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Les Golden shares comme outils de planification écologique en alternative aux participations de l’État

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      Les Golden shares comme outils de planification écologique en alternative aux participations de l’État

      Judith Kleman et Camille Souffron

      Pour l’Institut Rousseau

      Octobre 2024

      Introduction                                                                                          2

      1. Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée 4
      2. Actions spécifiques : qu’est-ce ? 4
      3. Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens 6
      4. Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique 8
      5. Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques 8
      6. Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ? 9
      7. Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique 10

      III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ?                                                                                        12

      1. Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité 12
      2. (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux 13

      Propositions                                                                                        14

      Résumé général :

      Nous proposons la réappropriation de l’outil de l’action spécifique (golden share) par l’État, action qui lui donne des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Nous proposons également le développement de nouveaux mécanismes juridiques et administratifs pour renforcer la souveraineté nationale, développer de réelles stratégies économiques, piloter la nécessaire transition écologique et affronter les crises actuelles.

      Proposition n°1 :

      ●      Réappropriation par l’État de l’action spécifique dans des entreprises stratégiques (Total, Veolia).

      ●      Élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE) et des secteurs sensibles du Code monétaire.

      ●      Utilisation de l’action spécifique pour relancer des activités productives innovantes (i.e. mines de lithium, IA).

      Proposition n°2 :

      ●      Couplage avec une planification économique et écologique ambitieuse.

      ●      Mobilisation de différents services et organismes d’État pour sortir de la gestion passive des participations. Encouragement de la transformation des entreprises vers des missions sociales (affectio societatis).

      Proposition n°3 :

      ●      Développement de nouveaux droits dans l’action spécifique (inspirés de l’Allemagne et des Pays-Bas) : droit de véto de l’État sur des votes stratégiques, interdiction de développer des activités nuisibles, obligation de réinvestir une partie des profits, plafond des droits de vote pour les gros actionnaires.

      ●      Sélection de droits conférés selon les enjeux de chaque entreprise pour éviter l’opposition de la CJUE.

      Proposition n°4 :

      ●      Conditionnement des financements et commandes publics à des critères environnementaux, sociaux, et économiques.

      Proposition n°5 :

      ●      Création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale, et des droits humains. Inclusion des entreprises étrangères opérant en France dans ce contrôle.

      Proposition n°6 :

      ●      Adaptation du cadre européen (TFUE) pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, bien que la révision des traités soit difficile.

      ●      Utilisation de précédents juridiques pour justifier la réappropriation d’entreprises stratégiques face aux crises écologiques. Sélection précise des droits pour éviter un blocage européen.

      Introduction

      Le 19 juin dernier était publié le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Energies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, avec une liste de recommandations. Parmi ces dernières, un outil juridique d’une grande influence et peu discuté dans le débat public a été remis au goût du jour : l’action spécifique. Le rapport appelle en effet l’État à en acquérir une dans l’énergéticien à la fois pour organiser sa transition écologique et le protéger de l’américanisation massive de son actionnariat. L’action spécifique pourrait être un puissant outil de planification écologique, en plus de la défense des intérêts stratégiques de la France. D’autant que le concept de planification écologique s’est récemment développé dans le débat public et là où on ne l’attendait pas à une échelle remarquable, que ce soit chez des économistes comme Jean Pisani-Ferry évoquant le retour d’une « économie de pénurie »[1], ou bien directement au sein du gouvernement qui en revendique le terme[2].

       

      La planification écologique, déjà évoquée dès 1972 par le président de la Commission européenne Sicco Mansholt dans sa fameuse lettre[3], peut s’avérer prometteuse voire nécessaire[4] dans une conjoncture économique instable et face aux conséquences de l’effondrement écologique, au vu des besoins en termes d’investissement[5] et de coordination des secteurs public et privé. Mais encore faut-il que cette planification soit réalisée par un État-stratège avec une vision cohérente, au-delà des purs effets d’annonce et aspects marketing. Or, dans le rapport d’information sénatorial de 2021 sur les participations annuelles de l’État[6], la sénatrice LR Martine Berthet notait qu’il était de plus en plus difficile de deviner une stratégie de long terme de la part de l’État français, et cela particulièrement au sujet de la dimension actionnariale de l’État. Selon ce rapport, le compte d’affectation spéciale « participations financières de l’État », regroupant recettes et cessions des dites participations, ne serait devenu depuis 2017 qu’un « outil comptable de la politique d’investissement de l’État » plutôt « qu’un levier d’action de l’État stratège ». La Cour des comptes va jusqu’à parler de « perte de substance »[7].

       

      Autrement dit, plutôt que d’investir et de soutenir des secteurs stratégiques pour l’intérêt national, de sauvegarder la souveraineté économique du pays face à des gestionnaires court-termistes et des investisseurs étrangers, la gestion des actions de l’État suivrait désormais une simple logique d’optimisation du budget à court terme. L’État lui-même ferait parfois pression sur les actionnaires privés et les conseils d’administration pour verser et augmenter les dividendes ou bien réaliser des choix stratégiques dans le seul but de maximiser le taux de marge d’EBIT[8], par exemple chez Thalès[9], alors que l’on aurait à l’inverse pu penser que l’État était un garde-fou face aux pressions de la valorisation actionnariale.

       

      Pourtant, l’État se retrouve rattrapé par l’urgence environnementale, dépassant le seul impératif climatique[10]. Une telle transformation impose de préparer les structures économiques et de coordonner un ensemble d’investissements publics (cf. le rapport 2 % de 2°C de l’Institut Rousseau) mais aussi privés. Nombre d’entreprises ne les réaliseraient pas d’elles-mêmes, que ce soit à cause de la priorité donnée à la maximisation de la valeur boursière ou dans l’attente d’un mouvement de fond, d’effets d’échelle et de complémentarités. Une intervention publique conséquente dans le secteur productif dont privé apparaît donc particulièrement compromise du fait des cessions régulières des actifs de l’État[11] et des contraintes budgétaires et d’endettement public actuelles, rendant compliquée l’entrée massive de l’État au capital de grandes entreprises voire des nationalisations.

      Cette note a pour but de présenter un outil déjà existant et à disposition de l’État, celui des actions spécifiques (ou golden shares), lui offrant un mode de participation ciblé pour garantir la protection des intérêts stratégiques et mobiliser directement le secteur privé dans la planification économique et écologique, cela en alternative à l’entrée massive au capital et aux nationalisations. Seront présentés le cadre juridique national et européen de cet outil et ses évolutions récentes à travers la loi PACTE et la jurisprudence communautaire contraignante. Il apparaîtra qu’un tel outil de planification est inopérant s’il n’est employé par un État-stratège avec une vision industrielle de long terme dépassant le simple horizon de la réduction du déficit public et de la rente sur dividendes, vision manquant actuellement à l’État français. Nous présenterons les secteurs stratégiques concernés ainsi que la nécessité d’élargir largement cette définition notamment face à la crise écologique et aux enjeux de sécurité nationale. Enfin, nous avancerons un ensemble de propositions pour développer cet outil, notamment face aux traités européens contraignants.

      I. Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée

      1.    Actions spécifiques : qu’est-ce ?

      Il existe pour l’État deux façons d’entrevoir la protection d’actifs dits stratégiques. La première est d’intervenir en tant qu’actionnaire de référence. La Seconde Guerre mondiale, puis la première partie du mandat présidentiel de François Mitterrand avaient ainsi donné lieu à un engagement plus fort de l’État dans l’économie par l’acquisition d’actifs détenus par le secteur privé de certaines entreprises de secteurs stratégiques, c’est-à-dire par nationalisation. Ce modèle a néanmoins subi un recul depuis plusieurs décennies[12], au travers de vagues de privatisations. Une privatisation se définit comme une cession d’actifs appartenant aux pouvoirs publics, et sa définition stricte requiert que l’État cesse d’être majoritaire au capital d’une entreprise. Récemment, la loi PACTE a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital du Groupe ADP anciennement Aéroports de Paris[13] (article 135 de la loi, même si le processus est suspendu depuis mars 2020), et de la majorité du capital de la Française des jeux (article 137 de la loi, dont le processus a été quant à lui effectivement lancé, cf. annonce de marché parue au JOUE du 7 juin 2019). La deuxième possibilité est donc celle d’un contrôle plus spécifique. Il peut tout d’abord s’agir de mécanismes règlementaires, qui permettent à l’État de disposer de certains pouvoirs sur les activités dites stratégiques, même s’il ne détient pas la majorité du capital de l’entreprise concernée, à l’image des « pactes d’actionnaires » que l’État utilise avec Airbus, Dassault Aviation et Safran. En l’espèce, un mode de participation ciblé et plus influent va retenir notre attention ici : les actions dites « spécifiques » (en anglais golden shares).

      Une action spécifique appartient à la catégorie des actions « préférentielles », des actions aux caractéristiques et droits différents des actions classiques. En l’espèce, l’action spécifique donne à l’actionnaire des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Résumé trivialement, il s’agit d’un droit de veto sur l’ensemble du capital de la société, avec notamment le pouvoir de s’opposer aux décisions de cession d’actifs. Plus précisément :

      • L’action spécifique soumet à une autorisation du ministre de l’économie le franchissement de seuils d’acquisition de parts actionnariales par des investisseurs (dont de concert), domestiques comme étrangers, et permet donc à l’État de bloquer les entrées au capital. En cas d’acquisitions irrégulières, les droits de vote liés ne sont pas effectifs, et la vente forcée desdits actifs peut être provoquée par l’É
      • Cette disposition offre également un droit de regard complet par la nomination d’un représentant de l’État au conseil d’administration ou tout organe délibérant – généralement le directeur général du Trésor – sans voix délibérative.
      • Surtout, elle permet à l’État de s’opposer aux opérations de cession, d’apport et de transmission d’actifs de l’entreprise et de ses filiales (incluant par fusion, dissolution, ou déplacement de la cotation principale dans une Bourse étrangère), dont les actifs immatériels, comme les brevets, pour empêcher les transferts de propriété intellectuelle.
      • Elle peut même permettre d’empêcher la modification des conditions d’exploitation desdits actifs et le changement de leur destination e. de leur finalité (ainsi que leur affectation à titre de sûreté par exemple dans des opérations financières risquées à fort effet de levier).

      Ainsi, sans détenir la majorité du capital, le détenteur d’une action spécifique peut exercer une influence conséquente sur la gestion de l’entreprise. Néanmoins, notons que si leur mise en place peut sembler régressive d’un point de vue libéral, les actions spécifiques sont historiquement et généralement mises en place dans des contextes de privatisations, qu’elles permettent de rendre plus acceptables (Chang, 1997)[14].

      En France, l’action spécifique est introduite par le gouvernement Chirac en 1986 lors de la vague de privatisation des années 1980, puis modifiée par la loi Macron de 2014[15], ainsi que par la loi PACTE du 22 mai 2019. Les actions spécifiques détenues par l’État concernent les entreprises menant des activités économiques jugées « sensibles » (définis par l’article L151-3 du Code monétaire et financier), et se justifient par « la protection des intérêts essentiels du pays en matière d’ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale »[16]. Les droits particuliers conférés par la détention d’une action spécifique doivent de plus être « définis dans chaque cas de façon à être nécessaires, adéquats et proportionnés aux objectifs poursuivis ». Dans ce cas-là, en vertu des dispositions préalablement citées, un décret peut prononcer la transformation d’action ordinaire détenue par l’État en action spécifique – nous aborderons infra les évolutions liées à la loi PACTE. L’État français dispose aujourd’hui de plusieurs actions spécifiques, notamment dans les entreprises Thales (depuis 1997), Engie (depuis 2007), Nexter Systems (défense terrestre, depuis 2015) mais aussi Eramet (matériaux énergétiques et métallurgie, depuis juin 2022), Arabelle Solutions anciennement GEAST (turbines nucléaires civiles et de sous-marins nucléaires), Safran Ceramics anciennement Herakles (matériaux composites haute température et céramiques avancées) et très récemment dans Bull (informatique, supercalculateurs et cybersécurité). Notons que les secteurs concernés ici sont principalement ceux de la défense et de l’énergie.

      2.    Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens

      Avant la loi PACTE, des actions détenues par l’État dans une entreprise pouvaient être transformées en actions spécifiques par décret seulement en cas de cession des actifs publics de ladite entreprise. Ce processus requérait donc préalablement une participation de l’État et une cession de type privatisation. Par rapport à ces dispositions datant de 1986, la loi PACTE relaxe cette hypothèse et n’exige que la satisfaction de l’une des deux conditions suivantes au 1er janvier 2018 en plus du fait de mener des activités « sensibles » au sens du Code monétaire et financier : que l’entreprise relève du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE)[17], ou qu’au moins 5 % de son capital soit détenu directement ou indirectement par Bpifrance ou une de ses filiales. La loi étend donc très largement le périmètre des entreprises pouvant être soumises à une action spécifique. De plus, elle impose aussi la nécessité de l’autorisation de l’État pour la modification des conditions d’exploitation et de changement de destination des actifs, donc sur une partie des choix stratégiques de l’entreprise.

      Néanmoins, de tels dispositifs doivent être « définis dans chaque cas de façon à être nécessaires, adéquats et proportionnés aux objectifs poursuivis », le Conseil d’État l’ayant par ailleurs rappelé dans son avis sur le projet de loi[18]. Ainsi, la loi crée également l’obligation pour l’État de réviser tous les 5 ans la nécessité, l’adéquation et la proportionnalité de ses actions spécifiques et droits associés face aux objectifs d’intérêts essentiels les justifiant. Tout cela limite le caractère discrétionnaire de ces dispositions.

