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Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après

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Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après

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Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après

En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, le gouvernement avait annoncé une expérimentation de la semaine de quatre jours dans un service de l’URSSAF en Picardie[1]. Cette proposition peu commune dans le secteur public en France se voulait un signe de compréhension à l’attention du mouvement social sur un registre nouveau : il faut réaménager la place du travail dans nos vies. Car comme beaucoup d’observateurs l’ont noté, la réforme des retraites posait non seulement la question de l’emploi, de l’après vie professionnelle, mais peut-être plus encore la question du travail et de la place qu’il occupe au quotidien dans nos vies. Le gouvernement puis le Président de la République ont renvoyé cette question à une future loi travail qui serait la « jambe gauche » de la réforme des retraites, éventuellement discutée avec les syndicats. On peut douter du fait que nos concitoyens et concitoyennes ne fassent pas la différence entre les mesures d’âge et l’amélioration des conditions de travail. Pour autant, on peut se demander si cette future loi ne serait pas l’occasion de créer les conditions d’une généralisation progressive de la semaine de quatre jours ?

Plusieurs pays européens mais aussi les États-Unis et le Japon ont lancé le chantier, avec des fortunes diverses. Les pays adoptent des règles différentes : 32 heures, quatre jours sans réduction du temps de travail, réduction partielle du temps de travail… Au sein de ces pays, les entreprises elles-mêmes n’appliquent pas la semaine de quatre jours de la même manière. Il ne s’agit donc pas dans cette note de trancher entre réduction et réaménagement du temps de travail, car, quelle qu’en soit la forme, la semaine de quatre jours poursuit des objectifs différents tels que le bien-être au travail, la lutte contre le changement climatique ou encore l’engagement citoyen. Cette note entend démontrer que la semaine de quatre jours, au regard de ses bénéficies écologiques et sociaux (cf. partie 2) ; constitue une proposition qui arrive en France à maturité dans les entreprises, le monde du travail et la société dans son ensemble.

La question des effets de la réduction du temps de travail sur la création d’emplois fait l’objet de controverses vives, en particulier en France depuis le vote des lois Aubry et il n’existe pas aujourd’hui de consensus des économistes à ce sujet. Dans ce cadre, cette note ne conçoit pas la semaine de quatre jours comme une politique de lutte contre le chômage, mais l’inscrit dans un horizon politique nouveau.

Cette note pose par ailleurs quelques principes clés dans lesquels s’inscrit la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. D’abord la semaine de quatre jours doit être proposée sans baisse de salaire (quatre jours travaillés et payés comme cinq jours) pour les salariés. Le deuxième principe porte sur l’effectivité de la semaine de quatre jours : les entreprises doivent prendre des engagements pour en garantir le respect afin de bénéficier d’une aide (cf. proposition 2). Le troisième principe est celui du dialogue social : les entreprises doivent conclure un accord collectif pour bénéficier d’une aide à la mise en place de la semaine de quatre jours. Il apparaît en effet essentiel de leur permettre de trouver la bonne organisation pour passer à la semaine de quatre jours. Enfin la démarche proposée s’inscrit dans un principe d’expérimentation. Une évaluation par le Parlement des externalités de la semaine de quatre jours pourra ainsi être réalisée auprès d’un échantillon d’entreprises ayant adopté cet aménagement du temps de travail.

Il convient par ailleurs de préciser ici que les propositions en faveur de la semaine de quatre jours ne concernent que les personnes salariées travaillant à temps complet à raison de cinq jours par semaine. Les personnes non salariées (artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs) ainsi que celles travaillant à temps partiel ou sur des horaires atypiques ne pourraient pas être concernées par cette mesure dans un premier temps, bien qu’il soit souhaitable d’engager une réflexion plus générale sur la réduction du temps de travail. Par ailleurs, une expérimentation auprès d’agents publics est proposée dans cette note.

Alors que la France est confrontée à une crise profonde du monde du travail, exprimée lors du mouvement des « Gilets jaunes » puis à l’occasion de la crise du Covid, la question de la semaine de quatre jours se pose aujourd’hui avec une acuité nouvelle. Pour les gilets jaunes dont les dépenses contraintes de transport, 5 à 6 fois par semaine, les empêchent de « vivre de leur travail », la baisse des déplacements (un ou deux aller-retour en moins par semaine) offrirait un gain financier non négligeable (cf. ci-dessous). Pour les travailleurs dits de la « deuxième ligne »[2] (notamment les éboueurs, les hôtesses de caisse, les agents d’entretien, les aides à domicile, etc., dont beaucoup travaillent sur six jours), le passage à la semaine de quatre jours apparaîtrait comme une forme de reconnaissance alors que la crise sanitaire a mis en lumière leur caractère « essentiel ». Pour l’ensemble de ces travailleurs, qui partagent le fait d’être confronté à des conditions de travail difficiles et de ne pas pouvoir télétravailler, l’amélioration des conditions de vie permise par la semaine de quatre jours constituerait une mesure de justice sociale.

La France des années 2020 semble plus que jamais prête à accueillir cette évolution. Alors que la réduction du temps de travail avait jusqu’aux années 1980 toujours été au cœur des conquêtes du monde du travail obtenues par le mouvement syndical, il y a aujourd’hui une aspiration forte, comme le démontrent les sondages (voir infra), à reprendre le fil de cette histoire pour réinscrire la recherche du temps libre dans le progrès social. Cette conquête du temps libre doit désormais être pensée à l’aune des défis écologiques et sociaux de notre époque. Ayant permis au XXe siècle d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, la réduction, ou au moins le réaménagement, du temps de travail est nécessaire pour faire émerger au 21e siècle la société de l’engagement et du lien social. En ce sens, cette conquête du temps libre n’est pas seulement celle du temps pour soi, mais aussi du temps pour les autres, pour notre société et pour nos biens communs. Le temps du monde d’après.

I) La semaine de quatre jours, une aspiration de la société post-Covid

A) Une brève histoire de l’évolution du temps du travail hebdomadaire

Face à l’avènement de l’économie industrielle, les premières démarches d’encadrement et de réduction du temps de travail émergent en France et en Europe au milieu du 19e siècle. Celles-ci s’inscrivent d’abord dans une volonté de protection des individus au regard de la pénibilité et des risques des métiers industriels. En 1841, la loi[3] encadre pour la première fois le temps de travail, concernant les enfants (12 heures par jour pour les 12-16 ans, 8 heures par jour pour les 8-12 ans). En 1848, un décret[4] limite le temps de travail à 12 heures par jour pour tous. En 1900, la loi Millerand[5] encadre le temps de travail pour la première fois de manière hebdomadaire à 70 heures, qui passe à 60 heures en 1906, puis 48 heures en 1919. L’émergence progressive d’une société où les loisirs sont accessibles au plus grand nombre amène une nouvelle préoccupation, celle d’un temps de travail qui permet d’y accéder. C’est le temps du Front populaire, avec la semaine de 40 heures (puis 39 heures en 1982), accompagnée d’évolutions sur les congés payés et les retraites qui sont développées par le Conseil national de la résistance (CNR). En 1998, le passage à la semaine de 35 heures s’inscrit dans cette approche, tout en faisant de la lutte contre le chômage et donc du partage du travail. Ces évolutions, également liées à l’essor de la productivité, ne sont pas linéaires, elles ont connu des avancées et des reculs. On pourra à ce sujet se référer au dernier ouvrage de François Ruffin et la recension qui en a été faite par l’Institut Rousseau.[6]

La suite de l’histoire relève davantage à ce stade de l’histoire des idées, puisque certains défendent l’hypothèse de la semaine de 32 heures notamment avec en tête l’enjeu de la lutte contre le changement climatique ou le bien-être et un rapport différent à la croissance, quand d’autres militent pour un retour vers l’allongement du temps de travail pour des raisons de compétitivité ou quand d’autres encore plaident pour mieux prendre en compte l’intrication croissante entre travail et vie privée. En France, c’est notamment l’économiste Pierre Larrouturou, dans le sillage de dirigeants d’entreprises tels que Antoine Riboud, alors PDG de Danone, qui portent à partir des années 1990 la revendication de la semaine de quatre jours. Aujourd’hui, la semaine de quatre jours est expérimentée, sous des formes différentes, dans une quarantaine d’entreprises comme Welcome to the jungle (voir ci-dessous), Accenture, LDLC, JC Logistique… Les études menées auprès des dirigeants français démontrent un intérêt croissant : 35 % d’entre eux « envisagent » le passage à la semaine de quatre jours[7].

La réduction du temps de travail et le passage à la semaine des quatre jours sont également portés dans la société civile par des organisations syndicales, des partis politiques et des associations[8][9][10]. Enfin, l’évolution du temps de travail est intrinsèquement liée à l’évolution des technologies et de la hausse de la productivité. À cet égard, les ruptures technologiques sans précédent induites par la progression de l’intelligence artificielle peuvent être vues, si elles sont accompagnées, comme des conditions favorables à la semaine de quatre jours.[11] Une étape vers la société de travailleurs sans travail que prédisait Hannah Arendt dans La Condition de l’Homme moderne ?

B) Un récent changement spectaculaire du rapport au travail… qui vient de loin

La crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur dans l’évolution du débat d’idées sur la place du travail dans nos vies. C’est d’ailleurs ce que met en avant la note « Grosse fatigue et épidémie de flemme » de la Fondation Jean Jaurès[12] qui souligne la perte de centralité du travail dans la vie des Français. Entre 1990 et 2021, la part des Français qui définissent le travail comme « très important » est passée de 60 % à 24 %. Comme le soulignait cette note, c’est la remise en cause de la nécessité du travail par la crise sanitaire qui a significativement modifié cette perception, mais aussi le développement massif du télétravail imposé par le confinement. Dans le même temps, et alors même que les débats publics mettent en avant le caractère central de la préservation du pouvoir d’achat en période de crise, l’IFOP pour Solutions solidaires en septembre 2022 produit un sondage qui affirme que 61 % des salariés souhaitent « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre »[13]. Ce constat stimulant ne doit pas faire l’objet de conclusions trop hâtives. Car des facteurs de plus long terme expliquent aussi ce changement, tel que la dégradation des organisations et des conditions de travail depuis le début des années 2000. C’est notamment le regard que porte Dominique Méda, qui soulignait encore récemment l’intensification spectaculaire du travail depuis 2005 ou encore celui de Bruno Palier, qui met en avant le rôle du développement du « lean management » dans les entreprises (ce dernier vise à réduire le plus possible le coût du travail afin de le rendre compétitif et le faire converger progressivement avec le coût du travail de pays dépourvus de protection sociale)[14] Plus structurellement la European Values Survey démontre que le travail n’est pas moins important dans la vie des Français. Ils sont cependant plus exigeants dans son articulation avec d’autres activités[15]. Un compromis complexe que la semaine de quatre jours peut aider à réaliser.

