La réforme des retraites, du clash au crash démocratique : le rendez-vous manqué du Conseil constitutionnel
Crise démocratique, n’ayons pas peur des mots ! En sus d’une crise sociale et écologique, pourrait bien résulter une crise de régime politique. Ancrée depuis plusieurs décennies, la crise de la représentation fut portée sur le devant de la scène publique par le mouvement des gilets jaune. À l’ère du netizen – citoyen hyperconnecté – la légitimité démocratique se voudrait davantage procédurale : « la décision légitime […] résulte de la délibération de tous »[1]. Face à ces revendications, le chef de l’État n’a eu de cesse de rappeler sa prétendue détermination à relégitimer démocratiquement le processus de décision via de nouvelles méthodes délibératives englobantes : Grand débat, conventions, CNR… En vain. Pour preuve, dans ce contexte de crise de la « généralisation de la volonté »[2], le pouvoir exécutif a choisi de porter une réforme des retraites clivante dont la principale mesure, le report de l’âge légal de départ à 64 ans, est contestée par l’ensemble des syndicats et très massivement rejetée par les Français. Pour mener à bien sa réforme, le Gouvernement a utilisé l’arsenal du parlementarisme hyper-rationalisé que fournit la Constitution de la Vème République heurtant, davantage encore, le peu de confiance de ses « gouvernés » envers leurs institutions. Prenons les choses à rebours. À l’Assemblée, l’examen du texte s’est achevé par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Incapable de dégager une majorité solide pour adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a utilisé – et ce, pour la onzième fois depuis le début de la législature – cette arme atomique prévue par la Constitution permettant de faire adopter un texte sans vote, en mettant en jeu la responsabilité du gouvernement. Faute d’atteinte du nombre de votes requis en faveur de la motion de censure transpartisane LIOT présentée, la réforme des retraites se trouve entérinée mais il s’en est fallu de peu : 9 voix ont manqué pour renverser le gouvernement Borne ! L’Assemblée nationale ne se sera donc en réalité jamais prononcée directement sur ce texte fondamental, les travaux ayant été interrompus sans passage au vote en première lecture… Si le Gouvernement fait valoir qu’un vote a bien eu lieu au Sénat[3] – ce qui ne compense pas d’ailleurs l’absence de vote au sein de la chambre légitimement élue sur un sujet d’une telle importance – il faut dire que celui-ci fut obtenu au prix du recours à l’utilisation du fameux « vote bloqué » de l’article 44 alinéa 3 de la Constitution. Concrètement, ce mécanisme permet au Gouvernement de demander un vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. La violence du processus[4] est telle que le gouvernement a utilisé cette procédure sur l’ensemble du texte : les parlementaires peuvent débattre et s’exprimer, sans qu’il leur soit toutefois permis de passer au vote, article par article, selon leurs amendements. En somme, le dictat du tout ou rien, le choix binaire du à prendre ou laisser. Alors que l’essence de la discussion parlementaire requiert que chaque amendement, chaque article soit examiné puis voté, le 44-3 empêche cette fécondité délibérative pour obliger à un vote unique, pour ou contre, l’ensemble du texte. Foncièrement, le choix du véhicule législatif utilisé pourrait bien vicier l’ensemble du processus législatif. En choisissant d’insérer cette réforme des retraites dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) régi par l’article 47-1 plutôt que dans un projet de loi ordinaire, le Gouvernement a certainement joué avec le texte constitutionnel, obligeant le Parlement à se prononcer sur ce texte capital sous 50 jours. L’on notera, tout d’abord, qu’aucune des grandes réformes des retraites de ces 20 dernières années ne fut soumise à la procédure de l’art 47-1, même si le Sénat tentait déjà d’incorporer des amendements relatifs à cet objet dans les PLFSS précédents. Le problème se pose avec une acuité grandissante s’agissant d’un PLFRSS, consistant, en principe, à rectifier, les budgets adoptés en cours d’exercice. En l’espèce, les dispositions litigieuses du PLFRSS relèvent, par opposition au domaine exclusif, du domaine partagé des lois de financement : le premier regroupe les dispositions pour lesquelles les LFSS disposent d’un monopole (par exemple l’affectation totale ou partielle d’une recette exclusive du champ « LFSS » à une autre personne morale), le second les dispositions qui peuvent indifféremment figurer en loi ordinaire ou en LFSS[5]. Or, on constate depuis de nombreuses années, une extension problématique de ce domaine partagé, en PLF et en PLFSS, permettant au Gouvernement de faire ainsi bénéficier à des mesures plutôt clivantes (on pense au gel des minimas sociaux en 2017) une telle procédure de contournement. En effet, les procédures d’examen des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale fixées aux articles 47 et 47-1 et par extension rectificatifs comme en l’espèce, se caractérisent par leur caractère dérogatoire quant à la procédure parlementaire suivie (texte du Gouvernement examiné en séance, une seule lecture, délais stricts d’examen…), se justifiant par l’urgence. Cette méthode du recours à un PLF ou PLFSS et surtout à un PLFR ou à un PLFRSS pour faire passer des mesures sociales si capitales ne doit pas être ignoré. Le danger est grand de créer un précédent dans lequel les futurs gouvernements pourront s’engouffrer : toute réforme ayant un impact social réel, sous couvert d’impact budgétaire – et rares sont celles qui n’en ont pas – pourrait à terme être portée par un PLF ou un PLFSS et par extension un PLFR ou un PLFRSS et bénéficier d’une procédure parlementaire dérogatoire. Il faut également rappeler que l’article 49-3, restreint dans son utilisation à celui d’un par session, n’est pas comptabilisé quand il en est fait usage sur des PLF ou PLFSS et par extension rectificatifs. Que reste-t-il dès lors pour empêcher l’entrée en vigueur de la réforme des retraites ? Qu’il s’agisse d’acter l’illégalité de la réforme ou de permettre l’organisation d’un référendum d’initiative partagée tendant à interdire la fixation de l’âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans,
Par Toudic B., Marienval M.
14 avril 2023