérive climatique

1) Le système de production alimentaire face à la sécheresse généralisée

La sécheresse, une menace grave pour l’agriculture française

La sécheresse s’accentue durablement en France et l’été 2022 a montré l’impact colossal de ces épisodes sur le système de production alimentaire (Figure 10). Juillet 2022 s’est trouvé être le mois le plus sec jamais enregistré en France depuis 1959 avec seulement 9,7 mm de pluie enregistré contre 90,8 mm à la même période l’an passé. Ces conditions d’aridité ont conduit plus de 100 communes à être privées d’eau potable et ont forcé la mise en œuvre de restrictions d’utilisation drastiques dans tout le pays[37]. Ces restrictions ont alors des conséquences majeures pour nombre d’agriculteurs qui avait déjà vu une partie substantielle de leur production détruite par l’épisode de gel tardif du printemps 2022[38].

De la même façon que pour les vagues de chaleur, les niveaux de sécheresse extrêmes d’aujourd’hui vont devenir la norme sur une large partie du territoire. Les épisodes intenses de sécheresse en Europe pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060[39]. Cette augmentation en fréquence et en intensité a d’ores et déjà des conséquences visibles sur les niveaux de production agricole. Par exemple, dans son rapport 2021, le Haut Conseil pour le Climat affirme que la modification des schémas précipitation depuis 1990 explique déjà, sur une tendance longue, des réductions de rendements du blé et de l’orge européens à l’échelle de l’Europe[40]. De fait, « certains terroirs vont progressivement devenir inadaptés aux agrosystèmes qu’ils abritent et, de fait, remettre profondément en question l’équilibre économique et l’implantation géographique de nombreuses productions (arboriculture, viticulture, systèmes pastoraux) »[41].

Conséquemment, la généralisation de la sécheresse agricole va de pair avec l’augmentation des conflits d’usage sur la question de l’eau en France[42]. Cela s’explique, d’une part, par la hausse des besoins pour l’irrigation, conjuguée à une diminution de la disponibilité de la ressource. La ressource en eau est en effet menacée par la pression climatique croissante sur les eaux de surface (fleuves, rivières, lacs, etc.) et par la surexploitation des eaux souterraines (prélèvement excessif et pollution des nappes phréatiques). De plus, la dégradation de la qualité des sols va renforcer la dépendance de la plupart des cultures à l’irrigation.

Figure 10 : Écart par rapport au nombre maximal de jours secs consécutifs pour le scénario RCP8.5

Des modes de culture vulnérables au changement climatique

Les conséquences de ses épisodes de sécheresse amenées à se multiplier vont être renforcées par des facteurs non climatiques liés aux modes de culture condamnant à moyen terme la productivité des sols par l’extermination de la biodiversité environnante. En effet, la biodiversité souterraine se trouve au cœur de la fertilité des sols et de la rétention de l’eau en leurs seins : les organismes divers qui composent les sols assurent des fonctions primordiales comme la décomposition de matière organique et donc la libération de nutriments dans le sol, la nutrition et la protection des plantes ou encore l’infiltration et la rétention de l’eau captée dans les racines des végétaux. Cette biodiversité des sols comme celle des champs est en recul continu du fait des pratiques de cultures agro-industrielles telles que le fort recours aux pesticides, le tassement du sol par la mécanisation croissante du secteur et la perturbation du cycle des nutriments par l’utilisation disproportionnée d’engrais[43].

La généralisation d’un climat méditerranéen sur la moitié sud de l’Hexagone favorisera la migration et le développement d’organismes pathogènes ou ravageurs bouleversant en profondeur les écosystèmes et les cultures. La faible diversité génétique des plantations participe, en effet, à la forte vulnérabilité du système agricole à un climat plus sec. Les agrosystèmes homogènes, dont l’objectif est d’assurer le maximum de rendements, favorisent la prolifération et la propagation des « bio-agresseurs » (pathogènes, ravageurs et des espèces exotiques envahissantes)[44].

Face à ces vulnérabilités, placer le système de production alimentaire français sur la voie d’un développement résilient suppose de repenser structurellement les modes de production en favorisant les modes de culture restauratrice de la biodiversité des sols et des champs. Les Greniers de l’Abondance proposent trois axes de résilience par la régulation de la production et de la consommation de viande, la généralisation des pratiques agroécologiques et la relocalisation des productions alimentaires auquel il faut adjoindre une trajectoire de sobriété hydrique[45].

L’enjeu de l’espace : réguler la production et la consommation de protéines bovines pour assurer la pérennité du système de production alimentaire

Le premier axe de résilience réside dans la planification de la diminution de la production et de la consommation de produits animaux et en particulier de viande d’origine bovine. En effet, le système agricole devra vraisemblablement faire face à une diminution des rendements agricoles, pour un certain nombre de variétés dans un scénario d’inaction climatique comme dans un scénario de transition. Le scénario Afterres2050 du cabinet Solagro anticipe par exemple une diminution du rendement de la production du blé tendre de 7,1 à 5,2 tonnes par hectare[46] à horizon 2050 par rapport à 2010. À noter que dans le cadre d’un scénario d’inaction des pouvoirs publics, les rendements diminueront de façon d’autant plus dramatique que le réchauffement sera important : celui-ci entraînerait une baisse de rendement moyen de 6 % pour le blé, de 3,2 % pour le riz et de 7,4 % pour le maïs par degré de réchauffement supplémentaire, sans compter les impacts sur l’effondrement de la biodiversité[47].

Ainsi, afin de produire à « surface agricole » constante, la réduction des productions animales et en particulier des cheptels bovins apparaît comme un axe incontournable de la résilience agricole. Aujourd’hui, la production de denrées à destination des animaux d’élevage mobilise 85% des surfaces agricoles[48]. On estime également que la moitié de ces surfaces correspondent à des terres arables et à des cultures pouvant satisfaire l’alimentation humaine. Cette même production pour le bétail est à l’origine par ailleurs d’une consommation en eau considérable, premier poste agricole[49] notamment du fait de la culture de maïs grains destinés aux deux tiers à l’alimentation de volaille et de porc. Si la culture du maïs grain représente 8,5 % des surfaces agricoles, elle occupe près de la moitié des surfaces irriguées, avec un besoin centré sur la saison estivale, où se concentrent les épisodes de sécheresse[50].

Figure 11 : Évolution du régime alimentaire français moyen (hors alcool et boissons) et de la surface agricole nécessaire dans le scénario Afterres2050[51].

Dans un contexte de contrainte forte sur la ressource en eau et de diminution des rendements, le cabinet Solagro propose de fixer un objectif de diminution de 50 % de la production de protéine carnée d’ici à 2050, ce qui libérerait près du tiers des espaces cultivables (Figure 11). Cette trajectoire de décroissance de la consommation de viande ne pourra se faire sans l’accompagnement des agriculteurs français vers un modèle plus diversifié de polycultures-élevages et en remettant d’abord en cause l’importation de viandes bovines permises par les accords de libre-échange type AECG ou TAFTA qui viennent faire concurrence à la production bovine française.

Proposition #13: Planifier la décroissance de la production et de la consommation de viande bovine et l’assolement de maïs grain

Planifier et organiser la décroissance de la production et de la consommation de viandes bovines et réduire l’assolement de maïs, au profit d’autres cultures peu consommatrices en eau en saison sèche, et directement utilisables pour l’alimentation humaine : blé, sarrasin, millet, sorgho….

Protéger les éleveurs français par la suspension des importations de viandes rouges de mauvaise qualité permises par la ratification d’un certain nombre d’accords de libre-échange (AECG, TAFTA et autres, etc.).

Contractualiser avec des éleveurs et coopératives pour leur garantir une rémunération plus équitable en échange d’une évolution des pratiques vers des modèles de polyculture-élevage.

Dans la restauration collective gérée par les pouvoirs publics, mettre à disposition une alternative végétarienne à chaque repas et instaurer à minima deux repas végétariens par semaine. Limiter à une fois par mois les plats au bœuf. Travailler avec les restaurateurs, les commerces locaux et la grande distribution pour mettre en avant des protéines végétales et promouvoir des alternatives végétales à la viande de bœuf.

L’enjeu des modes de culture : sortir de l’agro-industrie pour généraliser l’agro-écologie

La seconde clé d’un développement résilient repose sur la diversification des productions, une limitation de facteurs de stress non climatique [52] et une irrigation plus efficace des sols (Figure 12). En résumé, les pratiques d’agro-écologie et d’agroforesterie doivent être renforcées et généralisées afin de remplacer progressivement le modèle agro-industriel. L’enjeu est de faire de l’agroécologie le nouveau modèle dominant en revoyant un certain nombre de pratiques comme l’épandage de pesticides qui détruisent la biodiversité rurale, polluent les eaux et provoquent des dégâts sanitaires majeurs. Les techniques de labour des sols doivent elles aussi se transformer afin de limiter les phénomènes de tassement qui empêchent la bonne absorption des eaux de pluies ou d’irrigation par les sols[53]. Le déploiement de l’agro-écologie s’accompagne aussi d’une forte réduction des intrants chimiques : le collectif  Les Greniers de l’abondance propose de diviser par trois de la consommation de pesticide et de diminuer de 60 % de celle d’engrais azoté à l’horizon 2050.

Pour compenser cette diminution, il faut passer à un mode d’agriculture écologiquement intensive en diversifiant massivement les espèces cultivées et les pratiques d’enrichissement des sols[54]. Ces pratiques plus résistantes au changement climatique reposent sur l’implantation de schémas de rotations culturales plus complexes, incorporant des cultures intercalaires qui enrichissent les sols en nutriments et en biodiversité (comme les légumineuses). De même, des pratiques d’élevage du bétail peuvent rendre l’agriculture française plus résiliente au changement climatique : l’idée est de combiner le plus efficacement possible l’élevage avec la production de cultures pour aller vers une agriculture intégrée moins gourmande en intrants et en machines[55]. Ces pratiques présentent d’autres atouts, notamment la réduction de la vulnérabilité aux maladies et aux attaques de nuisibles ou de ravageurs déplacés par le réchauffement par la diversification génétique des cultures. Enfin, les pratiques d’agroforesterie, c’est-à-dire le mélange d’arbres et de cultures, peuvent réduire les stress hydrique et thermique tout en renforçant la séquestration de carbone dans les sols.

Proposition #14 : Un nouveau pacte agricole au service de l’agro-écologie

Faire du renouvellement des générations d’agriculteurs une opportunité pour généraliser massivement les pratiques d’agro-écologie. Constituer un nouveau pacte agricole en planifiant la formation et l’intégration de la nouvelle génération, plus nombreuse et mieux rémunérée, en anticipant au mieux les départs et les reprises d’exploitation. Adjoindre à ce pacte des objectifs de diversification des productions, de réduction de l’utilisation des engrais et des pesticides, de protection des sols, mais aussi des objectifs de diminution progressive de la taille du cheptel bovin.

Faciliter l’installation de projets d’agro-écologie par le renforcement des aides, mais aussi par l’acquisition publique de foncier pour les mettre à disposition des producteurs qui respectent un cahier des charges compatible avec une agriculture écologiquement intensive. Généraliser l’outil de la commande publique (pour les cantines ou la restauration collective) afin d’offrir un débouché de production stable et équitable aux agriculteurs.

Figure 12 : Quelques stratégies d’adaptation pour l’agriculture (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

L’enjeu de la relocalisation : rapprocher la production alimentaire des bassins de population

Le troisième enjeu majeur de la résilience agricole se trouve dans la relocalisation des systèmes de production et de distribution alimentaire. La sécurité alimentaire consiste à satisfaire les besoins nutritionnels d’un bassin de population, sans faire venir de loin la nourriture qui pourrait être produite à proximité. Pourtant, notre mode d’organisation actuel est tourné vers l’exportation et repose sur l’importation de près de 20% des produits agricoles : il accroît de fait notre vulnérabilité aux aléas climatiques et aux risques géopolitiques[56]. Comme le montre le Shift Project dans le deuxième volet de son rapport sur la résilience des territoires, nourrir son territoire implique donc non seulement de préserver des terres agricoles, mais aussi de réorienter une partie de la production vers la demande locale. D’autant plus que, d’après l’outil CRATer des Greniers de l’Abondance[57], « le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises est de 2 % »[58]. Cela signifie que 98 % du contenu alimentaire consommé localement sont importés ; ces flux se trouvent alors totalement dépendants des ressources fossiles pour leurs transports[59] (Figure 13).

Le déploiement de cette résilience alimentaire doit s’organiser autour d’une planification régionale qui aura pour but, comme le propose le Shift Project, « d’inventorier le foncier mobilisable pour l’agriculture, de déterminer des zones agricoles protégées, de soutenir la constitution de collectifs pour la reprise des fermes, de communiquer sur les initiatives locales, d’organiser la distribution de productions locales et de valoriser l’autoproduction à travers le jardinage »[60].

Proposition #15 : Organiser la relocalisation des productions pour la résilience alimentaire

Mettre les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire au service de la résilience alimentaire et de la structuration d’une agriculture nourricière en déclassant de la catégorie « zones à construire » les terres agricoles fertiles et en utilisant les terres communales périurbaines pour former des ceintures maraîchères associées à un plan d’approvisionnement local. Intégrer au sein de la ville des espaces de production alimentaire (ferme urbaine) dans les aménagements et développer les moyens de transformation de la production.

Financer la structuration des initiatives par la commande publique, notamment par la réalisation d’un diagnostic d’autosuffisance du système alimentaire du territoire (demande à satisfaire, possibilités de niveau de production et diversification de l’offre), le soutien à la structuration de filières de production, de transformation et de distribution et la construction des circuits courts avec la restauration collective, les distributeurs locaux et les citoyens.

Figure 13 : Degré de sécurité alimentaire sur l’Hexagone via l’outil CRATER

L’enjeu de l’eau : déployer la sobriété hydrique

Dans les années à venir, l’évolution climatique va provoquer un manque chronique d’eau sur tout le territoire français. L’agriculture mobilise 80 % de la ressource et sera donc la première activité impactée par cette perturbation du cycle de l’eau. Il sera donc nécessaire de repenser le rapport à cette ressource en prohibant son accaparement et en organisant sa distribution le plus efficacement et équitablement possible.

Pour ce faire, il est urgent d’investir massivement dans la rénovation des circuits de canalisation et des réseaux de distribution: aujourd’hui un litre d’eau potable sur cinq est perdu dans des fuites de canalisations en France [61] du fait de leur vétusté. Actuellement, le taux de renouvellement des canalisations est de 0,61 % : à ce rythme, il faudrait plus de 150 ans pour renouveler l’intégralité du réseau. Plusieurs institutions proposent à minima le doublement du rythme de rénovation.

De plus, il faut améliorer les processus d’irrigation en encourageant de nouvelles méthodes de stockage des eaux de pluie afin de réduire les prélèvements dans les nappes. L’usage de bassines agricoles connectées aux nappes phréatiques constitue un accaparement sauvage de la ressource au profit de certains acteurs ayant les moyens de construire ce type d’infrastructure et génère des pertes en eau colossale par évaporation. L’usage de ces bassines doit être strictement encadré.

Proposition #16 : Amorcer avec les agriculteurs le déploiement d’une trajectoire de sobriété hydrique

Sécuriser l’approvisionnement en eau potable pour les usages agricoles, domestiques et industriels par des investissements massifs visant à minima le doublement du taux de renouvellement des réseaux de canalisation en métropole comme en outre-mer.

Offrir de la visibilité aux agriculteurs sur la gestion de l’eau en organisant en concertation eux avec la diminution progressive de l’utilisation de l’eau extraite des nappes phréatiques pour l’irrigation, en limitant fortement l’usage des bassines et en contractualisant les plans de crises correspondant aux périodes de sécheresse (répartition des usages, préservation des zones humides, préservation des captages, etc.)

2) Les territoires forestiers sous les feux du changement climatique

Les incendies et feux de forêt : une nouvelle habitude estivale

Nos forêts, qui couvrent près de 31 % du territoire métropolitain, sont menacées par l’essor des incendies du fait de la conjonction des périodes de sécheresse intenses et des vagues de chaleur estivales. Parmi les plus grands incendies qui ont récemment touché le pays, trois se sont déclenchés sur les deux dernières années avec plus de 5000 hectares brûlés. L’incendie de juillet 2022 en Gironde et ses 13 600 hectares brûlés représentent le plus gros feu de forêt enregistré depuis les années 1970[62]. Pourtant, grâce à des actions de prévention efficaces, le nombre de feux de forêt ainsi que l’étendue de la surface brûlée ont significativement diminué en France depuis les années 1980.