C) Le réaménagement du temps de travail, une mesure aujourd’hui plébiscitée par les Français, en particulier les catégories populaires

Les études réalisées ces derniers mois en France et Europe sont suffisamment nombreuses désormais pour affirmer que la proposition fait l’objet d’un réel consensus. C’est notamment ce qu’a mesuré la dernière étude de Cluster 17 pour le Point[16], qui testait le passage à la semaine de quatre jours pour le même nombre d’heures travaillées. Ainsi 63 % des Français y sont favorables et surtout, toutes les classes d’âge, genre, sensibilités politiques à l’exception des électeurs d’Éric Zemmour (43 %). Il en est de même pour tous les types de métiers, à l’exception des commerçants et artisans (44 %). À noter que les catégories qui y sont le plus favorables sont précisément les catégories populaires de la population : 68 % des ouvriers, 71 % des employés, 64 % des professions intermédiaires. Pour ces catégories professionnelles, davantage exposé à de bas salaires et des conditions de travail difficiles, le passage à la semaine de quatre jours couplé à une réduction du temps de travail constitue une amélioration des conditions de vie ainsi qu’une amélioration de leur salaire horaire. D’aucuns reconnaîtront dans ce consensus parmi les catégories populaires les premiers contours sociologiques d’une large « coalition post-carbone »[17].

D) La semaine de quatre jours, une réponse à la crise du travail post-Covid

Face à la pandémie du Covid-19, près de 4,6 millions de salariés dits « travailleurs de la deuxième ligne » ont permis à l’économie française de continuer au prix d’une exposition réelle au risque sanitaire. La crise sanitaire a ainsi révélé de façon brutale à quel point la valeur économique assignée à ces métiers était profondément décorrélée de leur apport réel à la société, pourtant reconnu par tous. Un rapport de la DARES[18] remis à la ministre du Travail en décembre 2021 a permis d’identifier plus précisément 17 métiers[19], représentant 4,6 millions de salariés, dont les conditions de travail sont très difficiles et le niveau de salaire significativement plus faible que le reste du monde du travail (l’écart avec la moyenne des salariés du secteur privé s’établissant autour de 30 % selon ce même rapport) malgré leur caractère essentiel pour la société.

Dans le même temps, la généralisation du télétravail avec la crise du Covid est soudain apparue comme le révélateur d’un monde du travail coupé entre ceux qui pouvaient prétendre au télétravail, rester chez eux à distance du virus, économiser sur le temps de transport et sur le prix des carburants en ayant la certitude de conserver leur emploi sans craindre une réduction du temps de travail et de leur salaire, et ceux, contraints de venir sur leur site de travail, qui ne le peuvent pas.

La crise des gilets jaunes a par ailleurs rappelé à quel point les dépenses contraintes, liées aux trajets quotidiens du domicile au travail, pesaient sur le pouvoir d’achat des travailleurs pour qui le télétravail n’est pas possible. On rappellera ainsi qu’en 2018, le budget annuel moyen de transports d’un salarié se rendant à son travail en voiture est de 1240 euros en 2017.[20]  Alors que la crise énergétique provoque depuis une hausse durable du prix de l’essence, cette question se pose aujourd’hui avec encore plus d’acuité. Dans ce contexte, le passage à la semaine de 4 jours peut constituer une réponse nouvelle à tous ces travailleurs de la « deuxième ligne », salués pendant la crise sanitaire, mais qui ont été depuis les grands oubliés de l’action publique. Dans les entreprises qui ont adopté la semaine de quatre jours, les salariés soulignent à cet égard combien cet aménagement du temps de travail est un « soulagement financier » (voir infra le témoignage de l’entreprise LDLC) eu égard aux économies de transport et de garde d’enfants. Alors que l’essor du télétravail a pu provoquer un sentiment d’iniquité pour tous les travailleurs dont le métier ne peut être exercé à distance et qui subissent de ce fait des dépenses contraintes ; la généralisation de la semaine de quatre jours constituerait une mesure de justice sociale.

II) La semaine de quatre jours : avantages et inconvénients des retours d’expériences en entreprise

Le grand nombre d’expérimentations menées en Europe permet désormais d’avoir un aperçu global des avantages et inconvénients de la semaine de quatre jours et de la manière dont les entreprises s’en saisissent.

Cette partie s’appuie sur plusieurs études, en particulier sur celle réalisée par 4 Day Week Global[21] (4DWG), réalisées avec l’université de Cambridge et le Boston College, la plus grande étude au monde sur le sujet rassemblant près de 3000 salariés britanniques. Le cadre donné à cette expérimentation est souple, permettant aux entreprises de trouver la formule la plus adaptée à leur fonctionnement. Les 61 entreprises sont diverses : entreprises de télécom de plus de 1000 salariés que des employés de la restauration rapide. La majorité d’entre elles ont moins de 25 salariés. 91 % des entreprises participantes sont satisfaites. Il ne s’agit pas ici de calquer les conclusions britanniques sur la France, qui devra, comme nous le proposons, faire sa propre expérimentation pour trouver son propre chemin.

Les études nous permettent pour autant d’identifier cinq principaux bénéfices.

A) Le passage à la semaine de quatre jours, une amélioration des conditions de travail

L’étude 4DWG dégage assez nettement des avantages en matière de santé au travail et de bien-être au travail. On note ainsi une baisse de 71 % des burn-out, 65 % de baisse d’arrêts maladie et une baisse du taux des départs de 57 %. Ces chiffres significatifs démontrent que la semaine de quatre jours est un atout à court et moyen terme pour la productivité des entreprises et la fidélisation de leurs salariés. Selon l’étude Pulse 2022 du Future Forum[22], 20 % des salariés estiment que leur équilibre travail-famille s’est dégradé ces derniers mois et 40 % ressentent plus de stress et d’anxiété au travail. Pour le philosophe et juriste Alain Supiot[23], cette augmentation du mal-être au travail est le fruit des nouvelles méthodes de management issues de la révolution numérique qui n’attendent plus du travailleur qu’il obéisse mécaniquement à des ordres, mais qu’il réalise les objectifs. Dans ce cadre, l’amélioration du bien-être au travail permis par la semaine de quatre jours constitue une réponse intéressante.

De même, alors que la France est le pays dont le niveau d’accident du travail est le plus fort en Europe (623 654 accidents en 2020[24]), les expérimentations de la semaine de quatre jours se sont accompagnées d’une baisse du niveau d’accident du travail.

B) Les bénéfices écologiques du passage à la semaine de quatre jours

La semaine des 4 jours constitue également un levier de politique climatique majeur. Mécaniquement, le passage à la semaine de quatre jours permet en effet de réduire les trajets domicile-travail, dont on sait que 74 % d’entre eux sont effectués en voiture en France d’après une étude de l’IFOP[25]. Les études sont trop peu nombreuses pour qu’on puisse en définir de manière sûre et certaine les bénéfices. Une des plus récentes, également réalisée au Royaume-Uni par l’association Plateform en août 2021, indique qu’elle pourrait faire baisser à son démarrage « l’empreinte carbone du Royaume-Uni de 127 millions de tonnes par an d’ici 2025 » soit une baisse de 21,3 %[26] ! De quoi mettre en bonne position les États pour tenir rapidement les accords de Paris. C’est peut-être encore davantage pour la France, qui est un des pays où les salariés prennent le plus la voiture pour se rendre au travail[27], ce qui a également un coût financier (1240 euros par an en 2017) et un coût temporel (160 heures par an en 2017).

C) La réduction du temps de travail, un facteur de productivité

La réduction du temps de travail peut par ailleurs permettre d’obtenir des gains de productivité dans les entreprises. C’était d’ailleurs l’un des motifs, parmi d’autres avec des effets plus ou moins heureux pour les salariés, qui avait conduit l’industriel américain Henry Ford, fondateur du constructeur automobile Ford, à instaurer pour ses ouvriers la semaine de cinq jours payés six.

D’un point de vue certes moins quantifiable, les entreprises qui l’ont expérimenté soulignent que l’instauration de la semaine de quatre jours génère des leviers d’action pour les managers au sein de leur équipe, leur donnant par exemple l’occasion de repenser les projets de service, penser le sens de l’activité de l’entreprise et la répartition des missions en suscitant l’adhésion des salariés. Cet enjeu ressort nettement de l’expérimentation organisée par l’entreprise « Welcome to the Jungle »[28], mais aussi par exemple de celle menée par LDLC (voir encadré ci-dessous).

Les vertus multiples du passage à quatre jours : l’exemple de l’entreprise LDLC

L’entreprise lyonnaise LDLC, spécialisée dans la vente de matériels informatiques, a adopté la semaine de 32 heures sur quatre jours payés cinq jours. Les effets du passage à la semaine de quatre jours se sont avérés très positifs[29].

D’une part pour les salariés qui peuvent profiter de ce temps libre pour s’occuper de leurs enfants le mercredi. Pour cette mère seule de deux enfants, le passage à la semaine de quatre jours, en économisant des frais de garde, a été « un soulagement financier » et « des kilomètres en moins ». En retour « on donne plus », ajoute-t-elle.

Le passage à la semaine de quatre jours a également eu des effets bénéfiques sur l’entreprise elle-même qui est passée de 500 millions de chiffres d’affaires à 700 millions de chiffres d’affaires, le tout en passant à la semaine de quatre jours.

Le chef d’entreprise Laurent de la Clergerie témoigne : « on est devenu beaucoup plus efficace ! » Il ajoute que les accidents du travail et l’absentéisme ont été divisés par deux, et le turn-over divisé par quatre.

D) Le passage à la semaine de quatre jours au service du développement du lien social

De nombreux besoins essentiels, liés en particulier aux activités du lien social, sont aujourd’hui insuffisamment pris en charge par le marché du travail. Dans le même temps, la société française est traversée par une crise profonde du travail qui se manifeste chez les actifs, notamment les cadres, par une vague de démission sans précédent (plus de 500 000 salariés ont quitté leur poste au premier trimestre 2022)[30] comme chez les jeunes qui expriment une défiance croissante à l’égard du monde du travail. L’essor du mécénat de compétences apparaît aussi comme un signal faible qui témoigne d’une aspiration nouvelle du monde du travail à l’engagement social.

Dans ce contexte, la semaine de quatre jours constitue une manière nouvelle de soutenir des activités non marchandes d’utilité sociale. L’accompagnement au vieillissement de la population constitue à cet égard un enjeu crucial : 9,3 millions de personnes en France déclarent apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie en 2021[31] et 4 millions de personnes seront en situation de perte d’autonomie en 2050 selon l’INSEE. Alors que la réduction du temps de travail a permis, au 20e siècle, d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, le passage à la semaine de quatre jours pourrait contribuer demain à développer une société de l’engagement et du lien social.

E) Améliorer l’égalité femme — homme grâce à la semaine de quatre jours

Dans tous les pays occidentaux, le travail à temps partiel touche majoritairement les femmes. À cet égard, la France ne fait pas exception puisque 79,5 % de l’emploi à temps partiel est aujourd’hui féminin. Près de 30 % des femmes travaillent à temps partiel contre 8 % des hommes selon l’INSEE[32]. Ce travail à temps partiel féminin émane principalement des contraintes domestiques et de la garde d’enfants en particulier. Le passage à la semaine de quatre jours permettrait à cet égard une meilleure répartition des tâches entre les hommes et les femmes et une amélioration de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C’est à ce titre qu’en France le collectif « Pour une Parentalité Féministe » défend la réduction du temps de travail.

