fbpx

Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Contrat social

Sommaire

    Contrat social

    Un « séparatisme » peut en cacher un (ou des) autre(s)

    Il a bon dos le « séparatisme ». Une nouvelle fois, campagne contre le Front national oblige, le Gouvernement y va de sa petite loi pour fustiger le grand danger de l’islamisme. Ce dernier ne peut être nié et prend la forme d’un phénomène communautariste rendant perméables certaines parties de notre société à un discours fondamentaliste religieux qui mène souvent au repli et parfois à la violence. Mais il y a visiblement d’autres formes de séparatisme qui préoccupent moins le Gouvernement. Or, la défense de l’unité de la République est une cause globale, qui exige de la cohérence et qui s’accommode mal des séparatismes de toute nature. La République doit s’efforcer d’inclure par l’exemple, par la cohérence et par la solidarité, au lieu de stigmatiser par intérêt électoral. Est-ce la voie suivie par le Gouvernement quand il décide de faire disparaître la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), rattachée en juillet 2020 au ministère de l’Intérieur alors qu’elle dépendait auparavant du Premier ministre, et privée au passage de ses effectifs et de ses lignes téléphoniques ? Les pratiques des sectes sont-elles moins dangereuses que celles du fondamentalisme islamiste alors que l’on recense plus de 500 000 adeptes des sectes (dont environ 80 000 enfants) et plus de 2000 signalements pour dérives sectaires chaque année ? On connaît d’ailleurs le rôle joué par la scientologie, les évangéliques et autres mouvements « séparatistes » nord-américains qui, par le relais du rapport annuel du département d’État américain sur les libertés religieuses dans le monde, recommandent depuis près de 20 ans à la France, avec insistance, de supprimer la Miviludes au nom de la « liberté » religieuse[1]. Notre Gouvernement actuel aurait-il cédé à des pressions là où ses prédécesseurs avaient résisté ? Faut-il également parler du séparatisme des plus riches ? La richesse des milliardaires français a progressé de 439 % entre 2009 et 2020, selon le « Billionaires report» 2020 publié par la banque UBS et par le cabinet PWC, et ce mouvement s’est accru considérablement depuis…2017. Seule la Chine fait mieux. La fortune cumulée des plus riches de France représente ainsi près de 30 % du PIB du pays en 2020, contre 10 % en 2009. Une partie des élites financières et économiques fait ainsi déjà sécession, ainsi que les entreprises qu’ils dirigent. Ce n’est d’ailleurs pas propre à la France : aux États-Unis, l’indice boursier SP 500 a battu son record historique au mois de septembre 2020, alors que le pays compte plus de 200 000 morts liés au Covid-19 et que l’activité s’est fortement ralentie. Partout dans le monde, la finance s’est séparée du réel. Là où, dans les années 1930, l’industriel Henry Ford estimait que pour être « admissible », l’échelle des salaires au sein d’une entreprise ne devait pas dépasser 1 à 40, l’écart est aujourd’hui de plus de 1 à 300 dans certaines grandes entreprises françaises, sans compter les rémunérations annexes via les stock-options notamment. Et ceux qui menacent l’État de leurs visées séparatistes, en exerçant un chantage à la richesse et en organisant la libre-circulation des capitaux, obtiennent récompense avec l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui conduit à ce que le capital soit moins taxé que le travail, et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Et puis si l’on veut réellement lutter contre le ressentiment de certains à l’égard de la République, quand allons-nous nous décider à limiter à 10 ou 15 le nombre d’enfants par classe dans les quartiers difficiles ? Pourquoi le ministère de l’intérieur se voit attribuer la création de 1 369 postes, alors que le ministère du travail en perd 496 et l’enseignement scolaire 120 dans le PLF 2021 ? Pourquoi avoir supprimé plus de 300 000 contrats aidés en trois ans quand on connaît les difficultés d’entrée dans l’emploi de certains jeunes dans les quartiers ? Borgne sur le séparatisme religieux, le Gouvernement devient carrément aveugle face au séparatisme social. De nombreuses études pointent en outre le repli croissant des franges les plus aisées de la population sur un entre-soi délétère des classes supérieures : elles vivent de plus en plus dans des quartiers aux prix inabordable pour les classes moyennes et populaires[2] et veillent à ce que leurs enfants échappent à cette même mixité, en contournant la carte scolaire ou en les plaçant dans le privé. Même le monde du travail n’échappe pas à cette sécession : les travaux d’Olivier Godechot[3] ont montré que les professions supérieures travaillent de plus en plus dans des entreprises socialement homogènes, loin des ouvriers et des employés. Dans toutes les sphères de la société, la mixité sociale recule. Faut-il enfin, et surtout, regretter le « séparatisme » islamique, et supprimer les enseignements de langue et de culture d’origine dans l’objectif louable de rétablir un cadre national d’éducation, tout en préparant une loi, la loi 4D (décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification – ce dernier terme n’existant ni dans le Larousse, ni dans notre langue et culture maternelle), qui va permettre un « séparatisme régionaliste » fondé sur la différenciation et la destruction de l’unité de la loi républicaine au nom d’une mystique des « territoires » derrière laquelle se cache trop souvent l’ambition d’un dépérissement de l’action publique ? Ainsi alors qu’Emmanuel Macron joue les républicains à Paris, son bras droit, la branche bretonne de LREM prône le séparatisme à Rennes à travers la mise en place d’un statut à particulier dès lors négociable si les électeurs lui font confiance aux régionales. Alors que le régionalisme embrase l’Espagne, l’Italie, la Belgique ou le Royaume-Uni, le Gouvernement reprend ce qui a conduit ailleurs à la catastrophe dans l’espoir de s’assurer un meilleur résultat aux élections. Par ailleurs, un premier texte organique devrait être bientôt examiné au Sénat pour permettre aux collectivités territoriales de proroger des expérimentations sans généralisation. Nous nous acheminons donc vers une France dans laquelle la loi ne sera plus la même pour tous, partout. L’air de rien, le Gouvernement revient sur l’un des principes premiers posés par la Révolution française lors de la nuit du 4 août. Que dirait-on si un maire issu

