Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Comment accélérer la mise en place d’une comptabilité écologique

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. Nous sommes très fiers de commencer cette série par une note relative au renouvellement des modèles comptables au service de l’environnement, écrites par deux membres de l’Institut Rousseau.   Le développement économique et démographique fulgurant qui a lieu depuis la révolution industrielle se fait au détriment d’une biosphère humainement vivable, faisait passer l’humanité à l’ère de l’anthropocène : l’impact (négatif) de l’homme sur le vivant en fait désormais un facteur majeur à l’échelle géologique et menace même sa survie. Télécharger la note en pdf 9 frontières planétaires vitales ont été identifiées[1] (dont trois déjà franchies) 1) dérèglement climatique 2) déclin de biodiversité 3) acidification des océans 4) déplétion de l’ozone stratosphérique 5) perturbation du cycle de l’azote et du phosphore 6) charge en aérosols atmosphériques 7) consommation d’eau douce 8) changement d’affectation des terres (couverture forestière) 9) pollution chimique (notamment pesticides) 1, 2, 5 ont été franchies Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation catastrophique : au niveau philosophique/des croyances : la scission nature-culture/sujet-objet héritée de la philosophie des Lumières et que les Occidentaux ont diffusé dans la majeure partie du monde ; le consumérisme (« religion la plus répandue au monde »[2]) ; l’hubris humain etc. au niveau technologique : l’avènement des machines a rendu les carburants fossiles (charbon, gaz, pétrole) prépondérants dans notre mix énergétique ; les progrès agricoles et sanitaires ont eux permis l’explosion démographique au niveau de l’échelle : mondialisation, la hausse des flux d’échanges mondiaux (économiques, culturels, d’informations) En particulier, cette dernière est permise par la hausse du niveau d’éducation et notamment la diffusion de l’anglais comme langue mondiale du commerce, mais également par un langage commun pour les entreprises (actrices centrales de la création de valeur économique dans le monde marchand) : la comptabilité. La comptabilité, clé de lecture des activités des entreprise et de ses financeurs Qui utilise la comptabilité d’entreprise ? les entreprises formelles[3], pour lesquelles i) l’établissement de comptes annuels est une obligation et ii) la comptabilité est la matière brute permettant la gestion de l’entreprise. les financeurs : banques, fonds d’investissement et gestionnaires d’actifs professionnels, personnes physiques (dans une moindre mesure). l’État via i) la fiscalité, ii) la prise de participation (e.g. Aéroports de Paris) et iii) l’implication directe dans la gestion des entreprises (e.g. Société Nationale des Chemins de Fer). L’entreprise est l’agent économique marchand central, celui par lequel la valeur économique (en dollar, euro etc.) est créée et distribuée, via le paiement des charges opérationnelles (paiements aux fournisseurs et prestataires, salaires, loyers…), la rémunération du capital (dividendes, plus-values de cession, intérêts) et la fiscalité (impôts et taxes). L’entreprise moderne a la capacité de faire appel à des financeurs externes via la dette/le crédit ou l’investissement en fonds propres. Leur langage commun est celui de la comptabilité. Leur seule unité de compte : la monnaie. Leur tableau de bord : les états financiers (bilan, compte de résultat, tableau des flux de trésorerie). Leur principale mesure de performance : le profit. La production de biens et services a désormais lieu principalement via les entreprises. En économie de marché, la concurrence entre organisations se fait quasi exclusivement sur le rapport prix/qualité du bien ou service. Mais en l’absence d’internalisation dans les coûts monétaires des externalités négatives des activités économiques, le prix ne reflète pas les coûts réels sur le reste de la société à qualité équivalente. La réglementation, la norme, la fiscalité, se heurtent au manque de granularité et de fiabilité dans l’information disponible et mesurable sur les « externalités » négatives. On ne compte pas celles-ci, alors qu’on compte systématiquement les éléments « marchands » (via la comptabilité). La compréhension de ces écueils n’est pas nouvelle : en absence de réglementation parfaite et d’un État omnipotent, le privé non lucratif (via les associations d’intérêt général notamment) et le privé lucratif (entrepreneuriat social, investissements à impact…) répondent au problème à leur manière pour un développement économique « durable » (rapports d’activités, rapports d’impact etc.). L’alternative comptable offerte par la méthode CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) Pour permettre à l’État, garant de l’intérêt général, d’adapter plus finement la fiscalité et la réglementation et ainsi favoriser les entreprises vertueuses et pénaliser les entreprises destructrices, il faut donner plus de transparence à l’impact environnemental de chaque organisation. Il faut changer la comptabilité. La méthode CARE, développée au sein de la chaire de comptabilité écologique, propose et expérimente des pistes qui vont dans ce sens. Les créateurs de la méthode CARE[4] proposent avant tout de changer de paradigme dans la manière de mesurer la performance, c’est-à-dire de changer la notion même de profit. Ce dernier est défini par Hicks[5] en 1939 comme « le montant maximum que l’on peut dépenser sur une période tout en maintenant le capital sur cette même période ». Il est indissociable du principe de préservation du capital, et donc d’amortissement. Cependant, dans son utilisation actuelle, le profit a plusieurs défauts : il est distribué aux seuls actionnaires[6], sans considération des autres parties prenantes le capital qu’il est nécessaire de préserver est uniquement le capital financier, il ne prend pas en compte la préservation du capital naturel et du capital humain. Ces limitations, sans en être la cause unique, ont favorisé une économie marchande certes efficace du point de vue financier[7], mais défectueuse voire prédatrice du point de vue humain et environnemental. Concrètement, la