F) Les écueils du passage à la semaine de quatre jours à éviter : surintensification, érosion du lien social, droits à la déconnexion, freins culturels

L’étude 4DWG et les retours d’expérience font pour autant ressortir des difficultés de mise en œuvre de la semaine à quatre jours en matière de ressources humaines notamment. L’expérience montre qu’un tel aménagement du temps de travail ne s’improvise pas et c’est ce qui nous conduit à privilégier le dialogue social.

Un risque de surintensification du travail ne peut être écarté. C’est ce que soulève en France une enquête réalisée par Kantar Public[33] à l’automne 2022 : 60 % des salariés considèrent que leur charge de travail a augmenté au cours des cinq dernières années. Un quart (24 %) des salariés la jugent même « excessive ». Alors que les nouvelles organisations de travail remettent en question les horaires de travail et que la réduction du temps de travail a pu par le passé accentuer l’intensification du travail, le passage à la semaine de quatre jours doit s’accompagner d’engagements concrets des entreprises pour rendre effectif le « droit à la déconnexion » (cf proposition 2).

Plus largement, l’expérimentation menée par l’entreprise « Welcome to the Jungle »[34] souligne que la maturité de l’entreprise est également une question essentielle, la mise en place de la semaine à quatre jours devant être accompagnée par le management. Certaines entreprises ont souligné qu’un temps important a été nécessaire pour constituer une autre culture de travail. Ces difficultés ont été rencontrées de manière très explicite au Japon[35].

Les expériences menées en Europe mettent par ailleurs en évidence la nécessité d’une réflexion au sein des entreprises sur la présence au bureau des salariés dans le cadre de semaines à quatre jours. En matière de réunion comme de prise de congés, une attention plus importante doit être donnée à la concordance des agendas.[36] Plus largement, la coordination des collectifs de travail et de la préservation du lien social dans l’entreprise sont des sujets à considérer lors de cette transition : ainsi, l’entreprise LDLC a-t-elle, suite à la mise en place de la semaine de quatre jours, réduit la durée du télétravail à un jour par semaine.[37]

L’ensemble de ces écueils paraît surmontable par une phase d’expérimentation et la mise en place d’indicateurs internes pour évaluer l’incidence sur le bien-être des équipes, l’évolution des résultats de l’entreprise, la satisfaction des clients. Les salariés doivent être associés à ces nouvelles organisations de travail comme le montre l’exemple d’un des pionniers français, l’entreprise de recyclage Yprema.[38]

III) Les modalités de mise en œuvre : études de cas en Europe

Les pays ayant lancé la mise en œuvre des quatre jours sont désormais trop nombreux pour être recensés intégralement ici. Dans l’ensemble, deux modèles s’imposent, l’un avec réduction du temps de travail, l’autre sans réduction du temps de travail. Nous choisissons l’Islande et la Belgique pour les représenter.

A) Le cas islandais : un dispositif réussi de réduction du temps de travail

L’Islande a été précurseur dans la mise en place de la semaine de quatre jours en lançant une expérimentation dès 2015. À tel point qu’elle en a fait un élément d’image de marque dans le monde.

Le modèle islandais est une mise en place de la semaine de 35 heures ou 36 heures sur quatre jours, le temps de travail hebdomadaire antérieur étant de 40 heures. Le passage à la semaine de quatre jours s’est effectué à travers une expérimentation dans le secteur public uniquement, au sein de services de l’État islandais et de la ville de Reykjavik.

Bilan[39] : l’engouement médiatique autour de l’expérimentation a mis en avant le secteur public et montré sa capacité d’entraînement sur toute la société, même si les effets sur le secteur privé ne sont pas encore mesurés. Cette expérimentation dans la sphère publique a aussi mis en lumière l’importance d’adapter spécifiquement les services publics telle que les crèches, institutions sociales et hôpitaux à ce fonctionnement. D’après les syndicats islandais, l’étude est suffisamment importante (2500 personnes sur plusieurs années avec des types de métiers différents) pour pouvoir dire que la semaine de quatre jours est « possible pour tout le monde ».

B) Le cas belge : un réaménagement sans engouement

La Belgique a ouvert la possibilité par la loi en novembre 2022[40] d’une réorganisation du temps de travail sur quatre jours. Cette loi s’inscrit dans un plan d’ensemble intitulé « Deal pour l’emploi » qui prévoit d’autres dispositions en faveur de l’emploi.

La semaine de quatre jours belge s’effectue sans réduction du nombre d’heures, avec une semaine d’environ 38 heures, soit des journées de 9 h 30. La demande est faite individuellement par le salarié, par écrit.

Bilan[41] : L’engouement est moins fort qu’en Islande. La dimension individuelle de la démarche pour le salarié est sans doute un frein important et révèle qu’une mise en place collective est nécessaire. En outre, les modalités de refus de l’employeur semblent trop larges. La loi a également été mise en place dans la perspective d’une politique de l’emploi (objectif de 80 % de taux d’emploi en 2030), mais les résultats ne sont pas encore mesurés. Il semble que les journées de 9 h 30 soient trop longues pour être intéressantes pour les salariés, les employeurs doutant de leur capacité à faire le travail demandé à ce rythme. L’absence de grande expérimentation avec des entreprises volontaires est peut-être également un frein.

IV) Les scénarios possibles du passage à la semaine de quatre jours en France

En France, l’organisation du temps de travail et la définition de la durée du temps de travail sont désormais du ressort des accords d’entreprise dont les stipulations prévalent sur les accords de branche en la matière. La durée légale du travail, aujourd’hui de 35 heures par semaine, s’impose à toutes les entreprises, mais ne constitue ni une durée minimale ni une durée maximale, mais simplement un seuil de référence au-delà duquel s’applique le régime des heures supplémentaires. En France, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à temps complet est ainsi supérieure à la durée légale et s’élève à 39 heures en moyenne.

Dans ce cadre, les entreprises sont libres d’aménager le temps de travail de leurs salariés pour réduire la durée effective en deçà de 35 heures ou l’articuler autour de quatre jours par semaine. Quelques entreprises en France appliquent d’ailleurs aujourd’hui la semaine de quatre jours. La question qui prévaut donc à ce stade est celle de l’accompagnement et l’incitation des entreprises au passage à quatre jours par semaine.

Pour ce faire, plusieurs dispositifs pourraient être conçus pour inciter les entreprises à passer à la semaine quatre jours à raison de 32 heures par semaine ou à conserver le même temps de travail sur quatre jours au lieu de cinq. Le coût de ce réaménagement du temps de travail est réparti entre les entreprises et la puissance publique.

A) Un dispositif d’aide publique ou d’exonération sociale pour inciter les entreprises

Votée en 1996, la loi dite « Loi de Robien »[42] a introduit une incitation financière pour les entreprises à adopter une réduction collective du temps de travail. Cette loi prévoyait en effet un allègement de cotisations sociales patronales de 40 % la première année puis 30 % les six années suivantes pour les entreprises qui aménageaient une réduction collective de la durée du temps de travail d’au moins 10 %. Pour les entreprises dont la réduction collective de la durée du temps de travail était égale ou supérieure à 15 %, les allègements de cotisations sociales patronales s’élevaient à 50 % la première année puis 40 % les six années suivantes. On notera que l’exonération peut être remplacée par une aide directe, ce que fait l’Espagne dans son expérimentation. Les conseils régionaux pourraient également être parties prenantes du financement et de la mise en place de la semaine de quatre jours.

Le mécanisme incitatif introduit en 1996 qui avait fait le pari de la négociation collective a connu un rapide succès auprès des entreprises avant d’être supprimé par la deuxième loi Aubry[43]. En effet, après le nombre d’accords collectifs conclus dans les entreprises a connu une hausse historique (27 %) ; en particulier pour traiter de la question du temps de travail dont plus de la moitié des accords (51,4 %) portait sur ce thème devant la question des salaires[44]. En neuf mois, 920 accords ont été signés dans ce cadre[45]. Ce dispositif incitatif expérimenté a ainsi fait ses preuves et pourrait de ce fait inspirer de nouvelles expérimentations aujourd’hui pour nouer de nouveaux compromis sociaux dans les entreprises autour de l’aménagement du temps de travail sans grever le pouvoir d’achat de leurs salariés.

Proposition 1 : expérimenter un mécanisme incitatif pour accompagner le passage des entreprises à la semaine de 32 heures sur quatre jours hebdomadaires à salaire constant pour tous leurs salariés. Les entreprises pourraient ainsi bénéficier d’un allègement de cotisation sociale patronale de 15 % — ce qui équivaut à peu près à un allègement du coût salarial réel pour l’entreprise de 4,5 % pour une baisse du temps de travail de 8,57 %. Le coût de cet aménagement du temps de travail serait donc partagé à moitié entre l’employeur et la puissance publique. On pourra opter pour une aide publique équivalente.

Proposition 2 : expérimenter un mécanisme incitatif analogue et cumulable de réduction de 15 % des charges sociales patronales pour accompagner le passage à la semaine de quatre jours en contrepartie de mesures de réduction des trajets domicile-travail, formalisée dans le cadre d’un accord de mobilité durable. On pourra opter pour une aide publique équivalente.

B) Un engagement des entreprises en contrepartie pour garantir l’effectivité du passage à la semaine de quatre jours

Alors que la réduction de la durée légale du travail à 35 heures a été critiquée en ce qu’elle a pu générer une intensification du travail, le passage à la semaine de quatre jours doit respecter certaines contreparties pour ne pas s’effectuer pas au détriment du cadre de travail des salariés. Le passage à la semaine de quatre jours doit ainsi s’accompagner d’engagements des entreprises pour garantir la « déconnexion » des salariés en dehors des horaires et des jours de travail.

Introduis par la loi du 8 août 2016 dite « Loi Travail » et en vigueur depuis le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion souffre aujourd’hui d’un manque d’effectivité : 57 % des cadres considèrent que le droit à la déconnexion n’est pas correctement pris en compte[46]. Ce « droit à la déconnexion » dont le Code du travail ne définit pas les modalités d’exercice souffre sur le fond d’une limite importante : aucune obligation forte ne pèse sur les entreprises qui sont simplement tenues d’en discuter dans le cadre de la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail.

Proposition 3 : conditionner les exonérations sociales liées au passage à la semaine de quatre jours à la conclusion d’un accord d’entreprise sur le télétravail précisant les moyens concrets mis en œuvre par l’entreprise pour rendre le droit à la déconnexion effectif. Le passage à la semaine de quatre jours s’accompagnerait ainsi d’une obligation de moyens pour les entreprises qui devraient s’engager auprès de leur CSE sur une initiative a minima (blocage des e-mails en dehors des jours de travail, sensibilisation des managers sur le droit à la déconnexion, etc.).

