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Sommaire

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    Géopolitique du numérique – L’impérialisme à pas de géants

    Il y a à peine une trentaine d’années, les technologies numériques étaient absentes de nos vies. La mondialisation progressive des échanges posait néanmoins les fondations d’un mode de vie où le numérique allait prendre une place importante, poussant les États à investir dans le développement des réseaux et des technologies utiles au marché et au militaire. Aujourd’hui, les propriétaires de ces technologies sont des acteurs privés souvent utilisés comme leviers de pouvoir par leurs États d’origine. L’approche géopolitique du numérique permet d’explorer la toile complexe des relations de pouvoir qui se tissent entre les puissances étatiques, le citoyen, et les multinationales du numérique. Ces Géants, Gafam et autres Big Tech, qui détiennent des réseaux de câbles sous-marins, des plateformes de services mondialement utilisées et une masse importante de données, développent aujourd’hui de véritables stratégies d’expansion territoriale. Leur omniprésence a engendré des rapports de dépendance inquiétants qui, avec le temps, risquent même de devenir un moyen de pression ou de négociation auprès des États. Voyage à la fois historique et géographique, ce livre nous donne à voir un nouveau théâtre d’opérations où, loin de l’utopie d’un internet sans frontières, l’impérialisme technologique avance à pas de Géants. Télécharger la table des matières

    Par Ophélie Coelho

    28 août 2023

    Indépendance numérique : que nous apprend la Chine ?

    « Si vous ouvrez la fenêtre, l’air frais entrera mais les mouches aussi. » Cette phrase a été prononcée dans les années 1980 par Deng Xiaoping, principal dirigeant de la République populaire de Chine de 1978 à 1989, lors d’un congrès présentant la nouvelle politique d’ouverture de la Chine à la mondialisation. À l’époque, celui-ci défend l’idée selon laquelle la Chine ne peut se développer économiquement qu’en adhérant à la mondialisation.

    Par Ophélie Coelho

    30 novembre 2021

    Les États-Unis, les Big techs et le reste du monde… Saisir un moment historique pour bâtir une indépendance numérique