Par Kuhanathan A., Métadier B.

29 mars 2021

Le cas Danone nous ramène à l’hyper-réalité financière

Danone, leader mondial des produits laitiers frais, a récemment évincé son PDG Emmanuel Faber, quatre ans après sa nomination en tant que PDG, sous fond de dissensions managériales, actionnariales et stratégiques. Ce qui « fascine » les commentateurs sur ce cas, c’est que cette entreprise est la première entreprise du CAC40 à adopter le statut de société à mission, dont l’objectif de création de valeur n’est plus seulement financier mais également environnemental et social. L’histoire retiendra que les tensions au sein de la gouvernance de Danone ont commencé dès lors que Danone a adopté ce statut le 26 juin 2020, soutenu par ses actionnaires qui ont pourtant voté cette résolution à hauteur de 99,4 % des voix. Ce jour-là, Emmanuel Faber affirmait : « vous venez de déboulonner une statue de Milton Friedman… La décision que vous venez de prendre fera jurisprudence ». Huit mois plus tard, la statue de Milton Friedman n’a pas vraiment vacillé. Depuis juin 2020, l’entreprise a dû faire face à des vagues de départ au sein de son comité exécutif en septembre et octobre 2020, puis à une demande de refonte de la gouvernance de la part de Bluebell Capital Partners en novembre 2020 (au moment où le plan stratégique « Local First » était annoncé) suivi par Artisan Partners en février 2021. Ces deux fonds activistes, pourtant minoritaires dans la structure actionnariale du groupe, ont profité d’une croissance faible de l’action Danone en 2020 pour entrer au capital et faire exploser la gouvernance de l’entreprise et son projet d’obtenir le label de bonne gouvernance environnementale et sociale B Corp au passage. Le jour de l’annonce de son éviction, l’action Danone a bondi de 4 % à la bourse de Paris et Bluebell Capital Partners réagissait le soir-même pour se féliciter que toutes ses demandes aient été acceptées, et « qu’une trajectoire de croissance profitable puisse être retrouvée chez Danone, tout en conservant la durabilité comme priorité ». La dernière phrase est particulièrement intéressante à analyser et en dit long sur la volonté réelle des fonds activistes à l’origine de ce départ. Croître de manière infinie d’un point de vue économique et financier est-il compatible avec un projet de soutenabilité, qui par définition, implique des ressources finies ? L’image du greenwashing ressurgit et pose la question également du poids des actionnaires dans les décisions stratégiques. Le mythe de Jensen (c’est par la maximisation de la valeur de l’action que le bien-être collectif est produit à long terme) reste donc bien le paradigme en vigueur. Comment une entreprise qui vote à l’unanimité l’inscription du projet social dans ses statuts peut-elle faire exploser sa gouvernance en plein vol ? Au sein des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), soi-disant cher aux investisseurs, le G de Gouvernance reste donc bien la lettre la plus importante. Rien ne peut se faire sans une gouvernance solide et participative. Toutes les meilleures envies du monde en termes de soutenabilité se délitent si la gouvernance, l’entreprise dans son ensemble ainsi que ses parties prenantes n’adhèrent pas au projet. Vouloir faire de Danone une société à mission est une fantastique idée, mais il s’agit en premier lieu de constituer