C) Création d’un ministère du Temps libéré : l’opportunité d’une politique d’accompagnement de l’aménagement du temps de travail

En 1936, le Front populaire avait eu à cœur de développer une ambitieuse politique de l’accès aux loisirs sous l’impulsion de Léo Lagrange, Secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports, en parallèle de la semaine de 40 heures. En 1981, un ministère du Temps libre avait été créé également, plus éphémère et moins ambitieux (même si on lui doit par exemple l’agence nationale des chèques-vacances), accompagnant la retraite à 60 ans et la semaine de 39 heures. Cette préoccupation est moins présente dans le dispositif des lois Aubry sur les 35 heures[47].

Le temps libéré par la réduction ou le réaménagement du temps de travail pose, qu’on le veuille ou non, la question de ce qui est fait de ce temps libéré, oisif et donc par nature « subversif » comme le souligne le sociologue Jean-Yves Boulin[48]. On a d’ailleurs une idée de ce que les Français souhaiteraient faire s’ils avaient plus de temps. Les retours d’expérience sur la semaine de quatre jours (voir supra) démontrent que les salariés utilisent leur troisième jour de repos principalement pour leurs rendez-vous médicaux, des démarches administratives, s’occuper d’un membre de leur famille, prendre soin d’eux… Dans son dernier ouvrage, François Ruffin évoque que 73 % des Français utiliseraient ce temps en plus pour « leurs proches ». Viennent ensuite « la cuisine » ou « le jardinage ». La semaine de quatre jours est de ce point de vue par essence une politique du « care » et du lien[49].

Des mesures d’accompagnement pourront contribuer à créer les conditions qui permettront à ceux et celles qui le souhaitent d’utiliser ce temps libéré à des fins positives pour la société et la planète. De plus, la semaine de quatre jours est une formidable occasion de réinvestir les champs de l’éducation populaire et l’accès aux loisirs.

Proposition 4 : C’est pourquoi, nous proposons, dans le sillage du Front populaire et du ministère du Temps libre, la création d’un ministère du Temps libéré, chargé de fixer le cap en coordonnant les dispositifs d’accompagnement des salariés qui passent à la semaine de quatre jours, tels que par exemple, le revenu citoyen d’engagement écologique et social (voir dans cette note), ou encore des politiques d’accès à la culture et au sport, par exemple un élargissement du « pass Culture » et du « pass Sport » à l’ensemble des salariés qui passent aux quatre jours. Ce ministère pourra travailler en lien avec les Régions, dont nous pensons qu’elles sont l’échelle pertinente pour adapter ces dispositifs aux réalités territoriales. Plus généralement, la semaine des quatre jours est l’occasion de remettre en avant l’enjeu des politiques temporelles au niveau local.[50]

V) Synthèse de nos recommandations

  1. Proposer un dispositif expérimental sous la forme d’exonération ou d’aide publique directe des conseils régionaux représentant 15 % des cotisations patronales pour les entreprises adoptant la semaine de quatre jours à raison de 32 heures. Cette exonération ou aide publique pourrait également être conditionnée à un plafond de salaire afin de cibler en priorité les emplois à bas salaires dont les conditions de travail sont plus difficiles.
  2. Proposer une incitation cumulable avec la précédente sous la forme d’exonération ou d’aide publique directe des conseils régionaux représentant 15 % des cotisations patronales pour les entreprises qui sans réduire le temps de travail démontrent que leur passage à la semaine de quatre jours permet de réduire l’empreinte environnementale de leurs salariés, sans dégrader le bien-être au travail des salariés.
  3. Conditionner ces exonérations sociales ou aides publiques directes pour les entreprises adoptant la semaine de quatre jours à un engagement concret des entreprises sur le « droit à la déconnexion » pour garantir l’effectivité de la semaine de quatre jours.
  4. Créer un ministère du Temps libéré, chargé de coordonner, avec les conseils régionaux, les dispositifs d’accompagnement concernant le jour de travail libéré

[1] Le dispositif prévoit une semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail : https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/02/01/en-pleine-reforme-des-retraites-gabriel-attal-insiste-sur-le-rapport-au-travail-et-met-en-avant-la-semaine-de-quatre-jours-experimentee-a-l-urssaf_6160167_823448.html

[2] Ce terme a été utilisé notamment par le rapport du 19 décembre 2021 remis à la ministre du Travail (https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-2e-ligne.pdf)

[3] Loi du 22 mars 1841

[4] Décret du 2 mars 1848

[5] Loi du 30 mars 1900

[6] https://institut-rousseau.fr/recension-du-livre-de-francois-ruffin-le-temps-d-apprendre-a-vivre-la-bataille-des-retraites/

[7] https://culture-rh.com/semaine-4-jours-france/

[8] https://www.cgt.fr/sites/default/files/2021-11/La%20r%C3%A9duction%20du%20temps%20de%20travail%20dans%20le%20monde%20-%20une%20id%C3%A9e%20qui%20gagne%20du%20terrain.pdf

[9] https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-travailler-digne/9-mettre-en-place-une-banque

[10] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5209_proposition-loi

[11] https://www.bfmtv.com/tech/intelligence-artificielle/pour-le-nobel-d-economie-2010-chat-gpt-pourrait-rendre-possible-la-semaine-de-quatre-jours_AV-202304050472.html

[12] https://www.jean-jaures.org/publication/grosse-fatigue-et-epidemie-de-flemme-quand-une-partie-des-francais-a-mis-les-pouces/

[13] https://www.jean-jaures.org/publication/je-taime-moi-non-plus-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail/

[14] https://www.csematin.com/dialogue-social/syndicats/debat-cfdt-pour-parler-retraites-parlons-d-abord-du-travail.html

[15] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/les-jeunes-sont-ils-devenus-paresseux-3885159

[16] https://cluster17.com/sondage-pour-le-point-2-francais-sur-3-prets-a-passer-a-la-semaine-de-4-jours/

[17] https://legrandcontinent.eu/fr/2022/02/17/constituer-une-culture-commune-en-temps-de-crise-une-conversation-avec-pierre-charbonnier/

[18] https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-2e-ligne.pdf

[19] Conducteurs de véhicules ; agents d’entretien ; caissiers, employés de libre-service ; ouvriers qualifiés de la manutention ; ouvriers qualifiés du second œuvre du bâtiment ; ouvriers non qualifiés de la manutention ; aides à domicile et aides ménagères ; agents de gardiennage et de sécurité ; ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment ; vendeurs en produits alimentaires ; bouchers, charcutiers, boulangers ; maraîchers, jardiniers, viticulteurs ; ouvriers qualifiés des travaux publics, du béton et de l’extraction ; agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons ; ouvriers non qualifiés du gros œuvre du bâtiment, des travaux publics, du béton et de l’extraction ; ouvriers non qualifiés du second œuvre du bâtiment ; ouvriers non qualifiés des industries agroalimentaires

[20] https://www.bfmtv.com/auto/les-francais-passent-une-semaine-par-an-a-se-rendre-au-travail_AN-201801170026.html

[21] https://www.4dayweek.com/

[22] https://futureforum.com/wp-content/uploads/2022/10/Future-Forum-Pulse-Report-Fall-2022.pdf

[23] Alain Supiot, La gouvernance par les nombres (2015).

[24] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/sante-au-travail/accidents-du-travail-la-france-plus-mauvais-eleve-europeen_5671928.html

[25] https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/transports/trajet-domicile-travail-la-voiture-de-plus-en-plus-utilisee-sauf-en-region-parisienne_AV-202112030019.html#:~:text=Selon%20le%20dernier%20%22Barom%C3%A8tre*%20Mobilit%C3%A9,le%20cadre%20de%20ces%20trajets.

[26] https://6a142ff6-85bd-4a7b-bb3b-476b07b8f08d.usrfiles.com/ugd/6a142f_5061c06b240e4776bf31dfac2543746b.pdf

[27] https://www.bfmtv.com/auto/les-francais-passent-une-semaine-par-an-a-se-rendre-au-travail_AN-201801170026.html

[28] https://solutions.welcometothejungle.com/ressources/semaine-quatre-jours-etude-welcome-to-the-jungle

[29] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/semaine-de-4-jours-travailler-moins-et-travailler-mieux-7639784

[30] https://www.radiofrance.fr/franceinter/record-de-demissions-au-premier-trimestre-2022-vers-une-grande-demission-a-la-francaise-3673706

[31] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/ER1255MAJ1002.pdf

[32] Temps partiel — Emploi, chômage, revenu du travail (INSEE)

[33] Kantar Public, Le travail au XXIe siècle (2022)

[34] https://solutions.welcometothejungle.com/ressources/semaine-quatre-jours-etude-welcome-to-the-jungle

[35] https://www.courrierinternational.com/article/travail-au-japon-la-semaine-de-quatre-jours-peine-a-s-imposer#:~:text=Le%20gouvernement%20tente%20tr%C3%A8s%20officiellement,loin%20de%20faire%20l’unanimit%C3%A9.&text=Publi%C3%A9%20le%2012%20mai%202022%20%C3%A0%2015h01%20Lecture%201%20min.

[36] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/06/la-semaine-de-quatre-jours-pour-travailler-plus_6140351_3232.html

[37] https://rmc.bfmtv.com/actualites/economie/travail/semaine-de-quatre-jours-quels-sont-les-avantages-et-inconvenients_AV-202302020250.html

[38] https://www.glassdoor.fr/blog/semaine-de-4-jours/

[39] https://autonomy.work/wp-content/uploads/2021/06/ICELAND_4DW.pdf

[40] Loi du 3 octobre 2022 « deal pour l’emploi

[41] https://www.lecho.be/monargent/analyse/travail/passer-a-la-semaine-de-quatre-jours-mode-d-emploi/10418973.html

[42] Loi du 11 juin 1996 tendant à favoriser l’emploi par l’aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail

[43] Loi no 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail

[44] https://www.lesechos.fr/1998/06/la-loi-robien-a-fortement-dope-la-negociation-dentreprise-lannee-derniere-794087#:~:text=Amplifiant%20la%20tendance%20de%20ces,3%2C2%20millions%20de%20salari%C3%A9s.

[45] https://www.liberation.fr/futurs/1997/08/28/le-chiffre-920-accords-robien_211927/

[46] Les cadres et l’hyper-connexion — Vague 2 », enquête IFOP, juillet 2017

[47]https://www.jean-jaures.org/publication/une-politique-du-temps-libre-1981-1983/

[48] https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/temps-de-travail-politique-campagne-presidentielle

[49] Pour une définition du care et d’autres pistes sur ce sujet voir la dernière note de l’Institut Rousseau sur le sujet : https://institut-rousseau.fr/revaloriser-les-metiers-du-lien-apres-la-crise-un-enjeu-social-economique-politique/

[50] Voir Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées Luc Gwiazdzinski, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

Publié le 2 mai 2023

Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après

Auteurs

Charles Adrianssens
Diplômé de Sciences Po Paris et co-fondateur du média Une idée pour espérer.