    Introduction L’administration Biden a démarré son mandat en envoyant un message fort aux Big techs. Peu de temps après son élection, deux des postes clés de la politique anti-concurrentielle ont été pourvus par des juristes spécialistes des questions numériques : Tim Wu, professeur de droit à Columbia engagé pour la « neutralité du net[1] », au Conseil économique national sur les questions de politique antitrust ; et Lina Khan, juriste et auteure de l’étude Amazon’s Antitrust Paradox[2], à la tête de la Federal Trade Commission (FTC)[3]. Le département du Trésor a par ailleurs porté auprès de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) un projet de taxation des multinationales, qui concerne en particulier les géants du numérique[4]. En avril dernier, le président américain exprimait même son soutien, à peine masqué, aux travailleurs de l’entrepôt géant d’Amazon à Bessemer (Alabama) lors de négociations portant sur la création d’un syndicat[5]. Ces différents événements suivent la publication, en octobre 2020, d’un rapport important de la sous-commission antitrust de la Chambre des représentants, qui portait sur l’abus de position dominante des entreprises Amazon, Apple, Facebook et Google[6]. Ce document dresse un portrait sévère de l’action de la FTC et du ministère de la Justice, administrations clés de la politique antitrust, en les accusant d’avoir laissé les géants Amazon, Apple, Facebook et Google réaliser plus de 500 acquisitions d’entreprises depuis 1998[7]. L’enquête fait également le constat de l’influence des Big techs sur l’ensemble de l’écosystème numérique. Dans ses recommandations, la sous-commission tente de concevoir des outils fiables pour lutter contre la concentration des monopoles et les pratiques anti-concurrentielles de ces entreprises. Pour le sénateur démocrate David N. Cicilline, qui dirigeait cette enquête, les Big techs sont aujourd’hui les équivalents des conglomérats historiques de Rockefeller, Carnegie et Morgan, qui avaient poussé John Sherman à proposer une loi contre la formation des monopoles en 1890. Lors d’une allocution à la Chambre du Congrès en juillet 2020, le sénateur reprenait même à son compte les termes d’un célèbre discours de Sherman, dénonçant les Big techs et leur « capacité à dicter leurs conditions, à décider du jeu, à mettre à bas des secteurs entiers et à inspirer la peur, [ce qui] équivaut au pouvoir d’un gouvernement privé. Nos Pères Fondateurs ne se sont pas agenouillés devant un Roi, nous ne nous mettrons pas à genoux devant les Empereurs de l’économie immatérielle ! »[8].   Pour lutter contre ces « plateformes en ligne dominantes » (« Dominant Online Platforms » dans le rapport), la sous-commission a proposé trois grands chantiers en faveur d’une politique anti-concurrentielle. Le premier volet d’actions consiste à encourager une concurrence plus équilibrée sur les marchés numériques, notamment par la lutte contre les pratiques commerciales déloyales. Le second concerne le renforcement des lois relatives aux fusions et aux monopoles, et introduit des scénarios de séparations structurelles, c’est-à-dire le démantèlement des géants du numérique. Enfin, la sous-commission insiste sur le nécessaire rétablissement d’une surveillance et d’une application plus rigoureuses des lois antitrust.   