Malheureusement, la conjonction de vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses associées à des périodes de sécheresse prolongées vient renforcer la probabilité de départ de feu (encore aujourd’hui considéré 9 fois sur 10 d’origine humaine) ainsi que la puissance des incendies observés. Météo France estime que les massifs forestiers les plus menacés à l’avenir se trouvent sur les parties sud-ouest et sud-est du pays ainsi qu’en Corse. De plus, les données de la cartographie nationale montrent que l’Indice forêt météo (IFM) a augmenté de 18 % entre la période 1961-1980 et la période 1989-2008 ; cette augmentation devrait atteindre 30% en 2040 et potentiellement 75 % d’ici 2060[63]. Historiquement cantonnés au pourtour méditerranéen, on constate depuis quelques années des départs de feux fréquents dans des régions traditionnellement épargnées, comme cet été en Picardie[64], dans la Somme[65] ou en Bretagne[66]. En 2050, la moitié des forêts françaises sera soumise au risque d’incendie.

Figure 14 : Projection de sensibilité du massif forestier aux incendies d’après la plateforme DRIAS

Adapter les massifs forestiers aux nouvelles conditions climatiques : gérer les crises et diversifier les essences

Face à ce défi, il est nécessaire de revoir en profondeur la gestion forestière hexagonale à la fois dans la prévention des impacts et dans la gestion de crise (Figure 15). Côté prévention, la diversité d’espèces est centrale. En effet, la vulnérabilité des systèmes forestiers est accentuée par le caractère monospécifique des essences plantées pour leur utilisation industrielle. C’est notamment le cas de monocultures résineuses particulièrement consommatrices d’eau et inflammables qui viennent assécher les forêts et faciliter les départs de feu. Il apparaît primordial de promouvoir les peuplements mixtes adaptés au climat futur plutôt que des monocultures : aujourd’hui, 51 % des forêts françaises sont mono-spécifiques. Il est alors nécessaire d’allouer les moyens associés au renouvellement résilient des forêts et d’avoir recours à la migration assistée des essences non adaptées au climat futur. En plus de réduire les facteurs de risque non climatiques (pollution des sols, engrais, pesticides, acidification des sols du fait de la pollution de l’air), il est aussi de bon ton de favoriser, après crise, la bio-régénération et la diversification des essences replantées après un épisode d’incendie.

Pour accomplir ces changements d’envergure et adapter la gestion forestière au changement climatique, des moyens humains supplémentaires seront obligatoires, notamment au sein de l’Office national des forêts (ONF). L’organisation est frappée par des réductions d’effectifs depuis trois décennies : elle emploie actuellement moins de 8 000 fonctionnaires[67]. Les effectifs des patrouilleurs de surveillance ont également diminué de 15 % entre 2008 et 2019[68] . La prévention repose aussi sur des moyens techniques soutenus par des connaissances scientifiques précises. Certaines mesures d’adaptation transformative constituent des moyens d’action pour se préparer à des incendies plus puissants, tels que : le redimensionnement des procédures de gestion, de détection et de prévention des incendies par l’usage de drones ; le brûlage régulier pour empêcher l’accumulation de brûlis ; ou encore le maillage des forêts grâce à un ensemble de pistes d’accès et la dissémination de citernes.

En termes de moyens d’intervention, la France compte 19 bombardiers d’eau et trois avions de reconnaissance ainsi que 35 hélicoptères[69]. Cette flotte prend de l’âge : le Sénat écrivait en novembre 2022 que le vieillissement de 12 canadairs parmi les 19 bombardiers constituait « un sérieux motif de préoccupation, puisque 8 d’entre eux auront plus de 25 ans en 2020 »[70]. Trois nouveaux bombardiers devraient être acquis par la France d’ici 2025 et il semble nécessaire d’accélérer le rythme de renouvellement des appareils de détection et des canadairs les plus vétustes.

Proposition #17 : Redimensionner la gestion forestière du pays

Préserver et adapter les forêts françaises aux conséquences du changement climatique, en réalisant un diagnostic d’exposition et de vulnérabilité des massifs forestiers et des pratiques sylvicoles au regard de l’augmentation en fréquence et en intensité des incendies, des sécheresses et des tempêtes.

Préparer ou redimensionner les plans de crise et de prévention des incendies au regard du climat futur par l’utilisation notamment de drones de détection et adapter les essences au climat futur en pratiquant des coupes préventives ciblées et assurer la diversité et la résistance des espèces replantées aux ravageurs attendus du fait du changement climatique.

Redimensionner les moyens matériels d’intervention des sapeurs-pompiers et de la sécurité civile par l’accélération du renouvellement des 12 canadairs de plus de 25 ans et des aéronefs de détection.

Renforcer les moyens financiers et humains de l’Office national des forêts, de la Sécurité civile et des pompiers notamment en période estivale afin de faciliter les interventions qui deviendront de plus en plus fréquentes sur le sud-ouest, le pourtour méditerranéen et la Corse.

Figure 15 : Quelques stratégies d’adaptation pour la gestion forestière (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

IV. Adapter les infrastructures critiques et le patrimoine français au changement climatique

1) La montée du niveau des mers est une menace inéluctable pour le littoral français

Élévation du niveau de la mer : une exposition mal anticipée

Le premier volet du sixième rapport du GIEC affirme clairement que de nombreux changements dus aux émissions passées et futures de gaz à effet de serre s’avèrent irréversibles pendant des siècles, voire des millénaires. C’est notamment le cas de la fonte des calottes glaciaires et de l’élévation du niveau des mers, provoquée principalement par le réchauffement continu des océans profonds (dilatation thermique). Le GIEC estime que cette augmentation pourrait atteindre entre 60 cm et 1 m à horizon 2100 et entre 2 et 3 m à horizon 2200. Cependant, une grande incertitude entoure les projections de l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale. Cela est dû à une compréhension incomplète des mécanismes de rétroaction qui provoquent l’élévation du niveau de la mer.

En France, les projections d’élévation couplées au phénomène continu d’érosion côtière font état d’un impact fort de la montée du niveau des mers sur le pourtour atlantique ainsi que sur la pointe nord de l’Hexagone. De fait, des villes telles que Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Calais ou Le Havre seront fortement touchées, notamment par l’augmentation du risque de submersions marines dès 2050 (Figure 8). En conséquence, selon L’Évaluation nationale des risques d’inondation publiée en 2011 par le ministère de l’Écologie, la submersion marine menacerait 1,4 million de résidents français dans l’hypothèse d’une élévation du niveau de la mer de 1 mètre à l’horizon 2100.

Afin de se préparer à ses impacts, il existe déjà un Plan de Prévention des Risques Littoraux [71] qui fixent le seuil de montée des eaux auquel les acteurs locaux doivent se préparer. Ce plan choisit une valeur de référence de 60 cm d’élévation du niveau de la mer, soit la valeur la plus faible des estimations du GIEC. Cependant, ces projections prennent mal en compte l’effet des différents points de bascule comme l’effondrement probable des calottes glaciaires ou les changements brusques de la circulation océanique qui pourraient se produire à partir de seuils de réchauffement soumis à de fortes incertitudes. Le dépassement de ces points de bascule induirait alors des élévations du niveau de la mer bien plus importantes. C’est notamment pour cela que des pays frontaliers comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni dimensionnent leurs infrastructures en tenant compte d’un niveau d’élévation des mers bien plus important, de l’ordre de 2 m d’ici la fin du siècle[72].

Proposition #18 : Appliquer le principe de précaution à l’élévation du niveau de la mer

Mettre à jour le Plan de prévention des risques littoraux (PPRL) en rehaussant, à l’instar de nos voisins britanniques, belges et néerlandais le seuil attendu de montée de niveau de la mer de 60 cm à 2 m conformément à l’application du principe de précaution.

Réorienter les investissements vers les zones les moins exposées. Fonder la cartographie des zones impactées par le recul du trait de côte sur une valeur de 2 mètres d’élévation et établir l’interdiction de constructions neuves sur les zones concernées et la planification de déplacements des infrastructures publiques s’y trouvant (école, hôpital, commissariat, etc.).

Figure 16 : Impact de l’élévation du niveau des mers en France à horizon 2050 d’après la plateforme Climate Central. Ces simulations prennent à la fois en compte l’élévation moyenne du niveau de la mer à 2050, mais aussi les événements d’inondations à période de retour de 100 ans. En revanche, celles-ci ne prennent pas en compte les différentes infrastructures de protections côtières installées récemment. [73]

Des écosystèmes résilients abîmés par l’érosion des côtes

La destruction des écosystèmes côtiers (dunes, coraux, mangroves, etc.) et autour des cours d’eau (bosquets, marais, zones humides, etc.) aggrave les impacts des submersions marines. Le prélèvement excessif de sable pour la construction est responsable de l’érosion et du recul du trait de côte : par conséquent, il vient lui aussi exacerber les risques d’inondations côtières. On constate un recul du trait de côte généralisé sur le littoral français, sans pouvoir imputer cette tendance au changement climatique pour autant. L’indicateur national de l’érosion côtière informe, en effet, que près de 20 % du trait de côte naturel est en recul sur l’Hexagone[74].

Figure 17 : Évolution du trait de côte en France d’après le rapport 2022 du Haut Conseil pour le Climat

Redimensionner le zonage et appliquer le retrait des zones condamnées

Pour s’adapter à cette tendance irréversible, l’urbanisation des territoires littoraux doit être revue en profondeur. Il est nécessaire d’éviter les constructions le long des côtes en prenant une valeur d’au moins 2 mètres comme référence d’élévation du niveau de la mer. La montée du niveau de la mer réduit progressivement la zone située au large des structures de défense. Les défenses dites « dures » (digues, épis) peuvent également modifier les schémas de transport de sédiments le long des côtes, augmentant l’érosion et le recul du littoral sur les zones non couvertes par les défenses. Le déplacement des infrastructures et des logements apparaît lui aussi nécessaire dans de nombreux cas et ne doit plus être un sujet tabou pour les mairies qui doivent être aidées financièrement et opérationnellement pour mener à bien ces processus difficiles.

Proposition #19 : Organiser la relocalisation des activités

Redimensionner le zonage des espaces urbains concernés par l’élévation du niveau de la mer et adapter les procédures de retrait des infrastructures et logements à une valeur d’élévation de la mer de 2 mètres au lieu de 60 cm. Ainsi, anticiper les solutions de relocalisation en concertation avec les citoyens et les autres collectivités. Évaluer les coûts financiers de ces relocalisations et avoir recours à des dispositifs d’aide de l’État, notamment le fonds Barnier pour déployer opérationnellement ces mesures.

Planifier l’avenir des zones non viables du fait du recul de trait de côte notamment par la restauration des zones humides et l’implantation de solutions fondées sur la nature comme les mangroves.

Déployer les solutions fondées sur la nature pour s’adapter à la montée du niveau des eaux

De même, la protection et la restauration des zones humides et des mangroves s’avèrent être des solutions naturelles de protection contre les inondations côtières. En plus de leur nécessaire préservation (l’étendue des mangroves diminue généralement de 0,2 à 0,4 % par an dans le monde[75]), la généralisation de l’utilisation d’habitats côtiers naturels représente une protection efficace face au risque accru d’inondations et de tempêtes, ainsi qu’un avantage en termes de biodiversité. Enfin, la stabilisation des dunes et cordons dunaires par la végétation et les structures dures, telles que les digues, apparaissent aussi comme une option d’adaptation pertinente (Figure 18).

Figure 18 : Quelques stratégies d’adaptation face aux inondations côtières (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

Si certaines solutions de construction sont parfois pertinentes, elles conduisent généralement à de la mal-adaptation. La construction de barrages ou d’espaces de stockage d’eau peut être une bonne option pour assurer la prévention des inondations, mais ces constructions peuvent aussi perturber le mouvement naturel de l’eau et ainsi modifier les localisations menacées par les inondations et aggraver leurs niveaux extrêmesDe même, la construction de défenses côtières dures comme des digues entraînent un « resserrement du littoral », c’est-à-dire une réduction de la surface disponible pour les habitats naturels (principalement la végétation, comme les marais salants ou les mangroves) qui atténuent pourtant les vagues pendant les tempêtes.

Proposition #20 : « Renaturer » les écosystèmes littoraux pour faire face au recul du trait de côte

Sur les territoires littoraux, planifier la protection et la restauration des espaces côtiers naturels notamment les zones humides, les mangroves, les dunes ou les cordons dunaires afin d’assurer une meilleure résistance aux inondations côtières et aux tempêtes.

Limiter strictement les prélèvements de sable pour les activités de construction à proportion de l’exposition du risque local d’élévation du niveau de la mer sur le territoire.

2) Le retrait-gonflement des argiles : une menace grave pour le bâti existant

Une exposition régulièrement réévaluée à la hausse

La répétition des événements de sécheresse, en plus de ses conséquences agricoles, met en danger un certain nombre d’habitations et d’infrastructures par le phénomène de retrait–gonflement des argiles. La consistance des sols argileux se modifie en fonction de leur contenu en eau. Humidifié, un sol argileux est souple (gonflement), alors que desséché, il sera dur et cassant (retrait), ce qui implique des changements de volume importants d’une période à une autre.

Par l’augmentation de la fréquence et l’intensité de ces vagues de sécheresse, le changement climatique accroît l’amplitude du phénomène de retrait des argiles et met ainsi en danger un nombre de plus en plus significatif d’infrastructures par le craquement des sols qui les supportent ou la fissuration des façades qui les composent. Un recensement du ministère de la transition écologique estime que plus de 10,4 millions de maisons individuelles sont potentiellement très exposées à ce type d’événement du fait de la structure des sols qui les soutiennent et des matériaux qui les composent (Figure 19)[76].

Figure 19 : Part des maisons individuelles construites après 1976 exposées au retrait-gonflement d’argiles d’après le recensement de ministère de l’Écologie

Les routes sont concernées par les mêmes risques. Pendant les vagues de sécheresse prolongées, des fissures et des déformations d’ampleur peuvent apparaître sur la chaussée et mettre en danger les usagers[77]. La tour de France 2022 avait d’ailleurs été l’occasion de plusieurs scènes marquantes d’arrosage des routes pour permettre à la course de se poursuivre dans de bonnes conditions[78].

Un enjeu de maturité dans la compréhension du risque et l’accompagnement des populations touchées

Les potentiels sinistrés sont peu informés sur leur exposition au retrait gonflement des argiles ainsi que sur les dispositifs d’accompagnement en cas de sinistre. Lorsqu’ils sont confrontés au phénomène, les habitants ne connaissent pas forcément les procédures d’indemnisation et d’accès aux aides exceptionnelles qu’ils pourraient toucher, dans le cas où l’événement serait considéré comme une catastrophe naturelle par les autorités. Il convient alors d’améliorer considérablement la cartographie des zones potentiellement concernées au niveau local, afin de cibler les dispositifs de sensibilisation sur les propriétaires de maisons vulnérables et les accompagner dans les procédures de prévention du risque ou de dédommagement. Ensuite, les procédures de dédommagement doivent être conditionnées à une reconstruction adaptée aux nouvelles conditions climatiques, la reconstruction à l’identique ne pouvant que conduire à un accident similaire à court ou moyen terme.

Proposition #21 : Accompagner les populations face aux dégâts des retraits gonflement des argiles.

Adjoindre à la cartographie des risques du territoire un volet sur la question du retrait gonflement des argiles permettant de caractériser localement les infrastructures fortement exposées (maison individuelle, bâtiments, infrastructures, réseaux et voirie).

Doter, en conséquence, les particuliers et les gestionnaires d’infrastructures des moyens de connaître leurs vulnérabilités par la réalisation de campagnes de sensibilisation ciblées sur les zones les plus menacées et la mise à disposition d’outil de diagnostic via une plateforme en ligne.

Simplifier et automatiser la caractérisation en tant que catastrophe naturelle et l’accès aux fonds de dédommagement par la simplification et l’accompagnement actif des sinistrés dans les procédures de demande. Amender le dispositif d’accompagnement CatNat, en y excluant la possibilité d’effectuer une reconstruction à l’identique et définir de nouvelles caractéristiques de constructions obligatoires pour avoir accès au financement des travaux.

Stimuler l’innovation pour faire face structurellement au phénomène de retrait gonflement des argiles

Bien que certaines solutions techniques soient trop récentes ou manquent encore d’efficacité, elles peuvent être déployées pour limiter la vulnérabilité d’infrastructures menacées. Testée à l’échelle d’une maison d’essai, l’expérimentation du CEREMA de Maison Confortée par Humidification permet de maintenir l’humidité au niveau des fondations de la maison par une hydratation via les eaux de pluie. Les résultats de 4 ans d’expérimentation s’avèrent satisfaisants. La solution serait déployable rapidement pour un coût modeste d’environ 15 000 euros par maison.

De même, en partenariat avec la Région Centre-Val de Loire, le CEREMA travaille au déploiement de nouvelles solutions d’entretien de la chaussée, les techniques traditionnelles de réparation de la route étant inefficaces face au phénomène de retrait-gonflement des argiles. Ces solutions consistent à agir à la fois sur la structure de la chaussée pour ralentir la propagation de fissure, mais aussi sur l’environnement proche pour limiter l’évapotranspiration autour, et enfin sur la profondeur du sol par des traitements visant à renforcer la rétention des eaux dans le sol[79].

Plus généralement, l’innovation joue un rôle central dans la maîtrise de la vulnérabilité du parc résidentiel au retrait-gonflement des argiles. Il apparaît prioritaire de stimuler la recherche dans ce secteur en soutenant financièrement l’expérimentation et le déploiement de ces initiatives.