Paul Montjotin
Diplômé de Sciences Po, Paul est enseignant en questions sociales et travaille dans le secteur de la formation et l’emploi.

En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, le gouvernement avait annoncé une expérimentation de la semaine de quatre jours dans un service de l’URSSAF en Picardie[1]. Cette proposition peu commune dans le secteur public en France se voulait un signe de compréhension à l’attention du mouvement social sur un registre nouveau : il faut réaménager la place du travail dans nos vies. Car comme beaucoup d’observateurs l’ont noté, la réforme des retraites posait non seulement la question de l’emploi, de l’après vie professionnelle, mais peut-être plus encore la question du travail et de la place qu’il occupe au quotidien dans nos vies. Le gouvernement puis le Président de la République ont renvoyé cette question à une future loi travail qui serait la « jambe gauche » de la réforme des retraites, éventuellement discutée avec les syndicats. On peut douter du fait que nos concitoyens et concitoyennes ne fassent pas la différence entre les mesures d’âge et l’amélioration des conditions de travail. Pour autant, on peut se demander si cette future loi ne serait pas l’occasion de créer les conditions d’une généralisation progressive de la semaine de quatre jours ?

Plusieurs pays européens mais aussi les États-Unis et le Japon ont lancé le chantier, avec des fortunes diverses. Les pays adoptent des règles différentes : 32 heures, quatre jours sans réduction du temps de travail, réduction partielle du temps de travail… Au sein de ces pays, les entreprises elles-mêmes n’appliquent pas la semaine de quatre jours de la même manière. Il ne s’agit donc pas dans cette note de trancher entre réduction et réaménagement du temps de travail, car, quelle qu’en soit la forme, la semaine de quatre jours poursuit des objectifs différents tels que le bien-être au travail, la lutte contre le changement climatique ou encore l’engagement citoyen. Cette note entend démontrer que la semaine de quatre jours, au regard de ses bénéficies écologiques et sociaux (cf. partie 2) ; constitue une proposition qui arrive en France à maturité dans les entreprises, le monde du travail et la société dans son ensemble.

La question des effets de la réduction du temps de travail sur la création d’emplois fait l’objet de controverses vives, en particulier en France depuis le vote des lois Aubry et il n’existe pas aujourd’hui de consensus des économistes à ce sujet. Dans ce cadre, cette note ne conçoit pas la semaine de quatre jours comme une politique de lutte contre le chômage, mais l’inscrit dans un horizon politique nouveau.

Cette note pose par ailleurs quelques principes clés dans lesquels s’inscrit la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. D’abord la semaine de quatre jours doit être proposée sans baisse de salaire (quatre jours travaillés et payés comme cinq jours) pour les salariés. Le deuxième principe porte sur l’effectivité de la semaine de quatre jours : les entreprises doivent prendre des engagements pour en garantir le respect afin de bénéficier d’une aide (cf. proposition 2). Le troisième principe est celui du dialogue social : les entreprises doivent conclure un accord collectif pour bénéficier d’une aide à la mise en place de la semaine de quatre jours. Il apparaît en effet essentiel de leur permettre de trouver la bonne organisation pour passer à la semaine de quatre jours. Enfin la démarche proposée s’inscrit dans un principe d’expérimentation. Une évaluation par le Parlement des externalités de la semaine de quatre jours pourra ainsi être réalisée auprès d’un échantillon d’entreprises ayant adopté cet aménagement du temps de travail.

Il convient par ailleurs de préciser ici que les propositions en faveur de la semaine de quatre jours ne concernent que les personnes salariées travaillant à temps complet à raison de cinq jours par semaine. Les personnes non salariées (artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs) ainsi que celles travaillant à temps partiel ou sur des horaires atypiques ne pourraient pas être concernées par cette mesure dans un premier temps, bien qu’il soit souhaitable d’engager une réflexion plus générale sur la réduction du temps de travail. Par ailleurs, une expérimentation auprès d’agents publics est proposée dans cette note.

Alors que la France est confrontée à une crise profonde du monde du travail, exprimée lors du mouvement des « Gilets jaunes » puis à l’occasion de la crise du Covid, la question de la semaine de quatre jours se pose aujourd’hui avec une acuité nouvelle. Pour les gilets jaunes dont les dépenses contraintes de transport, 5 à 6 fois par semaine, les empêchent de « vivre de leur travail », la baisse des déplacements (un ou deux aller-retour en moins par semaine) offrirait un gain financier non négligeable (cf. ci-dessous). Pour les travailleurs dits de la « deuxième ligne »[2] (notamment les éboueurs, les hôtesses de caisse, les agents d’entretien, les aides à domicile, etc., dont beaucoup travaillent sur six jours), le passage à la semaine de quatre jours apparaîtrait comme une forme de reconnaissance alors que la crise sanitaire a mis en lumière leur caractère « essentiel ». Pour l’ensemble de ces travailleurs, qui partagent le fait d’être confronté à des conditions de travail difficiles et de ne pas pouvoir télétravailler, l’amélioration des conditions de vie permise par la semaine de quatre jours constituerait une mesure de justice sociale.

La France des années 2020 semble plus que jamais prête à accueillir cette évolution. Alors que la réduction du temps de travail avait jusqu’aux années 1980 toujours été au cœur des conquêtes du monde du travail obtenues par le mouvement syndical, il y a aujourd’hui une aspiration forte, comme le démontrent les sondages (voir infra), à reprendre le fil de cette histoire pour réinscrire la recherche du temps libre dans le progrès social. Cette conquête du temps libre doit désormais être pensée à l’aune des défis écologiques et sociaux de notre époque. Ayant permis au XXe siècle d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, la réduction, ou au moins le réaménagement, du temps de travail est nécessaire pour faire émerger au 21e siècle la société de l’engagement et du lien social. En ce sens, cette conquête du temps libre n’est pas seulement celle du temps pour soi, mais aussi du temps pour les autres, pour notre société et pour nos biens communs. Le temps du monde d’après.

I) La semaine de quatre jours, une aspiration de la société post-Covid

A) Une brève histoire de l’évolution du temps du travail hebdomadaire

Face à l’avènement de l’économie industrielle, les premières démarches d’encadrement et de réduction du temps de travail émergent en France et en Europe au milieu du 19e siècle. Celles-ci s’inscrivent d’abord dans une volonté de protection des individus au regard de la pénibilité et des risques des métiers industriels. En 1841, la loi[3] encadre pour la première fois le temps de travail, concernant les enfants (12 heures par jour pour les 12-16 ans, 8 heures par jour pour les 8-12 ans). En 1848, un décret[4] limite le temps de travail à 12 heures par jour pour tous. En 1900, la loi Millerand[5] encadre le temps de travail pour la première fois de manière hebdomadaire à 70 heures, qui passe à 60 heures en 1906, puis 48 heures en 1919. L’émergence progressive d’une société où les loisirs sont accessibles au plus grand nombre amène une nouvelle préoccupation, celle d’un temps de travail qui permet d’y accéder. C’est le temps du Front populaire, avec la semaine de 40 heures (puis 39 heures en 1982), accompagnée d’évolutions sur les congés payés et les retraites qui sont développées par le Conseil national de la résistance (CNR). En 1998, le passage à la semaine de 35 heures s’inscrit dans cette approche, tout en faisant de la lutte contre le chômage et donc du partage du travail. Ces évolutions, également liées à l’essor de la productivité, ne sont pas linéaires, elles ont connu des avancées et des reculs. On pourra à ce sujet se référer au dernier ouvrage de François Ruffin et la recension qui en a été faite par l’Institut Rousseau.[6]

La suite de l’histoire relève davantage à ce stade de l’histoire des idées, puisque certains défendent l’hypothèse de la semaine de 32 heures notamment avec en tête l’enjeu de la lutte contre le changement climatique ou le bien-être et un rapport différent à la croissance, quand d’autres militent pour un retour vers l’allongement du temps de travail pour des raisons de compétitivité ou quand d’autres encore plaident pour mieux prendre en compte l’intrication croissante entre travail et vie privée. En France, c’est notamment l’économiste Pierre Larrouturou, dans le sillage de dirigeants d’entreprises tels que Antoine Riboud, alors PDG de Danone, qui portent à partir des années 1990 la revendication de la semaine de quatre jours. Aujourd’hui, la semaine de quatre jours est expérimentée, sous des formes différentes, dans une quarantaine d’entreprises comme Welcome to the jungle (voir ci-dessous), Accenture, LDLC, JC Logistique… Les études menées auprès des dirigeants français démontrent un intérêt croissant : 35 % d’entre eux « envisagent » le passage à la semaine de quatre jours[7].

La réduction du temps de travail et le passage à la semaine des quatre jours sont également portés dans la société civile par des organisations syndicales, des partis politiques et des associations[8][9][10]. Enfin, l’évolution du temps de travail est intrinsèquement liée à l’évolution des technologies et de la hausse de la productivité. À cet égard, les ruptures technologiques sans précédent induites par la progression de l’intelligence artificielle peuvent être vues, si elles sont accompagnées, comme des conditions favorables à la semaine de quatre jours.[11] Une étape vers la société de travailleurs sans travail que prédisait Hannah Arendt dans La Condition de l’Homme moderne ?

B) Un récent changement spectaculaire du rapport au travail… qui vient de loin

La crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur dans l’évolution du débat d’idées sur la place du travail dans nos vies. C’est d’ailleurs ce que met en avant la note « Grosse fatigue et épidémie de flemme » de la Fondation Jean Jaurès[12] qui souligne la perte de centralité du travail dans la vie des Français. Entre 1990 et 2021, la part des Français qui définissent le travail comme « très important » est passée de 60 % à 24 %. Comme le soulignait cette note, c’est la remise en cause de la nécessité du travail par la crise sanitaire qui a significativement modifié cette perception, mais aussi le développement massif du télétravail imposé par le confinement. Dans le même temps, et alors même que les débats publics mettent en avant le caractère central de la préservation du pouvoir d’achat en période de crise, l’IFOP pour Solutions solidaires en septembre 2022 produit un sondage qui affirme que 61 % des salariés souhaitent « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre »[13]. Ce constat stimulant ne doit pas faire l’objet de conclusions trop hâtives. Car des facteurs de plus long terme expliquent aussi ce changement, tel que la dégradation des organisations et des conditions de travail depuis le début des années 2000. C’est notamment le regard que porte Dominique Méda, qui soulignait encore récemment l’intensification spectaculaire du travail depuis 2005 ou encore celui de Bruno Palier, qui met en avant le rôle du développement du « lean management » dans les entreprises (ce dernier vise à réduire le plus possible le coût du travail afin de le rendre compétitif et le faire converger progressivement avec le coût du travail de pays dépourvus de protection sociale)[14] Plus structurellement la European Values Survey démontre que le travail n’est pas moins important dans la vie des Français. Ils sont cependant plus exigeants dans son articulation avec d’autres activités[15]. Un compromis complexe que la semaine de quatre jours peut aider à réaliser.