      Limites fixées par le cadre européen

      En plus de ces limites domestiques, les actions spécifiques sont soumises au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et donc aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En droit de l’Union européenne en effet, un tel dispositif se heurte à la liberté d’établissement (installation d’une activité fixe dans un autre État membre, article 49 du TFUE) et surtout à la libre circulation des capitaux (article 63 du TFUE), les deux relevant d’une entrave aux droits des investisseurs. Néanmoins, l’article 65 du TFUE dispose que l’article 63 ne doit pas porter atteinte au droit qu’ont les États membres de mettre en place un certain nombre de dispositions et de mesures « indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers (…) ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. »

      Pour autant, même si cet outil est finalement peu connu, les jurisprudences de la CJUE sont nombreuses[19] et particulièrement restrictives quant à l’usage dudit outil par les États membres[20]. S’en dégagent plusieurs principes et secteurs d’application. En particulier les principes de nécessité – le caractère stratégique de l’entreprise mais également l’inexistence ou l’échec des mesures moins contraignantes pour garantir l’intérêt national – et de proportionnalité – seuils, délais de décision, types de droits conférés…)[21]. Il est piquant de constater que l’Allemagne elle-même, pourtant si prompte à exiger le respect des traités européens, a subi en 2007 une décision de la CJUE après saisine par la Commission européenne pour manquement contre la loi « Volkswagen » limitant les droits de vote des actionnaires[22]. Quant aux secteurs, ce sont la défense, les télécommunications et l’énergie qui ressortent. La défense étant une compétence souveraine, la CJUE n’examine pas les actions spécifiques concernées car elle n’est pas compétente (e.g. Thalès pour la France). Cependant, elle s’oppose généralement aux États membres dans les secteurs industriels, avec des exceptions notables, comme sur l’acquisition d’une action spécifique en anticipation de crises, pour assurer la continuité des télécommunications (Portugal) et de l’approvisionnement énergétique (Belgique). Enfin, il apparaît que la CJUE préfère nettement un régime dit d’opposition de l’État (à la suite d’une décision de l’entreprise jugée néfaste) à un régime d’approbation préalable, perçu comme une plus grande ingérence étatique.

      Néanmoins, la jurisprudence plus récente redonne des marges de manœuvre aux États membres en ayant débouté la Commission européenne et les entreprises dans un certain nombre de cas. Ainsi, une action spécifique néerlandaise offrant comme droits à l’État l’interdiction de la privatisation des entreprises de distribution d’électricité et de gaz, l’interdiction de la fusion entre groupes de production et de distribution, et l’interdiction pour ces entreprises de mener des activités susceptibles de nuire aux réseaux concernés a été jugée comme conforme au TFUE[23]. Surtout, une jurisprudence très intéressante est revenue en 2013 sur la loi allemande « Volkswagen », jugeant que la non-conformité au TFUE n’était pas causée par les droits spécifiques en soi (i.e. représentation des Länder au conseil d’administration, plafond de droit de vote à 20 % pour un actionnaire peu importe sa part actionnariale, et passage à une majorité qualifiée plus importante pour permettre à l’État d’être une minorité bloquante), mais bien la combinaison des trois menant à un « effet d’ensemble »[24]. La nouvelle décision valide donc la troisième disposition une fois les deux premières retirées. Ces revirements partiels ouvrent donc la voie à un usage plus large et renouvelé des actions spécifiques, notamment face aux contraintes financières s’opposant à des nationalisations et aux nouveaux enjeux de crise écologique.

      II. Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique

      1.    Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques

      Les actions spécifiques ont été créées certes dans un contexte de privatisation qu’il fallait rendre acceptable[25] d’autant plus quand elles concernaient des secteurs stratégiques, en garantissant à l’État de garder un contrôle sur les entreprises, mais également dans un contexte de financiarisation de l’économie qui mettait en danger le développement de long terme de certains secteurs. La financiarisation s’est traduite par un changement de vision autour de la profitabilité dans l’entreprise, laissant la part belle à la hausse de la part des profits et de la rémunération des dividendes, au détriment des salaires et des investissements, notamment auto-financés. Alors que les années 1970 prônaient la doctrine « retain and reinvest » (comprendre « garder dans l’entreprise les profits générés pour les réinvestir »), le capitalisme financiarisé amène à l’émergence du « downside and distribute » – comprenez : que les entreprises doivent désormais se concentrer sur la maximisation du rendement des actionnaires, sous prétexte que ceux-ci prendraient la majeure partie des risques pour elles, en distribuant régulièrement les bénéfices et en offrant des possibilités de sortie rapide de l’investissement, notamment par le biais de rachats d’actions (Lazonick & O’Sullivan, 2000)[26]. Ainsi, l’objectif de l’entreprise devient théoriquement la maximisation de la valeur actionnariale (Dobbin et Zorn, 2005[27] ; Froud et al. 2006[28]). Ce qui se fait au détriment du développement de long terme de l’entreprise.

      Pour un État stratège et planificateur, inquiet des opérations des secteurs économiques stratégiques, l’action spécifique peut alors devenir un rempart potentiel contre les logiques court-termistes de la financiarisation, en permettant de refuser la cession d’actifs (dont de filiales) et de capitaux par les actionnaires comme l’entrée d’investisseurs étrangers à partir d’un certain seuil. La présence de l’État au conseil d’administration et aux autres organes dirigeants, notamment à travers le Directeur général du Trésor qui en devient membre de droit, offre aussi un droit de regard et une influence sur les décisions stratégiques, incluant décisions d’investissement, de distribution et de rétention des profits. L’action spécifique offre donc des avantages théoriques certains pour lutter contre une priorisation des intérêts de court terme, tendance croissante structurant nos économies. Mais comme nous l’avons vu, si son usage de la part de l’État n’est pas plus répandu, c’est en partie parce que sa mise en place est fortement limitée par la législation française comme européenne.

      Précision importante, une action spécifique ne renvoie pas nécessairement à une action détenue par un État. Il peut également s’agir d’actions détenues par des acteurs privés. C’est ainsi le cas dans certaines steward ownerships, dispositifs allant encore plus loin que les entreprises à mission en France, bien que l’étant souvent elles-mêmes. L’entreprise à mission Ecosia est ainsi dotée d’une action spécifique garantissant que les profits soient utilisés uniquement pour permettre à l’entreprise de lutter contre la déforestation[29]. L’action spécifique détenue par les fiduciaires, que ce soit des salariés ou une fondation, offre alors un droit de veto sur toutes les décisions qui pourraient effectivement porter atteinte à l’objet social et à l’engagement de l’entreprise en faveur d’une gestion responsable. Dans ce cadre, la steward ownership amène à voir considérée comme prioritaire la réalisation d’une mission de long terme, spécifique à la firme (Sanders, 2022)[30]. Le profit y est vu comme un moyen parmi d’autres de développer la firme, notamment au travers de réinvestissements, et n’est plus au cœur de l’affectio societatis fondant l’entreprise.

      2.    Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ?

      Au-delà de se faire au détriment de l’accomplissement d’une mission, ou de la mise en place d’innovation, la maximisation du profit et de la valeur actionnariale liée à la financiarisation peut se retrouver en conflit avec les objectifs environnementaux. Ainsi, la loi PACTE affichait pour ambition une réelle prise en compte des enjeux et contraintes écologiques au sein de l’entreprise. Elle modifie l’article 1883 du Code civil qui dispose alors qu’une société, qu’elle soit civile ou commerciale, doit être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La protection de l’environnement est-elle donc enfin devenue une priorité pour la gouvernance d’entreprise, face à la maximisation de profit de court terme ? En réalité, si l’article 1883 mentionne bien la nécessité d’une prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, il précise également que celle-ci doit pleinement servir l’intérêt social de la société. Ainsi, la doctrine reconnaît que « l’absence ou l’insuffisance, ou à l’inverse l’excès, de prise en considération des aspects sociaux et environnementaux peut entrer en ligne de compte pour l’appréciation d’une faute de gestion et constitue un enjeu de responsabilité pour les dirigeants vis-à-vis de la société »[31].

      Des juristes commentent que « la prise en compte de ces enjeux participe clairement à la performance de long terme de l’entreprise. La seule limite serait de prendre en compte de manière excessive ces enjeux au détriment notamment du patrimoine et de la rentabilité économique de court terme de l’entreprise, mais également de sa capacité de performance de long terme » (ibid.). On notera qu’il est souvent compliqué de voir comment prioriser les enjeux environnementaux pourrait se faire sans porter atteinte au moins aux intérêts de court, de moyen voire de long terme de l’entreprise. Mais surtout, il se révèle difficile pour un magistrat de se substituer aux administrateurs pour statuer vis-à-vis de ce qui constitue l’intérêt social de l’entreprise, et de la façon dont un comportement vertueux sur le plan environnemental s’inscrirait dans ce cadre. Astrid Mignon Colombet et Alfred Reboul concluent d’ailleurs que les actions intentées en justice par la société civile pour condamner les entreprises n’adoptant pas un comportement vertueux en matière d’environnement avaient échoué précisément pour cette raison[32]. En dehors de certains types d’entreprises mettant au cœur de leur fonctionnement la protection de l’environnement (certaines entreprises à mission, ou sous la forme de steward ownerships), le droit des sociétés français ne permet pas une prise en compte des enjeux environnementaux quand ceux-ci s’opposent à l’objectif de maximisation du profit. Au-delà de cela, notons que nombre d’entreprises subiraient probablement une perte de valeur d’une partie de leurs actifs en cas d’une rapide réorientation vertueuse pour l’environnement, condamnant la transition écologique à aller lentement, sans intervention étatique[33].

      Par ailleurs, la mise en place d’une réorientation de l’économie et la gestion des ressources qui en découlerait ne peut se faire de façon uniquement décentralisée, secteur par secteur, entreprise par entreprise, du fait du fort enchevêtrement des différentes problématiques (Durand & Keucheyan, 2024[34]). Comme l’expliquait Mansholt dans sa lettre, la réorganisation de l’économie face à la catastrophe écologique annoncée relève de la même nécessité impérieuse que celle d’un pays confronté à la guerre, et ne peut s’imaginer sans planification.

      On pourrait arguer que face à cette difficulté de prise en compte des enjeux environnementaux par le secteur privé, la solution toute trouvée serait des lois de nationalisation d’entreprises dans des secteurs nécessitant une réelle réorientation écologique, afin de permettre un pilotage de l’économie par la puissance étatique. Or, il est nécessaire de noter qu’un tel procédé se heurterait à un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, par le coût colossal qu’il engendrerait vu le périmètre concerné, une nationalisation nécessitant que l’État obtienne plus de 50 % des parts de l’entreprise, impliquant de nombreux rachats d’actions, ceci dans un contexte où la dépense publique est fortement contrainte du fait du cadre européen. Par ailleurs, d’importantes nationalisations risqueraient d’engendrer nombre de levées de bouclier, impliquant entre autres risques de fuite de capitaux et potentielles attaques de spread de la part des marchés financiers sur notre dette publique par crainte de non-solvabilité. Des problèmes que la mise en place d’actions spécifiques permettrait de contourner dans une certaine mesure.

      3.    Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique

      Au-delà des difficultés rencontrées par la mise en place de nationalisations massives précédemment évoquées, une nationalisation, pouvant pourtant offrir un certain nombre de prérogatives à l’État, n’a pas réellement de pertinence si elle n’est pas portée par une doctrine économique et une stratégie industrielle. On peut ainsi relever l’exemple de la proposition de loi visant à empêcher le démembrement d’EDF. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire assurait que la nationalisation allait permettre de « renforcer l’indépendance énergétique du pays », de garantir un contrôle des prix et de mettre en place la décarbonation de l’économie[35]. Pourtant, ces ambitions resteront des désirs, si l’État ne se mêle pas de réorienter l’investissement vers la production d’une énergie décarbonée de long terme et si le fonctionnement du marché de l’électricité européen n’est pas remis en cause[36].

      On peut de façon générale s’interroger vis-à-vis de la présence d’une réelle stratégie de planification menée actuellement par l’État français. Si de 1946 avec son origine dans la pénurie de ressource jusqu’à sa mise à l’arrêt en 2005, le Commissariat général au Plan avait plus généralement pour mission de proposer une planification économique pour le pays, l’urgence a justifié sa résurgence en 2020 sous la direction de François Bayrou, sous la forme d’un haut-commissariat mais sans administration propre. Force est de constater, comme cela était relevé lors d’une séance au Sénat le 10 avril 2024, que son action est loin d’être à la hauteur des enjeux, et que l’État semble continuer de piloter à vue dans l’ensemble des branches, sans avoir de vision d’ensemble. Déjà en 2023, Jean Pisani-Ferry dénonçait ainsi le fait qu’il « manque (…) la programmation des moyens associés » à propos du vocable de planification écologique mobilisé par le gouvernement, et le fait que « les stratégies de décarbonation du passé ont trop souvent misé sur la puissance performative du verbe ».

      De même, il est piquant de constater que le gouvernement français, possédant une action spécifique dans Thalès, ne s’est pas opposé à la cession par ce dernier de sa filiale ferroviaire Thales GTS, pourtant tout à fait compétitive (10 % de son chiffre d’affaires) et dont le caractère stratégique de l’activité, notamment dans le cadre de la planification écologique, était évident. Alors qu’au-delà de l’aéronautique et de la défense, Thalès était l’un des leaders mondiaux du ferroviaire, hérité d’Alcatel-Lucent en 2006, le groupe vendait GTS au japonais Hitachi Rail pour 1,66 milliard d’euros, mettant en danger évident les 9 000 salariés de la filiale. Il s’agit d’un événement particulièrement révélateur d’une pure logique de maximisation du rendement. En effet, alors que GTS se révélait avoir un rendement moyen supérieur à celui de son secteur (taux de marge d’EBIT entre 8 et 9 %), la motivation de Thalès semble avoir été d’abandonner un secteur rentable mais moins que ses autres secteurs d’activité dont l’objectif était 12 % de rendement minimum. Cela alors même qu’à long terme, ce secteur pourrait être très rentable dans le cadre de la transition écologique et constitue également un enjeu en termes de relocalisation.