Ces solutions sont-elles pertinentes aujourd’hui pour lutter contre les oligopoles que constituent les Big techs ? Sur certains aspects, ces mesures peuvent en effet affaiblir ces entreprises. Mais les solutions avancées au Congrès restent des réponses du marché aux problèmes du marché. Il est par exemple peu probable, comme certains l’ont affirmé à l’annonce de la nomination de Lina Khan, que la seule politique antitrust américaine soit à même de répondre aux phénomènes de dépendance aux Big techs que l’Europe a contribué à forger. Il nous semble donc nécessaire d’analyser la portée, l’intérêt et les limites des propositions actuellement discutées aux États-Unis, afin de soumettre au débat des propositions complémentaires visant à limiter le pouvoir des géants du numérique dans l’espace international. Ces propositions s’ajoutent à celles formulées dans la première note publiée par l’Institut Rousseau qui portait sur la dépendance de l’Europe aux Big techs[9], dans ce qui constitue un cycle de trois notes consacrées à la géopolitique du numérique. Alors que se tient à l’Assemblée nationale une mission d’information sur la souveraineté numérique, nous proposons dans cette note une analyse de la situation américaine et de la pertinence de la stratégie proposée par le Congrès (I, II). Nous verrons à quelles difficultés se confronte l’État américain aujourd’hui face à des entreprises devenues trop influentes (III). Cela nous amènera à préciser les actions concrètes, à court et à moyen termes, qui pourraient être mises en œuvre dans un cadre international pour limiter les pouvoirs des géants du numérique (IV, V).   I. Comment les dysfonctionnements de la politique antitrust des États-Unis ont-ils bénéficié aux Big techs ?   Dans une note publiée en 2017 dans le journal scientifique universitaire de Yale, Lina Khan, alors étudiante en droit, interrogeait la politique antitrust américaine et les conséquences sur le développement de l’entreprise Amazon[10]. Ce texte, baptisé Amazon’s antitrust paradox en réponse au Antitrust paradox de Robert H. Bork, a beaucoup inspiré l’analyse historique et juridique du congrès. Nous rappelons ici quelques grandes lignes de cette analyse des évolutions de la politique anti-concurrentielle américaine. 1. La lutte anti-monopole : point faible des lois antitrust au XXe siècle   À l’origine, les lois antitrust américaines ont été promulguées par le Congrès en 1890, puis en 1914, notamment au travers des lois Sherman et Clayton qui donnaient une place importante à la lutte contre les conglomérats et les positions monopolistiques de certains acteurs privés. Elles ont pris forme dans un contexte où les monopoles constitués autour des industries de l’acier, du cuivre, du pétrole (la fameuse Standard Oil Corporation), du fer, du sucre, de l’étain et du charbon avaient pris une place importante dans la vie politique. Dès le milieu du XIXe siècle, ces entreprises n’étaient plus de simples acteurs économiques, mais des influenceurs importants de la vie politique et sociale. Figure 1. The Bosses of the Senate, caricature satirique de Joseph Ferdinand Keppler. Publié dans la revue Puck le 23 janvier 1889. Dans ce dessin, une porte de la tribune, « l’entrée du

    Par Ophélie Coelho

    22 juin 2021

    Quand le décideur européen joue le jeu des Big techs… Engager une transition technologique pour sortir des dépendances numériques

    En 2013, le rapport d’information de la sénatrice Catherine Morin-Desailly intitulé « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? » décrivait un contexte où l’Europe était « en passe de devenir une colonie du monde numérique, [...] dépendante de puissances étrangères ». Nous y sommes depuis déjà quelques années, et la période de crise sanitaire que nous connaissons n’a fait qu’affirmer nos dépendances à des acteurs techniques devenus aujourd’hui très puissants. Les Big techs, dont les plus connues sont Amazon, Microsoft et Google, ne sont plus de simples pourvoyeuses d’outils numériques, mais se rendent aujourd’hui indispensables aux technologies socles de télécommunication. Depuis 2016, elles construisent leurs propres câbles sous-marins entre les États-Unis et l’Europe, et tracent même de nouvelles routes sur le pourtour du continent africain.