    Par Dufrêne N., Morel B.

    11 octobre 2020

    Rousseau et le retour au local

    « Je dis donc que la nation la plus heureuse est celle qui peut le plus aisément se passer de toutes les autres, et que la plus florissante est celle dont les autres peuvent le moins se passer » Fragments politiques, 1964 Un des lieux communs de notre époque, exacerbé par la pandémie de COVID-19, est la dépendance de nos sociétés, de nos économies mais sans doute encore plus de nos imaginaires à l’idée de mondialisation et d’échange. Rousseau est lui de manière incontestable un penseur du local, un amoureux du lieu, un chantre de l’enracinement, un défenseur de l’importance de la place occupée au sein d’un espace, défini explicitement comme celui de la patrie, du pays, celui où se déploie la volonté générale du peuple souverain. Dès lors, le philosophe genevois éclaire nos perspectives sur la pertinence et la valeur du lieu pour l’épanouissement de l’autonomie à l’intérieur – certains diront « souveraineté » – comme à l’extérieur, dans le cadre de relations internationales où l’assurance et la maîtrise de capacités propres doit primer sur la dépendance aux autres nations et a fortiori aux autres puissances. Ainsi, selon Rousseau : « On peut dire que l’état général de la Nation le plus favorable au bonheur des particuliers est de n’avoir besoin pour vivre heureux du concours d’aucun autre peuple ; car il ne leur reste plus pour jouir de toute la félicité possible que de pourvoir par de sages lois à tous leurs avantages mutuels, ce qui ne dépendrait pas si bien d’eux s’il fallait nécessairement recourir aux étrangers. Que si avec cela d’autres peuples ont besoin de celui qui n’a besoin de personne on ne saurait imaginer une position plus propre à rendre heureux les membres d’une telle société autant que des hommes peuvent l’être ». Le fait est que Rousseau fut, pour sa propre vie autant que dans son imaginaire politique et philosophique, un promoteur de l’indépendance. Comme l’ont remarqué les spécialistes de Rousseau et plus généralement les lecteurs des Confessions, c’est lorsqu’il acquiert un semblant d’indépendance financière en tant que copiste qu’il commence à s’épanouir intellectuellement. Être indépendant, c’est pouvoir prendre ses propres décisions, se donner ses propres lois et c’est, finalement, faire coller au près le gouvernement aux mœurs et traditions d’un peuple. De là découlent les idées de Rousseau sur la nécessité d’institutions différentes pour des peuples différents en des géographies différentes[1]. « [l]es objets généraux de toute bonne institution doivent être modifiés en chaque pays par les rapports qui naissent, tant de la situation locale que du caractère des habitants, et c’est sur ces rapports qu’il faut assigner à chaque peuple un système particulier d’institution, qui soit le meilleur, non peut-être en lui-même, mais pour l’État auquel il est destiné ». La bonne manière de comprendre le propos de Rousseau n’est pas d’y voir une entaille faite à l’universalisme, par exemple, de la volonté générale et de son établissement par les libres suffrages du peuple. Son idée forte, celle-ci beaucoup plus compréhensible, est que le jeu des circonstances locales et historiques crée des structures sociales propres qu’il s’agit de respecter pour le bien-être de la société au niveau local. Prenons l’exemple de la laïcité en France. Il est, bien sûr, aisément possible de montrer que l’approche historique française est celle qui garantit le mieux la liberté des citoyens et leur indépendance face aux systèmes de croyances religieuses. Mais même sans cela, Rousseau permet de penser comment la laïcité telle que nous la pratiquons, ainsi que sa trajectoire historique – le cantonnement de la religion à l’espace privé et à l’intime – peut être bonne en soi pour l’État français, sans que ce dernier n’ait de compte à rendre à aucun mouvement ni aucun État ou organisation extérieure. À ce titre, les critiques récurrentes de la sphère civilisationnelle anglo-saxonne méconnaissent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et leurs actions ne sont qu’une forme exagérée d’ingérence culturelle. Face à ses ingérences, « La vertu [de ses] des Citoyens, leur zèle patriotique, la forme particulière que des institutions nationales peuvent donner à leurs âmes, voilà le seul rempart toujours prêt à la défendre, et qu’aucune armée ne saurait forcer ». A cette fin, l’éducation est résolument locale et non cosmopolite ; ainsi, imaginant les Polonais à la suite de ses Considérations sur le Gouvernement de Pologne : « À vingt ans un Polonais ne doit pas être un autre homme ; il doit être un Polonais. Je veux qu’en apprenant à lire il lise des choses de son pays, qu’à dix ans il en connaisse toutes les productions, à douze toutes les provinces, tous les chemins, toutes les villes, qu’à quinze il en sache toute l’histoire, à seize toutes les lois, qu’il n’y ait pas eu dans toute la Pologne une belle action ni un homme illustre dont il n’ait la mémoire et le cœur pleins, et dont il ne puisse rendre compte à l’instant. » Il est possible d’objecter qu’il s’agit là d’un embrigadement nationaliste des plus austères. C’est que du point de vue de Rousseau, ce sont d’abord les liens locaux qui doivent primer. Rousseau, certes de manière abrupte, résume bien sa pensée dans l’idée selon laquelle « Tout patriote est dur aux étrangers ; ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses eux. Cet inconvénient est inévitable, mais il est faible. L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit ». Aussi lance-t-il un avertissement sans appel à se défier « de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins ». Les transformations technologiques du monde moderne ont pu faire penser aux hommes que le local était ce qui était accessible à portée d’internet. Le voisin est-il le professeur dont on suit les enseignements à plusieurs milliers de kilomètres ? Le service local est-il celui qui est rendu par quelqu’un de manière égale à l’autre bout de la planète ? Outre le fait que la pensée de Rousseau prépare la critique des innovations incessantes de la technologie qui

    Par Abgrall M.