      En réalité, c’est même l’État qui fait parfois pression pour que le taux de marge d’excédent brut d’exploitation soit à deux chiffres, et ce dans l’optique de la maximisation de la valeur actionnariale permise par une hausse des profits. Selon la CGT Thalès, c’est l’État qui a poussé la cession des branches industrielles stratégiques pourtant rentables du rail et du train de l’entreprise. Force est donc de constater que malgré les possibilités qui lui sont ouvertes, les participations de l’État se limitent bien à un simple outil de recettes fiscales. De même, on ne peut que féliciter l’État d’avoir récemment acquis une action spécifique dans Bull, filiale stratégique d’Atos, ou bien le fait que le récent rapport sénatorial appelle à une telle acquisition dans Total Énergies, mais ces outils ne sont pertinents que derrière une vision structurée de planification économique et écologique, avec une stratégie industrielle, et des moyens alloués, un cadre juridique adapté, et une prospective efficace.

      L’État se distingue ainsi par l’absence de doctrine sur les secteurs stratégiques, et de définition claire de ceux-ci (voir la note Institut Rousseau de Nathan Sperber « Ce qui doit échapper à la logique de la mondialisation. Quelle méthode pour identifier les secteurs stratégiques de l’économie ? »). Les actions spécifiques peuvent pourtant se révéler au cœur d’une stratégie économique de long terme. Ainsi, l’utilisation d’une forme d’actions spécifiques pour un pays comme la Chine[37] se retrouve in fine au service d’un plan d’ensemble beaucoup plus large de développement des secteurs considérés comme nécessaires, où la priorité n’est pas donnée à la maximisation du profit de court terme mais au développement des structures productives, au développement du pays et depuis plusieurs années à la transition écologique[38], en suivant des plans de long terme industriels et technologiques, définis entre autres par la Commission nationale de développement et de réforme. Pour reprendre l’une des critiques émises dans le cadre de la discussion sénatoriale à propos de l’action du Commissariat au Plan formulée par le sénateur EELV Daniel Salmon, « Les Chinois ont des plans à 30 ans, alors que nous naviguons pratiquement à vue »[39].

      III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ?

      1.    Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité

      Comme nous l’avons évoqué, pour qu’une action spécifique soit mise en place, il faut :

      • qu’elle concerne une société menant des activités jugées « sensibles » telles que définies par l’article L151-3 du Code monétaire et financier, à savoir :
        • soit « des activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale »,
        • soit des « activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives » ;
      • qu’elle soit dans le périmètre de l’APE au 1er janvier 2018 ou que Bpifrance possède directement ou indirectement au moins 5 % du capital ;
      • qu’elle respecte entre autres les principes de nécessité et de proportionnalité ;
      • et qu’elle soit conforme aux traités, droit et jurisprudence européens, renvoyant principalement aux secteurs de la défense, de l’énergie et des télécommunications. Précisons qu’une entreprise ayant plusieurs activités peut tout de même être soumise à une action spécifique du moment qu’une des activités est « essentielle » : le critère est bien l’activité.

      Les activités de défense et d’armement sont de facto incluses sans friction à l’échelle française comme européenne (avec l’exemple de Thalès, Arabelle Solutions, Nexter Systems, Bull et Safran Ceramics, également pour l’aéronautique). Concernant l’énergie (production comme distribution avec par exemple Engie, Eramet et encore Arabelle Solutions), ainsi que les télécommunications, les conditions au niveau européen sont plus importantes pour ces activités bien que jugées « essentielles ». L’usage d’une action spécifique requiert alors l’impossibilité de mesures publiques moins contraignantes, et relève souvent d’un enjeu de sécurité nationale par anticipation de crise. La CJUE est ainsi particulièrement réticente à généraliser la notion d’intérêt « essentiel » (issue de sa propre terminologie, se substituant à l’intérêt « stratégique ») aux secteurs industriels, où la nécessité et la proportionnalité sont souvent plus difficiles à démontrer.

      Or, les secteurs concernés par le périmètre de l’APE sont multiples, intégrant aussi bien l’aéronautique que les transports, les services, des pôles bancaires et financiers, des compagnies d’infrastructure ou bien encore l’audiovisuel. Il y a donc une tension entre le périmètre jugé légitime au niveau national et européen, d’autant plus avec l’extension permise par la loi PACTE avec des marges de manœuvre que l’État n’utilise pas. Enfin, face aux crises économiques, énergétiques, écologiques et aux enjeux de souveraineté nationale et économique, quid de la nécessité de l’extension du périmètre ?

      2. (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux

      Comme nous l’avons montré et comme l’illustre la note de Nathan Sperber, l’absence de doctrine industrielle cohérente chez l’État français, et tout particulièrement sur les secteurs stratégiques est flagrante. Au-delà de l’épitome qu’est la cession d’Alstom Energie à General Electric en 2014, de la gestion dénoncée par le Sénat des participations de l’État comme pure source de dividende, et de la décoordination et de l’opacité du plan France 2030, l’APE ne mentionne que « les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays (défense et nucléaire) » dans sa « doctrine de l’actionnariat public »[40], vision ridiculement restreinte et partielle et qui pose la question de la définition des secteurs stratégiques, d’autant plus dans une économie mondialisée, de concurrence interétatique, de reconfiguration actionnariale au bénéfice des investisseurs étrangers et de menaces frontales envers la souveraineté énergétique et économique de la France et de l’Europe.

      Nathan Sperber (2020) propose la typologie des secteurs stratégiques suivante : les secteurs de « l’amont » (l’énergie, l’approvisionnement en matières premières, les infrastructures dont numériques, les transports, les télécommunications et la finance tels que les pôles bancaires) ; les secteurs de « protection » de la société (défense et armement évidemment, mais également la sécurité sanitaire, alimentaire, environnementale et numérique avec la cyberdéfense) ; les secteurs « d’avenir » décisifs (le spatial, la mer, l’innovation technologique). Ces différents secteurs, très souvent intriqués et interdépendants, sont résolument stratégiques et relèvent de la sécurité nationale, que ce soit en cas de rupture des chaînes mondiales d’approvisionnement, de pandémie comme le COVID19, d’effondrement écologique, de conflit avec un pays producteur de ressources fossiles comme la Russie, mais également en cas d’attaques commerciales, financières, industrielles et autres offres publiques d’achat (OPA) hostiles d’États et d’investisseurs étrangers.

      De plus, tous ces secteurs sont concernés par la polycrise écologique actuelle, soit en termes de contribution à cette dernière, soit en termes de solution, soit en termes d’exposition à ses dégâts déjà bien présents, dont en Europe. Cette crise multidimensionnelle n’englobe pas seulement les risques bien connus liés au changement climatique anthropique[41], mais également d’autres limites planétaires, telles que la perte de biodiversité[42], [43], la dégradation des sols dans la région méditerranéenne européenne[44], la perturbation des cycles biogéochimiques, la diminution des ressources en eau douce, l’augmentation de la demande et la réduction du taux de rendement de l’extraction des matériaux et des terres rares[45],[46] dans un contexte géopolitique en tension, et la fragilisation des chaînes mondiales d’approvisionnement. La transgression des limites planétaires va avoir de profondes répercussions sur la sécurité alimentaire de l’Europe, entraînant une dépendance accrue à l’égard des importations de denrées alimentaires[47], ainsi que sur la sécurité énergétique, sanitaire et hydrique, mais aussi sur la stabilité socio-économique[48],[49].

      Ainsi, le très récent rapport de la commission d’enquête parlementaire sur Total Energies recommande l’acquisition d’une action spécifique dans l’énergéticien, aussi bien pour des raisons de pilotage de la transition écologique que pour éviter que l’entreprise ne devienne à terme américaine, 40 % d’actionnaires étant nord-américains (soit 13 points de plus qu’en 2010, avec une baisse de 7 points de la part d’actionnaires français). Il semble donc à la fois légitime et nécessaire de considérer de tels secteurs dans le cadre de la transition écologique comme des secteurs stratégiques, le fait qu’ils relèvent de la sécurité nationale et de l’ordre public au sens de la jurisprudence de la CJUE (jurisprudences belges et portugaises sur l’anticipation des situations de crise dans l’approvisionnement énergétique et dans les télécommunications) pouvant être juridiquement défendu – par exemple, le secteur de fabrication des batteries de véhicules électriques et le secteur minier de lithium en amont. Cette multiplicité des secteurs s’oppose au périmètre actuellement restreint, qui doit être modifié à l’échelle nationale et négocié à l’échelle européenne, d’autant plus que la Commission européenne défend également la mise en place de politiques écologiques massives et interventionnistes, que ce soit avec le Green Deal européen ou encore la loi européenne sur le Climat qui impose une réduction des émissions nettes de GES de 55 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030. Une saisine de la CJUE par la Commission pour manquement d’États membres qui utiliseraient des actions spécifiques pour remplir ces objectifs européens serait contradictoire, et révèlerait alors le caractère inique et inadapté du TFUE face aux enjeux actuels.

      Propositions

      Nous proposons donc un ensemble de mesures pour mobiliser l’outil qu’est l’action spécifique au service de la planification économique et écologique en alternative aux nationalisations, incluant les évolutions nécessaires de la législation française et les possibilités face au cadre européen.

      Proposition n°1 : Une vraie réappropriation par l’État de l’outil qu’est l’action spécifique avec son acquisition dans différentes entreprises stratégiques pour la transition écologique et dans les entreprises dont la recomposition actionnariale risque à terme de les faire devenir étrangères, comme Total Energies et Veolia. Cela requiert un élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État et des secteurs jugés « sensibles » par l’article L151-3 du Code monétaire et financier pour inclure les activités centrales pour la transition écologique et la sécurité nationale énergétique, alimentaire, environnementale, industrielle et numérique. La loi PACTE devra également être actualisée car fixant la liste du périmètre de l’APE au 1er janvier 2018. L’action spécifique devra également être utilisée dans le cas où l’État décide lui-même de (re)lancer avec le secteur privé des activités productives disparues ou innovantes (e.g. mines de lithium, intelligence artificielle, nouvelles technologies « vertes » etc.).

      Proposition n°2 : La proposition n°1 doit nécessairement aller de pair avec le développement d’une vraie planification économique et écologique, d’une politique industrielle et d’une stratégie technologique requérant plus un volontarisme politique que des outils réglementaires et législatifs. Cela pour sortir de la gestion passive des participations financières de l’État servant aujourd’hui simplement à la collecte de dividendes (en particulier sur les cessions d’activités et de filiales, ainsi que sur les transferts de propriété intellectuelle), avec l’aide de services de l’État spécifiquement alloués (Haut-commissariat au Plan – qui devrait être doté d’une administration propre, France Stratégie…), des services responsables de la protection stratégique et de l’intelligence économique (SGDSN, SISSE, AMF, Tracfin…), des organismes de participations et de financement (APE, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignation, Agence nationale de la Recherche, FDES…) et de la coopération avec les organismes de recherche nationaux (CNRS, Inserm, Inrae, Inria, CEA, CNES, ONERA, CIRAD…). Les prémisses de la transformation par la loi PACTE de l’affectio societatis (article 1832 du Code civil, raison de création de l’entreprise), du profit vers des missions sociales, doivent également être développées.

      Proposition n°3 : Le développement dans la loi de nouveaux droits offerts par l’action spécifique et existant déjà dans d’autres pays tels l’Allemagne et les Pays-Bas, incluant :

      • la possibilité de plafonner la part des droits de vote (g. à 20 %) de l’actionnaire à partir d’une certaine part actionnariale ;
      • l’accroissement de la majorité qualifiée pour les votes stratégiques chez les actionnaires, pour permettre à l’État actionnaire minoritaire de pouvoir bloquer une décision, voire autoriser un droit de veto sur les votes stratégiques ;
      • l’abaissement des seuils d’acquisition du capital par des investisseurs domestiques et étrangers requérant une autorisation de l’État (seuils définis par le I de l’article L233-7 du Code de commerce) ;
      • la possibilité pour l’État d’exiger qu’une part plancher des profits définie préalablement soient réinvestis dans l’entreprise ;
      • la capacité de bloquer le développement d’une activité pouvant nuire à l’activité principale en cas d’absence d’utilité sociale ;
      • un droit de regard et de contrôle pour l’État sur le devoir de vigilance de l’entreprise[50], ou bien encore ;
      • la possibilité pour l’État de refuser le développement d’activités fortement polluantes, sauf dans le cadre d’acquisition pour gérer le stranding (ou échouage) du capital physique et humain, et pour organiser sa transition écologique. Ces droits ne devront pas être automatiquement associés tous ensemble à chaque action spécifique car la CJUE s’y opposerait (jurisprudence n°2 Loi « Volkswagen », 2013) du fait de « l’effet d’ensemble », mais devront être sélectionnés individuellement selon les enjeux stratégiques propres à chaque entreprise.

      Proposition n°4 : Le conditionnement de la participation du financement et de la commande publics à un ensemble de mesures et de garanties, de l’ordre d’objectifs environnementaux, de la préservation d’emplois, d’établissements domestiques et de branches d’activités, de l’autofinancement par profits retenus, de partage de la valeur ajoutée et de co-gouvernance entre actionnaires et salariés (voir la note Institut Rousseau « L’entreprise de demain, un bien commun au service de l’intérêt général »), et également des transferts de propriété intellectuelle et d’entrée d’investisseurs au capital après un financement public, par exemple dans le cas des brevets et médicaments d’entreprises financés par le plan France 2030. Ce conditionnement aurait pu être mis en place dans le sauvetage récent d’Atos par l’État qui a pris une action spécifique dans sa filiale Bull pour sécuriser ses activités sensibles.