Proposition #22 : Encourager l’innovation technique pour la résilience du bâti face au retrait-gonflement des argiles

Poursuivre et massifier les expérimentations menées par le CEREMA sur les dispositifs de renforcement de la résilience des habitations et de la voirie (Maison confortée par humidification et partenariat avec la région Centre-Val de Loire pour l’entretien de la voirie).

Généraliser le déploiement des solutions fonctionnelles et équiper les programmes de renouvellement d’habitation et d’infrastructures existantes de moyens d’ingénierie leur permettant d’intégrer le risque de retrait gonflement des argiles à la conception des opérations qu’ils soutiennent.

Conclusion

Pour beaucoup, la brutalité de l’été 2022 a marqué une prise de conscience des effets du changement climatique sur leur vie quotidienne : aujourd’hui, une grande majorité de la population se déclare particulièrement préoccupée par les conséquences d’un climat bouleversé par l’activité humaine[80]. La période estivale a aussi révélé l’impréparation du pays aux vagues de chaleur, de sécheresse et aux inondations qui se multiplieront dans les années à venir. Après des décennies de déni et d’inaction climatique, le danger est désormais tangible et connu de tous et toutes et la dérive climatique va durablement affecter la qualité de vie en ville, la pérennité de notre modèle de production agricole et la viabilité de nos infrastructures.

Face à ses changements brutaux, le pays devra nécessairement s’adapter. Nous devons nous interroger : quelle forme d’adaptation voulons-nous collectivement mettre en place ? Sans planification et sans anticipation des crises, l’adaptation sera douloureuse, inégalitaire et climaticide. Une réponse purement limitée à la gestion de l’urgence conduira, par exemple, à l’octroi de ressources budgétaires colossales pour la gestion de crises graves, à la hausse des frais d’assurance excluant les plus précaires des dispositifs de couverture, au déploiement massif de climatisations chez les particuliers, ou encore à la reconstitution des réseaux primordiaux (eau, électricité) sous forme partiellement privés. Cette forme d’adaptation essentiellement réactive laissera de côté la majorité de la population et prolongera un modèle destructeur du climat et de la cohésion sociale.

Pourtant, il existe un autre chemin qui replace la décision publique au cœur de nos choix sociétaux pour organiser une adaptation systémique et juste. Mettre la France sur la voie d’un développement résilient ne pourra se faire sans planification éclairée. Cette adaptation doit s’appuyer sur des solutions fondées sur la nature et sur des investissements massifs et territorialisés. Les objectifs de l’Accord de Paris et la dépendance actuelle de la France aux énergies fossiles exigent d’articuler cette politique d’adaptation avec une réelle stratégie de décarbonation. Les gestions de crise devront être accompagnées d’une sensibilisation des populations aux conséquences des aléas attendus pour bâtir une culture commune du risque climatique. La mise en place d’une force d’intervention citoyenne s’avérera décisive pour porter secours aux populations sinistrées, remettre en état les réseaux, les services publics et les infrastructures détruites. Pour piloter le déploiement de ces moyens d’anticipation, de prévention et de gestion de crise, il sera nécessaire d’articuler les différents échelons de la puissance publique avec les citoyens et les entreprises au sein d’un grand projet de transformation.

Placé au cœur de la République écologique, ce grand projet de résilience couplant atténuation et adaptation permet de déjouer les effets démobilisateurs du catastrophisme ou de la sidération face à des événements qui deviendront de plus en plus anxiogènes. L’adaptation met l’accent sur la capacité d’action face à des crises désormais inéluctables, mais sur lesquelles il est encore possible d’agir, à condition de ne pas verser dans l’attentisme, la minimisation des enjeux ou la toute-puissance. Le chemin vers la résilience, couplant anticipation, planification et entraide suscite ainsi une revitalisation du concept d’intérêt général et justifie la réappropriation collective du temps long par un sursaut essentiel à notre survie en tant que société libre, égalitaire et solidaire.

Un grand merci aux relectrices et relecteurs qui ont permis d’améliorer grandement la qualité de cette note et en particulier à Morgane Gonon, Chloé Ridel, Tiphaine Langlois, Lolita Augay, Laurent Dicale, Pierre Gilbert et César Dugast.

[1] Citation issue du 2ème volet du 6ème rapport du GIEC : « Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability » ; Février 2022

[2] Equilibre entre les émissions anthropiques et les capacités de séquestration des puits de carbone au niveau planétaire

[3] Existe-t-il vraiment une inertie climatique de 20 ans ? Bon Pote, juillet 2021

[4] Forçage radiatif : définition, origines et impact sur le climat, youmatter, juin 2020

[5] Sur des échelles de temps plus longues, du millier à la centaine de milliers d’années, il faut également prendre en compte un troisième moyen : l’altération des silicates et carbonates des roches comme mécanisme d’élimination.

[6] Carbon dioxide and climate impulse response functions for the computation of greenhouse gas metrics: a multi-model analysis, Joos et al, 2013

[7] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[8] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[9] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[10] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[11] Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France de combien parle-t-on ?; I4CE ; Juin 2022

[12] L’adaptation dans le budget de l’état ; I4CE, Novembre 2020

[13] Stratégie de Résilience des territoires ; The Shift Project ; 2022

[14] Copernicus: Summer 2022 Europe’s hottest on record?, Copernicus, septembre 2022

[15] La canicule a causé « vraisemblablement » 11 000 morts en France ; Reporterre ; septembre 2022

[16] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[17] Le Haut Conseil pour le Climat définit une vague de chaleur comme une période où la température maximale est supérieure de plus 5°C à la normale (1976/2005) pendant 5 jours consécutifs.

[18] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[19] L’ozone des basses altitudes, une épée à double tranchant, Carbone 4, Avril 2022

[20] Toujours plus d’habitants dans les unités urbaines, INSEE, Octobre 2020

[21] Artificialisation des sols, Ministère de la Transition Ecologique, Janvier 2022

[22] Sommés de partir, les jardiniers d’Aubervilliers résistent au Grand Paris, Reporterre, Juillet 2021

[23] Proposition commune avec le Shift Project formulée dans le rapport Stratégie de Résilience des territoires ; The Shift Projet ; 2022

[24] Habiter dans une société bas-carbone, The Shift Project, Octobre 2021

[25] L’albédo est une grandeur physique qui caractérise le pouvoir réfléchissant d’une surface : plus celui-ci est fort (couleur blanche) moins l’énergie solaire sera absorbée par la surface concernée traduisant un refroidissement de l’intérieur du bâtiment.

[26] 2% pout 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050 ; Institut Rousseau ; Mars 2022

[27] Habiter dans une société Bas Carbone ; The Shift Project ; Octobre 2021

[28] Comment accélérer la rénovation énergétique des logements ?, France Stratégie, Octobre 2020

[29] L’étiquette énergétique d’un bâtiment ou d’un logement indique, suivant les cas, soit la quantité d’énergie effectivement consommée, sur la base de factures, soit la consommation d’énergie estimée pour une utilisation standardisée.

[30] Le free-cooling consiste à organiser des systèmes de ventilation naturelle dans le bâtiment en créant naturellement des mouvements d’air pour que l’air extérieur vienne refroidir les locaux.

[31] Rapport annuel 2022- Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat ; Juin 2022

[32] Rapport Annuel 2022 – Dépasser les constats, Mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat, Juin 2022

[33] Climate change and insurance: What effect will it have on claims between now and 2050? ; Covéa White Paper, Janvier 2022

[34] Inondations : au moins 191 morts en Allemagne et en Belgique, encore des centaines de disparus, Le Parisien, Juillet 2021

[35] Inondations dans la vallée de la Roya : les habitants tentent de surmonter le traumatisme, Reporterre, Novembre 2020

[36] La France fait partie des rares pays en Europe à s’être dotés d’un dispositif garantissant aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités territoriales une indemnisation des dommages matériels causés par un phénomène naturel. Par la loi du 13 juillet 1982, elle instaure un régime spécifique d’indemnisation, sous forme de partenariat public-privé, le régime « CatNat » pour pallier une carence de couverture des risques naturels.

[37] Sécheresse : « Plus d’une centaine de communes n’ont plus d’eau potable », annonce le gouvernement ; France Bleu ; Août 2022

[38] « Nos plantes crèvent » : dans la Drôme, les paysans abattus par la sécheresse ; Reporterre ; Juillet 2022

[39] Grillakis MG. (2019) Increase in severe and extreme soil moisture droughts for Europe under climate change. Science of The Total Environment 660:1245–1255.

[40] Rapport 2022 : Dépasser les constats mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat ; Juillet 2022

[41] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[42] Conflits d’usage lors de pénuries d’eau : audition par la mission d’information parlementaire et réutilisation des eaux usées traitées ; CEREMA ; Août 2020

[43] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[44] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[45] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[46] Le scénario Afterres 2050, Solagro, 2016

[47] + 1 degrés celsius = – 6% de rendement en blé, Terre-net Média, septembre 2017

[48] Le revers de notre assiette. Changer d’alimentation pour préserver notre santé et notre environnement, Solagro, 2019.

[49] Quelques chiffres clés sur la consommation d’eau en élevage bovin, Web-agir, Avril 2020

[50] Vers la résilience alimentaire ; Les Greniers de l’Abondance, 2020

[51] Figure issue de : « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[52] Les facteurs de stress non climatique des sols peuvent par exemple correspondre à la surutilisation de pesticides, le recours à des pratiques de labour qui tassent les sols ou encore les différents types de pollutions qui peuvent les impacter

[53] Trop lourdes, les machines agricoles étouffent les sols, Reporterre, mai 2022

[54] Qu’est-ce que l’agriculture écologiquement intensive ?, conférence de Michel Griffon, 2013

[55] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[56] La souveraineté alimentaire de la France en quatre questions, Hélène Gully, Avril 2020

[57] L’outil CRATer est un outil de visualisation du diagnostic de résilience alimentaire pour chaque territoire de France. Il est directement accessible sur le site : https://crater.resiliencealimentaire.org/

[58] Outil CRATer, Calculateur de résilience alimentaire des territoires ; Greniers d’abondance

[59] Note de position #12 Autonomie alimentaire des villes, Utopies, 2017

[60] Tome II – Agir – Stratégies de résilience des territoires, The Shift Project, Décembre 2021

[61] En France, 20% de l’eau potable fuit dans la nature et le plan de relance verte doit y remédier ; Novethic ; juillet 2020

[62] Face aux incendies, les parlementaires réclament plus de forestiers, Reporterre, Août 2022

[63] Rapport de la mission interministérielle : Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts ; Ministère de la transition écologique ; 2021

[64] Risque maximal de feu de forêt en Picardie ; L’Aisne nouvelle ; Juillet 2022

[65] 130 hectares partis en fumée dans la Somme en juillet, les pompiers en alerte face aux fortes chaleurs des prochains jours ; France 3 région ; Juillet 2022

[66] Canicule en Bretagne : plus de 300 hectares ravagés par un important incendie dans les Monts d’Arrée ; RTL ; Juillet 2022

[67] L’État détruit l’Office national des forêts, ses agents se rebellent ; Reporterre ; Novembre 2021

[68] Mégafeux : la France pourrait aussi être touchée ; Reporterre ; Janvier 2020

[69] La flotte aérienne française de lutte contre les incendies est-elle la plus importante d’Europe, comme le dit Darmanin? ; Libération ; Juillet 2022

[70] Sécurité Civile : un indispensable renforcement des moyens nationaux face à la multiplication des crises ; Senat ; Novembre 2022

[71] Adaptation de la France au changement climatique, Ministère de l’écologie, Janvier 2021

[72] Changement climatique et montée du niveau de la mer. L’expertise du GIEC sous estime-t-elle le risque ? ; Pascal Maugis UVSQ Paris-Saclay ; Septembre 2020

[73] Base de données : Climate Central

[74] GéoLittoral : Indicateur national de l’érosion côtière ; Ministère de la Transition Ecologique ; Juillet 2022

[75] Rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021

[76] Nouveau zonage d’exposition au retrait-gonflement des argiles : plus de 10,4 millions de maisons individuelles potentiellement très exposées ; Ministère de la transition écologique ; juin 2021

[77] Phénomène de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) : définitions, impacts sur les ouvrages et les personnes et solutions d’adaptation au changement climatique, CEREMA, Avril 2022

[78] Tour de France : les organisateurs justifient l’utilisation de 10.000 litres d’eau pour arroser les routes ; Europe 1 ; Juillet 2022

[79] Phénomène de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) : définitions, impacts sur les ouvrages et les personnes et solutions d’adaptation au changement climatique, CEREMA, Avril 2022

[80] Quatre Français sur cinq convaincus de l’importance d’agir contre le changement climatique ; Le Monde ; Juillet 2022

Publié le 8 novembre 2022

Comment s’adapter à la crise climatique ?
Placer la France sur la voie d’un développement résilient

Auteurs

Ilian Moundib
Ilian Moundib est ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique. Diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et titulaire d’un master de science physique de l’Imperial College de Londres. Il est consultant, conférencier et formateur indépendant sur les questions d’adaptation aux risques climatiques. Il accompagne de grands acteurs publics comme privés sur ces sujets cruciaux. Membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau, il a publié trois notes à destination des pouvoirs publics français portant sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique, l’adaptation de la France au changement climatique et le déploiement de la sobriété numérique. Ilian est l’auteur d’une formation en ligne de 10h dispensée sur la plateforme Sator.fr intitulée «Construire l'adaptation climatique - Les enjeux et méthodes de l’adaptation du territoire au changement climatique » . Cette masterclass transmet de manière inédite les notions et les outils d'une adaptation efficace au changement climatique sur nos territoires de France. Villes, agriculture, infrastructures, industrie, énergie, littoraux, forêts, montagnes… Le cours parcourt les méthodes comme les opportunités qui permettront de construire ensemble la véritable résilience à toutes les échelles. Ilian est régulièrement sollicité pour dispenser des conférences grand public, comme à l’Ecole Centrale de Lyon, à l’Académie du climat ou à Produrable ainsi que des formations et ateliers collaboratifs dans un cadre professionnel. En tant que consultant indépendant sur la question de l’adaptation au changement climatique et de la résilience des organisations : il intervient régulièrement dans la réalisation d’étude de risques climatiques physiques et de risques de transition dans le but de diagnostiquer l’exposition et la vulnérabilité de tous types d’acteurs. Habitué à l’usage des modèles climatiques et des cadres réglementaires RSE comme la CSRD, il utilise cette phase de cartographie et d’analyse par scénario pour proposer une quantification des pertes potentielles (coût de l’inaction) et la mise en place de plans de résilience visant à réduire la vulnérabilité de l’acteur en question. La connaissance des sujets liés à l’eau, la biodiversité, les ressources fossiles et métalliques permet de donner un caractère complet et systémique à ses analyses de résilience. Ensuite, il s’est spécialisé sur la question de l’empreinte climatique du numérique et de la mise en application de la sobriété carbone du secteur. Il a ainsi pu mettre sur pied l’un premier modèle d’évaluation de l’impact climatique lié aux différentes étapes du transfert de l’information pour le compte de la société EcoAct pour laquelle il a travaillé 4 ans. Il a également eu l’occasion de publier de nombreuses notes sur le sujet dont une pour l’Institut Rousseau. Finalement, il possède aussi une solide expérience des diagnostics d’émissions des gaz à effet de serre des organisations (Bilan Carbone® et GHG Protocol) ainsi que dans l’établissement de trajectoire de réduction compatible avec les budgets carbone du GIEC. Il se trouve également être formateur pour La Fresque de Climat, et des Ateliers de l’adaptation au changement climatique (AdACC), ateliers de sensibilisation qu’il anime régulièrement.

En dépit des alertes incessantes formulées année après année, les émissions mondiales de gaz à effet de serre poursuivent leur irrésistible croissance, dégradant chaque jour un peu plus le climat et les écosystèmes qui ont permis le développement des activités humaines. Dans le même temps, les conséquences se manifestent de plus en plus brutalement dans le monde et en particulier en France qui a connu son deuxième été le plus chaud jamais enregistré en 2022. Pics de température dépassant régulièrement les 40°C, niveau de sécheresse jamais enregistré, pluies diluviennes responsables d’inondations… l’année 2022 a, une nouvelle fois, fait ressentir les prémices d’un avenir climatique chaotique. Le changement climatique se trouve, à présent, dans sa phase irréversible ce qui signifie qu’un arrêt des émissions stopperait effectivement la dérive sans permettre le retour au climat passé. Autrement dit, il n’est pas exagéré de dire que, même dans les scénarios les plus optimistes, l’été 2022 va constituer la nouvelle norme. La France va, de fait, connaître sur l’intégralité de son territoire une augmentation généralisée des risques climatiques mettant en danger les populations qui y sont exposées et venant disloquer les réseaux et les infrastructures des territoires concernés.