    30 août 2020

    Rousseau et la frugalité

    OU le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise. Du Contrat social, 1762. S’il faut d’abord connaître le luxe pour saisir les vertus de la frugalité, c’est qu’elles entretiennent un rapport constant dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau. Le problème du luxe, des inégalités, de la tyrannie de l’opinion et de l’apparence, sont la face critique d’un éloge subtil et constant de la frugalité. Pourtant, le mot n’apparaît presque pas dans son œuvre, si ce n’est à l’occasion d’une description des fêtes de la Sparte antique : « Je donnais les fêtes de Lacédémone pour modèle et celles que je voudrais voir parmi nous. Ce n’est pas seulement par leur objet, mais aussi par leur simplicité que je les trouve recommandables : sans pompe, sans luxe, sans appareil ; tout y respirait, avec un charme secret de patriotisme qui les rendait intéressantes, un certain esprit martial convenable à des hommes libres ; sans affaires et sans plaisirs, au moins de ce qui porte ces noms parmi nous, ils passaient, dans cette douce uniformité, la journée, sans la trouver trop longue, et la vie, sans la trouver trop courte. Ils s’en retournaient chaque soir, gais et dispos, prendre leur frugal repas, contents de leur patrie, de leurs concitoyens, et d’eux-mêmes. » Que nous ne souhaitions ni ne puissions revenir à cette Antiquité simpliste et fantasmée, cela est un fait. Toutefois, l’idée de la frugalité progresse au sein de nos sociétés modernes, quand elle ne s’impose pas déjà, faute de moyens de faire autrement. Aidée par le constat que la consommation de biens trop nombreux et trop souvent renouvelés contribue à déstabiliser le climat et la biodiversité, la frugalité pourrait devenir une des valeurs cardinales du XXIème siècle. Afin de la promouvoir, serait-il possible d’intimer aux gens d’être frugaux sous peine d’une menace grave et imminente, réprimer par la loi l’accession à des biens dont les élites des pays développés ont pu profiter sans discontinuer depuis la Deuxième Guerre Mondiale ? Selon Rousseau, rien n’est moins sûr car, comme le remarque fort bien le Genevois, « ce n’est pas par des lois somptuaires qu’on vient à bout d’extirper le luxe. C’est du fond des cœurs qu’il faut l’arracher, en y imprimant des goûts plus sains et plus nobles ». En effet, poursuit-il, « les lois somptuaires irritent le désir par la contrainte, plutôt qu’elles ne l’éteignent par le châtiment. La simplicité dans les mœurs et dans la parure est moins le fruit de la loi que celui-de l’éducation. » Malgré la popularité croissante de mesures coercitives a posteriori pour limiter la consommation excessive de biens jetables et obsolètes, il est indéniable que la seule limitation sans contrepartie ni justification conduit au rejet de telles dispositions par ceux dont l’esprit ne s’est pas encore détaché des modes de consommations qui peuvent être nuisibles à la préservation des équilibres de la société et de la nature. Dès lors, il s’ensuit naturellement qu’« au lieu de réprimer le luxe par des lois somptuaires, il vaut