      Proposition n°5 : La création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale et des droits humains, ainsi que de contrôle de l’extraterritorialité de ce devoir pour les entreprises extra-communautaires réalisant des bénéfices conséquents en France, en cohérence avec la récente directive européenne sur le sujet[51].

      Proposition n°6 : La modification du cadre européen, notamment du TFUE, paraît nécessaire et est souhaitable pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, mais il est bien connu que la révision des traités européens est exceptionnelle voire chimérique – malgré le potentiel soutien de l’Allemagne, cf. sa loi « Volkswagen » et son opposition à la Commission européenne devant la CJUE. Néanmoins, il nous semble qu’un certain nombre d’arguments juridiques pourraient être opposés à la Commission en cas de saisine de la CJUE pour manquement :

      • Il est possible d’arguer que le concept de nécessité lié à l’anticipation de crise tiré de la jurisprudence sur l’approvisionnement énergétique belge[52] et les télécommunications portugaises[53] peut s’appliquer à l’anticipation d’autres crises, la crise écologique ayant des dégâts anticipés et déjà présents colossaux[54].
      • De même, la Commission européenne exige des États membres, à travers le Green Deal européen et la Loi européenne sur le Climat, des transformations radicales pour des objectifs eux-mêmes radicaux, ce qui la placerait en contradiction avec elle-même si elle saisissait la CJUE.
      • ll faut également capitaliser sur le cadre présent pour réduire le risque de blocage par la CJUE : comme nous l’avons dit, éviter les combinaisons générales et automatiques de droits liés à l’action spécifique pour éviter « l’effet d’ensemble » (CJCE « Volkswagen », 2007) mais sélectionner ceux pertinents spécifiquement pour chaque entreprise (par exemple, plafonnement du droit de vote à partir d’un seuil de détention actionnariale dans le cas de l’entreprise X, accroissement de la majorité qualifiée dans le cas de l’entreprise Y) pour bénéficier de la jurisprudence validant des droits individuellement (CJUE « Volkswagen », 2013).
      • Parfaitement définir les intérêts essentiels et les droits liés à l’action spécifique dans l’entreprise pour réduire le caractère général et discrétionnaire ( l’arrêt CJCE de 2022 concernant Elf Aquitaine, bloqué non pas pour la légitimité mais pour le flou de l’intervention).
      • Utiliser en cas de risques juridiques européens importants un régime d’opposition ex post à une décision d’entreprise par l’État, préféré par la CJUE, plutôt qu’un régime d’approbation ex ante.
      • Enfin, rappelons que pour contrebalancer le principe de libre circulation des capitaux, l’article 345 du TFUE dispose que « le présent traité ne préjuge en rien le régime de propriété dans les États membres ».

      Ces propositions – profitant des marges de manœuvre permises par le droit et la jurisprudence européens – visent à permettre à l’État de se réapproprier des outils existants et d’en développer de nouveau au service de la bifurcation écologique et d’une vraie stratégie économique, éléments fondamentaux pour que la société française soit en capacité de faire face aux crises actuelles et puisse assurer sa pleine souveraineté.

      [1] Jean Pisani-Ferry : sur la planification écologique, « Emmanuel Macron a manqué l’occasion d’un récit mobilisateur », dans Le Monde, 7 octobre 2023. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/07/jean-pisani-ferry-les-strategies-de-decarbonation-ont-trop-souvent-mise-sur-la-puissance-performative-du-verbe_6192913_3232.html

      [2] Avec le lancement en octobre 2022 du plan France Nation Verte au sein d’un Secrétariat général à la planification écologique, et du Haut-commissariat au plan en septembre 2020 : « Planifier aujourd’hui, c’est proposer à chacun – citoyens, collectivités locales, entreprises, associations – un chemin pour réussir collectivement et individuellement à réduire notre empreinte écologique et nous projeter dans un monde habitable, juste et désirable. » https://www.info.gouv.fr/france-nation-verte

      [3] La Lettre Mansholt. 1972. Institut Veblen (2023).

      [4] Durand, C., Hofferberth, E., and Schmelzer, M. (2023) Planning Beyond Growth the Case for Economic Democracy within Ecological Limits. https://ssrn.com/abstract=4457481

      [5] Rapports Road to Net Zero (2024) et 2 % pour 2 degrés (2021) de l’Institut Rousseau.

      [6] Rapport d’information sénatorial n° 208 (2021-2022) sur les Participations financières de l’État https://www.senat.fr/rap/r21-208/r21-208.html

      [7] Cour des comptes (2020) Compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », note d’analyse de l’exécution budgétaire.

      [8] L’EBIT, pour « earnings before interest and taxes », est en français le « bénéfice avant intérêts et impôts » d’une entreprise (prenant en compte les amortissements). Le taux de marge d’EBIT correspond donc à la part de l’EBIT par rapport au chiffre d’affaires.

      [9] CGT Thalès (2021). Face à la spirale réductrice de la rentabilité financière Une initiative pour l’industrie avec les candidats à la présidentielle. https://coord.cgtthales.fr/wp-content/uploads/sites/19/2021/12/Tract-CGT-Thales-initiative-18-janvier-2022.pdf

      [10] Richardson, K., et al. (2023). Earth beyond six of nine planetary boundaries. Science Advances 9, 37. doi: 10.1126/sciadv.adh2458

      [11] Par exemple la cession d’une partie des actifs d’Engie. Martine Berthet attribuait à la privatisation d’Engie le fait que l’État n’ait pu obtenir gain de cause dans la cession des titres à Véolia (il détenait plus de 70 % de Gaz de France en 2004 contre 23,6 % dans Engie en 2021).

      [12] Une première grande vague de privatisations ciblant 12 entreprises est opérée par le gouvernement Chirac en 1986, suivie par une autre entre 1993 et 2006 justifiée par le « nécessaire » désengagement de l’État de la sphère productive dans un environnement d’intégration financière internationale croissante. L’argument de la nécessité de trouver les moyens financiers d’investir davantage est également avancé sur les dossiers EDF, Gaz de France et France Télécom, tout comme la nécessité d’améliorer les finances publiques.

      [13] Dont il reste néanmoins à la date de parution de cette note toujours actionnaire majoritaire, le processus de cession des actifs ayant été notamment freiné par la crise du Covid-19, par le risque des probables futurs actifs « échoués » en cas de transition écologique, et par la chute du secteur aérien sur les marchés financiers.

      [14] Chang, T.K. (1997). « The Irony of the Golden Share. » https://ssrn.com/abstract=4326152

      [15] Article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux privatisations, puis loi n° 2015-99 du 6 août à l’article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014.

      [16] Article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.

      [17] Liste annexée au décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l’État, dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier 2018.

      [18] « l’obligation de justifier, dans chaque cas où une telle action spécifique serait instituée, les motifs qui commandent cette décision ainsi que le caractère nécessaire, adéquat et proportionné de chacun des pouvoirs attachés à l’action spécifique » (CE, 14 juin 2018, avis 394599 et 395021).

      [19] Fondation IFRAP (2017). « État actionnaire : utiliser les golden shares. »

      [20] E.g. le blocage de l’action spécifique dans Elf Aquitaine en 2002 (CJCE, 4 juin 2002, arrêt C-483/99), celles dans les compagnies postales et de télécommunications néerlandaises TPG et KPN en 2006 (CJCE, 28 septembre 2006, arrêts C-282/04 et C-283/04), ou bien encore celle dans l’énergéticien portugais Energias en 2010 (CJUE, 11 novembre 2010, arrêt C-543/08).

      [21] Dans le cas d’Elf Aquitaine, la CJUE avait ainsi jugé l’action spécifique comme fondée et légitime, mais cette dernière avait échoué au test de proportionnalité, du fait de prérogatives étatiques jugées trop larges et discrétionnaires.

      [22] CJCE, arrêt C-112/05, 23 octobre 2007.

      [23] CJUE, 23 octobre 2013, arrêts « Essent » C-105/12 à C-107/12.

      [24] CJUE, 22 octobre 2013, arrêt C-95/12.

      [25] Ibid.

      [26] Lazonick W. and O’Sullivan M. (2000), Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance, Economy and Society.

      [27] Dobbin F., and Zorn D. (2005). « Corporate Malfeasance and the myth of Shareholder value », in Political power and social theory, edited by Diane E. Davis, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge.

      [28] Froud J. , Johal S., Leaver A., and Williams K. (2006). « Financialization and strategy : Narrative and numbers », Routledge.

      [29] Voir la mission sociale d’Ecosa : https://purpose-economy.org/en/companies/ecosia/

      [30] Par exemple, dans les cas où les propriétaires de la firme ont uniquement droit à un salaire conditionné à leur travail pour l’entreprise. Cf. Sanders, A. (2022). Binding Capital to Free Purpose : Steward Ownership in Germany. SSRN Electronic Journal.

      [31]Nouel C. et  Martin D. G. (2021) « L’Appréciation de la conformité à l’intérêt social après la loi Pacte et ses incidences sur le plan fiscal », Bulletin Joly Sociétés, n° 10, p. 55.

      [32] Colombet A. M. et Reboul A. (2023), « Justice climatique : les limites du name and shame », Revue esprit, n°502.

      [33] Giraud, G. Nicol, C., et al., (2021). « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?», Institut Rousseau, Les Amis de la Terre, Reclaim Finance.

      [34] Durand, C., et Keucheyan, R. (2024). Comment bifurquer? Les principes de la planification écologique. Zones.

      [35] Selon les mots de Bruno Le Maire, cité par France Culture, dans le podcast « ​​EDF : la nationalisation redevient-elle un atout stratégique ? », juin 2023

      [36] Le marché européen de l’électricité nécessitant de fixer un prix de vente qui ne correspond pas toujours au prix de production, et ne permettant pas de compenser des investissements en capital fixe importants, désavantageant ainsi notamment la filière du nucléaire.

      [37] Au-delà des entreprises dont le capital appartient à l’État (30 % d’entre elles), les entreprises privées voient une gestion de la propriété particulière, mixte selon certains auteurs, permettant au PCC d’avoir un certain contrôle sur l’orientation de l’entreprise de façon générale (Scott Kennedy et Ilaria Mazzocco, February 7, 2023, pour big data china, & The Reshaping of China’s State Capitalist System par Barry Naughton et Briana Boland, 2023).

      [38] Avec difficultés, comme le relève Cédric Durand, les élites chinoises peinant à s’émanciper de la logique productiviste.

      [39]https://www.francetvinfo.fr/politique/francois-bayrou/c-est-une-coquille-vide-le-travail-de-francois-bayrou-au-haut-commissariat-au-plan-questionne-par-des-senateurs-ecologistes_6477944.html

      [40] Cf. https://www.economie.gouv.fr/agence-participations-E%CC%81tat/notre-mission-statement

      [41] IPCC (2022). Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (Eds.)]. Cambridge University Press. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, 3056 pp.

      [42] IPBES (2019). Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services.

      [43] Ceballos, G., & Ehrlich, P. R. (2023). « Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction. » Science Advances.

      [44] Ferreira, C., Seifollahi-Aghmiuni, S., Destouni, G., Ghajarnia, N., & Kalantari, Z. (2022). « Soil degradation in the European Mediterranean Region : processes, status and consequences. » Science of The Total Environment, 805, 150106.

      [45] Vidal, O., Rostom, F., François, C., & Giraud, G. (2017). « Global Trends in metal Consumption and Supply : The Raw Material–Energy Nexus ». Elements, 13(5), 319‑324.

      [46] Court, V., & Fizaine, F. (2017). « Long-term estimates of the Energy-Return-on-Investment (EROI) of coal, oil, and gas global productions ». University of Sussex. Journal contribution.

      [47] FAO (2021). The State of the World’s Land and Water Resources for Food and Agriculture.

      [48] Rüttinger, L. et al., (2015). A New Climate for Peace: Taking Action on Climate and Fragility Risks. Report of Climate Diplomacy for the G7.

      [49] Van Ginkel, K., Botzen, W., Haasnoot, M., Bachner, G., Steininger, K. W., Hinkel, J., Watkiss, P., Boere, E., Jeuken, A., De Murieta, E. S., & Bosello, F. (2020).  « Climate Change Induced Socio-economic Tipping Points : Review and stakeholder consultation for policy relevant research.» Environmental Research Letters, 15(2), 023001.

      [50] Le devoir de vigilance, introduit par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, consiste en l’obligation pour l’entreprise de prendre en compte les risques induits par son activité et celle de ses filiales et sous-traitants dans les domaines sociaux, environnementaux et des droits humains.

      [51] Directive 2024/1760 du 13 juin 2024.

      [52] CJCE, 4 juin 2002, arrêt C-503/99.

      [53] CJUE, arrêt C‑171/08, 8 juillet 2010.

      [54]Les pertes économiques dues aux catastrophes environnementales sont estimées à 2,98 billions de dollars dans le monde entre 2000 et 2019, les catastrophes liées au climat représentant 77 % des pertes totales (UNDRR, 2020, Economic Losses, Poverty & Disasters 1998-2017), et les effets négatifs du changement climatique sur la santé en Europe, comme les phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations aux vagues de chaleur, sont documentés et prédits (European Environment Agency, 2023, Climate change Impacts, risks and adaptation). Pour la prédiction des dommages futurs, voir la vaste littérature sur les « fonctions de dommage ». Une autre illustration est le fait que Munich Re et Swiss Re, les deux principaux réassureurs mondiaux, se sont désengagés des risques climatiques liés aux événements extrêmes, considérant qu’ils ne sont plus réassurables.

      Publié le 4 octobre 2024

      Les Golden shares comme outils de planification écologique en alternative aux participations de l’État

      Auteurs

      Judith Kleman
      diplômée de l’Université Paris Dauphine, Judith Kleman est doctorante en macroéconomie et économie du travail.