une gouvernance qui défendra becs et ongles ce projet, prête à subir les vagues dans la tempête, indépendante et solidaire face aux attaques des actionnaires requins. Un projet de cette ampleur ne peut se réaliser si la gouvernance n’intègre pas des administrateurs qui vivent le projet ensemble, impliquant donc l’identification d’investisseurs stimulés par le projet. Le financier doit financer, le gouvernant doit gouverner, et le dirigeant diriger. Avant d’atteindre le sommet, les fondations doivent être bien ancrées dans le sol… Avant de penser la gouvernance, il s’agit également de penser la structure actionnariale et de faire en sorte qu’elle s’imbrique pleinement dans le projet. En regardant de plus près la structure actionnariale de Danone (dernière publication de décembre 2019), on s’aperçoit que les noyaux durs d’actionnaire sont MFS, Blackrock, Amundi ou encore la Norges Bank (entre autres). Tous s’affichent très haut comme des actionnaires profondément engagés dans les enjeux de durabilité, avec une volonté de changer le monde et favoriser la reconstruction écologique et sociale… Mais l’hyper-réalité financière nous rappelle que Blackrock, en 2020, a seulement soutenu trois résolutions de lutte contre le réchauffement climatique sur 36 lors d’AG d’entreprises américaines cotées, a voté contre la résolution d’actionnaires (qui demandait à l’entreprise d’aligner « ses activités avec l’accord de Paris ») soumise à l’Assemblée générale de Total (dont Blackrock est actionnaire à hauteur de 6,3 %), et a financé pour 87 milliards d’investissement dans les énergies fossiles en 2019… Où sont donc les actionnaires soi-disant « durables » dans l’affaire Danone ? Pour rappel, Blackrock, dans sa communication, se définit comme un gérant d’actifs qui veut « faire de l’investissement durable sa norme en manière d’investissement » … Un investisseur durable doit absolument comprendre l’enjeu qui réside dans la dichotomie parfaite entre communication et réalité. Son rôle sera de sortir des scoring ESG classiques, fournis sur la base des communications des entreprises et des reporting intégrés basés sur la matérialité financière et les normes IFRS acculturée « cash flows », pour pratiquer un engagement actionnarial de tous les instants. Si les fonds requins attaquent les entreprises fragilisées pour en tirer tout ce qu’ils peuvent en un temps très court, les actionnaires « durables » doivent donc faire contrepoids et s’engager manu militari. Pour ceci, ils doivent clairement identifier les bonnes entreprises, dont la gouvernance est saine, en prenant le temps de comprendre la vision stratégique, le projet, l’impact sociétal, puis en poussant l’ensemble des parties prenantes dans le même objectif. Danone est la mieux notée de toutes les entreprises du CAC40 d’un point de vue ESG par l’ensemble des agences de notation, pourtant le mal semblait profond, que ce soit au sein de la gouvernance mais également de la structure actionnariale. L’analyse approfondie des stratégies de gouvernance et d’actionnariat permettrait également de comprendre, à titre d’exemple, qu’une société comme Lafarge, ayant la meilleure notation ESG selon Sustainalytics dans son industrie, n’est autre qu’une entreprise poursuivie pour financement du terrorisme et

Par Revelli C.

24 mars 2021

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