    Par Ophélie Coelho

    8 juin 2021

    Face au poids croissant du numérique : l’impératif de sobriété

    À la croisée du débat entre technophiles et technophobes, le numérique apparaît, pour les premiers, comme un moyen d’achever le rêve transhumaniste d’arrachement à l'altérité et, pour les autres, comme l’un des symboles d’un consumérisme obscène sur le point d’épuiser les ressources (limitées) de la planète.

    Par Moundib I., Jahier A., Bouilloud R.

    20 mai 2021

    Pourquoi le low-code est-il le symptôme d’un numérique à outrance ?

    Les services et produits numériques ont bouleversé notre manière de communiquer et de consommer. Dans un monde hyper connecté, la digitalisation s’est imposée comme une norme permettant de créer de nouvelles expériences répondant aux prétendus besoins de fluidité et d’immédiateté des utilisateurs, au point que le numérique a dépassé son statut de moyen et est devenu une fin en soi, comme en témoigne par exemple l’explosion du nombre de services et d’appareils connectés. Cette rhétorique développée par les géants du numérique tend d’une part à mettre un terme aux discussions internes[1] aux entreprises de cette industrie et d’autre part à occulter la dégradation dramatique de l’environnement[2] et celle des conditions de travail du nouveau prolétariat[3] sur lequel reposent ces « innovations ». Cet impératif d’innovation, qui impose une itération à haute cadence de la part des concepteurs et une mise sur le marché rapide, rend difficile la prise de recul et la réflexion sur les produits et services développés et sur les outils mêmes utilisés pour ces développements. Pourtant, si la répartition des impacts du numérique à l’échelle mondiale impute 45 % de la consommation énergétique à la production et à la fin de vie de nos terminaux, supports réseaux et centres informatiques, les 55 % restants sont dus à l’utilisation de ceux-ci[4]. Cette note vise à questionner la partie proprement immatérielle de notre environnement numérique : celle du code et en particulier du low-code, qui nous semble être un angle inexploré de l’étude des impacts environnementaux, économiques et sociaux du numérique. Compte tenu du rythme de pénétration des équipements numériques et des opportunités de marché associées, il est apparu nécessaire pour les entreprises (petites et grandes) de faciliter l’accès à des outils de développement informatique à l’extérieur de leurs services informatique et technologie (IT). Ainsi, dès le début des années 1990, Microsoft lance le mouvement « low-code » avec le Visual Basic. Il s’agit d’un langage de programmation qui ambitionne de développer plus rapidement des applications en disposant visuellement des composants, en définissant des propriétés et des actions associées à ces composants, et en ajoutant quelques lignes de code pour en préciser les fonctionnalités. Plus généralement, une plate-forme de développement low-code est un logiciel qui fournit un environnement visuel aux programmeur·euses et aux développeur·euses dits « citoyen·nes » pour créer une application mobile ou Web. Le terme « citoyen » est un faux ami qui provient de l’anglicisme consacré « Citizen Development ». Il désigne une approche du développement logiciel nécessitant peu, voire pas du tout, de connaissance en langage informatique. Grâce au low-code, cette nouvelle classe de développeurs peuvent ajouter et agencer des composants d’application préexistants par glisser-déposer et les connecter entre eux au moyen d’interfaces graphiques ; et ainsi se passer de programmation informatique traditionnelle. Finie, donc, l’écriture de code en tant que telle. Les champs d’opportunité du low-code sont aujourd’hui décuplés par l’explosion des offres de cloud computing qui offrent une puissance de calcul accrue et une possibilité de développement collaboratif, permettant aisément à des collaborateur·rices de travailler simultanément au développement d’une même application à partir de briques déjà conçues. Les environnements low-code permettent le développement, le déploiement, l’exécution et la gestion rapide d’applications reposant sur un paradigme de programmation déclaratif, c’est-à-dire qui décrit le résultat final souhaité plutôt que les étapes nécessaires pour y accéder. Ces étapes sont établies de manière automatique par des algorithmes. Dans un contexte où le marché du low-code s’agite et où cette technologie connaît un essor certain, avec en particulier le renforcement des positions des GAM (en effet, Apple et Facebook ne semblent pas, pour l’instant, désireux d’entrer dans le bal), cette note se veut initiatrice d’une réflexion autour, d’une part, des enjeux de sécurité, de gouvernance et de dépendance aux fournisseurs (souvenons-nous seulement de l’émoi suscité par la panne des services de Google survenue le 14 décembre dernier) et d’autre part son rôle dans l’alourdissement de la note écologique déjà salée du numérique mondial. NB : Il est important de relever qu’il existe une différence entre le low-code et le no-code, en particulier quant aux publics ciblés : si le no-code s’adresse à des auteurs plus novices (les développeur·euses citoyen·nes), n’ayant aucune connaissance en code et permet de développer des applications métier, le low-code reste plus complexe et s’adresse à des développeur·euses plus aguerri·es car il nécessite quand même la rédaction de code (jusqu’à 10 % du projet de développement, et souvent les parties les plus techniques). Cependant pour les problématiques discutées aujourd’hui, ces deux technologies sont assimilables. Nous pourrons tout de même noter que les questions soulevées sont d’autant plus préoccupantes pour la technologie no-code qu’elle ne nécessite aucun prérequis technique.   I. Un secteur prometteur   Le marché du low-code connaît depuis plusieurs semestres des taux de croissance impressionnants. Paul Vincent, directeur de recherche et d’analyse chez le géant du conseil américain Gartner, prévient : « Aujourd’hui, toutes les entreprises ont mis au point une stratégie cloud, demain elles auront aussi toutes une stratégie de développement low-code »[5]. a) Un produit attirant Selon les études de l’analyste ResearchAndMarkets en 2017, le marché du low-code pesait plus de 4 milliards de dollars dans le monde et dépassera les 27 milliards de dollars en 2022[6]. Ces chiffres sont confirmés par une deuxième étude plus récente, selon laquelle le marché des outils no-code/low-code atteindra les 45,5 milliards de dollars en 2025[7]. Gartner complète ces analyses en suggérant que la propagation du télétravail liée à la pandémie de Covid-19 favorise la poussée du développement à distance et renforce la nécessité d’outils de développement collaboratif. De nombreuses entreprises seront encore amenées à se tourner en 2021 vers des plate-formes de développement low-code pour déployer leurs programmes d’innovation et de transformation numérique[8]. Enfin, toujours selon Gartner, d’ici 2024 près de 65 % de toutes les applications développées le seront grâce à des plate-formes de développement low-code[9]. À plusieurs égards, ces produits présentent des avantages et offrent des perspectives de croissance pour les entreprises. La logique de compétitivité et de concurrence du marché dicte aux entreprises et aux organisations, d’une part, une