      Camille Souffron
      Normalien en scolarité et travaille sur la modélisation macroéconomique, en particulier de la transition écologique. Il est enseignant d’économie à l’ESSEC et à Sorbonne Université, et est également étudiant en droit et théologie.

      Judith Kleman et Camille Souffron

      Pour l’Institut Rousseau

      Octobre 2024

      Introduction                                                                                          2

      1. Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée 4
      2. Actions spécifiques : qu’est-ce ? 4
      3. Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens 6
      4. Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique 8
      5. Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques 8
      6. Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ? 9
      7. Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique 10

      III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ?                                                                                        12

      1. Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité 12
      2. (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux 13

      Propositions                                                                                        14

      Résumé général :

      Nous proposons la réappropriation de l’outil de l’action spécifique (golden share) par l’État, action qui lui donne des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Nous proposons également le développement de nouveaux mécanismes juridiques et administratifs pour renforcer la souveraineté nationale, développer de réelles stratégies économiques, piloter la nécessaire transition écologique et affronter les crises actuelles.

      Proposition n°1 :

      ●      Réappropriation par l’État de l’action spécifique dans des entreprises stratégiques (Total, Veolia).

      ●      Élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE) et des secteurs sensibles du Code monétaire.

      ●      Utilisation de l’action spécifique pour relancer des activités productives innovantes (i.e. mines de lithium, IA).

      Proposition n°2 :

      ●      Couplage avec une planification économique et écologique ambitieuse.

      ●      Mobilisation de différents services et organismes d’État pour sortir de la gestion passive des participations. Encouragement de la transformation des entreprises vers des missions sociales (affectio societatis).

      Proposition n°3 :

      ●      Développement de nouveaux droits dans l’action spécifique (inspirés de l’Allemagne et des Pays-Bas) : droit de véto de l’État sur des votes stratégiques, interdiction de développer des activités nuisibles, obligation de réinvestir une partie des profits, plafond des droits de vote pour les gros actionnaires.

      ●      Sélection de droits conférés selon les enjeux de chaque entreprise pour éviter l’opposition de la CJUE.

      Proposition n°4 :

      ●      Conditionnement des financements et commandes publics à des critères environnementaux, sociaux, et économiques.

      Proposition n°5 :

      ●      Création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale, et des droits humains. Inclusion des entreprises étrangères opérant en France dans ce contrôle.

      Proposition n°6 :

      ●      Adaptation du cadre européen (TFUE) pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, bien que la révision des traités soit difficile.

      ●      Utilisation de précédents juridiques pour justifier la réappropriation d’entreprises stratégiques face aux crises écologiques. Sélection précise des droits pour éviter un blocage européen.

      Introduction

      Le 19 juin dernier était publié le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Energies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, avec une liste de recommandations. Parmi ces dernières, un outil juridique d’une grande influence et peu discuté dans le débat public a été remis au goût du jour : l’action spécifique. Le rapport appelle en effet l’État à en acquérir une dans l’énergéticien à la fois pour organiser sa transition écologique et le protéger de l’américanisation massive de son actionnariat. L’action spécifique pourrait être un puissant outil de planification écologique, en plus de la défense des intérêts stratégiques de la France. D’autant que le concept de planification écologique s’est récemment développé dans le débat public et là où on ne l’attendait pas à une échelle remarquable, que ce soit chez des économistes comme Jean Pisani-Ferry évoquant le retour d’une « économie de pénurie »[1], ou bien directement au sein du gouvernement qui en revendique le terme[2].

       

      La planification écologique, déjà évoquée dès 1972 par le président de la Commission européenne Sicco Mansholt dans sa fameuse lettre[3], peut s’avérer prometteuse voire nécessaire[4] dans une conjoncture économique instable et face aux conséquences de l’effondrement écologique, au vu des besoins en termes d’investissement[5] et de coordination des secteurs public et privé. Mais encore faut-il que cette planification soit réalisée par un État-stratège avec une vision cohérente, au-delà des purs effets d’annonce et aspects marketing. Or, dans le rapport d’information sénatorial de 2021 sur les participations annuelles de l’État[6], la sénatrice LR Martine Berthet notait qu’il était de plus en plus difficile de deviner une stratégie de long terme de la part de l’État français, et cela particulièrement au sujet de la dimension actionnariale de l’État. Selon ce rapport, le compte d’affectation spéciale « participations financières de l’État », regroupant recettes et cessions des dites participations, ne serait devenu depuis 2017 qu’un « outil comptable de la politique d’investissement de l’État » plutôt « qu’un levier d’action de l’État stratège ». La Cour des comptes va jusqu’à parler de « perte de substance »[7].

       

      Autrement dit, plutôt que d’investir et de soutenir des secteurs stratégiques pour l’intérêt national, de sauvegarder la souveraineté économique du pays face à des gestionnaires court-termistes et des investisseurs étrangers, la gestion des actions de l’État suivrait désormais une simple logique d’optimisation du budget à court terme. L’État lui-même ferait parfois pression sur les actionnaires privés et les conseils d’administration pour verser et augmenter les dividendes ou bien réaliser des choix stratégiques dans le seul but de maximiser le taux de marge d’EBIT[8], par exemple chez Thalès[9], alors que l’on aurait à l’inverse pu penser que l’État était un garde-fou face aux pressions de la valorisation actionnariale.

       

      Pourtant, l’État se retrouve rattrapé par l’urgence environnementale, dépassant le seul impératif climatique[10]. Une telle transformation impose de préparer les structures économiques et de coordonner un ensemble d’investissements publics (cf. le rapport 2 % de 2°C de l’Institut Rousseau) mais aussi privés. Nombre d’entreprises ne les réaliseraient pas d’elles-mêmes, que ce soit à cause de la priorité donnée à la maximisation de la valeur boursière ou dans l’attente d’un mouvement de fond, d’effets d’échelle et de complémentarités. Une intervention publique conséquente dans le secteur productif dont privé apparaît donc particulièrement compromise du fait des cessions régulières des actifs de l’État[11] et des contraintes budgétaires et d’endettement public actuelles, rendant compliquée l’entrée massive de l’État au capital de grandes entreprises voire des nationalisations.

      Cette note a pour but de présenter un outil déjà existant et à disposition de l’État, celui des actions spécifiques (ou golden shares), lui offrant un mode de participation ciblé pour garantir la protection des intérêts stratégiques et mobiliser directement le secteur privé dans la planification économique et écologique, cela en alternative à l’entrée massive au capital et aux nationalisations. Seront présentés le cadre juridique national et européen de cet outil et ses évolutions récentes à travers la loi PACTE et la jurisprudence communautaire contraignante. Il apparaîtra qu’un tel outil de planification est inopérant s’il n’est employé par un État-stratège avec une vision industrielle de long terme dépassant le simple horizon de la réduction du déficit public et de la rente sur dividendes, vision manquant actuellement à l’État français. Nous présenterons les secteurs stratégiques concernés ainsi que la nécessité d’élargir largement cette définition notamment face à la crise écologique et aux enjeux de sécurité nationale. Enfin, nous avancerons un ensemble de propositions pour développer cet outil, notamment face aux traités européens contraignants.

      I. Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée

      1.    Actions spécifiques : qu’est-ce ?

      Il existe pour l’État deux façons d’entrevoir la protection d’actifs dits stratégiques. La première est d’intervenir en tant qu’actionnaire de référence. La Seconde Guerre mondiale, puis la première partie du mandat présidentiel de François Mitterrand avaient ainsi donné lieu à un engagement plus fort de l’État dans l’économie par l’acquisition d’actifs détenus par le secteur privé de certaines entreprises de secteurs stratégiques, c’est-à-dire par nationalisation. Ce modèle a néanmoins subi un recul depuis plusieurs décennies[12], au travers de vagues de privatisations. Une privatisation se définit comme une cession d’actifs appartenant aux pouvoirs publics, et sa définition stricte requiert que l’État cesse d’être majoritaire au capital d’une entreprise. Récemment, la loi PACTE a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital du Groupe ADP anciennement Aéroports de Paris[13] (article 135 de la loi, même si le processus est suspendu depuis mars 2020), et de la majorité du capital de la Française des jeux (article 137 de la loi, dont le processus a été quant à lui effectivement lancé, cf. annonce de marché parue au JOUE du 7 juin 2019). La deuxième possibilité est donc celle d’un contrôle plus spécifique. Il peut tout d’abord s’agir de mécanismes règlementaires, qui permettent à l’État de disposer de certains pouvoirs sur les activités dites stratégiques, même s’il ne détient pas la majorité du capital de l’entreprise concernée, à l’image des « pactes d’actionnaires » que l’État utilise avec Airbus, Dassault Aviation et Safran. En l’espèce, un mode de participation ciblé et plus influent va retenir notre attention ici : les actions dites « spécifiques » (en anglais golden shares).

      Une action spécifique appartient à la catégorie des actions « préférentielles », des actions aux caractéristiques et droits différents des actions classiques. En l’espèce, l’action spécifique donne à l’actionnaire des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Résumé trivialement, il s’agit d’un droit de veto sur l’ensemble du capital de la société, avec notamment le pouvoir de s’opposer aux décisions de cession d’actifs. Plus précisément :

      • L’action spécifique soumet à une autorisation du ministre de l’économie le franchissement de seuils d’acquisition de parts actionnariales par des investisseurs (dont de concert), domestiques comme étrangers, et permet donc à l’État de bloquer les entrées au capital. En cas d’acquisitions irrégulières, les droits de vote liés ne sont pas effectifs, et la vente forcée desdits actifs peut être provoquée par l’É
      • Cette disposition offre également un droit de regard complet par la nomination d’un représentant de l’État au conseil d’administration ou tout organe délibérant – généralement le directeur général du Trésor – sans voix délibérative.
      • Surtout, elle permet à l’État de s’opposer aux opérations de cession, d’apport et de transmission d’actifs de l’entreprise et de ses filiales (incluant par fusion, dissolution, ou déplacement de la cotation principale dans une Bourse étrangère), dont les actifs immatériels, comme les brevets, pour empêcher les transferts de propriété intellectuelle.
      • Elle peut même permettre d’empêcher la modification des conditions d’exploitation desdits actifs et le changement de leur destination e. de leur finalité (ainsi que leur affectation à titre de sûreté par exemple dans des opérations financières risquées à fort effet de levier).

      Ainsi, sans détenir la majorité du capital, le détenteur d’une action spécifique peut exercer une influence conséquente sur la gestion de l’entreprise. Néanmoins, notons que si leur mise en place peut sembler régressive d’un point de vue libéral, les actions spécifiques sont historiquement et généralement mises en place dans des contextes de privatisations, qu’elles permettent de rendre plus acceptables (Chang, 1997)[14].

      En France, l’action spécifique est introduite par le gouvernement Chirac en 1986 lors de la vague de privatisation des années 1980, puis modifiée par la loi Macron de 2014[15], ainsi que par la loi PACTE du 22 mai 2019. Les actions spécifiques détenues par l’État concernent les entreprises menant des activités économiques jugées « sensibles » (définis par l’article L151-3 du Code monétaire et financier), et se justifient par « la protection des intérêts essentiels du pays en matière d’ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale »[16]. Les droits particuliers conférés par la détention d’une action spécifique doivent de plus être « définis dans chaque cas de façon à être nécessaires, adéquats et proportionnés aux objectifs poursuivis ». Dans ce cas-là, en vertu des dispositions préalablement citées, un décret peut prononcer la transformation d’action ordinaire détenue par l’État en action spécifique – nous aborderons infra les évolutions liées à la loi PACTE. L’État français dispose aujourd’hui de plusieurs actions spécifiques, notamment dans les entreprises Thales (depuis 1997), Engie (depuis 2007), Nexter Systems (défense terrestre, depuis 2015) mais aussi Eramet (matériaux énergétiques et métallurgie, depuis juin 2022), Arabelle Solutions anciennement GEAST (turbines nucléaires civiles et de sous-marins nucléaires), Safran Ceramics anciennement Herakles (matériaux composites haute température et céramiques avancées) et très récemment dans Bull (informatique, supercalculateurs et cybersécurité). Notons que les secteurs concernés ici sont principalement ceux de la défense et de l’énergie.

      2.    Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens

      Avant la loi PACTE, des actions détenues par l’État dans une entreprise pouvaient être transformées en actions spécifiques par décret seulement en cas de cession des actifs publics de ladite entreprise. Ce processus requérait donc préalablement une participation de l’État et une cession de type privatisation. Par rapport à ces dispositions datant de 1986, la loi PACTE relaxe cette hypothèse et n’exige que la satisfaction de l’une des deux conditions suivantes au 1er janvier 2018 en plus du fait de mener des activités « sensibles » au sens du Code monétaire et financier : que l’entreprise relève du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE)[17], ou qu’au moins 5 % de son capital soit détenu directement ou indirectement par Bpifrance ou une de ses filiales. La loi étend donc très largement le périmètre des entreprises pouvant être soumises à une action spécifique. De plus, elle impose aussi la nécessité de l’autorisation de l’État pour la modification des conditions d’exploitation et de changement de destination des actifs, donc sur une partie des choix stratégiques de l’entreprise.

      Néanmoins, de tels dispositifs doivent être « définis dans chaque cas de façon à être nécessaires, adéquats et proportionnés aux objectifs poursuivis », le Conseil d’État l’ayant par ailleurs rappelé dans son avis sur le projet de loi[18]. Ainsi, la loi crée également l’obligation pour l’État de réviser tous les 5 ans la nécessité, l’adéquation et la proportionnalité de ses actions spécifiques et droits associés face aux objectifs d’intérêts essentiels les justifiant. Tout cela limite le caractère discrétionnaire de ces dispositions.