L’augmentation de la fréquence d’apparition, de la longueur et de l’intensité des vagues de chaleur va placer en état de stress thermique prononcé les espaces urbains, engendrant ainsi inconfort, mise en danger des plus fragiles et surconsommation énergétique. Le changement climatique aura pour effet d’exacerber les deux extrêmes du cycle hydrologique. D’un côté, la sécheresse généralisée menace de reconfigurer brutalement le système agricole, de conduire à des conflits d’usage et des rationnements de plus en plus réguliers de l’eau. De l’autre, les précipitations extrêmes notamment sur le sud et l’est du pays, ruisselant sur un tissu urbain fortement artificialisé vont désormais forcer un déploiement fréquent des forces d’intervention (pompiers, militaires) pour porter assistance aux populations touchées et remettre en état les réseaux primordiaux (eau, électricité). L’élévation du niveau des mers, les feux de forêt ainsi que le phénomène de retrait / gonflement des sols argileux vont, eux aussi, avoir une incidence majeure sur l’organisation des activités du pays, forçant le déplacement de certaines activités ou la reconstruction d’infrastructures détruites et donc les migrations temporaires ou définitives associées.

Ce constat, particulièrement inquiétant, ne doit pas pour autant paralyser, mais au contraire servir de socle de refondation à l’action climatique. Le traitement de la cause, c’est-à-dire, la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste bien entendu fondamentale pour éviter les conséquences les plus dramatiques du réchauffement. Cependant, il apparaît essentiel d’y adjoindre le traitement des conséquences, c’est-à-dire l’adaptation au changement climatique comme une brique d’égale d’importance de la transformation que nous devons opérer.

Ainsi, en parallèle d’une politique de réduction drastique des émissions, la France doit se doter d’une réelle stratégie de résilience afin de limiter l’impact du bouleversement climatique qui s’amorce. Cette stratégie devra s’articuler autour de trois piliers. D’abord, l’anticipation des risques par la modélisation climatique des différents futurs possibles et par la compréhension fine des vulnérabilités aux aléas attendus. Ensuite, la prévention des risques par des investissements massifs pour limiter la vulnérabilité des populations, des infrastructures et des écosystèmes aux nouvelles normes climatiques. Finalement, la gestion de crise qui se donne pour objectif de structurer les modes d’interventions et dispositifs de secours lors de catastrophes qui s’avéreront plus fréquentes et plus violentes. Ainsi, comme le réclame le GIEC, « une planification et l’investissement intégrés et inclusifs dans la prise de décision quotidienne »[1] peuvent permettre de limiter les effets attendus du changement climatique pour le pays et ancrer sa trajectoire au sein d’un développement sobre et résilient compatible avec les limites planétaires. Cette note propose donc un panorama des risques climatiques en France hexagonale pour ensuite décrire les enjeux de l’adaptation et formuler 22 propositions concrètes esquissant les contours d’une planification résiliente au service de l’intérêt général.

I. De l’urgence de l’adaptation en France : anticiper et planifier

1) Anticiper le risque climatique : un impératif

Le changement climatique : « un voyage sans retour »

La réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiale sera-t-elle suffisante pour prémunir la France des effets du changement climatique ? La question du devenir du climat une fois la neutralité carbone[2] atteinte, a fait l’objet de recherches récentes et un consensus scientifique a mis du temps à émerger[3]. Le dernier rapport du GIEC affirme dans son résumé aux décideurs qu’un arrêt des émissions entraînerait une stabilisation des niveaux de température actuels. Ainsi, cela signifierait bien un arrêt du réchauffement au niveau verrouillé par nos émissions passées. En revanche, cet arrêt ne signifie en aucun cas un retour en arrière : le climat passé est, donc, perdu à jamais et plus l’ordre économique actuel poussera à la combustion des énergies fossiles restantes plus elle éloignera le climat futur de celui qui a permis l’implantation des activités et réseaux collectifs qui sous-tendent nos conditions d’existence matérielle.

L’explication tient dans la nature chimique de la molécule de CO2 principal gaz à effet de serre (environ 70% du forçage radiatif anthropique[4]) et des mécanismes d’accumulation dans l’atmosphère.  Produite par la combustion d’énergie fossile, celle-ci ne peut être éliminée de l’atmosphère que par deux phénomènes : la photosynthèse via un contact de surface avec un végétal en respiration ou l’absorption par l’océan via un phénomène de vase communicant appelé pompe physique océanique. Or, ces deux dynamiques d’élimination se déroulent sur des périodes particulièrement longues, de l’ordre du siècle, voire du millénaire[5]. De fait, une molécule de CO2 émise aujourd’hui aurait une durée de vie de l’ordre du millier d’années au contraire d’autres gaz à effet de serre comme le méthane détruit beaucoup plus rapidement via d’autres processus physico-chimiques (12 ans). Ainsi, même si l’on n’émettait plus une seule molécule de CO2 demain, il faudrait un siècle pour éliminer 50 % du stock précédemment accumulé, un millénaire pour en voir disparaître 75 % et 10 000 ans pour qu’il en reste encore 10 % (Figure 1). En utilisant la richesse des solutions fondées sur la nature, il est possible de stimuler l’effet des puits de carbone naturels par la reforestation, l’afforestation ou la reconstitution d’espaces naturels marins (mangroves, coraux), mais l’effet sur la stagnation du CO2 dans l’atmosphère restera minime (la photosynthèse représentant environ 15 % du carbone évacué).

Figure 1 : Mécanisme d’élimination du CO2 dans l’atmosphère  [6]

Il est décisif de remarquer par ailleurs que de nombreux changements dus aux émissions passées sont, à présent, irréversibles. C’est le cas de la montée du niveau global des océans, désormais en marche sur plusieurs siècles, ou de la fonte de certaines calottes glaciaires ne pouvant plus être stoppée. Ainsi, chaque gramme de CO2 émis dans l’atmosphère éloigne le climat des conditions qui ont permis la sédentarisation et le développement des organisations socio-économiques actuelles. Un arrêt des émissions mettrait à terme à cette dérive, mais ne permettrait en aucun cas le retour aux conditions d’un climat passé. Les niveaux de sécheresse et de température de 2022 constituent, toutes choses égales par ailleurs, dans le scénario le plus optimiste de réchauffement, la nouvelle normalité. En conséquence, l’enjeu est, à la fois, de limiter au maximum la dérive en cours, mais aussi d’y adapter le fonctionnement de nos sociétés.

Définition et concepts clefs du risque climatique

L’accumulation de carbone dans l’atmosphère va, de fait, se traduire par une augmentation croissante des risques pour les organisations humaines. L’anticipation de leurs impacts sur les populations, les écosystèmes et les infrastructures n’est possible que par une compréhension précise de leur nature. Cette notion de risque climatique se définit classiquement à l’intersection de trois éléments (Figure 2) :

  • Un aléa climatique d’abord, c’est-à-dire un événement météorologique susceptible d’engendrer des dommages (vague de chaleur, inondation ou sécheresse par exemple) ;
  • Une exposition, qui représente le degré auquel le système ressent la contrainte imposée par l’aléa (par exemple, les territoires littoraux seront exposés à l’aléa inondation côtière alors que cela ne sera pas le cas pour une région intérieure) ;
  • Une vulnérabilité qui, quant à elle, se définit comme le degré auquel le système est sensible à l’effet néfaste de l’aléa en question (par exemple, les travailleurs sur un chantier seront bien plus vulnérables aux vagues de chaleur que des salariés travaillant dans un bureau équipé de climatisation).

Le risque climatique se quantifie à la rencontre d’un aléa et du croisement de deux variables, l’une étant fonction de l’évolution physique du climat – l’exposition – et l’autre du mode d’organisation – la vulnérabilité. Répondre aux risques climatiques implique donc de réduire les émissions carbone pour limiter l’exposition à des aléas, et penser l’adaptation pour réduire la vulnérabilité des systèmes aux conséquences de ceux-ci.

Figure 2 : Définition du risque climatique par le Haut Conseil pour le Climat [7]

2) L’adaptation au service d’une planification résiliente
Définition et concepts clés de l’adaptation au changement climatique

Dans un climat qui dérive, la gestion des crises ne peut se réduire à des réponses « réactives ». Il est nécessaire d’adopter une logique d’anticipation utilisant l’analyse par scénario et les connaissances sur le changement climatique attendu au cours des prochaines décennies pour se préparer : c’est le but de l’adaptation.

Le Haut Conseil pour le Climat en définit, alors, trois typologies dans son rapport de juin 2021, intitulé Renforcer l’atténuation, Engager l’adaptation (Figure 3). D’abord, il existe l’adaptation réactive qui correspond à une réponse directe à un aléa mal anticipé sans modifier durablement le niveau de résilience du système. L’adaptation réactive s’apparente le plus souvent à de la mal-adaptation via, par exemple, le recours massif à la climatisation en période de vague de chaleur. Il existe ensuite l’adaptation systémique « qui modifie le système au-delà de l’ajustement marginal, sans en changer toutefois la nature ou l’organisation fondamentale »[8]. Cette adaptation systémique se caractérise par des investissements significatifs pour diminuer la vulnérabilité de du système. Pour l’illustrer, le Haut Conseil pour le Climat donne l’exemple de l’installation d’une pièce rafraîchie dans une maison de retraite pour faire face aux vagues de chaleur. Enfin, reposant sur des transformations structurelles, l’adaptation transformative change profondément la nature du système conduisant à sa bifurcation. Ce mode d’adaptation appelle alors à la fois à des investissements massifs, mais aussi à des changements profonds de mode d’organisation. Ces mesures peuvent, par exemple, concerner la modification des règlements thermiques, le changement des régimes alimentaires, des types de cultures ou la modification des horaires de travail et des normes d’habillement, comme l’évoque le Haut Conseil[9].

Figure 3 : Typologie d’adaptation d’après le Haut Conseil pour le Climat[10]

Prospective, planification résiliente et gestion de crise

La mise en place de mesures d’adaptation structurelles et transformatives exige de raisonner à partir des conséquences locales du changement et donc à l’échelle des territoires, mais également, en mutualisant les moyens d’action face à des menaces souvent trop grandes pour être affrontées sans le soutien de la puissance publique nationale.

Proposition #01 : Diagnostiquer la résilience du territoire

Réaliser, à l’échelle régionale, un diagnostic d’exposition et de vulnérabilité climatique des réseaux critiques, des infrastructures, des populations, des zones agricoles et des forêts en impliquant fortement les Groupes régionaux d’évaluation climatique (GREC).

Intégrer les résultats de cette revue de résilience au sein des plans climat locaux (SRADET, PCAET, etc.), des documents de planification et de contractualisation des marchés publics et déployer un moratoire sur les constructions d’infrastructure augmentant significativement le niveau de vulnérabilité du territoire aux aléas climatiques diagnostiqués comme les plus matériels.

L’urgence climatique pousse alors à élaborer de façon transversale une réelle stratégie nationale d’adaptation adossée à une logique de planification construite à partir du diagnostic local de risque. Celle-ci devra décliner territorialement des objectifs précis de réduction de vulnérabilité appuyée sur la science du climat, des jalons temporels compatibles avec la croissance rapide de l’exposition aux aléas, des indicateurs de progression, et des moyens de financement à la hauteur du niveau de risque.

De façon similaire, l’anticipation des bouleversements structurels engendrés par la crise climatique doit trouver sa place au sein du monde économique, très peu mature sur le sujet. Pour assurer sa pérennité, chaque entreprise doit se doter d’une vision prospective, appuyée par la science du climat, des différents risques physiques pouvant impacter son secteur. Fort de ce diagnostic, chaque acteur pourra alors élaborer, de façon concertée, une réelle stratégie d’adaptation incorporant, d’un côté, un volet de planification des investissements permettant de limiter structurellement sa vulnérabilité tout le long de sa chaîne de valeur, mais aussi un volet de gestion de crise mettant au cœur des plans de continuité d’activités les conséquences, souvent brutales et inattendues, de la crise climatique.

Proposition #02 : Mettre en place une feuille de route adaptation-résilience dans les collectivités comme dans les entreprises et assurer son suivi

Mettre en place, dans chaque collectivité, une feuille de route adaptation-résilience qui, forte du diagnostic de risque climatique, formalisera une stratégie d’adaptation, incluant un volet de planification et un volet de gestion de crise ainsi qu’une batterie d’indicateurs de suivi.

Imposer à chaque entreprise de réaliser une analyse de risques climatiques sur l’intégralité de sa chaîne de valeur dans le but de définir une feuille de route adaptation résilience. Ce document devra comporter, en plus des résultats de l’analyse de risque un volet de planification des investissements permettant de limiter structurellement la vulnérabilité de sa chaîne de valeur, mais aussi un volet de gestion de crise mettant au cœur des plans de continuité d’activités les conséquences, souvent brutales et inattendues, de la crise climatique.

Organiser des espaces de discussion et de coordination entre les collectivités locales et les acteurs économiques pour assurer la compatibilité des feuilles de route. Via ses espaces, cartographier les offres d’ingénierie territoriales à destination des collectivités afin d’assurer la collaboration vertueuse entre les acteurs dans le déploiement opérationnel de ces plans.

Le changement climatique est irréversible et déjà tangible : cette stratégie aura donc pour objectif de renforcer et d’évaluer les actions d’information et de formation afin de développer une « culture du risque climatique et de l’adaptation ». De plus, si l’effort de prévention des risques doit être premier par la sensibilisation des populations et la réorganisation des activités, le dérèglement climatique va confronter le pays de façon récurrente à des situations de crise d’ampleur non connues à ce jour. De fait, le besoin d’adaptation nécessite une refondation des doctrines d’intervention d’urgence. Moyens humains et matériels devront être renforcés pour, par exemple, la mise en place d’une force d’intervention écologique constituée de civils, militaires, secouristes et pompiers formés à l’accompagnement des populations sinistrées et à la remise en état des infrastructures et réseaux critiques.

Proposition #03 : Se préparer à la crise permanente

À l’échelle locale, construire des plans de gestion de crise et des dispositifs d’information des citoyens pour faire face aux chocs climatiques. Organiser notamment des exercices réguliers de mise en situation, afin de mettre en application concrètement ces plans et coconstruire une culture commune du risque. Prévoir des réserves stratégiques de produits essentiels en prévision de ces chocs et assurer l’accès à la production d’énergie renouvelable électrique hors réseau en cas de rupture.

À l’échelle nationale, construire une force citoyenne d’intervention écologique impliquant civils, militaires, secouristes et pompiers formés à l’intervention d’urgence, à la réhabilitation des réseaux primordiaux (eau, électricité) et à l’accompagnement des populations sinistrées suite à des catastrophes naturelles induites par les nouvelles conditions climatiques du pays.

Se donner les moyens de déployer la résilience

Finalement, la construction d’une France résiliente restera un vœu pieux sans des services publics forts et des institutions scientifiques spécialisées sur chacune des questions corollaires à l’adaptation. De fait, les différents chantiers et propositions décrites dans la suite de la note ne pourront pas être déployés sans une trajectoire budgétaire cohérente venant renforcer les moyens d’action des différents opérateurs de l’adaptation. À l’instar du rapport « 2% pour 2°C » de l’Institut Rousseau pour la décarbonation de la France, le laboratoire d’idée I4CE (Institute for Climate Economics), dans son rapport « Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France, de combien parle-t-on ? », estime un surplus d’investissement public de l’ordre de 2,3 milliards d’euros par an pour mener à bien l’adaptation des bâtiments, des infrastructures de transport et d’énergie, du système de production alimentaire, des économies de montagne et des littoraux face au changement climatique[11].

Pourtant, le chemin suivi est malheureusement toute autre : I4CE constate une diminution généralisée des effectifs chez l’intégralité des acteurs de l’adaptation. Entre 2014 et 2022, l’austérité budgétaire a conduit par exemple à supprimer près de 20% des effectifs de Météo France, du CEREMA ou des agences de l’eau. Des institutions comme l’ADEME ou l’ONF ont également dû faire face à des réductions d’effectifs importants de l’ordre de 10%[12].

Figure 4 : Évolution cumulée entre 2014 et 2021 des effectifs totaux des principaux opérateurs contribuant à l’adaptation d’après le point climat N°65 d’I4CE l’adaptation dans le budget de l’état

Proposition #04 : Mettre les moyens financiers au niveau des besoins d’adaptation
Évaluer à l’aide d’une analyse prospective le coût financier de l’impréparation aux conséquences du changement climatique (valeur des actifs détruits ou dégradés par la montée du niveau des eaux ou le retrait-gonflement des argiles, pertes de production agricole du fait de la sécheresse, surcoût de prise en charge hospitalière lors des vagues de chaleur). En discussion avec chacune des échelles de décisions administratives pertinentes (communes, communautés de communes, départements, Régions, agglomérations), budgéter les investissements en faveur de l’adaptation au changement climatique à minima la hauteur de ce coût de l’impréparation.

En plus de cela, prévoir, chaque année, dans le budget de l’État une enveloppe conséquente permettant de réaliser les investissements d’adaptation ne pouvant pas être pris en charge par les collectivités (par exemple la relocalisation des populations habitant actuellement dans des zones menacées par l’élévation du niveau de la mer).

