Tout au long de l’hiver, la menace de coupures d’électricité est revenue régulièrement et s’est ajoutée à un contexte d’explosion des prix de l’énergie. La vétusté du parc nucléaire et le report des maintenances du fait de la pandémie de COVID-19 ont placé la France dans une situation de tension inédite sur son réseau électrique, compromettant l’accessibilité du grand nombre aux biens de première nécessité que sont le chauffage et l’électricité. Il existe pourtant une solution pour limiter ces pressions croissantes : l’accélération de la rénovation thermique des bâtiments.
Le logement un facteur de tension croissante sur le réseau électrique
En France, le logement concentre une part importante de l’utilisation d’électricité : 36 % de notre consommation provient du secteur résidentiel et 28 % de cette électricité est utilisée pour le chauffage[1]. Le logement représente ainsi 18 % des émissions de CO2 en 2021[2]. On constate régulièrement, par les appels des professionnels à diminuer la consommation lors des heures de pointe, que la demande du secteur résidentiel joue un rôle décisif dans l’équilibre général du réseau électrique.
Face à la peur des coupures électriques, les autorités ont choisi d’axer leur communication sur la responsabilité individuelle à travers un plan de sobriété d’urgence. Reposant sur « les petits gestes d’économie d’énergie » (abaissement du chauffage à 19°C, couper le WIFI la nuit, etc.), ce plan visait à réduire de 10 % les consommations d’électricité et de gaz dans les foyers et dans le secteur industriel[3]. Si ces mesures sont efficaces pour alléger la tension sur le réseau électrique, elles sont parfois mal comprises ou génèrent de la défiance, car elles laissent perdurer une sobriété à deux vitesses (non-obligation d’éteindre les panneaux publicitaires lumineux) et renforcent un sentiment de déclassement.
Une précarité énergétique et une dépendance aux fossiles de plus en plus douloureuse
La question du logement est placée à la jonction de trois crises: énergétique, sociale et climatique. Les mesures de sobriété individuelle doivent ainsi s’adosser à une réelle planification de la rénovation thermique du parc résidentiel et tertiaire. En plus de renforcer l’acceptabilité sociale des efforts demandés, un grand plan de rénovation thermique à la hauteur des besoins jouerait un rôle décisif pour amortir l’impact de la crise énergétique sur le réseau électrique, pour alléger les factures des ménages les plus précaires et pour amorcer l’adaptation du secteur à la contrainte climatique.
Sur ces deux derniers points, le bâti résidentiel joue, en effet, un rôle prépondérant dans le pouvoir d’achat des ménages. Encore dépendant à plus de 50 % des énergies fossiles (gaz et fioul domestique), le chauffage représente une dépense contrainte de plus en plus importante[4]. L’Europe n’étant pas productrice d’hydrocarbures, la dépendance aux fossiles expose les foyers à la volatilité des prix inhérente à leurs importations. Sans réelle possibilité de s’adapter au renchérissement de leur coût, les augmentations brutales du prix mettent en danger les plus précaires. L’inflation des prix de l’énergie se traduit par une restriction subie de consommation, synonyme de précarité énergétique :on estime qu’aujourd’hui en France, cette situation touche 12 millions de personnes[5].
Le logement au cœur de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique
Côté climat, la rénovation thermique des bâtiments est une solution synergique à la fois dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre liée au secteur, mais aussi dans l’adaptation de celui-ci aux conséquences du changement climatique. L’été 2022 a montré que l’augmentation en fréquence et en intensité des vagues de chaleur est un grave enjeu de santé publique: l’INSEE estime que 11 000 personnes auraient trouvé la mort du fait de ces épisodes de chaleur intense [6] .
Améliorer le confort thermique en été et adapter les bâtiments à des épisodes de chaleurs extrêmes passe donc par une meilleure isolation thermique, mais aussi par la généralisation des installations de refroidissement passif (ventilation naturelle, blanchiment des toitures, végétalisation des façades, dispositifs de protections solaires). Ces dispositifs encore trop peu déployés permettent d’adapter l’habitat au chaud et de limiter le déploiement anarchique de climatisations individuelles, délétère pour le climat et le réseau électrique.
En plus de la rénovation thermique, un enjeu décisif de la décarbonation du logement est l’électrification des usages. Comme dans le cas de la mobilité électrique, libérer les ménages français de leur dépendance aux énergies fossiles passera par l’électrification du chauffage via l’utilisation de pompes à chaleur performantes. Cette tendance justifie l’anticipation d’une hausse des besoins en électricité dans le futur et donc la nécessité d’augmenter l’échelle des économies d’énergie facilement accessibles.