      Limites fixées par le cadre européen

      En plus de ces limites domestiques, les actions spécifiques sont soumises au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et donc aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En droit de l’Union européenne en effet, un tel dispositif se heurte à la liberté d’établissement (installation d’une activité fixe dans un autre État membre, article 49 du TFUE) et surtout à la libre circulation des capitaux (article 63 du TFUE), les deux relevant d’une entrave aux droits des investisseurs. Néanmoins, l’article 65 du TFUE dispose que l’article 63 ne doit pas porter atteinte au droit qu’ont les États membres de mettre en place un certain nombre de dispositions et de mesures « indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers (…) ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. »

      Pour autant, même si cet outil est finalement peu connu, les jurisprudences de la CJUE sont nombreuses[19] et particulièrement restrictives quant à l’usage dudit outil par les États membres[20]. S’en dégagent plusieurs principes et secteurs d’application. En particulier les principes de nécessité – le caractère stratégique de l’entreprise mais également l’inexistence ou l’échec des mesures moins contraignantes pour garantir l’intérêt national – et de proportionnalité – seuils, délais de décision, types de droits conférés…)[21]. Il est piquant de constater que l’Allemagne elle-même, pourtant si prompte à exiger le respect des traités européens, a subi en 2007 une décision de la CJUE après saisine par la Commission européenne pour manquement contre la loi « Volkswagen » limitant les droits de vote des actionnaires[22]. Quant aux secteurs, ce sont la défense, les télécommunications et l’énergie qui ressortent. La défense étant une compétence souveraine, la CJUE n’examine pas les actions spécifiques concernées car elle n’est pas compétente (e.g. Thalès pour la France). Cependant, elle s’oppose généralement aux États membres dans les secteurs industriels, avec des exceptions notables, comme sur l’acquisition d’une action spécifique en anticipation de crises, pour assurer la continuité des télécommunications (Portugal) et de l’approvisionnement énergétique (Belgique). Enfin, il apparaît que la CJUE préfère nettement un régime dit d’opposition de l’État (à la suite d’une décision de l’entreprise jugée néfaste) à un régime d’approbation préalable, perçu comme une plus grande ingérence étatique.

      Néanmoins, la jurisprudence plus récente redonne des marges de manœuvre aux États membres en ayant débouté la Commission européenne et les entreprises dans un certain nombre de cas. Ainsi, une action spécifique néerlandaise offrant comme droits à l’État l’interdiction de la privatisation des entreprises de distribution d’électricité et de gaz, l’interdiction de la fusion entre groupes de production et de distribution, et l’interdiction pour ces entreprises de mener des activités susceptibles de nuire aux réseaux concernés a été jugée comme conforme au TFUE[23]. Surtout, une jurisprudence très intéressante est revenue en 2013 sur la loi allemande « Volkswagen », jugeant que la non-conformité au TFUE n’était pas causée par les droits spécifiques en soi (i.e. représentation des Länder au conseil d’administration, plafond de droit de vote à 20 % pour un actionnaire peu importe sa part actionnariale, et passage à une majorité qualifiée plus importante pour permettre à l’État d’être une minorité bloquante), mais bien la combinaison des trois menant à un « effet d’ensemble »[24]. La nouvelle décision valide donc la troisième disposition une fois les deux premières retirées. Ces revirements partiels ouvrent donc la voie à un usage plus large et renouvelé des actions spécifiques, notamment face aux contraintes financières s’opposant à des nationalisations et aux nouveaux enjeux de crise écologique.

      II. Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique

      1.    Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques

      Les actions spécifiques ont été créées certes dans un contexte de privatisation qu’il fallait rendre acceptable[25] d’autant plus quand elles concernaient des secteurs stratégiques, en garantissant à l’État de garder un contrôle sur les entreprises, mais également dans un contexte de financiarisation de l’économie qui mettait en danger le développement de long terme de certains secteurs. La financiarisation s’est traduite par un changement de vision autour de la profitabilité dans l’entreprise, laissant la part belle à la hausse de la part des profits et de la rémunération des dividendes, au détriment des salaires et des investissements, notamment auto-financés. Alors que les années 1970 prônaient la doctrine « retain and reinvest » (comprendre « garder dans l’entreprise les profits générés pour les réinvestir »), le capitalisme financiarisé amène à l’émergence du « downside and distribute » – comprenez : que les entreprises doivent désormais se concentrer sur la maximisation du rendement des actionnaires, sous prétexte que ceux-ci prendraient la majeure partie des risques pour elles, en distribuant régulièrement les bénéfices et en offrant des possibilités de sortie rapide de l’investissement, notamment par le biais de rachats d’actions (Lazonick & O’Sullivan, 2000)[26]. Ainsi, l’objectif de l’entreprise devient théoriquement la maximisation de la valeur actionnariale (Dobbin et Zorn, 2005[27] ; Froud et al. 2006[28]). Ce qui se fait au détriment du développement de long terme de l’entreprise.

      Pour un État stratège et planificateur, inquiet des opérations des secteurs économiques stratégiques, l’action spécifique peut alors devenir un rempart potentiel contre les logiques court-termistes de la financiarisation, en permettant de refuser la cession d’actifs (dont de filiales) et de capitaux par les actionnaires comme l’entrée d’investisseurs étrangers à partir d’un certain seuil. La présence de l’État au conseil d’administration et aux autres organes dirigeants, notamment à travers le Directeur général du Trésor qui en devient membre de droit, offre aussi un droit de regard et une influence sur les décisions stratégiques, incluant décisions d’investissement, de distribution et de rétention des profits. L’action spécifique offre donc des avantages théoriques certains pour lutter contre une priorisation des intérêts de court terme, tendance croissante structurant nos économies. Mais comme nous l’avons vu, si son usage de la part de l’État n’est pas plus répandu, c’est en partie parce que sa mise en place est fortement limitée par la législation française comme européenne.

      Précision importante, une action spécifique ne renvoie pas nécessairement à une action détenue par un État. Il peut également s’agir d’actions détenues par des acteurs privés. C’est ainsi le cas dans certaines steward ownerships, dispositifs allant encore plus loin que les entreprises à mission en France, bien que l’étant souvent elles-mêmes. L’entreprise à mission Ecosia est ainsi dotée d’une action spécifique garantissant que les profits soient utilisés uniquement pour permettre à l’entreprise de lutter contre la déforestation[29]. L’action spécifique détenue par les fiduciaires, que ce soit des salariés ou une fondation, offre alors un droit de veto sur toutes les décisions qui pourraient effectivement porter atteinte à l’objet social et à l’engagement de l’entreprise en faveur d’une gestion responsable. Dans ce cadre, la steward ownership amène à voir considérée comme prioritaire la réalisation d’une mission de long terme, spécifique à la firme (Sanders, 2022)[30]. Le profit y est vu comme un moyen parmi d’autres de développer la firme, notamment au travers de réinvestissements, et n’est plus au cœur de l’affectio societatis fondant l’entreprise.

      2.    Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ?

      Au-delà de se faire au détriment de l’accomplissement d’une mission, ou de la mise en place d’innovation, la maximisation du profit et de la valeur actionnariale liée à la financiarisation peut se retrouver en conflit avec les objectifs environnementaux. Ainsi, la loi PACTE affichait pour ambition une réelle prise en compte des enjeux et contraintes écologiques au sein de l’entreprise. Elle modifie l’article 1883 du Code civil qui dispose alors qu’une société, qu’elle soit civile ou commerciale, doit être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La protection de l’environnement est-elle donc enfin devenue une priorité pour la gouvernance d’entreprise, face à la maximisation de profit de court terme ? En réalité, si l’article 1883 mentionne bien la nécessité d’une prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, il précise également que celle-ci doit pleinement servir l’intérêt social de la société. Ainsi, la doctrine reconnaît que « l’absence ou l’insuffisance, ou à l’inverse l’excès, de prise en considération des aspects sociaux et environnementaux peut entrer en ligne de compte pour l’appréciation d’une faute de gestion et constitue un enjeu de responsabilité pour les dirigeants vis-à-vis de la société »[31].

      Des juristes commentent que « la prise en compte de ces enjeux participe clairement à la performance de long terme de l’entreprise. La seule limite serait de prendre en compte de manière excessive ces enjeux au détriment notamment du patrimoine et de la rentabilité économique de court terme de l’entreprise, mais également de sa capacité de performance de long terme » (ibid.). On notera qu’il est souvent compliqué de voir comment prioriser les enjeux environnementaux pourrait se faire sans porter atteinte au moins aux intérêts de court, de moyen voire de long terme de l’entreprise. Mais surtout, il se révèle difficile pour un magistrat de se substituer aux administrateurs pour statuer vis-à-vis de ce qui constitue l’intérêt social de l’entreprise, et de la façon dont un comportement vertueux sur le plan environnemental s’inscrirait dans ce cadre. Astrid Mignon Colombet et Alfred Reboul concluent d’ailleurs que les actions intentées en justice par la société civile pour condamner les entreprises n’adoptant pas un comportement vertueux en matière d’environnement avaient échoué précisément pour cette raison[32]. En dehors de certains types d’entreprises mettant au cœur de leur fonctionnement la protection de l’environnement (certaines entreprises à mission, ou sous la forme de steward ownerships), le droit des sociétés français ne permet pas une prise en compte des enjeux environnementaux quand ceux-ci s’opposent à l’objectif de maximisation du profit. Au-delà de cela, notons que nombre d’entreprises subiraient probablement une perte de valeur d’une partie de leurs actifs en cas d’une rapide réorientation vertueuse pour l’environnement, condamnant la transition écologique à aller lentement, sans intervention étatique[33].

      Par ailleurs, la mise en place d’une réorientation de l’économie et la gestion des ressources qui en découlerait ne peut se faire de façon uniquement décentralisée, secteur par secteur, entreprise par entreprise, du fait du fort enchevêtrement des différentes problématiques (Durand & Keucheyan, 2024[34]). Comme l’expliquait Mansholt dans sa lettre, la réorganisation de l’économie face à la catastrophe écologique annoncée relève de la même nécessité impérieuse que celle d’un pays confronté à la guerre, et ne peut s’imaginer sans planification.

      On pourrait arguer que face à cette difficulté de prise en compte des enjeux environnementaux par le secteur privé, la solution toute trouvée serait des lois de nationalisation d’entreprises dans des secteurs nécessitant une réelle réorientation écologique, afin de permettre un pilotage de l’économie par la puissance étatique. Or, il est nécessaire de noter qu’un tel procédé se heurterait à un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, par le coût colossal qu’il engendrerait vu le périmètre concerné, une nationalisation nécessitant que l’État obtienne plus de 50 % des parts de l’entreprise, impliquant de nombreux rachats d’actions, ceci dans un contexte où la dépense publique est fortement contrainte du fait du cadre européen. Par ailleurs, d’importantes nationalisations risqueraient d’engendrer nombre de levées de bouclier, impliquant entre autres risques de fuite de capitaux et potentielles attaques de spread de la part des marchés financiers sur notre dette publique par crainte de non-solvabilité. Des problèmes que la mise en place d’actions spécifiques permettrait de contourner dans une certaine mesure.

      3.    Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique

      Au-delà des difficultés rencontrées par la mise en place de nationalisations massives précédemment évoquées, une nationalisation, pouvant pourtant offrir un certain nombre de prérogatives à l’État, n’a pas réellement de pertinence si elle n’est pas portée par une doctrine économique et une stratégie industrielle. On peut ainsi relever l’exemple de la proposition de loi visant à empêcher le démembrement d’EDF. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire assurait que la nationalisation allait permettre de « renforcer l’indépendance énergétique du pays », de garantir un contrôle des prix et de mettre en place la décarbonation de l’économie[35]. Pourtant, ces ambitions resteront des désirs, si l’État ne se mêle pas de réorienter l’investissement vers la production d’une énergie décarbonée de long terme et si le fonctionnement du marché de l’électricité européen n’est pas remis en cause[36].

      On peut de façon générale s’interroger vis-à-vis de la présence d’une réelle stratégie de planification menée actuellement par l’État français. Si de 1946 avec son origine dans la pénurie de ressource jusqu’à sa mise à l’arrêt en 2005, le Commissariat général au Plan avait plus généralement pour mission de proposer une planification économique pour le pays, l’urgence a justifié sa résurgence en 2020 sous la direction de François Bayrou, sous la forme d’un haut-commissariat mais sans administration propre. Force est de constater, comme cela était relevé lors d’une séance au Sénat le 10 avril 2024, que son action est loin d’être à la hauteur des enjeux, et que l’État semble continuer de piloter à vue dans l’ensemble des branches, sans avoir de vision d’ensemble. Déjà en 2023, Jean Pisani-Ferry dénonçait ainsi le fait qu’il « manque (…) la programmation des moyens associés » à propos du vocable de planification écologique mobilisé par le gouvernement, et le fait que « les stratégies de décarbonation du passé ont trop souvent misé sur la puissance performative du verbe ».

      De même, il est piquant de constater que le gouvernement français, possédant une action spécifique dans Thalès, ne s’est pas opposé à la cession par ce dernier de sa filiale ferroviaire Thales GTS, pourtant tout à fait compétitive (10 % de son chiffre d’affaires) et dont le caractère stratégique de l’activité, notamment dans le cadre de la planification écologique, était évident. Alors qu’au-delà de l’aéronautique et de la défense, Thalès était l’un des leaders mondiaux du ferroviaire, hérité d’Alcatel-Lucent en 2006, le groupe vendait GTS au japonais Hitachi Rail pour 1,66 milliard d’euros, mettant en danger évident les 9 000 salariés de la filiale. Il s’agit d’un événement particulièrement révélateur d’une pure logique de maximisation du rendement. En effet, alors que GTS se révélait avoir un rendement moyen supérieur à celui de son secteur (taux de marge d’EBIT entre 8 et 9 %), la motivation de Thalès semble avoir été d’abandonner un secteur rentable mais moins que ses autres secteurs d’activité dont l’objectif était 12 % de rendement minimum. Cela alors même qu’à long terme, ce secteur pourrait être très rentable dans le cadre de la transition écologique et constitue également un enjeu en termes de relocalisation.