De façon similaire, en plus des opérateurs de création et de diffusion de connaissance sur les effets changement climatique, déployer opérationnellement l’adaptation ne pourra être possible sans intégrer pleinement ces questions à chaque échelle de la décision publique. Le caractère territorial de la résilience climatique impose à chaque niveau de la décision publique de se doter des moyens de formation des élus et des personnels aux enjeux. C’est notamment la proposition phare du Shift Project, qui dans les trois volets de son rapport sur la résilience des territoires propose de consacrer 1 % du budget annuel des collectivités « dans la formation, l’expertise et la production de connaissances sur les conséquences des bouleversements climatiques et les enjeux de la transition écologique sur les territoires »[13] .

Proposition #05 : Investir dans la formation massive aux enjeux de la résilience

Investir, comme le propose le Shift Project, « 1 % / an du budget de fonctionnement de la collectivité, sur la durée des mandats actuels, dans la formation, l’expertise et la production de connaissances sur les conséquences des bouleversements climatiques et les enjeux de la transition écologique sur les territoires. ».

En particulier assurer une formation obligatoire pour les élus et dirigeants sur la problématique climat-énergie et le risque climatique. Renforcer autant que possible l’implication populaire en initiant une démarche participative d’évaluation de l’action territoriale, des ateliers de prospective et en organisant des événements à destination de la société civile souhaitant être impliquée dans la construction d’un territoire résilient.

Une fois les enjeux compris, la définition des plans de résilience locaux nécessitera un effort important de coordination entre les différents échelons administratifs ainsi que le suivi précis du sujet à la fois au niveau de la commune, du département, de la région et de l’État. Au niveau étatique, I4CE propose par exemple d’intégrer au moins un référent adaptation dans chacun des 12 ministères directement concernés par la question et de renforcer, au sein de chaque administration, les effectifs alloués à la coordination des différents échelons de décision. Le think tank suggère également de désigner un référent adaptation à temps plein dans chaque département français et de créer une cellule de coordination et de suivi de ces initiatives au niveau régional.

II. Le tissu urbain face aux conséquences du changement climatique : l’artificialisation des sols une tendance à inverser

1) Des vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses mettant en danger la ville

Une exposition croissante sur l’intégralité du territoire

L’été 2022 a été l’été le plus chaud jamais enregistré en Europe depuis le début des mesures météorologiques avec des températures dépassant, par exemple, sur le mois d’août la moyenne de la période 1991-2020 de près de 1,72 °C[14]. En France, la période estivale a été l’occasion de trois épisodes caniculaires, de vagues de chaleur démarrant avant même le début de l’été et de températures dépassant régulièrement les 40°C. L’INSEE estime que 11 000 personnes auraient trouvé la mort du fait de ces épisodes de chaleur intense[15].

Dans l’Hexagone, la hausse des températures moyennes a atteint 1,7 °C par rapport à 1990[16], avec une accentuation du rythme de celui-ci au cours des trente dernières années. Ce réchauffement s’observe sur les températures moyennes, mais aussi, et surtout sur les extrêmes maximaux responsables des impacts les plus prégnants. De fait, le pays devra faire face à des épisodes de vagues de chaleur [17] plus fréquentes et plus intenses. D’après le Haut Conseil pour le Climat, on constate que « dans un « climat anthropisé », les « événements rares » des années 1950 deviennent « normaux », les « événements extrêmes » de cette époque rejoignent la catégorie des « événements rares » et ce qui était impossible il y a soixante-dix ans ne l’est plus [18] (Figure 5).

Figure 5 : Évolution des températures extrêmes en France selon le scénario RCP 8.5 d’après la plateforme DRIAS

En particulier, le réchauffement a également pour effet d’augmenter la fréquence et la longueur des événements caniculaires en rehaussant les minimas nocturnes. Les conséquences sanitaires de ces événements sont multiples. En effet, d’après le Haut Conseil, « les nuits au-dessus de 20°C vont occasionner une surmortalité significative chez les personnes vulnérables: personnes âgées, malades, sans abris, très jeunes enfants ». Enfin, les pics de chaleur auront tendance à augmenter l’inconfort dans la vie quotidienne, à rendre les conditions de travail en extérieur ponctuellement impossibles et à détériorer la qualité de l’air par l’accentuation de la pollution à l’ozone[19].

Proposition #06 : Préserver les plus vulnérables face aux vagues de chaleur  

Réaliser un diagnostic d’exposition des populations aux vagues de chaleur, aux nuisances et aux pollutions (notamment la pollution à l’ozone renforcée lors de ce genre d’événement). Localiser les bassins de populations les plus vulnérables et calibrer géographiquement les dispositifs de soutien financier (à la rénovation thermique par exemple) et les plans canicules (distribution d’eau, messages de sensibilisation, etc.) pour maximiser l’efficacité du déploiement des procédures de gestion de crise.

Pour les établissements accueillant des résidents fortement vulnérables aux vagues de chaleur, financer en priorité le déploiement de dispositifs de climatisation bas carbone, l’installation d’une pièce froide et redimensionner les plans canicules en vigueur au niveau de fréquence et d’intensité attendues du fait du réchauffement climatique.

Une artificialisation des sols au cœur de la vulnérabilité urbaine

En plus d’une exposition croissante à des phénomènes de vagues de chaleur, le tissu urbain y est également significativement vulnérable du fait des choix d’aménagement passés. Aujourd’hui, 80 % de la population française vit en milieu urbain, chiffre en constante augmentation depuis l’après-guerre[20]. Corollaire de cette tendance, l’étalement urbain et l’imperméabilisation des sols augmentent, encore aujourd’hui, à une cadence extrêmement soutenue avec presque 30 000 hectares artificialisés chaque année, un rythme déconnecté des besoins progressant presque quatre fois plus rapidement que l’augmentation de la population[21].

De plus, la topographie urbaine (hauteur, densité et nombre de bâtiments qui viennent réduire la ventilation naturelle), les sources de chaleur locales (moteur thermique, impact des climatisations sur l’extérieur) ainsi que les matériaux de construction (béton, enrobé bitumineux, toits foncés qui retiennent la chaleur diurne) sont à l’origine du phénomène d’îlot de chaleur urbain venant accentuer le stress thermique en période de forte chaleur. En effet, les surfaces sombres ou bétonnées ont tendance à absorber la chaleur et à la « plaquer » au sol ce qui peut se traduire par des différentiels de température ressentie de + 10°C.

L’exposition à cet effet est d’ailleurs plus prégnante dans les quartiers populaires, ce qui fait de la lutte contre le stress thermique en ville un enjeu de justice sociale. Par exemple, la commune d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis ne compte que 1,42 m² d’espaces verts par habitant soit 6 fois moins que Paris et bien en deçà de l’objectif de 10 m² fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la région Île-de-France[22].

Proposition #07 : Résister à l’étalement urbain [23]:

En utilisant l’outil du Plan local d’urbanisme (PLU), déployer opérationnellement le ralentissement de l’étalement urbain pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050 inscrit dans la loi Climat – Résilience. De fait, procéder au déclassement massif des zones à urbaniser et exclure les projets de construction sur terre non imperméabilisée de l’accès aux prêts à taux zéro ou à des dispositifs de dégrèvement d’impôts (loi Pinel).

À l’échelle de la région, soumettre les projets visant à renforcer l’attractivité du territoire à un contrôle démocratique, en mettant en débat auprès d’un panel de citoyens tirés au sort les impacts des projets avec les bénéfices à long terme pour les habitants.

« Renaturer » les espaces extérieurs pour réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain

Pour limiter l’impact d’un stress thermique généralisé, il est nécessaire de s’affranchir des normes d’urbanisme actuelles. Ainsi la première mesure serait de se diriger aussi rapidement que possible vers la zéro artificialisation nette et la dé-bétonisation pour reformer des îlots de végétation, plus résilients aux fortes températures et aux inondations (Figure 6). Ce nouveau paradigme de « sobriété foncière » doit s’articuler avec un objectif de densification du tissu urbain en incitant fortement à la réhabilitation des espaces non utilisés, en augmentant le temps d’occupation des locaux vides, en réquisitionnant une partie des logements vacants et en encourageant à la construction surélevée.

Proposition #08 : Contre l’artificialisation, dé-imperméabiliser et densifier la ville :

Adjoindre à la trajectoire de « sobriété foncière », des objectifs clairs de dé-imperméabilisation des sols afin de reformer des îlots de végétalisation ainsi que des bassins de capture ou d’acheminement des eaux pluviales.

Articuler en parallèle une trajectoire de dé-imperméabilisation des sols avec un renforcement des projets de densification de la ville. En guise d’incitation, cette mesure pourrait se traduire par la surtaxation des logements vides, et par l’exonération de taxe d’aménagement pour les projets de densification urbaine ne modifiant pas la surface au sol : réhabilitation de friches industrielles, construction d’espace surélevé, reconversion de bâtiments tertiaires vers le logement, développement de la multifonctionnalité et des nouveaux usages des bâtiments.

Diminuer la vulnérabilité des villes passera par la végétalisation du tissu urbain. Cette stratégie peut se décliner par l’augmentation de la surface d’espaces verts (parcs, pelouses, prairies) l’amélioration de leur accessibilité, la plantation d’arbres et de couverts végétaux, la régénération de marais ou de lacs urbains ainsi que la végétalisation des toitures et des façades de bâtiments. Ces exemples de solutions fondées sur la nature permettent une climatisation naturelle et une augmentation de la surface ombragée. Les dispositifs de rafraîchissement extérieurs sont également une bonne solution pour limiter l’impact des vagues de chaleur sur les populations. De fait, il est également nécessaire d’investir massivement dans la rénovation du réseau de canalisation dans le but de minimiser les pertes issues du transport de l’eau pour l’implantation massive de fontaines urbaines, de jets d’eau ou de brumisateurs dans les villes.

Proposition #09 : Végétaliser la ville pour la rendre plus vivable

Planifier la végétalisation maximale du tissu urbain par l’augmentation de la surface d’espaces verts (parcs, pelouses, prairies urbaines), le déploiement de couverts végétaux sur les toitures et façades des bâtiments, la plantation d’arbres, la multiplication de zones d’ombrages et de couverts végétaux. L’accès à la nature étant une question de justice sociale primordiale, il est nécessaire de garantir l’égalité d’accès à ces espaces de nature à tous les quartiers populaires souvent exposés bien plus significativement aux effets des vagues de chaleur.

Afin de positionner ces îlots le plus efficacement possible, cartographier l’indice global de végétation à l’échelle la commune afin d’identifier les zones urbaines particulièrement sensibles à la chaleur afin de cibler les mesures de contrôle et les campagnes de sensibilisation sur les localisations les plus vulnérables. Cette cartographie devra repérer en priorité les zones fortement sensibles à l’effet îlots de chaleur urbain (espace fortement bétonné et sans ombrage).

Rénover et repenser le bâtiment pour augmenter la résilience thermique des espaces intérieurs

La rénovation thermique des bâtiments est un impératif pour avoir moins froid en hiver et faire face aux vagues de chaleur en été. Mais elle est beaucoup trop lente à l’heure actuelle : il est essentiel de monter rapidement à 1 million de logements rénovés chaque année. Le Shift Project dans son Plan de transformation de l’économie française (PTEF) propose de se fixer une montée à ce niveau d’ici 10 ans[24]. Renforcer la résilience passe également par des solutions plus rapidement déployables comme le blanchiment des toitures, l’utilisation de revêtements à albédo fort[25] sur les façades permettant d’améliorer la réflexion des rayons du soleil. Enfin, l’installation de dispositifs de refroidissement passif dans les nouvelles constructions (ventilation transversale, brise-soleil, stores, orientation du bâtiment) préparerait ces infrastructures et leurs résidents à un climat anthropisé.

Comme le suggère le rapport « 2% pour 2°C » de l’Institut Rousseau [26] ou les travaux du Shift Project dans le cadre du PTEF[27], il s’avère nécessaire de repenser les dispositifs d’aide à la rénovation thermique du bâtiment en ciblant particulièrement leur accès pour les ménages les plus modestes (par l’augmentation des plafonds, la diminution du reste à charge) et en créant des guichets pour accompagner et informer les particuliers dans leur démarche. De même, pour les bâtiments d’entreprise, il est possible de généraliser les dispositifs suggérés par France Stratégie, où une société de rénovation prend à sa charge la conduite des travaux et se finance sur les économies d’énergie réalisées par la suite[28].

Proposition #10 : Massifier la rénovation thermique des bâtiments :

Organiser et financer la rénovation globale du parc immobilier afin d’atteindre, d’ici 10 ans, une cadence de 1 million de logements rénovés chaque année vers une étiquette énergétique de A, B ou C[29]. Généraliser dans la construction neuve comme dans les travaux de rénovation l’inclusion de système de refroidissement passif comme la peinture des toitures avec des revêtements à fort albédo, la végétalisation des façades, l’installation de brise-soleil, de dispositifs de free-cooling[30] (ou « refroidissement gratuit »).

Pour cela, faire évoluer les dispositifs actuels en relevant les plafonds d’aide pour les ménages les plus modestes, en simplifiant leur accessibilité par la création de guichets au niveau de la collectivité pour informer les citoyens. Inclure explicitement dans ces dispositifs d’aide toutes les typologies de travaux en mesure d’augmenter la résilience thermique des bâtiments.

Expérimenter, comme le propose France Stratégie, une conduite des rénovations par des opérateurs finançant les coûts des travaux et se remboursant sur les économies d’énergie réalisées.

Figure 6 : Quelques stratégies d’adaptation pour la ville (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

2) Précipitations extrêmes et inondations fluviales : se préparer à l’aide de la nature

Une exposition circonscrite, mais préoccupante

Le changement climatique aura plusieurs conséquences hydrologiques importantes en France. En particulier, une généralisation des épisodes d’inondation est attendue, du fait de l’augmentation en fréquence et en intensité des précipitations extrêmes. À l’échelle planétaire, le réchauffement climatique cause une intensification des pluies extrêmes en raison de l’augmentation du contenu de vapeur d’eau de l’atmosphère. Pour 1°C de réchauffement, l’intensification des pluies extrêmes augmente de 7 %. En France, les précipitations annuelles augmentent dans la moitié nord, et diminuent au sud[31]. De plus, les projections soulignent une accentuation des maximas de précipitation. On constate déjà une augmentation de l’intensité et de la fréquence des événements pluvieux extrêmes sur le pourtour méditerranéen et dans l’est du pays au cours des dernières décennies (Figure 7). Ces événements de précipitations extrêmes sont induits, en particulier, par le réchauffement de la mer Méditerranée : lors du mois de juillet de 2022, celle-ci était en moyenne 5°C plus chaude que lors des saisons estivales précédentes. Cette augmentation de température, en plus des conséquences sur les écosystèmes marins, a pour conséquence une hausse de l’évaporation et donc de l’intensité des précipitations futures attendues comme plus intenses durant la saison automnale notamment sur le pourtour méditerranéen et la partie est du pays.

Figure 7 : Impact de précipitations extrêmes en France d’après la plateforme DRIAS

Cependant ces projections souffrent, encore aujourd’hui, d’un niveau d’incertitude significatif notamment sur le niveau des précipitations moyennes. Pour l’Europe de l’Ouest, les projections d’évolution des précipitations montrent bien un contraste entre le nord où les précipitations augmentent et le sud qui s’assèche. La localisation de la limite entre ces deux zones varie cependant d’un modèle à l’autre, induisant de larges incertitudes dans la bande de latitudes où se situe la France. Malheureusement, peu importe le scénario d’émissions considéré, les projections climatiques ne s’accordent pas sur le signe du changement des précipitations moyennes annuelles en France. Pour les précipitations extrêmes également, les modèles climatiques souffrent d’incertitude sur l’intensité des phénomènes futurs rendant le dimensionnement des procédures et des infrastructures d’adaptation plus difficile encore.

Effet corollaire, les précipitations extrêmes participent à l’augmentation de la fréquence des inondations fluviales. Celle-ci a d’ailleurs augmenté d’environ 11 % par décennie sur l’Europe de l’Ouest depuis les années 60 avec une aggravation constatée des dégâts sur les personnes et les infrastructures[32]. Cette tendance est également matérialisée par l’augmentation attendue du débit de crue décennale (c’est-à-dire le débit maximum d’un cours d’eau attendu sur 10 ans sur la période de référence), à 2050 avec une augmentation très significative sur le sud de la France (> 30 %), mais aussi dans un large quart nord-est (bassin versant de la Seine, de la Saône, de la Moselle et du Rhin) (Figure 8)[33].

Figure 8 : Variations du débit de la crue de référence sur période de retour de 10 ans pour chaque bassin versant entre aujourd’hui et 2050 d’après le livre blanc COVEA .

L’imperméabilisation des sols menace la viabilité des villes

L’artificialisation des villes ou des espaces ruraux à proximité des cours d’eau augmente fortement la vulnérabilité aux inondations. En effet, l’imperméabilisation des surfaces favorise le ruissellement des eaux et empêche leur absorption par les sols. Les conséquences sont alors désastreuses : pertes en vie humaine, dégradation voire destruction des infrastructures d’un territoire, salinisation des sols agricoles et migrations forcées de population.

