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    Câbles sous-marins : les nouveaux pouvoirs des géants du numérique

    Début août, une grue sous-marine travaillant à la collecte de sable dans la baie de Kuakata a heurté un câble sous-marin de télécommunications, se traduisant par une perte de 40 % de la vitesse du réseau internet du Bangladesh. En juillet dernier, la Somalie a été totalement privée d’Internet pendant plusieurs heures en raison d’une opération de maintenance à distance du câble sous-marin dénommé « EASSy » qui relie la côte est-africaine au réseau. Ces événements ne sont pas anodins à l’échelle d’un pays : les banques, les compagnies aériennes, les entreprises, les médias et certains services gouvernementaux sont dépendants d’Internet pour fournir leurs services. Aujourd’hui, 98 % des données numériques mondiales circulent par les câbles sous-marins. C’est par exemple le cas du principal système d’échanges de la finance mondiale de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT) qui dépend de la vitesse de ces câbles à fibre optique. Le numérique repose ainsi sur une infrastructure bien réelle : on dénombre aujourd’hui 436 câbles sous-marins de télécommunication, dont 25 traversent l’océan Atlantique et 22 le Pacifique[1]. Passerelles intercontinentales entre les différents réseaux filaires nationaux, les câbles sous-marins débouchent sur des stations d’atterrissement situées en région côtière. La France compte, par exemple, 13 stations d’atterrissement sur son territoire côtier connectant les réseaux filaires nationaux à 23 câbles sous-marins. Ces “routes du fond des mers”, selon l’expression de Florence Smits et Tristan Lecoq en 2017[2], sont les héritiers des premiers câbles télégraphiques du XIXe siècle dont l’emploi permit, en 1858, l’envoi du premier message télégraphique officiel par la reine Victoria au président américain James Buchanan. Le message de 509 lettres avait alors mis 17 heures et 40 minutes à traverser l’océan Atlantique. Aujourd’hui, la fibre optique permet un acheminement de l’information en temps quasi-réel. L’importance qu’a prise l’activité numérique dans nos sociétés contemporaines fait inévitablement des câbles sous-marins des infrastructures vitales au niveau mondial. Pourtant, les chantiers de construction, le développement et l’égalité d’accès au réseau ne font l’objet d’aucune décision multilatérale. Ces infrastructures essentielles sont la propriété d’entreprises qui louent des capacités de bande passante aux acteurs gérant les réseaux télécoms nationaux. Soumis aux aléas du marché et à la loi du plus fort, les câbles sous-marins deviennent progressivement la propriété d’une minorité d’acteurs qui disposent ainsi d’un pouvoir et d’une influence grandissantes sur les États et les entreprises. L’émergence de nouveaux acteurs est d’ailleurs venue bouleverser les équilibres. Si les propriétaires historiques des câbles sous-marins étaient les entreprises privées ou publiques des télécoms, les géants du numérique ont, depuis 2016, massivement investi et possèdent ou louent aujourd’hui plus de la moitié de la capacité des câbles sous-marin. En outre, la stratégie de développement des géants du numérique diffèrent des collectifs traditionnels. Aux grands consortiums, ceux-ci préfèrent des regroupements plus réduits qui leur permettent de conserver le monopole décisionnel. Alors que le projet Africa Coast to Europe (ACE), ouvert en 2012, appartient à un consortium de 19 entreprises des télécoms, le câble MAREA reliant les États-Unis à l’Espagne n’appartient qu’à Facebook, Microsoft et Telxius. Le chantier colossal 2Africa de Facebook et déployé sur tout le pourtour du continent africain n’est porté que par huit acteurs. Google va encore plus loin : le géant a aujourd’hui les capacités financières et techniques de faire construire ses propres câbles. Ainsi, le câble Dunant qui relie depuis janvier 2020 les États-Unis et la France appartient en totalité à Google. L’entreprise déploie également le titanesque câble Equiano qui bordera toute la côte ouest du continent africain, faisant ainsi concurrence au projet 2Africa. Google possède ainsi le service et l’infrastructure qui le sous-tend, créant des situations de forte dépendance technologique pour les États, les entreprises et les usagers. Les géants américains ne sont d’ailleurs pas les seuls à user d’une stratégie de conquête sous-marine. Le chinois Hengtong a pu compter sur le soutien des banques et entreprises nationales chinoises, dont la China Construction Bank, pour lancer son projet Pakistan & East Africa Connecting Europe (PEACE) qui reliera le Pakistan, la côte est africaine à la rive sud de la Méditerranée par le canal de Suez, pour finalement atterrir à Marseille. PEACE permettra aux géants chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi de développer leurs activités en Afrique et en Europe. Ces stratégies de développement préfigurent un nouveau pouvoir pour les géants du numérique : ils acquièrent à la fois l’accès à un marché industriel gigantesque ainsi qu’une capacité d’influence importante sur les États et sur les entreprises des pays qui ont un accès précaire à ces infrastructures aujourd’hui. L’Afrique et le Moyen-Orient représentent dès lors pour les géants du numérique un potentiel de développement considérable. En effet, ces pays n’ont que très peu accès aux câbles, ce qui les rend vulnérables en cas de rupture de ceux-ci. En apportant sur le continent africain des infrastructures facilitant leur accès aux activités numériques, Equiano et 2Africa sont considérés comme d’importants leviers de développement économique. Mais dans le même temps, ils acquièrent la capacité d’influencer directement l’offre de services numériques dans ces pays. S’imposent ainsi des acteurs hégémoniques dotés d’un monopole technologique et infrastructurel inédit à l’échelle mondiale. Ce monopole sert les capacités de négociations et d’influence de ces entreprises dont les cabinets de lobbying sont déjà implantés dans tous les centres de pouvoirs politiques et économiques. À l’échelle de l’Union européenne, Microsoft (Havas, Com, Publics, Plead), Google (Commstrat, Image7) ou encore Facebook (Burson Marsteller I&E, Lighthouse Europe) sont en discussion constante avec le législateur en matière de droit du numérique[3]. Cette configuration de concurrence monopolistique s’inscrit en contre de la théorie libérale d’un marché qui s’équilibre par défaut, et accentue au contraire un phénomène de « capture » du régulateur. Ciblant d’abord les politiques en matière de numérique, leur influence s’étend progressivement vers d’autres secteurs clés où leurs technologies se développent : la sécurité, la défense ou encore le domaine de la santé[4]. Cette prédation doit nous alerter et nous amener à réduire, dans chaque domaine où cela est possible, le pouvoir d’influence de ces acteurs privés sur les États et

    Par Ophélie Coelho

    26 août 2020

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