      En réalité, c’est même l’État qui fait parfois pression pour que le taux de marge d’excédent brut d’exploitation soit à deux chiffres, et ce dans l’optique de la maximisation de la valeur actionnariale permise par une hausse des profits. Selon la CGT Thalès, c’est l’État qui a poussé la cession des branches industrielles stratégiques pourtant rentables du rail et du train de l’entreprise. Force est donc de constater que malgré les possibilités qui lui sont ouvertes, les participations de l’État se limitent bien à un simple outil de recettes fiscales. De même, on ne peut que féliciter l’État d’avoir récemment acquis une action spécifique dans Bull, filiale stratégique d’Atos, ou bien le fait que le récent rapport sénatorial appelle à une telle acquisition dans Total Énergies, mais ces outils ne sont pertinents que derrière une vision structurée de planification économique et écologique, avec une stratégie industrielle, et des moyens alloués, un cadre juridique adapté, et une prospective efficace.

      L’État se distingue ainsi par l’absence de doctrine sur les secteurs stratégiques, et de définition claire de ceux-ci (voir la note Institut Rousseau de Nathan Sperber « Ce qui doit échapper à la logique de la mondialisation. Quelle méthode pour identifier les secteurs stratégiques de l’économie ? »). Les actions spécifiques peuvent pourtant se révéler au cœur d’une stratégie économique de long terme. Ainsi, l’utilisation d’une forme d’actions spécifiques pour un pays comme la Chine[37] se retrouve in fine au service d’un plan d’ensemble beaucoup plus large de développement des secteurs considérés comme nécessaires, où la priorité n’est pas donnée à la maximisation du profit de court terme mais au développement des structures productives, au développement du pays et depuis plusieurs années à la transition écologique[38], en suivant des plans de long terme industriels et technologiques, définis entre autres par la Commission nationale de développement et de réforme. Pour reprendre l’une des critiques émises dans le cadre de la discussion sénatoriale à propos de l’action du Commissariat au Plan formulée par le sénateur EELV Daniel Salmon, « Les Chinois ont des plans à 30 ans, alors que nous naviguons pratiquement à vue »[39].

      III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ?

      1.    Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité

      Comme nous l’avons évoqué, pour qu’une action spécifique soit mise en place, il faut :

      • qu’elle concerne une société menant des activités jugées « sensibles » telles que définies par l’article L151-3 du Code monétaire et financier, à savoir :
        • soit « des activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale »,
        • soit des « activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives » ;
      • qu’elle soit dans le périmètre de l’APE au 1er janvier 2018 ou que Bpifrance possède directement ou indirectement au moins 5 % du capital ;
      • qu’elle respecte entre autres les principes de nécessité et de proportionnalité ;
      • et qu’elle soit conforme aux traités, droit et jurisprudence européens, renvoyant principalement aux secteurs de la défense, de l’énergie et des télécommunications. Précisons qu’une entreprise ayant plusieurs activités peut tout de même être soumise à une action spécifique du moment qu’une des activités est « essentielle » : le critère est bien l’activité.

      Les activités de défense et d’armement sont de facto incluses sans friction à l’échelle française comme européenne (avec l’exemple de Thalès, Arabelle Solutions, Nexter Systems, Bull et Safran Ceramics, également pour l’aéronautique). Concernant l’énergie (production comme distribution avec par exemple Engie, Eramet et encore Arabelle Solutions), ainsi que les télécommunications, les conditions au niveau européen sont plus importantes pour ces activités bien que jugées « essentielles ». L’usage d’une action spécifique requiert alors l’impossibilité de mesures publiques moins contraignantes, et relève souvent d’un enjeu de sécurité nationale par anticipation de crise. La CJUE est ainsi particulièrement réticente à généraliser la notion d’intérêt « essentiel » (issue de sa propre terminologie, se substituant à l’intérêt « stratégique ») aux secteurs industriels, où la nécessité et la proportionnalité sont souvent plus difficiles à démontrer.

      Or, les secteurs concernés par le périmètre de l’APE sont multiples, intégrant aussi bien l’aéronautique que les transports, les services, des pôles bancaires et financiers, des compagnies d’infrastructure ou bien encore l’audiovisuel. Il y a donc une tension entre le périmètre jugé légitime au niveau national et européen, d’autant plus avec l’extension permise par la loi PACTE avec des marges de manœuvre que l’État n’utilise pas. Enfin, face aux crises économiques, énergétiques, écologiques et aux enjeux de souveraineté nationale et économique, quid de la nécessité de l’extension du périmètre ?

      2. (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux

      Comme nous l’avons montré et comme l’illustre la note de Nathan Sperber, l’absence de doctrine industrielle cohérente chez l’État français, et tout particulièrement sur les secteurs stratégiques est flagrante. Au-delà de l’épitome qu’est la cession d’Alstom Energie à General Electric en 2014, de la gestion dénoncée par le Sénat des participations de l’État comme pure source de dividende, et de la décoordination et de l’opacité du plan France 2030, l’APE ne mentionne que « les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays (défense et nucléaire) » dans sa « doctrine de l’actionnariat public »[40], vision ridiculement restreinte et partielle et qui pose la question de la définition des secteurs stratégiques, d’autant plus dans une économie mondialisée, de concurrence interétatique, de reconfiguration actionnariale au bénéfice des investisseurs étrangers et de menaces frontales envers la souveraineté énergétique et économique de la France et de l’Europe.

      Nathan Sperber (2020) propose la typologie des secteurs stratégiques suivante : les secteurs de « l’amont » (l’énergie, l’approvisionnement en matières premières, les infrastructures dont numériques, les transports, les télécommunications et la finance tels que les pôles bancaires) ; les secteurs de « protection » de la société (défense et armement évidemment, mais également la sécurité sanitaire, alimentaire, environnementale et numérique avec la cyberdéfense) ; les secteurs « d’avenir » décisifs (le spatial, la mer, l’innovation technologique). Ces différents secteurs, très souvent intriqués et interdépendants, sont résolument stratégiques et relèvent de la sécurité nationale, que ce soit en cas de rupture des chaînes mondiales d’approvisionnement, de pandémie comme le COVID19, d’effondrement écologique, de conflit avec un pays producteur de ressources fossiles comme la Russie, mais également en cas d’attaques commerciales, financières, industrielles et autres offres publiques d’achat (OPA) hostiles d’États et d’investisseurs étrangers.

      De plus, tous ces secteurs sont concernés par la polycrise écologique actuelle, soit en termes de contribution à cette dernière, soit en termes de solution, soit en termes d’exposition à ses dégâts déjà bien présents, dont en Europe. Cette crise multidimensionnelle n’englobe pas seulement les risques bien connus liés au changement climatique anthropique[41], mais également d’autres limites planétaires, telles que la perte de biodiversité[42], [43], la dégradation des sols dans la région méditerranéenne européenne[44], la perturbation des cycles biogéochimiques, la diminution des ressources en eau douce, l’augmentation de la demande et la réduction du taux de rendement de l’extraction des matériaux et des terres rares[45],[46] dans un contexte géopolitique en tension, et la fragilisation des chaînes mondiales d’approvisionnement. La transgression des limites planétaires va avoir de profondes répercussions sur la sécurité alimentaire de l’Europe, entraînant une dépendance accrue à l’égard des importations de denrées alimentaires[47], ainsi que sur la sécurité énergétique, sanitaire et hydrique, mais aussi sur la stabilité socio-économique[48],[49].

      Ainsi, le très récent rapport de la commission d’enquête parlementaire sur Total Energies recommande l’acquisition d’une action spécifique dans l’énergéticien, aussi bien pour des raisons de pilotage de la transition écologique que pour éviter que l’entreprise ne devienne à terme américaine, 40 % d’actionnaires étant nord-américains (soit 13 points de plus qu’en 2010, avec une baisse de 7 points de la part d’actionnaires français). Il semble donc à la fois légitime et nécessaire de considérer de tels secteurs dans le cadre de la transition écologique comme des secteurs stratégiques, le fait qu’ils relèvent de la sécurité nationale et de l’ordre public au sens de la jurisprudence de la CJUE (jurisprudences belges et portugaises sur l’anticipation des situations de crise dans l’approvisionnement énergétique et dans les télécommunications) pouvant être juridiquement défendu – par exemple, le secteur de fabrication des batteries de véhicules électriques et le secteur minier de lithium en amont. Cette multiplicité des secteurs s’oppose au périmètre actuellement restreint, qui doit être modifié à l’échelle nationale et négocié à l’échelle européenne, d’autant plus que la Commission européenne défend également la mise en place de politiques écologiques massives et interventionnistes, que ce soit avec le Green Deal européen ou encore la loi européenne sur le Climat qui impose une réduction des émissions nettes de GES de 55 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030. Une saisine de la CJUE par la Commission pour manquement d’États membres qui utiliseraient des actions spécifiques pour remplir ces objectifs européens serait contradictoire, et révèlerait alors le caractère inique et inadapté du TFUE face aux enjeux actuels.

      Propositions

      Nous proposons donc un ensemble de mesures pour mobiliser l’outil qu’est l’action spécifique au service de la planification économique et écologique en alternative aux nationalisations, incluant les évolutions nécessaires de la législation française et les possibilités face au cadre européen.

      Proposition n°1 : Une vraie réappropriation par l’État de l’outil qu’est l’action spécifique avec son acquisition dans différentes entreprises stratégiques pour la transition écologique et dans les entreprises dont la recomposition actionnariale risque à terme de les faire devenir étrangères, comme Total Energies et Veolia. Cela requiert un élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État et des secteurs jugés « sensibles » par l’article L151-3 du Code monétaire et financier pour inclure les activités centrales pour la transition écologique et la sécurité nationale énergétique, alimentaire, environnementale, industrielle et numérique. La loi PACTE devra également être actualisée car fixant la liste du périmètre de l’APE au 1er janvier 2018. L’action spécifique devra également être utilisée dans le cas où l’État décide lui-même de (re)lancer avec le secteur privé des activités productives disparues ou innovantes (e.g. mines de lithium, intelligence artificielle, nouvelles technologies « vertes » etc.).

      Proposition n°2 : La proposition n°1 doit nécessairement aller de pair avec le développement d’une vraie planification économique et écologique, d’une politique industrielle et d’une stratégie technologique requérant plus un volontarisme politique que des outils réglementaires et législatifs. Cela pour sortir de la gestion passive des participations financières de l’État servant aujourd’hui simplement à la collecte de dividendes (en particulier sur les cessions d’activités et de filiales, ainsi que sur les transferts de propriété intellectuelle), avec l’aide de services de l’État spécifiquement alloués (Haut-commissariat au Plan – qui devrait être doté d’une administration propre, France Stratégie…), des services responsables de la protection stratégique et de l’intelligence économique (SGDSN, SISSE, AMF, Tracfin…), des organismes de participations et de financement (APE, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignation, Agence nationale de la Recherche, FDES…) et de la coopération avec les organismes de recherche nationaux (CNRS, Inserm, Inrae, Inria, CEA, CNES, ONERA, CIRAD…). Les prémisses de la transformation par la loi PACTE de l’affectio societatis (article 1832 du Code civil, raison de création de l’entreprise), du profit vers des missions sociales, doivent également être développées.

      Proposition n°3 : Le développement dans la loi de nouveaux droits offerts par l’action spécifique et existant déjà dans d’autres pays tels l’Allemagne et les Pays-Bas, incluant :

      • la possibilité de plafonner la part des droits de vote (g. à 20 %) de l’actionnaire à partir d’une certaine part actionnariale ;
      • l’accroissement de la majorité qualifiée pour les votes stratégiques chez les actionnaires, pour permettre à l’État actionnaire minoritaire de pouvoir bloquer une décision, voire autoriser un droit de veto sur les votes stratégiques ;
      • l’abaissement des seuils d’acquisition du capital par des investisseurs domestiques et étrangers requérant une autorisation de l’État (seuils définis par le I de l’article L233-7 du Code de commerce) ;
      • la possibilité pour l’État d’exiger qu’une part plancher des profits définie préalablement soient réinvestis dans l’entreprise ;
      • la capacité de bloquer le développement d’une activité pouvant nuire à l’activité principale en cas d’absence d’utilité sociale ;
      • un droit de regard et de contrôle pour l’État sur le devoir de vigilance de l’entreprise[50], ou bien encore ;
      • la possibilité pour l’État de refuser le développement d’activités fortement polluantes, sauf dans le cadre d’acquisition pour gérer le stranding (ou échouage) du capital physique et humain, et pour organiser sa transition écologique. Ces droits ne devront pas être automatiquement associés tous ensemble à chaque action spécifique car la CJUE s’y opposerait (jurisprudence n°2 Loi « Volkswagen », 2013) du fait de « l’effet d’ensemble », mais devront être sélectionnés individuellement selon les enjeux stratégiques propres à chaque entreprise.

      Proposition n°4 : Le conditionnement de la participation du financement et de la commande publics à un ensemble de mesures et de garanties, de l’ordre d’objectifs environnementaux, de la préservation d’emplois, d’établissements domestiques et de branches d’activités, de l’autofinancement par profits retenus, de partage de la valeur ajoutée et de co-gouvernance entre actionnaires et salariés (voir la note Institut Rousseau « L’entreprise de demain, un bien commun au service de l’intérêt général »), et également des transferts de propriété intellectuelle et d’entrée d’investisseurs au capital après un financement public, par exemple dans le cas des brevets et médicaments d’entreprises financés par le plan France 2030. Ce conditionnement aurait pu être mis en place dans le sauvetage récent d’Atos par l’État qui a pris une action spécifique dans sa filiale Bull pour sécuriser ses activités sensibles.