    Par Leclercq V.

    1 avril 2021

    Câbles sous-marins : les nouveaux pouvoirs des géants du numérique

    Début août, une grue sous-marine travaillant à la collecte de sable dans la baie de Kuakata a heurté un câble sous-marin de télécommunications, se traduisant par une perte de 40 % de la vitesse du réseau internet du Bangladesh. En juillet dernier, la Somalie a été totalement privée d’Internet pendant plusieurs heures en raison d’une opération de maintenance à distance du câble sous-marin dénommé « EASSy » qui relie la côte est-africaine au réseau. Ces événements ne sont pas anodins à l’échelle d’un pays : les banques, les compagnies aériennes, les entreprises, les médias et certains services gouvernementaux sont dépendants d’Internet pour fournir leurs services. Aujourd’hui, 98 % des données numériques mondiales circulent par les câbles sous-marins. C’est par exemple le cas du principal système d’échanges de la finance mondiale de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT) qui dépend de la vitesse de ces câbles à fibre optique. Le numérique repose ainsi sur une infrastructure bien réelle : on dénombre aujourd’hui 436 câbles sous-marins de télécommunication, dont 25 traversent l’océan Atlantique et 22 le Pacifique[1]. Passerelles intercontinentales entre les différents réseaux filaires nationaux, les câbles sous-marins débouchent sur des stations d’atterrissement situées en région côtière. La France compte, par exemple, 13 stations d’atterrissement sur son territoire côtier connectant les réseaux filaires nationaux à 23 câbles sous-marins. Ces “routes du fond des mers”, selon l’expression de Florence Smits et Tristan Lecoq en 2017[2], sont les héritiers des premiers câbles télégraphiques du XIXe siècle dont l’emploi permit, en 1858, l’envoi du premier message télégraphique officiel par la reine Victoria au président américain James Buchanan. Le message de 509 lettres avait alors mis 17 heures et 40 minutes à traverser l’océan Atlantique. Aujourd’hui, la fibre optique permet un acheminement de l’information en temps quasi-réel. L’importance qu’a prise l’activité numérique dans nos sociétés contemporaines fait inévitablement des câbles sous-marins des infrastructures vitales au niveau mondial. Pourtant, les chantiers de construction, le développement et l’égalité d’accès au réseau ne font l’objet d’aucune décision multilatérale. Ces infrastructures essentielles sont la propriété d’entreprises qui louent des capacités de bande passante aux acteurs gérant les réseaux télécoms nationaux. Soumis aux aléas du marché et à la loi du plus fort, les câbles sous-marins deviennent progressivement la propriété d’une minorité d’acteurs qui disposent ainsi d’un pouvoir et d’une influence grandissantes sur les États et les entreprises. L’émergence de nouveaux acteurs est d’ailleurs venue bouleverser les équilibres. Si les propriétaires historiques des câbles sous-marins étaient les entreprises privées ou publiques des télécoms, les géants du numérique ont, depuis 2016, massivement investi et possèdent ou louent aujourd’hui plus de la moitié de la capacité des câbles sous-marin. En outre, la stratégie de développement des géants du numérique diffèrent des collectifs traditionnels. Aux grands consortiums, ceux-ci préfèrent des regroupements plus réduits qui leur permettent de conserver le monopole décisionnel. Alors que le projet Africa Coast to Europe (ACE), ouvert en 2012, appartient à un consortium de 19 entreprises des télécoms, le câble MAREA reliant les États-Unis à l’Espagne n’appartient qu’à Facebook, Microsoft et Telxius. Le chantier colossal 2Africa de Facebook et déployé sur tout le pourtour du continent africain n’est porté que par huit acteurs. Google va encore plus loin : le géant a aujourd’hui les capacités financières et techniques de faire construire ses propres câbles. Ainsi, le câble Dunant qui relie depuis janvier 2020 les États-Unis et la France appartient en totalité à Google. L’entreprise déploie également le titanesque câble Equiano qui bordera toute la côte ouest du continent africain, faisant ainsi concurrence au projet 2Africa. Google possède ainsi le service et l’infrastructure qui le sous-tend, créant des situations de forte dépendance technologique pour les États, les entreprises et les usagers. Les géants américains ne sont d’ailleurs pas les seuls à user d’une stratégie de conquête sous-marine. Le chinois Hengtong a pu compter sur le soutien des banques et entreprises nationales chinoises, dont la China Construction Bank, pour lancer son projet Pakistan & East Africa Connecting Europe (PEACE) qui reliera le Pakistan, la côte est africaine à la rive sud de la Méditerranée par le canal de Suez, pour finalement atterrir à Marseille. PEACE permettra aux géants chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi de développer leurs activités en Afrique et en Europe. Ces stratégies de développement préfigurent un nouveau pouvoir pour les géants du numérique : ils acquièrent à la fois l’accès à un marché industriel gigantesque ainsi qu’une capacité d’influence importante sur les États et sur les entreprises des pays qui ont un accès précaire à ces infrastructures aujourd’hui. L’Afrique et le Moyen-Orient représentent dès lors pour les géants du numérique un potentiel de développement considérable. En effet, ces pays n’ont que très peu accès aux câbles, ce qui les rend vulnérables en cas de rupture de ceux-ci. En apportant sur le continent africain des infrastructures facilitant leur accès aux activités numériques, Equiano et 2Africa sont considérés comme d’importants leviers de développement économique. Mais dans le même temps, ils acquièrent la capacité d’influencer directement l’offre de services numériques dans ces pays. S’imposent ainsi des acteurs hégémoniques dotés d’un monopole technologique et infrastructurel inédit à l’échelle mondiale. Ce monopole sert les capacités de négociations et d’influence de ces entreprises dont les cabinets de lobbying sont déjà implantés dans tous les centres de pouvoirs politiques et économiques. À l’échelle de l’Union européenne, Microsoft (Havas, Com, Publics, Plead), Google (Commstrat, Image7) ou encore Facebook (Burson Marsteller I&E, Lighthouse Europe) sont en discussion constante avec le législateur en matière de droit du numérique[3]. Cette configuration de concurrence monopolistique s’inscrit en contre de la théorie libérale d’un marché qui s’équilibre par défaut, et accentue au contraire un phénomène de « capture » du régulateur. Ciblant d’abord les politiques en matière de numérique, leur influence s’étend progressivement vers d’autres secteurs clés où leurs technologies se développent : la sécurité, la défense ou encore le domaine de la santé[4]. Cette prédation doit nous alerter et nous amener à réduire, dans chaque domaine où cela est possible, le pouvoir d’influence de ces acteurs privés sur les États et

    Par Ophélie Coelho

    26 août 2020

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