L’été 2021 a été d’ailleurs l’occasion de constater l’ampleur des impacts sur les villes et l’impréparation des pouvoirs publics à gérer ces crises : les inondations en Belgique et en Allemagne d’août 2021 ont provoqué environ 200 morts et 30 milliards d’euros de dégâts avec notamment l’éclatement de réseaux de canalisation forçant les habitants à remplir leur baignoire pour s’assurer un accès à l’eau potable lors de la durée de l’événement [34]. En France, on pense également aux événements de la vallée de la Roya sur la Côte d’Azur en octobre 2020 qui ont provoqué des traumatismes majeurs au sein de la population en plus de dégâts matériels considérables[35].

« Renaturer » l’hydrologie des villes et restaurer les écosystèmes fluviaux : les solutions fondées sur la nature sont en pointe pour faire face aux inondations

De nombreuses villes densément peuplées sont sujettes aux inondations et les infrastructures existantes ne sont généralement pas assez résistantes pour faire face à l’augmentation des précipitations et des pics de débit qui pourraient survenir avec le changement climatique. Face aux inondations, le biomimétisme et les solutions fondées sur la nature sont, là aussi, les plus efficaces (Figure 9). Il faut d’abord protéger et restaurer les écosystèmes naturels dans les bassins versants. En effet, les zones humides et leurs forêts riveraines ou inondables stockent, distribuent et retiennent l’eau dans les écosystèmes, limitant ainsi le ruissellement sur les surfaces anthropisées. Ce sont également des espaces très efficaces pour la régulation de l’eau et de la matière, la fixation des polluants et la rétention des eaux de crue.

L’urbanisme contemporain est à l’origine d’une détérioration de l’état des écosystèmes fluviaux, des zones humides et d’une perte de la biodiversité en eau douce. Une transition résiliente impose à présent de travailler à la restauration des flux naturels des cours d’eau, de leurs connectivités et de leurs débits afin de mieux résister aux inondations fluviales. Les interventions peuvent aller de la régénération naturelle à des mesures beaucoup plus invasives, comme la reconstruction physique des lits de rivière. De plus, la désimperméabilisation du tissu urbain par la création de bassins de végétation, de lacs ou de marais urbains permet un renforcement de l’absorption des eaux par les sols ainsi qu’un enrichissement de la biodiversité au sein de la ville. Ces mesures peuvent d’ailleurs s’inscrire dans le cadre d’un urbanisme d’un nouveau genre : les villes éponges, qui visent à rendre à la ville sa perméabilité, tout en renforçant la collecte et l’utilisation des eaux de pluie.

L’occurrence de plus en plus régulière de ce genre d’événement est inévitable et les incertitudes sur les moyens d’en contrôler les impacts sont difficiles à quantifier. Ainsi, il apparaît essentiel d’adjoindre à cette renaturation planifiée des villes et des cours d’eau, des procédures de gestion de crises largement diffusées aux populations les plus exposées. L’accès aux dispositifs d’indemnisation porté par le régime CatNat[36], récemment reformé, constitue également un enjeu important d’accompagnement des sinistrés en plus de l’acquisition collective d’une culture du risque.

Figure 9 : Quelques stratégies d’adaptation face aux inondations pluviales (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

Proposition #12 : Articuler les solutions fondées sur la nature et les plans de gestion de crise pour faire face aux inondations

Refonder les principes de l’urbanisme actuel pour l’orienter vers la constitution de villes éponges par la végétalisation maximale à proximité des cours d’eau, la régénération de marais ou de lacs urbains, la restauration des flux, des connectivités et du débit naturel des fleuves.

Adosser à cette stratégie de transformation des villes, la création au niveau local de force citoyenne d’intervention écologique ayant pour mandat de venir au secours des populations en cas d’épisodes d’inondations graves, de réparer les réseaux primordiaux et les infrastructures ayant pu être détruites lors de l’épisode.

Sensibiliser les populations par des messages clairs afin de diffuser largement une culture du risque dans les zones les plus menacées par l’aléa de précipitations extrêmes et assurer la simplification d’accès au remboursement par les sinistrés par le régime CatNat.

III. Système de production alimentaire et écosystèmes forestiers : nos territoires face à la dérive climatique

1) Le système de production alimentaire face à la sécheresse généralisée

La sécheresse, une menace grave pour l’agriculture française

La sécheresse s’accentue durablement en France et l’été 2022 a montré l’impact colossal de ces épisodes sur le système de production alimentaire (Figure 10). Juillet 2022 s’est trouvé être le mois le plus sec jamais enregistré en France depuis 1959 avec seulement 9,7 mm de pluie enregistré contre 90,8 mm à la même période l’an passé. Ces conditions d’aridité ont conduit plus de 100 communes à être privées d’eau potable et ont forcé la mise en œuvre de restrictions d’utilisation drastiques dans tout le pays[37]. Ces restrictions ont alors des conséquences majeures pour nombre d’agriculteurs qui avait déjà vu une partie substantielle de leur production détruite par l’épisode de gel tardif du printemps 2022[38].

De la même façon que pour les vagues de chaleur, les niveaux de sécheresse extrêmes d’aujourd’hui vont devenir la norme sur une large partie du territoire. Les épisodes intenses de sécheresse en Europe pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060[39]. Cette augmentation en fréquence et en intensité a d’ores et déjà des conséquences visibles sur les niveaux de production agricole. Par exemple, dans son rapport 2021, le Haut Conseil pour le Climat affirme que la modification des schémas précipitation depuis 1990 explique déjà, sur une tendance longue, des réductions de rendements du blé et de l’orge européens à l’échelle de l’Europe[40]. De fait, « certains terroirs vont progressivement devenir inadaptés aux agrosystèmes qu’ils abritent et, de fait, remettre profondément en question l’équilibre économique et l’implantation géographique de nombreuses productions (arboriculture, viticulture, systèmes pastoraux) »[41].

Conséquemment, la généralisation de la sécheresse agricole va de pair avec l’augmentation des conflits d’usage sur la question de l’eau en France[42]. Cela s’explique, d’une part, par la hausse des besoins pour l’irrigation, conjuguée à une diminution de la disponibilité de la ressource. La ressource en eau est en effet menacée par la pression climatique croissante sur les eaux de surface (fleuves, rivières, lacs, etc.) et par la surexploitation des eaux souterraines (prélèvement excessif et pollution des nappes phréatiques). De plus, la dégradation de la qualité des sols va renforcer la dépendance de la plupart des cultures à l’irrigation.

Figure 10 : Écart par rapport au nombre maximal de jours secs consécutifs pour le scénario RCP8.5

Des modes de culture vulnérables au changement climatique

Les conséquences de ses épisodes de sécheresse amenées à se multiplier vont être renforcées par des facteurs non climatiques liés aux modes de culture condamnant à moyen terme la productivité des sols par l’extermination de la biodiversité environnante. En effet, la biodiversité souterraine se trouve au cœur de la fertilité des sols et de la rétention de l’eau en leurs seins : les organismes divers qui composent les sols assurent des fonctions primordiales comme la décomposition de matière organique et donc la libération de nutriments dans le sol, la nutrition et la protection des plantes ou encore l’infiltration et la rétention de l’eau captée dans les racines des végétaux. Cette biodiversité des sols comme celle des champs est en recul continu du fait des pratiques de cultures agro-industrielles telles que le fort recours aux pesticides, le tassement du sol par la mécanisation croissante du secteur et la perturbation du cycle des nutriments par l’utilisation disproportionnée d’engrais[43].

La généralisation d’un climat méditerranéen sur la moitié sud de l’Hexagone favorisera la migration et le développement d’organismes pathogènes ou ravageurs bouleversant en profondeur les écosystèmes et les cultures. La faible diversité génétique des plantations participe, en effet, à la forte vulnérabilité du système agricole à un climat plus sec. Les agrosystèmes homogènes, dont l’objectif est d’assurer le maximum de rendements, favorisent la prolifération et la propagation des « bio-agresseurs » (pathogènes, ravageurs et des espèces exotiques envahissantes)[44].

Face à ces vulnérabilités, placer le système de production alimentaire français sur la voie d’un développement résilient suppose de repenser structurellement les modes de production en favorisant les modes de culture restauratrice de la biodiversité des sols et des champs. Les Greniers de l’Abondance proposent trois axes de résilience par la régulation de la production et de la consommation de viande, la généralisation des pratiques agroécologiques et la relocalisation des productions alimentaires auquel il faut adjoindre une trajectoire de sobriété hydrique[45].

L’enjeu de l’espace : réguler la production et la consommation de protéines bovines pour assurer la pérennité du système de production alimentaire

Le premier axe de résilience réside dans la planification de la diminution de la production et de la consommation de produits animaux et en particulier de viande d’origine bovine. En effet, le système agricole devra vraisemblablement faire face à une diminution des rendements agricoles, pour un certain nombre de variétés dans un scénario d’inaction climatique comme dans un scénario de transition. Le scénario Afterres2050 du cabinet Solagro anticipe par exemple une diminution du rendement de la production du blé tendre de 7,1 à 5,2 tonnes par hectare[46] à horizon 2050 par rapport à 2010. À noter que dans le cadre d’un scénario d’inaction des pouvoirs publics, les rendements diminueront de façon d’autant plus dramatique que le réchauffement sera important : celui-ci entraînerait une baisse de rendement moyen de 6 % pour le blé, de 3,2 % pour le riz et de 7,4 % pour le maïs par degré de réchauffement supplémentaire, sans compter les impacts sur l’effondrement de la biodiversité[47].

Ainsi, afin de produire à « surface agricole » constante, la réduction des productions animales et en particulier des cheptels bovins apparaît comme un axe incontournable de la résilience agricole. Aujourd’hui, la production de denrées à destination des animaux d’élevage mobilise 85% des surfaces agricoles[48]. On estime également que la moitié de ces surfaces correspondent à des terres arables et à des cultures pouvant satisfaire l’alimentation humaine. Cette même production pour le bétail est à l’origine par ailleurs d’une consommation en eau considérable, premier poste agricole[49] notamment du fait de la culture de maïs grains destinés aux deux tiers à l’alimentation de volaille et de porc. Si la culture du maïs grain représente 8,5 % des surfaces agricoles, elle occupe près de la moitié des surfaces irriguées, avec un besoin centré sur la saison estivale, où se concentrent les épisodes de sécheresse[50].

Figure 11 : Évolution du régime alimentaire français moyen (hors alcool et boissons) et de la surface agricole nécessaire dans le scénario Afterres2050[51].

Dans un contexte de contrainte forte sur la ressource en eau et de diminution des rendements, le cabinet Solagro propose de fixer un objectif de diminution de 50 % de la production de protéine carnée d’ici à 2050, ce qui libérerait près du tiers des espaces cultivables (Figure 11). Cette trajectoire de décroissance de la consommation de viande ne pourra se faire sans l’accompagnement des agriculteurs français vers un modèle plus diversifié de polycultures-élevages et en remettant d’abord en cause l’importation de viandes bovines permises par les accords de libre-échange type AECG ou TAFTA qui viennent faire concurrence à la production bovine française.

Proposition #13: Planifier la décroissance de la production et de la consommation de viande bovine et l’assolement de maïs grain

Planifier et organiser la décroissance de la production et de la consommation de viandes bovines et réduire l’assolement de maïs, au profit d’autres cultures peu consommatrices en eau en saison sèche, et directement utilisables pour l’alimentation humaine : blé, sarrasin, millet, sorgho….

Protéger les éleveurs français par la suspension des importations de viandes rouges de mauvaise qualité permises par la ratification d’un certain nombre d’accords de libre-échange (AECG, TAFTA et autres, etc.).

Contractualiser avec des éleveurs et coopératives pour leur garantir une rémunération plus équitable en échange d’une évolution des pratiques vers des modèles de polyculture-élevage.

Dans la restauration collective gérée par les pouvoirs publics, mettre à disposition une alternative végétarienne à chaque repas et instaurer à minima deux repas végétariens par semaine. Limiter à une fois par mois les plats au bœuf. Travailler avec les restaurateurs, les commerces locaux et la grande distribution pour mettre en avant des protéines végétales et promouvoir des alternatives végétales à la viande de bœuf.

L’enjeu des modes de culture : sortir de l’agro-industrie pour généraliser l’agro-écologie

La seconde clé d’un développement résilient repose sur la diversification des productions, une limitation de facteurs de stress non climatique [52] et une irrigation plus efficace des sols (Figure 12). En résumé, les pratiques d’agro-écologie et d’agroforesterie doivent être renforcées et généralisées afin de remplacer progressivement le modèle agro-industriel. L’enjeu est de faire de l’agroécologie le nouveau modèle dominant en revoyant un certain nombre de pratiques comme l’épandage de pesticides qui détruisent la biodiversité rurale, polluent les eaux et provoquent des dégâts sanitaires majeurs. Les techniques de labour des sols doivent elles aussi se transformer afin de limiter les phénomènes de tassement qui empêchent la bonne absorption des eaux de pluies ou d’irrigation par les sols[53]. Le déploiement de l’agro-écologie s’accompagne aussi d’une forte réduction des intrants chimiques : le collectif  Les Greniers de l’abondance propose de diviser par trois de la consommation de pesticide et de diminuer de 60 % de celle d’engrais azoté à l’horizon 2050.

Pour compenser cette diminution, il faut passer à un mode d’agriculture écologiquement intensive en diversifiant massivement les espèces cultivées et les pratiques d’enrichissement des sols[54]. Ces pratiques plus résistantes au changement climatique reposent sur l’implantation de schémas de rotations culturales plus complexes, incorporant des cultures intercalaires qui enrichissent les sols en nutriments et en biodiversité (comme les légumineuses). De même, des pratiques d’élevage du bétail peuvent rendre l’agriculture française plus résiliente au changement climatique : l’idée est de combiner le plus efficacement possible l’élevage avec la production de cultures pour aller vers une agriculture intégrée moins gourmande en intrants et en machines[55]. Ces pratiques présentent d’autres atouts, notamment la réduction de la vulnérabilité aux maladies et aux attaques de nuisibles ou de ravageurs déplacés par le réchauffement par la diversification génétique des cultures. Enfin, les pratiques d’agroforesterie, c’est-à-dire le mélange d’arbres et de cultures, peuvent réduire les stress hydrique et thermique tout en renforçant la séquestration de carbone dans les sols.

Proposition #14 : Un nouveau pacte agricole au service de l’agro-écologie

Faire du renouvellement des générations d’agriculteurs une opportunité pour généraliser massivement les pratiques d’agro-écologie. Constituer un nouveau pacte agricole en planifiant la formation et l’intégration de la nouvelle génération, plus nombreuse et mieux rémunérée, en anticipant au mieux les départs et les reprises d’exploitation. Adjoindre à ce pacte des objectifs de diversification des productions, de réduction de l’utilisation des engrais et des pesticides, de protection des sols, mais aussi des objectifs de diminution progressive de la taille du cheptel bovin.

Faciliter l’installation de projets d’agro-écologie par le renforcement des aides, mais aussi par l’acquisition publique de foncier pour les mettre à disposition des producteurs qui respectent un cahier des charges compatible avec une agriculture écologiquement intensive. Généraliser l’outil de la commande publique (pour les cantines ou la restauration collective) afin d’offrir un débouché de production stable et équitable aux agriculteurs.

Figure 12 : Quelques stratégies d’adaptation pour l’agriculture (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

L’enjeu de la relocalisation : rapprocher la production alimentaire des bassins de population

Le troisième enjeu majeur de la résilience agricole se trouve dans la relocalisation des systèmes de production et de distribution alimentaire. La sécurité alimentaire consiste à satisfaire les besoins nutritionnels d’un bassin de population, sans faire venir de loin la nourriture qui pourrait être produite à proximité. Pourtant, notre mode d’organisation actuel est tourné vers l’exportation et repose sur l’importation de près de 20% des produits agricoles : il accroît de fait notre vulnérabilité aux aléas climatiques et aux risques géopolitiques[56]. Comme le montre le Shift Project dans le deuxième volet de son rapport sur la résilience des territoires, nourrir son territoire implique donc non seulement de préserver des terres agricoles, mais aussi de réorienter une partie de la production vers la demande locale. D’autant plus que, d’après l’outil CRATer des Greniers de l’Abondance[57], « le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises est de 2 % »[58]. Cela signifie que 98 % du contenu alimentaire consommé localement sont importés ; ces flux se trouvent alors totalement dépendants des ressources fossiles pour leurs transports[59] (Figure 13).

Le déploiement de cette résilience alimentaire doit s’organiser autour d’une planification régionale qui aura pour but, comme le propose le Shift Project, « d’inventorier le foncier mobilisable pour l’agriculture, de déterminer des zones agricoles protégées, de soutenir la constitution de collectifs pour la reprise des fermes, de communiquer sur les initiatives locales, d’organiser la distribution de productions locales et de valoriser l’autoproduction à travers le jardinage »[60].