      Proposition n°5 : La création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale et des droits humains, ainsi que de contrôle de l’extraterritorialité de ce devoir pour les entreprises extra-communautaires réalisant des bénéfices conséquents en France, en cohérence avec la récente directive européenne sur le sujet[51].

      Proposition n°6 : La modification du cadre européen, notamment du TFUE, paraît nécessaire et est souhaitable pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, mais il est bien connu que la révision des traités européens est exceptionnelle voire chimérique – malgré le potentiel soutien de l’Allemagne, cf. sa loi « Volkswagen » et son opposition à la Commission européenne devant la CJUE. Néanmoins, il nous semble qu’un certain nombre d’arguments juridiques pourraient être opposés à la Commission en cas de saisine de la CJUE pour manquement :

      • Il est possible d’arguer que le concept de nécessité lié à l’anticipation de crise tiré de la jurisprudence sur l’approvisionnement énergétique belge[52] et les télécommunications portugaises[53] peut s’appliquer à l’anticipation d’autres crises, la crise écologique ayant des dégâts anticipés et déjà présents colossaux[54].
      • De même, la Commission européenne exige des États membres, à travers le Green Deal européen et la Loi européenne sur le Climat, des transformations radicales pour des objectifs eux-mêmes radicaux, ce qui la placerait en contradiction avec elle-même si elle saisissait la CJUE.
      • ll faut également capitaliser sur le cadre présent pour réduire le risque de blocage par la CJUE : comme nous l’avons dit, éviter les combinaisons générales et automatiques de droits liés à l’action spécifique pour éviter « l’effet d’ensemble » (CJCE « Volkswagen », 2007) mais sélectionner ceux pertinents spécifiquement pour chaque entreprise (par exemple, plafonnement du droit de vote à partir d’un seuil de détention actionnariale dans le cas de l’entreprise X, accroissement de la majorité qualifiée dans le cas de l’entreprise Y) pour bénéficier de la jurisprudence validant des droits individuellement (CJUE « Volkswagen », 2013).
      • Parfaitement définir les intérêts essentiels et les droits liés à l’action spécifique dans l’entreprise pour réduire le caractère général et discrétionnaire ( l’arrêt CJCE de 2022 concernant Elf Aquitaine, bloqué non pas pour la légitimité mais pour le flou de l’intervention).
      • Utiliser en cas de risques juridiques européens importants un régime d’opposition ex post à une décision d’entreprise par l’État, préféré par la CJUE, plutôt qu’un régime d’approbation ex ante.
      • Enfin, rappelons que pour contrebalancer le principe de libre circulation des capitaux, l’article 345 du TFUE dispose que « le présent traité ne préjuge en rien le régime de propriété dans les États membres ».

      Ces propositions – profitant des marges de manœuvre permises par le droit et la jurisprudence européens – visent à permettre à l’État de se réapproprier des outils existants et d’en développer de nouveau au service de la bifurcation écologique et d’une vraie stratégie économique, éléments fondamentaux pour que la société française soit en capacité de faire face aux crises actuelles et puisse assurer sa pleine souveraineté.

      [1] Jean Pisani-Ferry : sur la planification écologique, « Emmanuel Macron a manqué l’occasion d’un récit mobilisateur », dans Le Monde, 7 octobre 2023. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/07/jean-pisani-ferry-les-strategies-de-decarbonation-ont-trop-souvent-mise-sur-la-puissance-performative-du-verbe_6192913_3232.html

      [2] Avec le lancement en octobre 2022 du plan France Nation Verte au sein d’un Secrétariat général à la planification écologique, et du Haut-commissariat au plan en septembre 2020 : « Planifier aujourd’hui, c’est proposer à chacun – citoyens, collectivités locales, entreprises, associations – un chemin pour réussir collectivement et individuellement à réduire notre empreinte écologique et nous projeter dans un monde habitable, juste et désirable. » https://www.info.gouv.fr/france-nation-verte

      [3] La Lettre Mansholt. 1972. Institut Veblen (2023).

      [4] Durand, C., Hofferberth, E., and Schmelzer, M. (2023) Planning Beyond Growth the Case for Economic Democracy within Ecological Limits. https://ssrn.com/abstract=4457481

      [5] Rapports Road to Net Zero (2024) et 2 % pour 2 degrés (2021) de l’Institut Rousseau.

      [6] Rapport d’information sénatorial n° 208 (2021-2022) sur les Participations financières de l’État https://www.senat.fr/rap/r21-208/r21-208.html

      [7] Cour des comptes (2020) Compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », note d’analyse de l’exécution budgétaire.

      [8] L’EBIT, pour « earnings before interest and taxes », est en français le « bénéfice avant intérêts et impôts » d’une entreprise (prenant en compte les amortissements). Le taux de marge d’EBIT correspond donc à la part de l’EBIT par rapport au chiffre d’affaires.

      [9] CGT Thalès (2021). Face à la spirale réductrice de la rentabilité financière Une initiative pour l’industrie avec les candidats à la présidentielle. https://coord.cgtthales.fr/wp-content/uploads/sites/19/2021/12/Tract-CGT-Thales-initiative-18-janvier-2022.pdf

      [10] Richardson, K., et al. (2023). Earth beyond six of nine planetary boundaries. Science Advances 9, 37. doi: 10.1126/sciadv.adh2458

      [11] Par exemple la cession d’une partie des actifs d’Engie. Martine Berthet attribuait à la privatisation d’Engie le fait que l’État n’ait pu obtenir gain de cause dans la cession des titres à Véolia (il détenait plus de 70 % de Gaz de France en 2004 contre 23,6 % dans Engie en 2021).

      [12] Une première grande vague de privatisations ciblant 12 entreprises est opérée par le gouvernement Chirac en 1986, suivie par une autre entre 1993 et 2006 justifiée par le « nécessaire » désengagement de l’État de la sphère productive dans un environnement d’intégration financière internationale croissante. L’argument de la nécessité de trouver les moyens financiers d’investir davantage est également avancé sur les dossiers EDF, Gaz de France et France Télécom, tout comme la nécessité d’améliorer les finances publiques.

      [13] Dont il reste néanmoins à la date de parution de cette note toujours actionnaire majoritaire, le processus de cession des actifs ayant été notamment freiné par la crise du Covid-19, par le risque des probables futurs actifs « échoués » en cas de transition écologique, et par la chute du secteur aérien sur les marchés financiers.

      [14] Chang, T.K. (1997). « The Irony of the Golden Share. » https://ssrn.com/abstract=4326152

      [15] Article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux privatisations, puis loi n° 2015-99 du 6 août à l’article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014.

      [16] Article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.

      [17] Liste annexée au décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l’État, dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier 2018.

      [18] « l’obligation de justifier, dans chaque cas où une telle action spécifique serait instituée, les motifs qui commandent cette décision ainsi que le caractère nécessaire, adéquat et proportionné de chacun des pouvoirs attachés à l’action spécifique » (CE, 14 juin 2018, avis 394599 et 395021).

      [19] Fondation IFRAP (2017). « État actionnaire : utiliser les golden shares. »

      [20] E.g. le blocage de l’action spécifique dans Elf Aquitaine en 2002 (CJCE, 4 juin 2002, arrêt C-483/99), celles dans les compagnies postales et de télécommunications néerlandaises TPG et KPN en 2006 (CJCE, 28 septembre 2006, arrêts C-282/04 et C-283/04), ou bien encore celle dans l’énergéticien portugais Energias en 2010 (CJUE, 11 novembre 2010, arrêt C-543/08).

      [21] Dans le cas d’Elf Aquitaine, la CJUE avait ainsi jugé l’action spécifique comme fondée et légitime, mais cette dernière avait échoué au test de proportionnalité, du fait de prérogatives étatiques jugées trop larges et discrétionnaires.

      [22] CJCE, arrêt C-112/05, 23 octobre 2007.

      [23] CJUE, 23 octobre 2013, arrêts « Essent » C-105/12 à C-107/12.

      [24] CJUE, 22 octobre 2013, arrêt C-95/12.

      [25] Ibid.

      [26] Lazonick W. and O’Sullivan M. (2000), Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance, Economy and Society.

      [27] Dobbin F., and Zorn D. (2005). « Corporate Malfeasance and the myth of Shareholder value », in Political power and social theory, edited by Diane E. Davis, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge.

      [28] Froud J. , Johal S., Leaver A., and Williams K. (2006). « Financialization and strategy : Narrative and numbers », Routledge.

      [29] Voir la mission sociale d’Ecosa : https://purpose-economy.org/en/companies/ecosia/

      [30] Par exemple, dans les cas où les propriétaires de la firme ont uniquement droit à un salaire conditionné à leur travail pour l’entreprise. Cf. Sanders, A. (2022). Binding Capital to Free Purpose : Steward Ownership in Germany. SSRN Electronic Journal.

      [31]Nouel C. et  Martin D. G. (2021) « L’Appréciation de la conformité à l’intérêt social après la loi Pacte et ses incidences sur le plan fiscal », Bulletin Joly Sociétés, n° 10, p. 55.

      [32] Colombet A. M. et Reboul A. (2023), « Justice climatique : les limites du name and shame », Revue esprit, n°502.

      [33] Giraud, G. Nicol, C., et al., (2021). « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?», Institut Rousseau, Les Amis de la Terre, Reclaim Finance.

      [34] Durand, C., et Keucheyan, R. (2024). Comment bifurquer? Les principes de la planification écologique. Zones.

      [35] Selon les mots de Bruno Le Maire, cité par France Culture, dans le podcast « ​​EDF : la nationalisation redevient-elle un atout stratégique ? », juin 2023

      [36] Le marché européen de l’électricité nécessitant de fixer un prix de vente qui ne correspond pas toujours au prix de production, et ne permettant pas de compenser des investissements en capital fixe importants, désavantageant ainsi notamment la filière du nucléaire.

      [37] Au-delà des entreprises dont le capital appartient à l’État (30 % d’entre elles), les entreprises privées voient une gestion de la propriété particulière, mixte selon certains auteurs, permettant au PCC d’avoir un certain contrôle sur l’orientation de l’entreprise de façon générale (Scott Kennedy et Ilaria Mazzocco, February 7, 2023, pour big data china, & The Reshaping of China’s State Capitalist System par Barry Naughton et Briana Boland, 2023).

      [38] Avec difficultés, comme le relève Cédric Durand, les élites chinoises peinant à s’émanciper de la logique productiviste.

      [39]https://www.francetvinfo.fr/politique/francois-bayrou/c-est-une-coquille-vide-le-travail-de-francois-bayrou-au-haut-commissariat-au-plan-questionne-par-des-senateurs-ecologistes_6477944.html

      [40] Cf. https://www.economie.gouv.fr/agence-participations-E%CC%81tat/notre-mission-statement

      [41] IPCC (2022). Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (Eds.)]. Cambridge University Press. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, 3056 pp.

      [42] IPBES (2019). Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services.

      [43] Ceballos, G., & Ehrlich, P. R. (2023). « Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction. » Science Advances.

      [44] Ferreira, C., Seifollahi-Aghmiuni, S., Destouni, G., Ghajarnia, N., & Kalantari, Z. (2022). « Soil degradation in the European Mediterranean Region : processes, status and consequences. » Science of The Total Environment, 805, 150106.

      [45] Vidal, O., Rostom, F., François, C., & Giraud, G. (2017). « Global Trends in metal Consumption and Supply : The Raw Material–Energy Nexus ». Elements, 13(5), 319‑324.

      [46] Court, V., & Fizaine, F. (2017). « Long-term estimates of the Energy-Return-on-Investment (EROI) of coal, oil, and gas global productions ». University of Sussex. Journal contribution.

      [47] FAO (2021). The State of the World’s Land and Water Resources for Food and Agriculture.

      [48] Rüttinger, L. et al., (2015). A New Climate for Peace: Taking Action on Climate and Fragility Risks. Report of Climate Diplomacy for the G7.

      [49] Van Ginkel, K., Botzen, W., Haasnoot, M., Bachner, G., Steininger, K. W., Hinkel, J., Watkiss, P., Boere, E., Jeuken, A., De Murieta, E. S., & Bosello, F. (2020).  « Climate Change Induced Socio-economic Tipping Points : Review and stakeholder consultation for policy relevant research.» Environmental Research Letters, 15(2), 023001.

      [50] Le devoir de vigilance, introduit par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, consiste en l’obligation pour l’entreprise de prendre en compte les risques induits par son activité et celle de ses filiales et sous-traitants dans les domaines sociaux, environnementaux et des droits humains.

      [51] Directive 2024/1760 du 13 juin 2024.

      [52] CJCE, 4 juin 2002, arrêt C-503/99.

      [53] CJUE, arrêt C‑171/08, 8 juillet 2010.

      [54]Les pertes économiques dues aux catastrophes environnementales sont estimées à 2,98 billions de dollars dans le monde entre 2000 et 2019, les catastrophes liées au climat représentant 77 % des pertes totales (UNDRR, 2020, Economic Losses, Poverty & Disasters 1998-2017), et les effets négatifs du changement climatique sur la santé en Europe, comme les phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations aux vagues de chaleur, sont documentés et prédits (European Environment Agency, 2023, Climate change Impacts, risks and adaptation). Pour la prédiction des dommages futurs, voir la vaste littérature sur les « fonctions de dommage ». Une autre illustration est le fait que Munich Re et Swiss Re, les deux principaux réassureurs mondiaux, se sont désengagés des risques climatiques liés aux événements extrêmes, considérant qu’ils ne sont plus réassurables.

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