La pandémie de covid-19 a fait voler en éclats la façade de solidarité internationale, tant mondiale (ONU, OMS) que zonale (UE). Les institutions onusiennes sont sous-mobilisées et instrumentalisées, les grandes puissances se replient sur elle-mêmes, et apparaissent, patents, des comportements d’accaparation et assumés de realpolitik. Face à cela, l’ONU et l’OMS, restent les plus légitimes pour organiser une réponse mondiale, et ne peuvent demeurer le cache-misère des intérêts particuliers des puissances réunies dans des « clubs » informels tel le G20.
Lutter contre la pandémie du covid-19 avec peu ou prou le budget annuel de la ville de Strasbourg… Voici à quoi est rabaissée l’Organisation mondiale de la santé (OMS) face à la crise actuelle. L’institution spécialisée de l’Organisation des nations unies (ONU) a en effet lancé le 5 février dernier un appel à contributions de seulement 613 millions d’euros pour son « Plan stratégique de préparation et de riposte pour lutter contre le nouveau coronavirus ».
Victime elle aussi de la désunion internationale, l’ONU en est réduite au même quémandage. Ce n’est que le 25 mars, soit 3 mois après le début de la pandémie, qu’António Guterres, son secrétaire général, a appelé à la création d’un fonds international de 2 milliards de dollars pour les pays les plus fragiles. Réaliste, il a décrit ce montant comme une « goutte d’eau dans l’océan » en comparaison du plan de relance états-unien, voté le même jour, qui s’élève à plus de 2 000 milliards de dollars.
Tout ceci révèle à nouveau les failles profondes d’un système international instrumentalisé et dévoyé par les grandes puissances, au détriment manifeste de l’intérêt général mondial. Alors même que le caractère transnational de la pandémie aurait nécessité per se une coopération structurée et une coordination tant des moyens sanitaires que des mesures d’endiguement, les institutions onusiennes ont été affaiblies et court-circuitées.
Que vaut désormais la crédibilité et l’expertise sanitaire internationales de l’OMS ? Lorsque l’on sait que c’est sous pression de certains États, dont a priori la République populaire de Chine (RPC) où les cas de covid-19 étaient alors essentiellement localisés, que l’organisation a tergiversé et tardé à déclarer, finalement le 30 janvier, « l’urgence de santé publique de portée internationale »… et donc probablement ralenti la prise de conscience politique mondiale ?
Mais surtout, que vaut désormais l’ONU ? L’organisation la plus universelle, la plus démocratique, et donc la plus légitime, a été remisée à l’arrière-plan par le G20, club fermé où le produit intérieur brut tient lieu de ticket d’entrée. C’est cette instance opaque qui a été privilégiée pour la délibération des dernières décisions mondiales, avec l’annonce le 26 mars d’un plan de relance coordonné de 4 800 milliards de dollars. À noter que ce plan n’a pas pour but d’organiser en urgence une planification sanitaire mondiale, mais de « lutter contre les effets économiques, sociaux et financiers de la pandémie ».
Si on peut raisonnablement s’attendre en urgence à une telle planification (organisation des chaînes de production et d’approvisionnement pour masques, équipements de protections, tests et principes actifs essentiels, mesures d’endiguement et aides humanitaires coordonnées, etc.), c’est au contraire la stabilité économique et financière mondiale qui semble primer dans ces négociations informelles. Au-delà de ces objectifs affichés du plan de relance, la dernière déclaration du G20 est ainsi pour plus de moitié consacrée à « préserver l’économie mondiale » et à « faire face aux perturbations du commerce international », prenant même le temps de saluer le report des JO de Tokyo en 2021…
Encore plus préoccupant, sur les cendres de la solidarité internationale on voit à nouveau resurgir brutalement les intérêts particuliers des États. Au niveau zonal, on ne peut que constater que l’Union européenne n’a toujours pas pu organiser ou arbitrer une réponse commune sur un plan politique et sanitaire. Pour principale action, celle-ci a desserré ses règles de discipline budgétaire ce qui signifie acter l’échec d’une politique unie cohérente, et donc le pis-aller de politiques nationales divergentes, soit la désunion. La présidente de la Commission européenne n’a pu que constater que le « réflexe initial » du chacun pour soi des États membres avait primé. Des actes d’accaparation et de déloyauté sont ainsi assumés, tels le détournement par la République Tchèque de 110 000 masques et respirateurs destinés à l’Italie, cette dernière se trouvant alors dans une situation sanitaire bien plus grave, ou les interdictions d’exportation de respirateurs début mars par la France et l’Allemagne, finalement levées une dizaine de jours après. La tentative du président états-unien d’obtenir l’exclusivité d’un futur potentiel vaccin contre le covid-19 semble relever d’une logique tout aussi délétère.
À l’échelle internationale, une coopération bilatérale intéressée s’est ostensiblement substituée au multilatéralisme. En l’absence de mécanisme d’organisation commun mondial ou européen, c’est à grand bruit que la Russie, la RPC, et même Cuba et le Venezuela ont mis en œuvre une « diplomatie de la générosité » par l’envoi médiatique de masques, tests de dépistage ou personnels formés. Or cette aide « humanitaire » n’échappe pas aux règles de la realpolitik. Que l’Italie ait été le premier récipiendaire en Europe rappelle aussi qu’elle fut le premier État européen, il y a un an, à signer un protocole d’accord avec la RPC sur son grand projet des « routes de la soie ». De même, les pays africains, cibles de la politique de « Chinafrique », se sont récemment vus affréter de l’aide par l’oligarque Jack Ma, proche du régime de Pékin.
Face à ce constat dramatique, l’urgence internationale est de mettre fin à cette désorganisation inconséquente. La réponse à une pandémie ne peut qu’être guidée par un intérêt principalement mondial. À court terme, cela signifie que les négociations et la coordination politiques doivent être menées par le Conseil de sécurité de l’ONU, ou par un comité expressément mandaté à cet effet par son Assemblée générale. En appui, ce serait à l’OMS d’apporter l’expertise nécessaire pour que cette coordination aboutisse à l’arbitrage d’une planification sanitaire d’urgence. À cet effet, le fonds international de 2 milliards de dollars devrait a minima voir ses fonds décuplés (avec un financement par exemple calqué sur le même ratio que les quotes-parts de l’ONU), et avoir pour fonction d’assurer le suivi opérationnel de l’organisation de la chaîne de production et d’approvisionnement. C’est sous de telles conditions que les populations mondiales ne seront plus otages de facto des intérêts particuliers nationaux des États qui détiennent les personnels, usines, laboratoires, et technologies nécessaires à la lutte contre la pandémie.
Arnaud Iss & Nicolas Dufrêne