Proposition #15 : Organiser la relocalisation des productions pour la résilience alimentaire

Mettre les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire au service de la résilience alimentaire et de la structuration d’une agriculture nourricière en déclassant de la catégorie « zones à construire » les terres agricoles fertiles et en utilisant les terres communales périurbaines pour former des ceintures maraîchères associées à un plan d’approvisionnement local. Intégrer au sein de la ville des espaces de production alimentaire (ferme urbaine) dans les aménagements et développer les moyens de transformation de la production.

Financer la structuration des initiatives par la commande publique, notamment par la réalisation d’un diagnostic d’autosuffisance du système alimentaire du territoire (demande à satisfaire, possibilités de niveau de production et diversification de l’offre), le soutien à la structuration de filières de production, de transformation et de distribution et la construction des circuits courts avec la restauration collective, les distributeurs locaux et les citoyens.

Figure 13 : Degré de sécurité alimentaire sur l’Hexagone via l’outil CRATER

L’enjeu de l’eau : déployer la sobriété hydrique

Dans les années à venir, l’évolution climatique va provoquer un manque chronique d’eau sur tout le territoire français. L’agriculture mobilise 80 % de la ressource et sera donc la première activité impactée par cette perturbation du cycle de l’eau. Il sera donc nécessaire de repenser le rapport à cette ressource en prohibant son accaparement et en organisant sa distribution le plus efficacement et équitablement possible.

Pour ce faire, il est urgent d’investir massivement dans la rénovation des circuits de canalisation et des réseaux de distribution: aujourd’hui un litre d’eau potable sur cinq est perdu dans des fuites de canalisations en France [61] du fait de leur vétusté. Actuellement, le taux de renouvellement des canalisations est de 0,61 % : à ce rythme, il faudrait plus de 150 ans pour renouveler l’intégralité du réseau. Plusieurs institutions proposent à minima le doublement du rythme de rénovation.

De plus, il faut améliorer les processus d’irrigation en encourageant de nouvelles méthodes de stockage des eaux de pluie afin de réduire les prélèvements dans les nappes. L’usage de bassines agricoles connectées aux nappes phréatiques constitue un accaparement sauvage de la ressource au profit de certains acteurs ayant les moyens de construire ce type d’infrastructure et génère des pertes en eau colossale par évaporation. L’usage de ces bassines doit être strictement encadré.

Proposition #16 : Amorcer avec les agriculteurs le déploiement d’une trajectoire de sobriété hydrique

Sécuriser l’approvisionnement en eau potable pour les usages agricoles, domestiques et industriels par des investissements massifs visant à minima le doublement du taux de renouvellement des réseaux de canalisation en métropole comme en outre-mer.

Offrir de la visibilité aux agriculteurs sur la gestion de l’eau en organisant en concertation eux avec la diminution progressive de l’utilisation de l’eau extraite des nappes phréatiques pour l’irrigation, en limitant fortement l’usage des bassines et en contractualisant les plans de crises correspondant aux périodes de sécheresse (répartition des usages, préservation des zones humides, préservation des captages, etc.)

2) Les territoires forestiers sous les feux du changement climatique

Les incendies et feux de forêt : une nouvelle habitude estivale

Nos forêts, qui couvrent près de 31 % du territoire métropolitain, sont menacées par l’essor des incendies du fait de la conjonction des périodes de sécheresse intenses et des vagues de chaleur estivales. Parmi les plus grands incendies qui ont récemment touché le pays, trois se sont déclenchés sur les deux dernières années avec plus de 5000 hectares brûlés. L’incendie de juillet 2022 en Gironde et ses 13 600 hectares brûlés représentent le plus gros feu de forêt enregistré depuis les années 1970[62]. Pourtant, grâce à des actions de prévention efficaces, le nombre de feux de forêt ainsi que l’étendue de la surface brûlée ont significativement diminué en France depuis les années 1980.

Malheureusement, la conjonction de vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses associées à des périodes de sécheresse prolongées vient renforcer la probabilité de départ de feu (encore aujourd’hui considéré 9 fois sur 10 d’origine humaine) ainsi que la puissance des incendies observés. Météo France estime que les massifs forestiers les plus menacés à l’avenir se trouvent sur les parties sud-ouest et sud-est du pays ainsi qu’en Corse. De plus, les données de la cartographie nationale montrent que l’Indice forêt météo (IFM) a augmenté de 18 % entre la période 1961-1980 et la période 1989-2008 ; cette augmentation devrait atteindre 30% en 2040 et potentiellement 75 % d’ici 2060[63]. Historiquement cantonnés au pourtour méditerranéen, on constate depuis quelques années des départs de feux fréquents dans des régions traditionnellement épargnées, comme cet été en Picardie[64], dans la Somme[65] ou en Bretagne[66]. En 2050, la moitié des forêts françaises sera soumise au risque d’incendie.

Figure 14 : Projection de sensibilité du massif forestier aux incendies d’après la plateforme DRIAS

Adapter les massifs forestiers aux nouvelles conditions climatiques : gérer les crises et diversifier les essences

Face à ce défi, il est nécessaire de revoir en profondeur la gestion forestière hexagonale à la fois dans la prévention des impacts et dans la gestion de crise (Figure 15). Côté prévention, la diversité d’espèces est centrale. En effet, la vulnérabilité des systèmes forestiers est accentuée par le caractère monospécifique des essences plantées pour leur utilisation industrielle. C’est notamment le cas de monocultures résineuses particulièrement consommatrices d’eau et inflammables qui viennent assécher les forêts et faciliter les départs de feu. Il apparaît primordial de promouvoir les peuplements mixtes adaptés au climat futur plutôt que des monocultures : aujourd’hui, 51 % des forêts françaises sont mono-spécifiques. Il est alors nécessaire d’allouer les moyens associés au renouvellement résilient des forêts et d’avoir recours à la migration assistée des essences non adaptées au climat futur. En plus de réduire les facteurs de risque non climatiques (pollution des sols, engrais, pesticides, acidification des sols du fait de la pollution de l’air), il est aussi de bon ton de favoriser, après crise, la bio-régénération et la diversification des essences replantées après un épisode d’incendie.

Pour accomplir ces changements d’envergure et adapter la gestion forestière au changement climatique, des moyens humains supplémentaires seront obligatoires, notamment au sein de l’Office national des forêts (ONF). L’organisation est frappée par des réductions d’effectifs depuis trois décennies : elle emploie actuellement moins de 8 000 fonctionnaires[67]. Les effectifs des patrouilleurs de surveillance ont également diminué de 15 % entre 2008 et 2019[68] . La prévention repose aussi sur des moyens techniques soutenus par des connaissances scientifiques précises. Certaines mesures d’adaptation transformative constituent des moyens d’action pour se préparer à des incendies plus puissants, tels que : le redimensionnement des procédures de gestion, de détection et de prévention des incendies par l’usage de drones ; le brûlage régulier pour empêcher l’accumulation de brûlis ; ou encore le maillage des forêts grâce à un ensemble de pistes d’accès et la dissémination de citernes.

En termes de moyens d’intervention, la France compte 19 bombardiers d’eau et trois avions de reconnaissance ainsi que 35 hélicoptères[69]. Cette flotte prend de l’âge : le Sénat écrivait en novembre 2022 que le vieillissement de 12 canadairs parmi les 19 bombardiers constituait « un sérieux motif de préoccupation, puisque 8 d’entre eux auront plus de 25 ans en 2020 »[70]. Trois nouveaux bombardiers devraient être acquis par la France d’ici 2025 et il semble nécessaire d’accélérer le rythme de renouvellement des appareils de détection et des canadairs les plus vétustes.

Proposition #17 : Redimensionner la gestion forestière du pays

Préserver et adapter les forêts françaises aux conséquences du changement climatique, en réalisant un diagnostic d’exposition et de vulnérabilité des massifs forestiers et des pratiques sylvicoles au regard de l’augmentation en fréquence et en intensité des incendies, des sécheresses et des tempêtes.

Préparer ou redimensionner les plans de crise et de prévention des incendies au regard du climat futur par l’utilisation notamment de drones de détection et adapter les essences au climat futur en pratiquant des coupes préventives ciblées et assurer la diversité et la résistance des espèces replantées aux ravageurs attendus du fait du changement climatique.

Redimensionner les moyens matériels d’intervention des sapeurs-pompiers et de la sécurité civile par l’accélération du renouvellement des 12 canadairs de plus de 25 ans et des aéronefs de détection.

Renforcer les moyens financiers et humains de l’Office national des forêts, de la Sécurité civile et des pompiers notamment en période estivale afin de faciliter les interventions qui deviendront de plus en plus fréquentes sur le sud-ouest, le pourtour méditerranéen et la Corse.

Figure 15 : Quelques stratégies d’adaptation pour la gestion forestière (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

IV. Adapter les infrastructures critiques et le patrimoine français au changement climatique

1) La montée du niveau des mers est une menace inéluctable pour le littoral français

Élévation du niveau de la mer : une exposition mal anticipée

Le premier volet du sixième rapport du GIEC affirme clairement que de nombreux changements dus aux émissions passées et futures de gaz à effet de serre s’avèrent irréversibles pendant des siècles, voire des millénaires. C’est notamment le cas de la fonte des calottes glaciaires et de l’élévation du niveau des mers, provoquée principalement par le réchauffement continu des océans profonds (dilatation thermique). Le GIEC estime que cette augmentation pourrait atteindre entre 60 cm et 1 m à horizon 2100 et entre 2 et 3 m à horizon 2200. Cependant, une grande incertitude entoure les projections de l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale. Cela est dû à une compréhension incomplète des mécanismes de rétroaction qui provoquent l’élévation du niveau de la mer.

En France, les projections d’élévation couplées au phénomène continu d’érosion côtière font état d’un impact fort de la montée du niveau des mers sur le pourtour atlantique ainsi que sur la pointe nord de l’Hexagone. De fait, des villes telles que Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Calais ou Le Havre seront fortement touchées, notamment par l’augmentation du risque de submersions marines dès 2050 (Figure 8). En conséquence, selon L’Évaluation nationale des risques d’inondation publiée en 2011 par le ministère de l’Écologie, la submersion marine menacerait 1,4 million de résidents français dans l’hypothèse d’une élévation du niveau de la mer de 1 mètre à l’horizon 2100.

Afin de se préparer à ses impacts, il existe déjà un Plan de Prévention des Risques Littoraux [71] qui fixent le seuil de montée des eaux auquel les acteurs locaux doivent se préparer. Ce plan choisit une valeur de référence de 60 cm d’élévation du niveau de la mer, soit la valeur la plus faible des estimations du GIEC. Cependant, ces projections prennent mal en compte l’effet des différents points de bascule comme l’effondrement probable des calottes glaciaires ou les changements brusques de la circulation océanique qui pourraient se produire à partir de seuils de réchauffement soumis à de fortes incertitudes. Le dépassement de ces points de bascule induirait alors des élévations du niveau de la mer bien plus importantes. C’est notamment pour cela que des pays frontaliers comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni dimensionnent leurs infrastructures en tenant compte d’un niveau d’élévation des mers bien plus important, de l’ordre de 2 m d’ici la fin du siècle[72].

Proposition #18 : Appliquer le principe de précaution à l’élévation du niveau de la mer

Mettre à jour le Plan de prévention des risques littoraux (PPRL) en rehaussant, à l’instar de nos voisins britanniques, belges et néerlandais le seuil attendu de montée de niveau de la mer de 60 cm à 2 m conformément à l’application du principe de précaution.

Réorienter les investissements vers les zones les moins exposées. Fonder la cartographie des zones impactées par le recul du trait de côte sur une valeur de 2 mètres d’élévation et établir l’interdiction de constructions neuves sur les zones concernées et la planification de déplacements des infrastructures publiques s’y trouvant (école, hôpital, commissariat, etc.).

Figure 16 : Impact de l’élévation du niveau des mers en France à horizon 2050 d’après la plateforme Climate Central. Ces simulations prennent à la fois en compte l’élévation moyenne du niveau de la mer à 2050, mais aussi les événements d’inondations à période de retour de 100 ans. En revanche, celles-ci ne prennent pas en compte les différentes infrastructures de protections côtières installées récemment. [73]

Des écosystèmes résilients abîmés par l’érosion des côtes

La destruction des écosystèmes côtiers (dunes, coraux, mangroves, etc.) et autour des cours d’eau (bosquets, marais, zones humides, etc.) aggrave les impacts des submersions marines. Le prélèvement excessif de sable pour la construction est responsable de l’érosion et du recul du trait de côte : par conséquent, il vient lui aussi exacerber les risques d’inondations côtières. On constate un recul du trait de côte généralisé sur le littoral français, sans pouvoir imputer cette tendance au changement climatique pour autant. L’indicateur national de l’érosion côtière informe, en effet, que près de 20 % du trait de côte naturel est en recul sur l’Hexagone[74].

Figure 17 : Évolution du trait de côte en France d’après le rapport 2022 du Haut Conseil pour le Climat

Redimensionner le zonage et appliquer le retrait des zones condamnées

Pour s’adapter à cette tendance irréversible, l’urbanisation des territoires littoraux doit être revue en profondeur. Il est nécessaire d’éviter les constructions le long des côtes en prenant une valeur d’au moins 2 mètres comme référence d’élévation du niveau de la mer. La montée du niveau de la mer réduit progressivement la zone située au large des structures de défense. Les défenses dites « dures » (digues, épis) peuvent également modifier les schémas de transport de sédiments le long des côtes, augmentant l’érosion et le recul du littoral sur les zones non couvertes par les défenses. Le déplacement des infrastructures et des logements apparaît lui aussi nécessaire dans de nombreux cas et ne doit plus être un sujet tabou pour les mairies qui doivent être aidées financièrement et opérationnellement pour mener à bien ces processus difficiles.

Proposition #19 : Organiser la relocalisation des activités

Redimensionner le zonage des espaces urbains concernés par l’élévation du niveau de la mer et adapter les procédures de retrait des infrastructures et logements à une valeur d’élévation de la mer de 2 mètres au lieu de 60 cm. Ainsi, anticiper les solutions de relocalisation en concertation avec les citoyens et les autres collectivités. Évaluer les coûts financiers de ces relocalisations et avoir recours à des dispositifs d’aide de l’État, notamment le fonds Barnier pour déployer opérationnellement ces mesures.

Planifier l’avenir des zones non viables du fait du recul de trait de côte notamment par la restauration des zones humides et l’implantation de solutions fondées sur la nature comme les mangroves.

Déployer les solutions fondées sur la nature pour s’adapter à la montée du niveau des eaux

De même, la protection et la restauration des zones humides et des mangroves s’avèrent être des solutions naturelles de protection contre les inondations côtières. En plus de leur nécessaire préservation (l’étendue des mangroves diminue généralement de 0,2 à 0,4 % par an dans le monde[75]), la généralisation de l’utilisation d’habitats côtiers naturels représente une protection efficace face au risque accru d’inondations et de tempêtes, ainsi qu’un avantage en termes de biodiversité. Enfin, la stabilisation des dunes et cordons dunaires par la végétation et les structures dures, telles que les digues, apparaissent aussi comme une option d’adaptation pertinente (Figure 18).

Figure 18 : Quelques stratégies d’adaptation face aux inondations côtières (inspirées du rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021)

Si certaines solutions de construction sont parfois pertinentes, elles conduisent généralement à de la mal-adaptation. La construction de barrages ou d’espaces de stockage d’eau peut être une bonne option pour assurer la prévention des inondations, mais ces constructions peuvent aussi perturber le mouvement naturel de l’eau et ainsi modifier les localisations menacées par les inondations et aggraver leurs niveaux extrêmesDe même, la construction de défenses côtières dures comme des digues entraînent un « resserrement du littoral », c’est-à-dire une réduction de la surface disponible pour les habitats naturels (principalement la végétation, comme les marais salants ou les mangroves) qui atténuent pourtant les vagues pendant les tempêtes.

Proposition #20 : « Renaturer » les écosystèmes littoraux pour faire face au recul du trait de côte

Sur les territoires littoraux, planifier la protection et la restauration des espaces côtiers naturels notamment les zones humides, les mangroves, les dunes ou les cordons dunaires afin d’assurer une meilleure résistance aux inondations côtières et aux tempêtes.

Limiter strictement les prélèvements de sable pour les activités de construction à proportion de l’exposition du risque local d’élévation du niveau de la mer sur le territoire.

2) Le retrait-gonflement des argiles : une menace grave pour le bâti existant

Une exposition régulièrement réévaluée à la hausse

La répétition des événements de sécheresse, en plus de ses conséquences agricoles, met en danger un certain nombre d’habitations et d’infrastructures par le phénomène de retrait–gonflement des argiles. La consistance des sols argileux se modifie en fonction de leur contenu en eau. Humidifié, un sol argileux est souple (gonflement), alors que desséché, il sera dur et cassant (retrait), ce qui implique des changements de volume importants d’une période à une autre.