C) Le réaménagement du temps de travail, une mesure aujourd’hui plébiscitée par les Français, en particulier les catégories populaires

Les études réalisées ces derniers mois en France et Europe sont suffisamment nombreuses désormais pour affirmer que la proposition fait l’objet d’un réel consensus. C’est notamment ce qu’a mesuré la dernière étude de Cluster 17 pour le Point[16], qui testait le passage à la semaine de quatre jours pour le même nombre d’heures travaillées. Ainsi 63 % des Français y sont favorables et surtout, toutes les classes d’âge, genre, sensibilités politiques à l’exception des électeurs d’Éric Zemmour (43 %). Il en est de même pour tous les types de métiers, à l’exception des commerçants et artisans (44 %). À noter que les catégories qui y sont le plus favorables sont précisément les catégories populaires de la population : 68 % des ouvriers, 71 % des employés, 64 % des professions intermédiaires. Pour ces catégories professionnelles, davantage exposé à de bas salaires et des conditions de travail difficiles, le passage à la semaine de quatre jours couplé à une réduction du temps de travail constitue une amélioration des conditions de vie ainsi qu’une amélioration de leur salaire horaire. D’aucuns reconnaîtront dans ce consensus parmi les catégories populaires les premiers contours sociologiques d’une large « coalition post-carbone »[17].

D) La semaine de quatre jours, une réponse à la crise du travail post-Covid

Face à la pandémie du Covid-19, près de 4,6 millions de salariés dits « travailleurs de la deuxième ligne » ont permis à l’économie française de continuer au prix d’une exposition réelle au risque sanitaire. La crise sanitaire a ainsi révélé de façon brutale à quel point la valeur économique assignée à ces métiers était profondément décorrélée de leur apport réel à la société, pourtant reconnu par tous. Un rapport de la DARES[18] remis à la ministre du Travail en décembre 2021 a permis d’identifier plus précisément 17 métiers[19], représentant 4,6 millions de salariés, dont les conditions de travail sont très difficiles et le niveau de salaire significativement plus faible que le reste du monde du travail (l’écart avec la moyenne des salariés du secteur privé s’établissant autour de 30 % selon ce même rapport) malgré leur caractère essentiel pour la société.

Dans le même temps, la généralisation du télétravail avec la crise du Covid est soudain apparue comme le révélateur d’un monde du travail coupé entre ceux qui pouvaient prétendre au télétravail, rester chez eux à distance du virus, économiser sur le temps de transport et sur le prix des carburants en ayant la certitude de conserver leur emploi sans craindre une réduction du temps de travail et de leur salaire, et ceux, contraints de venir sur leur site de travail, qui ne le peuvent pas.

La crise des gilets jaunes a par ailleurs rappelé à quel point les dépenses contraintes, liées aux trajets quotidiens du domicile au travail, pesaient sur le pouvoir d’achat des travailleurs pour qui le télétravail n’est pas possible. On rappellera ainsi qu’en 2018, le budget annuel moyen de transports d’un salarié se rendant à son travail en voiture est de 1240 euros en 2017.[20]  Alors que la crise énergétique provoque depuis une hausse durable du prix de l’essence, cette question se pose aujourd’hui avec encore plus d’acuité. Dans ce contexte, le passage à la semaine de 4 jours peut constituer une réponse nouvelle à tous ces travailleurs de la « deuxième ligne », salués pendant la crise sanitaire, mais qui ont été depuis les grands oubliés de l’action publique. Dans les entreprises qui ont adopté la semaine de quatre jours, les salariés soulignent à cet égard combien cet aménagement du temps de travail est un « soulagement financier » (voir infra le témoignage de l’entreprise LDLC) eu égard aux économies de transport et de garde d’enfants. Alors que l’essor du télétravail a pu provoquer un sentiment d’iniquité pour tous les travailleurs dont le métier ne peut être exercé à distance et qui subissent de ce fait des dépenses contraintes ; la généralisation de la semaine de quatre jours constituerait une mesure de justice sociale.

II) La semaine de quatre jours : avantages et inconvénients des retours d’expériences en entreprise

Le grand nombre d’expérimentations menées en Europe permet désormais d’avoir un aperçu global des avantages et inconvénients de la semaine de quatre jours et de la manière dont les entreprises s’en saisissent.

Cette partie s’appuie sur plusieurs études, en particulier sur celle réalisée par 4 Day Week Global[21] (4DWG), réalisées avec l’université de Cambridge et le Boston College, la plus grande étude au monde sur le sujet rassemblant près de 3000 salariés britanniques. Le cadre donné à cette expérimentation est souple, permettant aux entreprises de trouver la formule la plus adaptée à leur fonctionnement. Les 61 entreprises sont diverses : entreprises de télécom de plus de 1000 salariés que des employés de la restauration rapide. La majorité d’entre elles ont moins de 25 salariés. 91 % des entreprises participantes sont satisfaites. Il ne s’agit pas ici de calquer les conclusions britanniques sur la France, qui devra, comme nous le proposons, faire sa propre expérimentation pour trouver son propre chemin.

Les études nous permettent pour autant d’identifier cinq principaux bénéfices.

A) Le passage à la semaine de quatre jours, une amélioration des conditions de travail

L’étude 4DWG dégage assez nettement des avantages en matière de santé au travail et de bien-être au travail. On note ainsi une baisse de 71 % des burn-out, 65 % de baisse d’arrêts maladie et une baisse du taux des départs de 57 %. Ces chiffres significatifs démontrent que la semaine de quatre jours est un atout à court et moyen terme pour la productivité des entreprises et la fidélisation de leurs salariés. Selon l’étude Pulse 2022 du Future Forum[22], 20 % des salariés estiment que leur équilibre travail-famille s’est dégradé ces derniers mois et 40 % ressentent plus de stress et d’anxiété au travail. Pour le philosophe et juriste Alain Supiot[23], cette augmentation du mal-être au travail est le fruit des nouvelles méthodes de management issues de la révolution numérique qui n’attendent plus du travailleur qu’il obéisse mécaniquement à des ordres, mais qu’il réalise les objectifs. Dans ce cadre, l’amélioration du bien-être au travail permis par la semaine de quatre jours constitue une réponse intéressante.

De même, alors que la France est le pays dont le niveau d’accident du travail est le plus fort en Europe (623 654 accidents en 2020[24]), les expérimentations de la semaine de quatre jours se sont accompagnées d’une baisse du niveau d’accident du travail.

B) Les bénéfices écologiques du passage à la semaine de quatre jours

La semaine des 4 jours constitue également un levier de politique climatique majeur. Mécaniquement, le passage à la semaine de quatre jours permet en effet de réduire les trajets domicile-travail, dont on sait que 74 % d’entre eux sont effectués en voiture en France d’après une étude de l’IFOP[25]. Les études sont trop peu nombreuses pour qu’on puisse en définir de manière sûre et certaine les bénéfices. Une des plus récentes, également réalisée au Royaume-Uni par l’association Plateform en août 2021, indique qu’elle pourrait faire baisser à son démarrage « l’empreinte carbone du Royaume-Uni de 127 millions de tonnes par an d’ici 2025 » soit une baisse de 21,3 %[26] ! De quoi mettre en bonne position les États pour tenir rapidement les accords de Paris. C’est peut-être encore davantage pour la France, qui est un des pays où les salariés prennent le plus la voiture pour se rendre au travail[27], ce qui a également un coût financier (1240 euros par an en 2017) et un coût temporel (160 heures par an en 2017).

C) La réduction du temps de travail, un facteur de productivité

La réduction du temps de travail peut par ailleurs permettre d’obtenir des gains de productivité dans les entreprises. C’était d’ailleurs l’un des motifs, parmi d’autres avec des effets plus ou moins heureux pour les salariés, qui avait conduit l’industriel américain Henry Ford, fondateur du constructeur automobile Ford, à instaurer pour ses ouvriers la semaine de cinq jours payés six.

D’un point de vue certes moins quantifiable, les entreprises qui l’ont expérimenté soulignent que l’instauration de la semaine de quatre jours génère des leviers d’action pour les managers au sein de leur équipe, leur donnant par exemple l’occasion de repenser les projets de service, penser le sens de l’activité de l’entreprise et la répartition des missions en suscitant l’adhésion des salariés. Cet enjeu ressort nettement de l’expérimentation organisée par l’entreprise « Welcome to the Jungle »[28], mais aussi par exemple de celle menée par LDLC (voir encadré ci-dessous).

Les vertus multiples du passage à quatre jours : l’exemple de l’entreprise LDLC

L’entreprise lyonnaise LDLC, spécialisée dans la vente de matériels informatiques, a adopté la semaine de 32 heures sur quatre jours payés cinq jours. Les effets du passage à la semaine de quatre jours se sont avérés très positifs[29].

D’une part pour les salariés qui peuvent profiter de ce temps libre pour s’occuper de leurs enfants le mercredi. Pour cette mère seule de deux enfants, le passage à la semaine de quatre jours, en économisant des frais de garde, a été « un soulagement financier » et « des kilomètres en moins ». En retour « on donne plus », ajoute-t-elle.

Le passage à la semaine de quatre jours a également eu des effets bénéfiques sur l’entreprise elle-même qui est passée de 500 millions de chiffres d’affaires à 700 millions de chiffres d’affaires, le tout en passant à la semaine de quatre jours.

Le chef d’entreprise Laurent de la Clergerie témoigne : « on est devenu beaucoup plus efficace ! » Il ajoute que les accidents du travail et l’absentéisme ont été divisés par deux, et le turn-over divisé par quatre.

D) Le passage à la semaine de quatre jours au service du développement du lien social

De nombreux besoins essentiels, liés en particulier aux activités du lien social, sont aujourd’hui insuffisamment pris en charge par le marché du travail. Dans le même temps, la société française est traversée par une crise profonde du travail qui se manifeste chez les actifs, notamment les cadres, par une vague de démission sans précédent (plus de 500 000 salariés ont quitté leur poste au premier trimestre 2022)[30] comme chez les jeunes qui expriment une défiance croissante à l’égard du monde du travail. L’essor du mécénat de compétences apparaît aussi comme un signal faible qui témoigne d’une aspiration nouvelle du monde du travail à l’engagement social.

Dans ce contexte, la semaine de quatre jours constitue une manière nouvelle de soutenir des activités non marchandes d’utilité sociale. L’accompagnement au vieillissement de la population constitue à cet égard un enjeu crucial : 9,3 millions de personnes en France déclarent apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie en 2021[31] et 4 millions de personnes seront en situation de perte d’autonomie en 2050 selon l’INSEE. Alors que la réduction du temps de travail a permis, au 20e siècle, d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, le passage à la semaine de quatre jours pourrait contribuer demain à développer une société de l’engagement et du lien social.

