À moins de trois mois de l’élection présidentielle, la Fondation Abbé Pierre a publié son 27e rapport annuel sur « L’état du mal-logement en France ». Alors que le pays est encore marqué par la crise sanitaire, ce rapport dessine un portrait marqué par la précarisation de couches les plus précaires de la population, avec des conséquences visibles sur le mal-logement. Quand la crise sanitaire et la crise du logement se superposent, les ménages à bout de souffle sont déstabilisés de manière durable. Pourtant malgré les alertes répétées, la crise du logement est loin d’être suffisamment prise en compte par les responsables politiques et continue de fracturer en profondeur notre société.
S’il est encore difficile de mesurer précisément les conséquences sociales de la crise sanitaire, il apparaît que certaines populations en sont d’ores et déjà les victimes évidentes à l’instar des jeunes, des habitants des quartiers populaires et des personnes exilées. Près de deux ans après le premier confinement, les difficultés croissantes d’accès aux droits sont confirmées. Le fonctionnement « dégradé » des administrations et des organismes chargés d’une mission de service public s’inscrit dans la durée intensifiant ainsi les ruptures de droits et le non-recours.
Dans son rapport, la Fondation Abbé Pierre rappelle que le nombre de personnes à la rue, sans domicile fixe ou en bidonville, a doublé en moins de dix ans, et s’élève à au moins 300 000 personnes. À la mi-novembre en Seine-Saint-Denis, 60 enfants de moins de 3 ans et vivant à la rue n’ont pas pu être mis à l’abri. Le nombre d’expulsions des lieux de vie informels, les squats et les bidonvilles a également atteint des chiffres records. Entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, 1 330 expulsions ont été recensées en France métropolitaine (472 personnes expulsées chaque jour), dont 64 % pendant la trêve hivernale. Autre indicateur fort de la crise du logement : la réduction durable de l’offre de logements abordables. La production de logements sociaux est en baisse constante depuis le début du quinquennat, à un niveau qui n’a jamais été aussi bas depuis 15 ans (87 000 agréments en 2020, environ 95 000 en 2021). Et ce alors que la demande de logement social progresse deux fois plus vite que le nombre de logements sociaux pour atteindre 2,2 millions de ménages. C’est enfin à la progression incontrôlée du prix du logement, qui pénalise surtout les plus modestes, que l’on doit l’aggravation des situations de mal-logement, à tel point que les prix du logement ont crû de 154 % depuis 20 ans.
Ce rapport est aussi l’occasion de dresser un bilan critique du quinquennat écoulé au regard des politiques publiques conduites en matière de logement et de lutte contre la pauvreté. Ce mandat s’achève loin des promesses d’un « choc de l’offre » de logements annoncé par le candidat Macron en 2017. La politique du « Logement d’abord » est restée, malgré certaines avancées, trop marginale au regard des coupes budgétaires subies par les APL et le secteur HLM, si bien que les réponses apportées aux personnes vivant à la rue se résument encore trop souvent à des solutions d’urgence précaires. Les aides ponctuelles distribuées aux ménages à bas revenus (hausse du chèque énergie de 100 euros, aides exceptionnelles de solidarité aux allocataires du RSA ou des APL, indemnité “inflation” de 100 euros aux ménages les plus pauvres) ne représentent que des mesures conjoncturelles qui n’engagent pas de réorientation fondamentale de l’action publique. Au contraire, la réduction de 5 euros des APL et leur nouveau mode de calcul auront permis à l’État de réaliser 1,1 milliard d’euros d’économies. Dans un contexte de choix budgétaires et fiscaux profondément inégalitaires entérinés dès 2017, les politiques du logement ont peiné à inverser la tendance. La crise des Gilets jaunes et la pandémie ont été l’occasion de soutenir les ménages modestes, d’ouvrir davantage de places d’hébergement d’urgence et de soutenir les aides à la rénovation énergétique, mais le gouvernement n’a rien fait pour compenser l’érosion de la création de logements sociaux et a refusé de mettre en œuvre une politique fiscale redistributive. Le bilan est donc clair : les plus pauvres restent les oubliés de ce quinquennat. Selon l’Institut des politiques publiques (IPP), les mesures prises au cours du quinquennat ont abouti à diminuer le niveau de vie des 5 % les plus pauvres de 39 euros par an alors que le niveau de vie des 10 % les plus riches a augmenté en moyenne de 4 %.
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AdhérezContre ce constat, la Fondation Abbé Pierre formule un ensemble de propositions pour l’élection présidentielle : encadrer les marchés immobiliers pour faire baisser les prix, généraliser la politique du Logement d’abord pour viser l’objectif « zéro personne sans-domicile », relancer la politique du logement social en construisant 150 000 logements vraiment sociaux par an, mettre en place une garantie universelle des loyers, réglementer plus strictement les locations saisonnières, mettre fin aux coupures d’électricité dans les résidences principales, abonder les aides à la rénovation énergétique des bâtiments pour éradiquer les passoires énergétiques en dix ans, créer une agence nationale des travaux d’office pour résorber l’habitat indigne, déclencher un choc de redistribution en augmentant les droits de succession et les taxations sur les transactions immobilières les plus chères. La fondation propose de revaloriser les APL et de les articuler avec les minima sociaux, dont elle réclame qu’ils soient augmentés à hauteur de 50 % du revenu médian (900 euros par mois) et ouverts aux 18-25 ans.
Le coût de ces mesures est évalué à 10 milliards d’euros supplémentaires par an, ce qui représenterait un retour à la situation de 2012, quand 2 % du PIB était consacré au logement (contre 1,63 % en 2020).
À travers ces propositions, la Fondation Abbé Pierre appelle à une mobilisation générale pour remettre le logement au cœur des enjeux qu’il représente pour nos concitoyens et en particulier pour les plus fragiles d’entre eux. Pour cela, les candidates et candidats aux élections présidentielle et législatives doivent s’emparer de ces thèmes pour ne pas se résigner à voir s’accentuer la crise du logement et les fractures qu’elle creuse dans notre société.