Par l’augmentation de la fréquence et l’intensité de ces vagues de sécheresse, le changement climatique accroît l’amplitude du phénomène de retrait des argiles et met ainsi en danger un nombre de plus en plus significatif d’infrastructures par le craquement des sols qui les supportent ou la fissuration des façades qui les composent. Un recensement du ministère de la transition écologique estime que plus de 10,4 millions de maisons individuelles sont potentiellement très exposées à ce type d’événement du fait de la structure des sols qui les soutiennent et des matériaux qui les composent (Figure 19)[76].

Figure 19 : Part des maisons individuelles construites après 1976 exposées au retrait-gonflement d’argiles d’après le recensement de ministère de l’Écologie

Les routes sont concernées par les mêmes risques. Pendant les vagues de sécheresse prolongées, des fissures et des déformations d’ampleur peuvent apparaître sur la chaussée et mettre en danger les usagers[77]. La tour de France 2022 avait d’ailleurs été l’occasion de plusieurs scènes marquantes d’arrosage des routes pour permettre à la course de se poursuivre dans de bonnes conditions[78].

Un enjeu de maturité dans la compréhension du risque et l’accompagnement des populations touchées

Les potentiels sinistrés sont peu informés sur leur exposition au retrait gonflement des argiles ainsi que sur les dispositifs d’accompagnement en cas de sinistre. Lorsqu’ils sont confrontés au phénomène, les habitants ne connaissent pas forcément les procédures d’indemnisation et d’accès aux aides exceptionnelles qu’ils pourraient toucher, dans le cas où l’événement serait considéré comme une catastrophe naturelle par les autorités. Il convient alors d’améliorer considérablement la cartographie des zones potentiellement concernées au niveau local, afin de cibler les dispositifs de sensibilisation sur les propriétaires de maisons vulnérables et les accompagner dans les procédures de prévention du risque ou de dédommagement. Ensuite, les procédures de dédommagement doivent être conditionnées à une reconstruction adaptée aux nouvelles conditions climatiques, la reconstruction à l’identique ne pouvant que conduire à un accident similaire à court ou moyen terme.

Proposition #21 : Accompagner les populations face aux dégâts des retraits gonflement des argiles.

Adjoindre à la cartographie des risques du territoire un volet sur la question du retrait gonflement des argiles permettant de caractériser localement les infrastructures fortement exposées (maison individuelle, bâtiments, infrastructures, réseaux et voirie).

Doter, en conséquence, les particuliers et les gestionnaires d’infrastructures des moyens de connaître leurs vulnérabilités par la réalisation de campagnes de sensibilisation ciblées sur les zones les plus menacées et la mise à disposition d’outil de diagnostic via une plateforme en ligne.

Simplifier et automatiser la caractérisation en tant que catastrophe naturelle et l’accès aux fonds de dédommagement par la simplification et l’accompagnement actif des sinistrés dans les procédures de demande. Amender le dispositif d’accompagnement CatNat, en y excluant la possibilité d’effectuer une reconstruction à l’identique et définir de nouvelles caractéristiques de constructions obligatoires pour avoir accès au financement des travaux.

Stimuler l’innovation pour faire face structurellement au phénomène de retrait gonflement des argiles

Bien que certaines solutions techniques soient trop récentes ou manquent encore d’efficacité, elles peuvent être déployées pour limiter la vulnérabilité d’infrastructures menacées. Testée à l’échelle d’une maison d’essai, l’expérimentation du CEREMA de Maison Confortée par Humidification permet de maintenir l’humidité au niveau des fondations de la maison par une hydratation via les eaux de pluie. Les résultats de 4 ans d’expérimentation s’avèrent satisfaisants. La solution serait déployable rapidement pour un coût modeste d’environ 15 000 euros par maison.

De même, en partenariat avec la Région Centre-Val de Loire, le CEREMA travaille au déploiement de nouvelles solutions d’entretien de la chaussée, les techniques traditionnelles de réparation de la route étant inefficaces face au phénomène de retrait-gonflement des argiles. Ces solutions consistent à agir à la fois sur la structure de la chaussée pour ralentir la propagation de fissure, mais aussi sur l’environnement proche pour limiter l’évapotranspiration autour, et enfin sur la profondeur du sol par des traitements visant à renforcer la rétention des eaux dans le sol[79].

Plus généralement, l’innovation joue un rôle central dans la maîtrise de la vulnérabilité du parc résidentiel au retrait-gonflement des argiles. Il apparaît prioritaire de stimuler la recherche dans ce secteur en soutenant financièrement l’expérimentation et le déploiement de ces initiatives.

Proposition #22 : Encourager l’innovation technique pour la résilience du bâti face au retrait-gonflement des argiles

Poursuivre et massifier les expérimentations menées par le CEREMA sur les dispositifs de renforcement de la résilience des habitations et de la voirie (Maison confortée par humidification et partenariat avec la région Centre-Val de Loire pour l’entretien de la voirie).

Généraliser le déploiement des solutions fonctionnelles et équiper les programmes de renouvellement d’habitation et d’infrastructures existantes de moyens d’ingénierie leur permettant d’intégrer le risque de retrait gonflement des argiles à la conception des opérations qu’ils soutiennent.

Conclusion

Pour beaucoup, la brutalité de l’été 2022 a marqué une prise de conscience des effets du changement climatique sur leur vie quotidienne : aujourd’hui, une grande majorité de la population se déclare particulièrement préoccupée par les conséquences d’un climat bouleversé par l’activité humaine[80]. La période estivale a aussi révélé l’impréparation du pays aux vagues de chaleur, de sécheresse et aux inondations qui se multiplieront dans les années à venir. Après des décennies de déni et d’inaction climatique, le danger est désormais tangible et connu de tous et toutes et la dérive climatique va durablement affecter la qualité de vie en ville, la pérennité de notre modèle de production agricole et la viabilité de nos infrastructures.

Face à ses changements brutaux, le pays devra nécessairement s’adapter. Nous devons nous interroger : quelle forme d’adaptation voulons-nous collectivement mettre en place ? Sans planification et sans anticipation des crises, l’adaptation sera douloureuse, inégalitaire et climaticide. Une réponse purement limitée à la gestion de l’urgence conduira, par exemple, à l’octroi de ressources budgétaires colossales pour la gestion de crises graves, à la hausse des frais d’assurance excluant les plus précaires des dispositifs de couverture, au déploiement massif de climatisations chez les particuliers, ou encore à la reconstitution des réseaux primordiaux (eau, électricité) sous forme partiellement privés. Cette forme d’adaptation essentiellement réactive laissera de côté la majorité de la population et prolongera un modèle destructeur du climat et de la cohésion sociale.

Pourtant, il existe un autre chemin qui replace la décision publique au cœur de nos choix sociétaux pour organiser une adaptation systémique et juste. Mettre la France sur la voie d’un développement résilient ne pourra se faire sans planification éclairée. Cette adaptation doit s’appuyer sur des solutions fondées sur la nature et sur des investissements massifs et territorialisés. Les objectifs de l’Accord de Paris et la dépendance actuelle de la France aux énergies fossiles exigent d’articuler cette politique d’adaptation avec une réelle stratégie de décarbonation. Les gestions de crise devront être accompagnées d’une sensibilisation des populations aux conséquences des aléas attendus pour bâtir une culture commune du risque climatique. La mise en place d’une force d’intervention citoyenne s’avérera décisive pour porter secours aux populations sinistrées, remettre en état les réseaux, les services publics et les infrastructures détruites. Pour piloter le déploiement de ces moyens d’anticipation, de prévention et de gestion de crise, il sera nécessaire d’articuler les différents échelons de la puissance publique avec les citoyens et les entreprises au sein d’un grand projet de transformation.

Placé au cœur de la République écologique, ce grand projet de résilience couplant atténuation et adaptation permet de déjouer les effets démobilisateurs du catastrophisme ou de la sidération face à des événements qui deviendront de plus en plus anxiogènes. L’adaptation met l’accent sur la capacité d’action face à des crises désormais inéluctables, mais sur lesquelles il est encore possible d’agir, à condition de ne pas verser dans l’attentisme, la minimisation des enjeux ou la toute-puissance. Le chemin vers la résilience, couplant anticipation, planification et entraide suscite ainsi une revitalisation du concept d’intérêt général et justifie la réappropriation collective du temps long par un sursaut essentiel à notre survie en tant que société libre, égalitaire et solidaire.

Un grand merci aux relectrices et relecteurs qui ont permis d’améliorer grandement la qualité de cette note et en particulier à Morgane Gonon, Chloé Ridel, Tiphaine Langlois, Lolita Augay, Laurent Dicale, Pierre Gilbert et César Dugast.

[1] Citation issue du 2ème volet du 6ème rapport du GIEC : « Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability » ; Février 2022

[2] Equilibre entre les émissions anthropiques et les capacités de séquestration des puits de carbone au niveau planétaire

[3] Existe-t-il vraiment une inertie climatique de 20 ans ? Bon Pote, juillet 2021

[4] Forçage radiatif : définition, origines et impact sur le climat, youmatter, juin 2020

[5] Sur des échelles de temps plus longues, du millier à la centaine de milliers d’années, il faut également prendre en compte un troisième moyen : l’altération des silicates et carbonates des roches comme mécanisme d’élimination.

[6] Carbon dioxide and climate impulse response functions for the computation of greenhouse gas metrics: a multi-model analysis, Joos et al, 2013

[7] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[8] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[9] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[10] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[11] Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France de combien parle-t-on ?; I4CE ; Juin 2022

[12] L’adaptation dans le budget de l’état ; I4CE, Novembre 2020

[13] Stratégie de Résilience des territoires ; The Shift Project ; 2022

[14] Copernicus: Summer 2022 Europe’s hottest on record?, Copernicus, septembre 2022

[15] La canicule a causé « vraisemblablement » 11 000 morts en France ; Reporterre ; septembre 2022

[16] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[17] Le Haut Conseil pour le Climat définit une vague de chaleur comme une période où la température maximale est supérieure de plus 5°C à la normale (1976/2005) pendant 5 jours consécutifs.

[18] Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation, Haut Conseil pour le Climat, juin 2021

[19] L’ozone des basses altitudes, une épée à double tranchant, Carbone 4, Avril 2022

[20] Toujours plus d’habitants dans les unités urbaines, INSEE, Octobre 2020

[21] Artificialisation des sols, Ministère de la Transition Ecologique, Janvier 2022

[22] Sommés de partir, les jardiniers d’Aubervilliers résistent au Grand Paris, Reporterre, Juillet 2021

[23] Proposition commune avec le Shift Project formulée dans le rapport Stratégie de Résilience des territoires ; The Shift Projet ; 2022

[24] Habiter dans une société bas-carbone, The Shift Project, Octobre 2021

[25] L’albédo est une grandeur physique qui caractérise le pouvoir réfléchissant d’une surface : plus celui-ci est fort (couleur blanche) moins l’énergie solaire sera absorbée par la surface concernée traduisant un refroidissement de l’intérieur du bâtiment.

[26] 2% pout 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050 ; Institut Rousseau ; Mars 2022

[27] Habiter dans une société Bas Carbone ; The Shift Project ; Octobre 2021

[28] Comment accélérer la rénovation énergétique des logements ?, France Stratégie, Octobre 2020

[29] L’étiquette énergétique d’un bâtiment ou d’un logement indique, suivant les cas, soit la quantité d’énergie effectivement consommée, sur la base de factures, soit la consommation d’énergie estimée pour une utilisation standardisée.

[30] Le free-cooling consiste à organiser des systèmes de ventilation naturelle dans le bâtiment en créant naturellement des mouvements d’air pour que l’air extérieur vienne refroidir les locaux.

[31] Rapport annuel 2022- Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat ; Juin 2022

[32] Rapport Annuel 2022 – Dépasser les constats, Mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat, Juin 2022

[33] Climate change and insurance: What effect will it have on claims between now and 2050? ; Covéa White Paper, Janvier 2022

[34] Inondations : au moins 191 morts en Allemagne et en Belgique, encore des centaines de disparus, Le Parisien, Juillet 2021

[35] Inondations dans la vallée de la Roya : les habitants tentent de surmonter le traumatisme, Reporterre, Novembre 2020

[36] La France fait partie des rares pays en Europe à s’être dotés d’un dispositif garantissant aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités territoriales une indemnisation des dommages matériels causés par un phénomène naturel. Par la loi du 13 juillet 1982, elle instaure un régime spécifique d’indemnisation, sous forme de partenariat public-privé, le régime « CatNat » pour pallier une carence de couverture des risques naturels.

[37] Sécheresse : « Plus d’une centaine de communes n’ont plus d’eau potable », annonce le gouvernement ; France Bleu ; Août 2022

[38] « Nos plantes crèvent » : dans la Drôme, les paysans abattus par la sécheresse ; Reporterre ; Juillet 2022

[39] Grillakis MG. (2019) Increase in severe and extreme soil moisture droughts for Europe under climate change. Science of The Total Environment 660:1245–1255.

[40] Rapport 2022 : Dépasser les constats mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat ; Juillet 2022

[41] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[42] Conflits d’usage lors de pénuries d’eau : audition par la mission d’information parlementaire et réutilisation des eaux usées traitées ; CEREMA ; Août 2020

[43] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[44] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[45] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[46] Le scénario Afterres 2050, Solagro, 2016

[47] + 1 degrés celsius = – 6% de rendement en blé, Terre-net Média, septembre 2017

[48] Le revers de notre assiette. Changer d’alimentation pour préserver notre santé et notre environnement, Solagro, 2019.

[49] Quelques chiffres clés sur la consommation d’eau en élevage bovin, Web-agir, Avril 2020

[50] Vers la résilience alimentaire ; Les Greniers de l’Abondance, 2020

[51] Figure issue de : « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[52] Les facteurs de stress non climatique des sols peuvent par exemple correspondre à la surutilisation de pesticides, le recours à des pratiques de labour qui tassent les sols ou encore les différents types de pollutions qui peuvent les impacter

[53] Trop lourdes, les machines agricoles étouffent les sols, Reporterre, mai 2022

[54] Qu’est-ce que l’agriculture écologiquement intensive ?, conférence de Michel Griffon, 2013

[55] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

[56] La souveraineté alimentaire de la France en quatre questions, Hélène Gully, Avril 2020

[57] L’outil CRATer est un outil de visualisation du diagnostic de résilience alimentaire pour chaque territoire de France. Il est directement accessible sur le site : https://crater.resiliencealimentaire.org/

[58] Outil CRATer, Calculateur de résilience alimentaire des territoires ; Greniers d’abondance

[59] Note de position #12 Autonomie alimentaire des villes, Utopies, 2017

[60] Tome II – Agir – Stratégies de résilience des territoires, The Shift Project, Décembre 2021

[61] En France, 20% de l’eau potable fuit dans la nature et le plan de relance verte doit y remédier ; Novethic ; juillet 2020

[62] Face aux incendies, les parlementaires réclament plus de forestiers, Reporterre, Août 2022

[63] Rapport de la mission interministérielle : Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts ; Ministère de la transition écologique ; 2021

[64] Risque maximal de feu de forêt en Picardie ; L’Aisne nouvelle ; Juillet 2022

[65] 130 hectares partis en fumée dans la Somme en juillet, les pompiers en alerte face aux fortes chaleurs des prochains jours ; France 3 région ; Juillet 2022

[66] Canicule en Bretagne : plus de 300 hectares ravagés par un important incendie dans les Monts d’Arrée ; RTL ; Juillet 2022

[67] L’État détruit l’Office national des forêts, ses agents se rebellent ; Reporterre ; Novembre 2021

[68] Mégafeux : la France pourrait aussi être touchée ; Reporterre ; Janvier 2020

[69] La flotte aérienne française de lutte contre les incendies est-elle la plus importante d’Europe, comme le dit Darmanin? ; Libération ; Juillet 2022

[70] Sécurité Civile : un indispensable renforcement des moyens nationaux face à la multiplication des crises ; Senat ; Novembre 2022

[71] Adaptation de la France au changement climatique, Ministère de l’écologie, Janvier 2021

[72] Changement climatique et montée du niveau de la mer. L’expertise du GIEC sous estime-t-elle le risque ? ; Pascal Maugis UVSQ Paris-Saclay ; Septembre 2020

[73] Base de données : Climate Central

[74] GéoLittoral : Indicateur national de l’érosion côtière ; Ministère de la Transition Ecologique ; Juillet 2022

[75] Rapport commun IPBES-GIEC : Biodiversity and Climate Change Workshop Report, Juin 2021

[76] Nouveau zonage d’exposition au retrait-gonflement des argiles : plus de 10,4 millions de maisons individuelles potentiellement très exposées ; Ministère de la transition écologique ; juin 2021

[77] Phénomène de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) : définitions, impacts sur les ouvrages et les personnes et solutions d’adaptation au changement climatique, CEREMA, Avril 2022

[78] Tour de France : les organisateurs justifient l’utilisation de 10.000 litres d’eau pour arroser les routes ; Europe 1 ; Juillet 2022

[79] Phénomène de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) : définitions, impacts sur les ouvrages et les personnes et solutions d’adaptation au changement climatique, CEREMA, Avril 2022

[80] Quatre Français sur cinq convaincus de l’importance d’agir contre le changement climatique ; Le Monde ; Juillet 2022

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