mieux le prévenir par une administration qui le rende impossible ». Or la tâche est difficile dans la mesure où « Oter tout-à-fait le luxe où règne l’inégalité [me] paraît, (…) une entreprise bien difficile ». C’est pourquoi une société moins inégalitaire est le préalable à la disparition du luxe et son corollaire, la consommation excessive et trop fréquente d’objets rapidement obsolètes. Rousseau en fait, comme d’autres, la généalogie quand il remarque : « Voici comment j’arrangerais cette généalogie. La première source du mal est l’inégalité ; de l’inégalité sont venues les richesses ; car ces mots de pauvre et de riche sont relatifs, et partout où les hommes seront égaux, il n’y aura ni riches ni pauvres. Des richesses sont nés le luxe et l’oisiveté ; du luxe sont venus les beaux-arts, et de l’oisiveté les sciences. » Une société moins inégalitaire n’est pas, comme le redoutent certains, une société complètement horizontale d’où le mérite aurait soudainement disparu. Une des solutions envisagées par Rousseau est, en quelque sorte, un luxe des honneurs, tant et si bien que : « La République en graduant et distribuant à propos ces récompenses purement honorifiques, se ménage un trésor qui ne la ruinera pas, et qui lui donnera des héros pour citoyens. Ce trésor des honneurs est une ressource inépuisable chez un peuple qui a de l’honneur » Toutefois, il est aisé de voir comment, même fondées sur l’utilité commune, les distinctions pourraient être détournées afin de créer une nouvelle forme de luxe sous la forme de ce que les auteurs modernes ont appelé à juste titre le capital social. Le refus du luxe, de la vanité, du poids et du vice des distinctions supposerait donc que l’on puisse limiter l’accumulation du capital social par ceux qui auront vu assez tôt l’avantage de convertir leurs ressources pécuniaires en un capital immatériel peu susceptible d’être redistribué. De fait, le problème du luxe, c’est qu’il suppose toujours l’asservissement d’un autre – et cela même sans la production d’un bien matériel par l’industrie –, l’appropriation de sa quantité de travail pour un prix dérisoire, c’est-à-dire, en proportions, une extrême inégalité de conditions. Comme se le demande Rousseau à propos de son Emile : « Avec un jugement sain que rien n’a pu corrompre, que pensera-t-il du luxe, quand il trouvera que toutes les régions du monde ont été mises à contribution, que vingt millions de mains ont peut-être, ont longtemps travaillé, qu’il en a coûté la vie peut-être à des milliers d’hommes, et tout cela pour lui présenter en pompe à midi ce qu’il va déposer le soir dans sa garde-robe ? » Sans parler des conséquences néfastes de l’industrie du prêt-à-porter sur l’environnement et la vie des travailleurs des pays émergents ou en développement, prenons l’exemple d’une chose aussi simple qu’un repas. Un individu qui se fait livrer un repas chez lui n’a sans doute pas conscience de baigner dans le luxe quand bien même il se sera épargné sa peine au prix du travail de

    Par Abgrall M.

    26 juillet 2020

      Partager

      EmailFacebookTwitterLinkedInTelegram