E) Améliorer l’égalité femme — homme grâce à la semaine de quatre jours

Dans tous les pays occidentaux, le travail à temps partiel touche majoritairement les femmes. À cet égard, la France ne fait pas exception puisque 79,5 % de l’emploi à temps partiel est aujourd’hui féminin. Près de 30 % des femmes travaillent à temps partiel contre 8 % des hommes selon l’INSEE[32]. Ce travail à temps partiel féminin émane principalement des contraintes domestiques et de la garde d’enfants en particulier. Le passage à la semaine de quatre jours permettrait à cet égard une meilleure répartition des tâches entre les hommes et les femmes et une amélioration de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C’est à ce titre qu’en France le collectif « Pour une Parentalité Féministe » défend la réduction du temps de travail.

F) Les écueils du passage à la semaine de quatre jours à éviter : surintensification, érosion du lien social, droits à la déconnexion, freins culturels

L’étude 4DWG et les retours d’expérience font pour autant ressortir des difficultés de mise en œuvre de la semaine à quatre jours en matière de ressources humaines notamment. L’expérience montre qu’un tel aménagement du temps de travail ne s’improvise pas et c’est ce qui nous conduit à privilégier le dialogue social.

Un risque de surintensification du travail ne peut être écarté. C’est ce que soulève en France une enquête réalisée par Kantar Public[33] à l’automne 2022 : 60 % des salariés considèrent que leur charge de travail a augmenté au cours des cinq dernières années. Un quart (24 %) des salariés la jugent même « excessive ». Alors que les nouvelles organisations de travail remettent en question les horaires de travail et que la réduction du temps de travail a pu par le passé accentuer l’intensification du travail, le passage à la semaine de quatre jours doit s’accompagner d’engagements concrets des entreprises pour rendre effectif le « droit à la déconnexion » (cf proposition 2).

Plus largement, l’expérimentation menée par l’entreprise « Welcome to the Jungle »[34] souligne que la maturité de l’entreprise est également une question essentielle, la mise en place de la semaine à quatre jours devant être accompagnée par le management. Certaines entreprises ont souligné qu’un temps important a été nécessaire pour constituer une autre culture de travail. Ces difficultés ont été rencontrées de manière très explicite au Japon[35].

Les expériences menées en Europe mettent par ailleurs en évidence la nécessité d’une réflexion au sein des entreprises sur la présence au bureau des salariés dans le cadre de semaines à quatre jours. En matière de réunion comme de prise de congés, une attention plus importante doit être donnée à la concordance des agendas.[36] Plus largement, la coordination des collectifs de travail et de la préservation du lien social dans l’entreprise sont des sujets à considérer lors de cette transition : ainsi, l’entreprise LDLC a-t-elle, suite à la mise en place de la semaine de quatre jours, réduit la durée du télétravail à un jour par semaine.[37]

L’ensemble de ces écueils paraît surmontable par une phase d’expérimentation et la mise en place d’indicateurs internes pour évaluer l’incidence sur le bien-être des équipes, l’évolution des résultats de l’entreprise, la satisfaction des clients. Les salariés doivent être associés à ces nouvelles organisations de travail comme le montre l’exemple d’un des pionniers français, l’entreprise de recyclage Yprema.[38]

III) Les modalités de mise en œuvre : études de cas en Europe

Les pays ayant lancé la mise en œuvre des quatre jours sont désormais trop nombreux pour être recensés intégralement ici. Dans l’ensemble, deux modèles s’imposent, l’un avec réduction du temps de travail, l’autre sans réduction du temps de travail. Nous choisissons l’Islande et la Belgique pour les représenter.

A) Le cas islandais : un dispositif réussi de réduction du temps de travail

L’Islande a été précurseur dans la mise en place de la semaine de quatre jours en lançant une expérimentation dès 2015. À tel point qu’elle en a fait un élément d’image de marque dans le monde.

Le modèle islandais est une mise en place de la semaine de 35 heures ou 36 heures sur quatre jours, le temps de travail hebdomadaire antérieur étant de 40 heures. Le passage à la semaine de quatre jours s’est effectué à travers une expérimentation dans le secteur public uniquement, au sein de services de l’État islandais et de la ville de Reykjavik.

Bilan[39] : l’engouement médiatique autour de l’expérimentation a mis en avant le secteur public et montré sa capacité d’entraînement sur toute la société, même si les effets sur le secteur privé ne sont pas encore mesurés. Cette expérimentation dans la sphère publique a aussi mis en lumière l’importance d’adapter spécifiquement les services publics telle que les crèches, institutions sociales et hôpitaux à ce fonctionnement. D’après les syndicats islandais, l’étude est suffisamment importante (2500 personnes sur plusieurs années avec des types de métiers différents) pour pouvoir dire que la semaine de quatre jours est « possible pour tout le monde ».

B) Le cas belge : un réaménagement sans engouement

La Belgique a ouvert la possibilité par la loi en novembre 2022[40] d’une réorganisation du temps de travail sur quatre jours. Cette loi s’inscrit dans un plan d’ensemble intitulé « Deal pour l’emploi » qui prévoit d’autres dispositions en faveur de l’emploi.

La semaine de quatre jours belge s’effectue sans réduction du nombre d’heures, avec une semaine d’environ 38 heures, soit des journées de 9 h 30. La demande est faite individuellement par le salarié, par écrit.

Bilan[41] : L’engouement est moins fort qu’en Islande. La dimension individuelle de la démarche pour le salarié est sans doute un frein important et révèle qu’une mise en place collective est nécessaire. En outre, les modalités de refus de l’employeur semblent trop larges. La loi a également été mise en place dans la perspective d’une politique de l’emploi (objectif de 80 % de taux d’emploi en 2030), mais les résultats ne sont pas encore mesurés. Il semble que les journées de 9 h 30 soient trop longues pour être intéressantes pour les salariés, les employeurs doutant de leur capacité à faire le travail demandé à ce rythme. L’absence de grande expérimentation avec des entreprises volontaires est peut-être également un frein.

IV) Les scénarios possibles du passage à la semaine de quatre jours en France

En France, l’organisation du temps de travail et la définition de la durée du temps de travail sont désormais du ressort des accords d’entreprise dont les stipulations prévalent sur les accords de branche en la matière. La durée légale du travail, aujourd’hui de 35 heures par semaine, s’impose à toutes les entreprises, mais ne constitue ni une durée minimale ni une durée maximale, mais simplement un seuil de référence au-delà duquel s’applique le régime des heures supplémentaires. En France, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à temps complet est ainsi supérieure à la durée légale et s’élève à 39 heures en moyenne.

Dans ce cadre, les entreprises sont libres d’aménager le temps de travail de leurs salariés pour réduire la durée effective en deçà de 35 heures ou l’articuler autour de quatre jours par semaine. Quelques entreprises en France appliquent d’ailleurs aujourd’hui la semaine de quatre jours. La question qui prévaut donc à ce stade est celle de l’accompagnement et l’incitation des entreprises au passage à quatre jours par semaine.

Pour ce faire, plusieurs dispositifs pourraient être conçus pour inciter les entreprises à passer à la semaine quatre jours à raison de 32 heures par semaine ou à conserver le même temps de travail sur quatre jours au lieu de cinq. Le coût de ce réaménagement du temps de travail est réparti entre les entreprises et la puissance publique.

A) Un dispositif d’aide publique ou d’exonération sociale pour inciter les entreprises

Votée en 1996, la loi dite « Loi de Robien »[42] a introduit une incitation financière pour les entreprises à adopter une réduction collective du temps de travail. Cette loi prévoyait en effet un allègement de cotisations sociales patronales de 40 % la première année puis 30 % les six années suivantes pour les entreprises qui aménageaient une réduction collective de la durée du temps de travail d’au moins 10 %. Pour les entreprises dont la réduction collective de la durée du temps de travail était égale ou supérieure à 15 %, les allègements de cotisations sociales patronales s’élevaient à 50 % la première année puis 40 % les six années suivantes. On notera que l’exonération peut être remplacée par une aide directe, ce que fait l’Espagne dans son expérimentation. Les conseils régionaux pourraient également être parties prenantes du financement et de la mise en place de la semaine de quatre jours.

Le mécanisme incitatif introduit en 1996 qui avait fait le pari de la négociation collective a connu un rapide succès auprès des entreprises avant d’être supprimé par la deuxième loi Aubry[43]. En effet, après le nombre d’accords collectifs conclus dans les entreprises a connu une hausse historique (27 %) ; en particulier pour traiter de la question du temps de travail dont plus de la moitié des accords (51,4 %) portait sur ce thème devant la question des salaires[44]. En neuf mois, 920 accords ont été signés dans ce cadre[45]. Ce dispositif incitatif expérimenté a ainsi fait ses preuves et pourrait de ce fait inspirer de nouvelles expérimentations aujourd’hui pour nouer de nouveaux compromis sociaux dans les entreprises autour de l’aménagement du temps de travail sans grever le pouvoir d’achat de leurs salariés.

Proposition 1 : expérimenter un mécanisme incitatif pour accompagner le passage des entreprises à la semaine de 32 heures sur quatre jours hebdomadaires à salaire constant pour tous leurs salariés. Les entreprises pourraient ainsi bénéficier d’un allègement de cotisation sociale patronale de 15 % — ce qui équivaut à peu près à un allègement du coût salarial réel pour l’entreprise de 4,5 % pour une baisse du temps de travail de 8,57 %. Le coût de cet aménagement du temps de travail serait donc partagé à moitié entre l’employeur et la puissance publique. On pourra opter pour une aide publique équivalente.

Proposition 2 : expérimenter un mécanisme incitatif analogue et cumulable de réduction de 15 % des charges sociales patronales pour accompagner le passage à la semaine de quatre jours en contrepartie de mesures de réduction des trajets domicile-travail, formalisée dans le cadre d’un accord de mobilité durable. On pourra opter pour une aide publique équivalente.

B) Un engagement des entreprises en contrepartie pour garantir l’effectivité du passage à la semaine de quatre jours

Alors que la réduction de la durée légale du travail à 35 heures a été critiquée en ce qu’elle a pu générer une intensification du travail, le passage à la semaine de quatre jours doit respecter certaines contreparties pour ne pas s’effectuer pas au détriment du cadre de travail des salariés. Le passage à la semaine de quatre jours doit ainsi s’accompagner d’engagements des entreprises pour garantir la « déconnexion » des salariés en dehors des horaires et des jours de travail.

Introduis par la loi du 8 août 2016 dite « Loi Travail » et en vigueur depuis le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion souffre aujourd’hui d’un manque d’effectivité : 57 % des cadres considèrent que le droit à la déconnexion n’est pas correctement pris en compte[46]. Ce « droit à la déconnexion » dont le Code du travail ne définit pas les modalités d’exercice souffre sur le fond d’une limite importante : aucune obligation forte ne pèse sur les entreprises qui sont simplement tenues d’en discuter dans le cadre de la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail.

Proposition 3 : conditionner les exonérations sociales liées au passage à la semaine de quatre jours à la conclusion d’un accord d’entreprise sur le télétravail précisant les moyens concrets mis en œuvre par l’entreprise pour rendre le droit à la déconnexion effectif. Le passage à la semaine de quatre jours s’accompagnerait ainsi d’une obligation de moyens pour les entreprises qui devraient s’engager auprès de leur CSE sur une initiative a minima (blocage des e-mails en dehors des jours de travail, sensibilisation des managers sur le droit à la déconnexion, etc.).