La rénovation thermique: une opportunité de création massive d’emplois qualifiés et non-délocalisables
La rénovation thermique des bâtiments est un impératif pour avoir moins froid en hiver et moins chaud en été, mais elle constitue également un formidable réservoir d’emplois. Il est essentiel de monter, sur la décennie, en rythme et en qualité de rénovation pour aller vers un objectif de 1 million de rénovations globales par an[7].
Cet objectif se traduira par une forte hausse du besoin en emplois dans le secteur. La demande de main-d’œuvre pour la rénovation thermique des logements est estimée à 170 000 personnes supplémentaires pour mettre aux niveaux les logements actuellement à des niveaux de performance énergétique faible ou médiocre[8]. La massification des travaux requiert une montée en compétences, une augmentation de la main-d’œuvre disponible et une revalorisation de la filière. En créant des emplois qualifiés, non délocalisables et répartis sur l’ensemble du territoire, la réorientation de l’industrie du bâtiment vers la rénovation permettra de limiter la baisse attendue d’emplois dans la construction neuve, du fait des évolutions démographiques et de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols.
Encore trop complexes et trop légers, les dispositifs de soutien à la rénovation doivent être à la fois simplifiés et plus ambitieux. Dans son rapport « 2 % pour 2 °C » visant à quantifier le coût de la transition bas carbone en France, l’Institut Rousseau estime nécessaire de repenser les dispositifs d’aide aux ménages en ciblant particulièrement leur accès pour les plus modestes (par l’augmentation des plafonds d’aide et la diminution du reste à charge) et en créant des guichets pour accompagner et informer tout au long de la démarche[9]. Pour de plus en plus de spécialistes, la montée en régime ne pourra s’effectuer qu’en passant progressivement d’une logique incitative à une logique de contrainte des propriétaires par exemple par l’obligation rénovation des passoires thermiques pour pouvoir louer le bien[10].
Accélérer la rénovation thermique : une solution quatre fois gagnante
Une rénovation thermique globale du bâti résidentiel est une solution quatre fois gagnante: pour le réseau électrique, pour le pouvoir d’achat, pour le climat et pour l’emploi. Celle-ci fait pourtant malheureusement face à un manque de volonté politique dans l’accélération du rythme et de la performance de sa mise en œuvre. Le déploiement à grande échelle d’un véritable plan de rénovation thermique passera par la simplification des procédures d’accès aux aides, le renforcement de leurs montants notamment pour les plus modestes et par le passage d’une logique incitative à une logique d’obligation de rénovation pour les plus aisés.
Un véritable plan de rénovation thermique au service, dans un premier temps, des précaires énergétiques pourrait également constituer la première pierre d’un grand projet de société visant à enfin affronter défi climatique. Face à une dérive désormais en partie irréversible, ce projet est en mesure d’aider à déjouer les effets démobilisateurs d’événements qui deviendront de plus en plus anxiogènes. Il participera également au renforcement de la souveraineté française par rapport aux énergies fossiles. Enfin un grand plan national est le moyen le plus efficace pour inciter les citoyennes et les citoyens à adopter des modes de vie plus sobres, compatibles avec un avenir climatique désirable.
[1] Chiffre clés de l’énergie édition 2021 ; Ministère de la transition écologique ; Septembre 2021
[2] Dépasser les constats, Mettre en œuvre les solutions, version grand public ; Haut Conseil pour le Climat ; Septembre 2022
[3] Plan de sobriété énergétique, une mobilisation générale ; Ecologie.gouv.fr ; Octobre 2022
[4] Rapport Annuel 2022 – Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions ; Haut Conseil pour le Climat ; Juin 2022
[5] Précarité énergétique : 25% des ménages en difficulté pour payer leurs factures en 2021; Vie-publique.fr; octobre 2022
[6] La canicule « vraisemblablement » à l’origine de plus de 11 000 décès supplémentaires en France cet été ; Le Monde ; Septembre 2022
[7] Plan de transformation de l’économie française ; The Shift Project ; Janvier 2022
[8] L’emploi moteur de la transformation bas carbone ; The Shift Project ; Décembre 2021
[9] 2% pour 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050 ; Institut Rousseau ; Mars 2022
[10] Habiter dans une société bas carbone ; The Shift Project ; Octobre 2021