« Accusés écolos, levez-vous ! », « Rentrée de la gauche, rassemble-moi si tu peux ». À l’occasion de la rentrée politique, le journal Libération a publié à deux reprises des Unes sur les rapports de force au sein et entre les partis de gauche, abondamment critiquées parce qu’elles n’y faisaient figurer que des hommes. Le journal donne à voir un combat engagé pour 2022 entre Yannick Jadot, Eric Piolle, Julien Bayou, Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et même François Hollande. Malheureusement ou pas, Libération n’y est pour rien. Les dirigeants des principaux partis de gauche – EELV, PS, LFI, PCF – sont bien tous des hommes. Les journées d’été du PS, d’EELV, du PCF et de la LFI ont été clôturées par 4 discours, de 4 hommes. Rendre Libération fautif de ses Unes 100% masculines revient à se comporter comme l’imbécile qui regarde le doigt tandis que le sage lui montre la lune. Ce sont vers les partis politiques et leurs responsables qu’il faut se tourner, et c’est, plus largement, les codes de la politique qu’il faut montrer du doigt. Depuis 20 ans faite loi, la parité ne reste que de façade.
Il ne s’agit pas de dire que rien ne s’est amélioré dans la représentation des femmes en politique. Les progrès accomplis depuis 20 ans sont colossaux. Seules 42 femmes étaient députées en 1993, soit 7 % de l’assemblée, elles sont 224 aujourd’hui, soit 39% des députés. Lors des dernières élections municipales, 77 % des têtes de liste étaient des hommes contre 23 % des femmes. C’est encore peu mais en nette progression par rapport à 2014, où l’on ne comptait que 17 % de femmes tête de liste. Théoriquement cependant, il faudrait attendre 2046 pour atteindre l’égalité[1].
La composition des gouvernements s’efforce désormais d’être paritaire. La façade est commode, mais la poussière reste sous le tapis. Dès qu’il s’agit de définir la stratégie politique et d’accéder au plus haut niveau du pouvoir, les femmes disparaissent. Lorsque l’on parle d’élections présidentielles, de l’avenir de la France, de la grande Politique, on la réserve aux « grands fauves », à ceux qui pourront espérer se mesurer aux habits du général de Gaulle qui a créé la fonction. Les lieux du pouvoir politique – partis, haute administration, cabinets ministériels – restent largement masculins. Puisqu’il faut en arriver là, les chiffres sont têtus. Dans l’histoire de France, jamais aucune femme n’a été présidente de la République ni – c’est tout aussi éloquent – secrétaire générale de l’Elysée ou conseiller spécial de président. Une seule femme a été première ministre, il y a 28 ans, pour moins d’un an. L’égalité hommes-femmes a beau être la grande cause du quinquennat, le cabinet du président la république ne compte que 11 femmes pour 44 hommes, soit 4 fois moins. Le cabinet du premier ministre Jean Castex comprend, quant à lui, 16 femmes sur 52 membres de cabinet. La direction, la chefferie de cabinet, et l’ensemble du pôle « économie, finances, industrie » ne sont composés que d’hommes. C’est ce qui permettait sans doute à Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement remercié par Jean Castex, de pouvoir affirmer en réunion interministérielle : « c’est rare une femme qui pense… et c’est beau aussi, surtout quand ça porte une jupe ».
Le plafond de verre reste bien là. Les femmes politiques vous diront que ce n’est pas facile, qu’elles se sentent seules, qu’on ne prend pas la peine, volontairement ou pas, de les inclure lorsqu’il faut discuter de stratégie compliquée en vue de la conquête du pouvoir, où de les appeler le dimanche soir pour discuter de la dernière petite phrase, de la dernière annonce, leur demander : « comment tu vois la situation » ? Après tout, il n’est pas certain que cela les intéresse vraiment. Elles vous diront aussi que la cooptation entre femmes n’existe pas ou peu, tandis que les hommes se font la courte échelle, aiment bien « passer la main » à un fils adoptif, transmettre à un débutant dans lequel ils se reconnaissent trente ans plus tôt, et ils ont raison.
La politique peut-elle être autre chose qu’un combat de coq, laissé aux « grands fauves », où il faut mordre, parler fort et dur, garder l’obsession de l’intrigue, avec un costume cravate ? Des pays du reste du monde nous le prouvent, où le rapport à la politique est peut-être moins passionné qu’en France, où la culture politique est moins théâtrale et tragique : l’Allemagne, le Danemark, la Finlande, la Nouvelle-Zélande…
On sait que les femmes ne sont pas moins compétentes, n’ont pas moins d’idées, ni moins d’ambition pour elles-mêmes. Le problème semble plus profond. La difficulté que les femmes ont à se faire une place en politique ressort des codes même de la politique, construits au fil des siècles par les hommes et qu’elles ont sans doute plus de mal à épouser : parler fort, longtemps, de façon jugée éloquente, chercher à s’imposer sans cesse, infatigablement, rendre coup sur coup. Bien sûr, on nous encourage à prendre la parole, à « ne pas hésiter à », à « le dire quand on se sent écartée »… Il faut néanmoins se poser la question : est-ce seulement aux femmes de s’adapter à la politique et aux codes qui préexistaient à leur arrivée, où l’inverse ? Les femmes politiques d’aujourd’hui devraient sans doute s’entraider plus, vouloir plus, s’intéresser plus et essayer plus. Elles devraient aussi chercher à imposer une autre façon d’appréhender la « conquête » du pouvoir et son exercice.
[1] https://www.leparisien.fr/politique/municipales-2020-de-plus-en-plus-de-femmes-maires-dont-cinq-dans-les-dix-plus-grandes-villes-29-06-2020-8344251.php