C) Création d’un ministère du Temps libéré : l’opportunité d’une politique d’accompagnement de l’aménagement du temps de travail

En 1936, le Front populaire avait eu à cœur de développer une ambitieuse politique de l’accès aux loisirs sous l’impulsion de Léo Lagrange, Secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports, en parallèle de la semaine de 40 heures. En 1981, un ministère du Temps libre avait été créé également, plus éphémère et moins ambitieux (même si on lui doit par exemple l’agence nationale des chèques-vacances), accompagnant la retraite à 60 ans et la semaine de 39 heures. Cette préoccupation est moins présente dans le dispositif des lois Aubry sur les 35 heures[47].

Le temps libéré par la réduction ou le réaménagement du temps de travail pose, qu’on le veuille ou non, la question de ce qui est fait de ce temps libéré, oisif et donc par nature « subversif » comme le souligne le sociologue Jean-Yves Boulin[48]. On a d’ailleurs une idée de ce que les Français souhaiteraient faire s’ils avaient plus de temps. Les retours d’expérience sur la semaine de quatre jours (voir supra) démontrent que les salariés utilisent leur troisième jour de repos principalement pour leurs rendez-vous médicaux, des démarches administratives, s’occuper d’un membre de leur famille, prendre soin d’eux… Dans son dernier ouvrage, François Ruffin évoque que 73 % des Français utiliseraient ce temps en plus pour « leurs proches ». Viennent ensuite « la cuisine » ou « le jardinage ». La semaine de quatre jours est de ce point de vue par essence une politique du « care » et du lien[49].

Des mesures d’accompagnement pourront contribuer à créer les conditions qui permettront à ceux et celles qui le souhaitent d’utiliser ce temps libéré à des fins positives pour la société et la planète. De plus, la semaine de quatre jours est une formidable occasion de réinvestir les champs de l’éducation populaire et l’accès aux loisirs.

Proposition 4 : C’est pourquoi, nous proposons, dans le sillage du Front populaire et du ministère du Temps libre, la création d’un ministère du Temps libéré, chargé de fixer le cap en coordonnant les dispositifs d’accompagnement des salariés qui passent à la semaine de quatre jours, tels que par exemple, le revenu citoyen d’engagement écologique et social (voir dans cette note), ou encore des politiques d’accès à la culture et au sport, par exemple un élargissement du « pass Culture » et du « pass Sport » à l’ensemble des salariés qui passent aux quatre jours. Ce ministère pourra travailler en lien avec les Régions, dont nous pensons qu’elles sont l’échelle pertinente pour adapter ces dispositifs aux réalités territoriales. Plus généralement, la semaine des quatre jours est l’occasion de remettre en avant l’enjeu des politiques temporelles au niveau local.[50]

V) Synthèse de nos recommandations

  1. Proposer un dispositif expérimental sous la forme d’exonération ou d’aide publique directe des conseils régionaux représentant 15 % des cotisations patronales pour les entreprises adoptant la semaine de quatre jours à raison de 32 heures. Cette exonération ou aide publique pourrait également être conditionnée à un plafond de salaire afin de cibler en priorité les emplois à bas salaires dont les conditions de travail sont plus difficiles.
  2. Proposer une incitation cumulable avec la précédente sous la forme d’exonération ou d’aide publique directe des conseils régionaux représentant 15 % des cotisations patronales pour les entreprises qui sans réduire le temps de travail démontrent que leur passage à la semaine de quatre jours permet de réduire l’empreinte environnementale de leurs salariés, sans dégrader le bien-être au travail des salariés.
  3. Conditionner ces exonérations sociales ou aides publiques directes pour les entreprises adoptant la semaine de quatre jours à un engagement concret des entreprises sur le « droit à la déconnexion » pour garantir l’effectivité de la semaine de quatre jours.
  4. Créer un ministère du Temps libéré, chargé de coordonner, avec les conseils régionaux, les dispositifs d’accompagnement concernant le jour de travail libéré

[1] Le dispositif prévoit une semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail : https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/02/01/en-pleine-reforme-des-retraites-gabriel-attal-insiste-sur-le-rapport-au-travail-et-met-en-avant-la-semaine-de-quatre-jours-experimentee-a-l-urssaf_6160167_823448.html

[2] Ce terme a été utilisé notamment par le rapport du 19 décembre 2021 remis à la ministre du Travail (https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-2e-ligne.pdf)

[3] Loi du 22 mars 1841

[4] Décret du 2 mars 1848

[5] Loi du 30 mars 1900

[6] https://institut-rousseau.fr/recension-du-livre-de-francois-ruffin-le-temps-d-apprendre-a-vivre-la-bataille-des-retraites/

[7] https://culture-rh.com/semaine-4-jours-france/

[8] https://www.cgt.fr/sites/default/files/2021-11/La%20r%C3%A9duction%20du%20temps%20de%20travail%20dans%20le%20monde%20-%20une%20id%C3%A9e%20qui%20gagne%20du%20terrain.pdf

[9] https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/projet/propositions/le-pouvoir-de-travailler-digne/9-mettre-en-place-une-banque

[10] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5209_proposition-loi

[11] https://www.bfmtv.com/tech/intelligence-artificielle/pour-le-nobel-d-economie-2010-chat-gpt-pourrait-rendre-possible-la-semaine-de-quatre-jours_AV-202304050472.html

[12] https://www.jean-jaures.org/publication/grosse-fatigue-et-epidemie-de-flemme-quand-une-partie-des-francais-a-mis-les-pouces/

[13] https://www.jean-jaures.org/publication/je-taime-moi-non-plus-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail/

[14] https://www.csematin.com/dialogue-social/syndicats/debat-cfdt-pour-parler-retraites-parlons-d-abord-du-travail.html

[15] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/les-jeunes-sont-ils-devenus-paresseux-3885159

[16] https://cluster17.com/sondage-pour-le-point-2-francais-sur-3-prets-a-passer-a-la-semaine-de-4-jours/

[17] https://legrandcontinent.eu/fr/2022/02/17/constituer-une-culture-commune-en-temps-de-crise-une-conversation-avec-pierre-charbonnier/

[18] https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-2e-ligne.pdf

[19] Conducteurs de véhicules ; agents d’entretien ; caissiers, employés de libre-service ; ouvriers qualifiés de la manutention ; ouvriers qualifiés du second œuvre du bâtiment ; ouvriers non qualifiés de la manutention ; aides à domicile et aides ménagères ; agents de gardiennage et de sécurité ; ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment ; vendeurs en produits alimentaires ; bouchers, charcutiers, boulangers ; maraîchers, jardiniers, viticulteurs ; ouvriers qualifiés des travaux publics, du béton et de l’extraction ; agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons ; ouvriers non qualifiés du gros œuvre du bâtiment, des travaux publics, du béton et de l’extraction ; ouvriers non qualifiés du second œuvre du bâtiment ; ouvriers non qualifiés des industries agroalimentaires

[20] https://www.bfmtv.com/auto/les-francais-passent-une-semaine-par-an-a-se-rendre-au-travail_AN-201801170026.html

[21] https://www.4dayweek.com/

[22] https://futureforum.com/wp-content/uploads/2022/10/Future-Forum-Pulse-Report-Fall-2022.pdf

[23] Alain Supiot, La gouvernance par les nombres (2015).

[24] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/sante-au-travail/accidents-du-travail-la-france-plus-mauvais-eleve-europeen_5671928.html

[25] https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/transports/trajet-domicile-travail-la-voiture-de-plus-en-plus-utilisee-sauf-en-region-parisienne_AV-202112030019.html#:~:text=Selon%20le%20dernier%20%22Barom%C3%A8tre*%20Mobilit%C3%A9,le%20cadre%20de%20ces%20trajets.

[26] https://6a142ff6-85bd-4a7b-bb3b-476b07b8f08d.usrfiles.com/ugd/6a142f_5061c06b240e4776bf31dfac2543746b.pdf

[27] https://www.bfmtv.com/auto/les-francais-passent-une-semaine-par-an-a-se-rendre-au-travail_AN-201801170026.html

[28] https://solutions.welcometothejungle.com/ressources/semaine-quatre-jours-etude-welcome-to-the-jungle

[29] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/semaine-de-4-jours-travailler-moins-et-travailler-mieux-7639784

[30] https://www.radiofrance.fr/franceinter/record-de-demissions-au-premier-trimestre-2022-vers-une-grande-demission-a-la-francaise-3673706

[31] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/ER1255MAJ1002.pdf

[32] Temps partiel — Emploi, chômage, revenu du travail (INSEE)

[33] Kantar Public, Le travail au XXIe siècle (2022)

[34] https://solutions.welcometothejungle.com/ressources/semaine-quatre-jours-etude-welcome-to-the-jungle

[35] https://www.courrierinternational.com/article/travail-au-japon-la-semaine-de-quatre-jours-peine-a-s-imposer#:~:text=Le%20gouvernement%20tente%20tr%C3%A8s%20officiellement,loin%20de%20faire%20l’unanimit%C3%A9.&text=Publi%C3%A9%20le%2012%20mai%202022%20%C3%A0%2015h01%20Lecture%201%20min.

[36] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/06/la-semaine-de-quatre-jours-pour-travailler-plus_6140351_3232.html

[37] https://rmc.bfmtv.com/actualites/economie/travail/semaine-de-quatre-jours-quels-sont-les-avantages-et-inconvenients_AV-202302020250.html

[38] https://www.glassdoor.fr/blog/semaine-de-4-jours/

[39] https://autonomy.work/wp-content/uploads/2021/06/ICELAND_4DW.pdf

[40] Loi du 3 octobre 2022 « deal pour l’emploi

[41] https://www.lecho.be/monargent/analyse/travail/passer-a-la-semaine-de-quatre-jours-mode-d-emploi/10418973.html

[42] Loi du 11 juin 1996 tendant à favoriser l’emploi par l’aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail

[43] Loi no 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail

[44] https://www.lesechos.fr/1998/06/la-loi-robien-a-fortement-dope-la-negociation-dentreprise-lannee-derniere-794087#:~:text=Amplifiant%20la%20tendance%20de%20ces,3%2C2%20millions%20de%20salari%C3%A9s.

[45] https://www.liberation.fr/futurs/1997/08/28/le-chiffre-920-accords-robien_211927/

[46] Les cadres et l’hyper-connexion — Vague 2 », enquête IFOP, juillet 2017

[47]https://www.jean-jaures.org/publication/une-politique-du-temps-libre-1981-1983/

[48] https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/temps-de-travail-politique-campagne-presidentielle

[49] Pour une définition du care et d’autres pistes sur ce sujet voir la dernière note de l’Institut Rousseau sur le sujet : https://institut-rousseau.fr/revaloriser-les-metiers-du-lien-apres-la-crise-un-enjeu-social-economique-politique/

[50] Voir Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées Luc Gwiazdzinski, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

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