Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Renforcer l’intégration avec une loi « SRU de l’école »

[summary-3]

Renforcer l’intégration avec une loi « SRU de l’école »

Accueil > Renforcer l’intégration avec une loi « SRU de l’école »

Renforcer l’intégration avec une loi « SRU de l’école »

Auteurs

Depuis la fin des années 90, une partie des représentants politiques français, emmenés par l’extrême-droite, brandissent la double menace d’un tsunami migratoire et d’un fossé culturel freinant l’intégration des populations nouvellement arrivées. Occultant l’intégration des migrants comme fait majeur, ce refrain stigmatisant attribue l’érosion de la cohésion sociale et nationale à la seule responsabilité individuelle des personnes migrantes ou de leurs descendants. Par-là, elle se détourne d’enjeux traversant toute la société française, tels que la cohésion et la mixité entre les différentes catégories sociales. Notre proposition de loi « SRU de l’école » renoue avec une ambition d’égalité et de solidarité dépassant largement le débat sur l’immigration.


La société française n’est pas « submergée » par l’immigration ni au bord de la guerre civile.

Tout d’abord, rappelons que l’immigration est un phénomène pluriséculaire en France. Il a connu des périodes de hausse et de diminution. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a néanmoins connu une hausse régulière de l’immigration. En 2023, 10,7 % de la population résidant en France était immigrée contre 5 % en 1946[1]. L’origine géographique des pays d’émigration a également fortement évolué, en passant d’une immigration d’origine principalement européenne — en 1954, 60 % des immigrés sont originaires d’Espagne, de Pologne ou d’Italie[2] — à une immigration principalement d’origine extra européenne. D’après les estimations de l’Insee, en 2019, sur les 272 000 nouveaux arrivants sur le territoire français, 41 % sont issus de pays africains contre 32 % de pays européens[3]. De même la religion, sur la part des immigrés qui disent avoir une religion (78 %), 55 % sont musulmans — soit environ 40 % des personnes immigrées au total[4]. Nous sommes donc loin d’une immigration exclusivement africaine et musulmane, telle que martelée par un pan du spectre politique ! De plus, contrairement au discours dominant, l’intégration des immigrés et de leurs descendants reste le processus majoritaire : à titre d’exemple, 66 % des descendants d’immigrés vivent avec un conjoint sans ascendance migratoire directe[5] et les descendants d’immigrés sont même plus nombreux à déclarer « se sentir chez eux en France » que les personnes sans ascendance migratoire (95 % contre 93 %)[6].


Si les immigrés sont donc loin d’être réfractaires à l’intégration, le modèle d’intégration français est en crise.
Depuis la fin du XIXe siècle, ce modèle d’intégration repose sur cinq piliers[7] : l’acquisition de la nationalité française de laquelle dépendaient initialement l’accès aux droits sociaux, l’apprentissage de la langue française, l’école laïque et obligatoire, le service militaire et le travail. Force est de constater que ces piliers s’effritent parallèlement à l’affaiblissement des services publics et à la disparition du plein emploi. Le double processus d’intégration décrit par Durkheim, soit une démarche individuelle d’intégration et une capacité intégratrice de la société française, est mis à mal par la dégradation de la deuxième. En conséquence : une faillite de l’intégration comme « processus par lequel une société parvient à s’attacher à ses individus, les constituant en membres solidaires d’une collectivité unifiée[8] ». Dans un contexte d’inégalités sociales grandissantes, les catégories sociales les plus aisées font sécession de la solidarité nationale. Le cas du logement et de la ségrégation spatiale au sein des grandes métropoles est particulièrement emblématique, à l’image de Paris intramuros, où la part des cadres et professions intellectuelles est passée de 24,7 % de la population parisienne en 1982 à 46,4 % en 2013. En parallèle, les immigrés sont surreprésentés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : 23 % d’entre eux y résident, contre 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans[9].


S’ajoutent aux stratégies résidentielles, des stratégies d’évitement scolaires.
S’il ne faut pas fantasmer le modèle de la IIIe République qui aurait permis de faire de l’école un véritable espace de mixité[10], force est de constater que la ségrégation scolaire s’aggrave tendanciellement avec un contournement de la carte scolaire croissant via le recours à l’enseignement privé. Par exemple, en 2000, pour le second degré, 26,4 % des effectifs du privé sous-contrat venaient de milieux très favorisés contre un peu plus de 40 % en 2021. La part des élèves défavorisés est, elle, passée de 25 % en 2000 contre 16 % en 2021, alors que dans le secteur public la part d’élèves issus de milieux défavorisés ne baisse que de 40 % à 37 % sur la période[11]. La concentration d’élèves issus de milieux sociaux similaires au sein des mêmes établissements pose un véritable problème pour le système éducatif en raison d’un « effet de pairs » largement étayé par la littérature scientifique : les performances scolaires d’un élève ne dépendent pas uniquement de ses efforts individuels, mais aussi du niveau et des efforts fournis par les autres élèves, ces variables étant fortement corrélées avec l’origine sociale. La ségrégation scolaire a donc, pour effet, non seulement de figer les inégalités de départ, mais surtout de les augmenter. L’école devient donc contre-productive en matière d’ascension sociale ! Par ailleurs, en ne jouant pas son rôle de brassage, l’école ne peut remplir son objectif d’intégration sociale et culturelle et d’inculcation de valeurs communes nécessaires à l’essor d’un sentiment d’appartenance commun. Or notre contrat social requiert un minimum de sentiment d’interressemblance entre les différents groupes sociaux.


Les politiques menées jusqu’alors n’ont pas suffisamment investi le champ de la mixité sociale et n’ont pas traité avec efficacité l’enjeu de la ségrégation scolaire.
Concernant la politique de la ville, au-delà des moyens alloués qui sont certainement encore insuffisants, la philosophie de cette politique ne constitue pas le levier le plus efficace de mixité sociale. En effet, au-delà de renforcer l’attractivité de ces quartiers pour d’autres catégories sociales moins défavorisées, il est fondamental de prendre le sujet dans l’autre sens, en faisant contribuer davantage les quartiers aisés aux objectifs de mixité sociale. Sur ce point, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 a introduit un objectif minimum de logements sociaux par commune, aujourd’hui de 20 à 25 % des logements. Mais 64 % des communes concernées ne respectent pas la loi SRU[12] et préfèrent payer l’amende qui s’applique en cas de non-respect des objectifs de loi. De même, la construction de logements sociaux ne garantit pas qu’ils ciblent les ménages les plus précaires : par exemple, il est courant que les communes aisées évitent de construire des logements (« en PLAI ») attribués aux locataires en situation de grande précarité. Concernant la mixité scolaire, l’action politique s’est concentrée depuis les années 2000 sur l’assouplissement de la carte scolaire pour éviter que l’école ne reproduise le schéma de ségrégation socio-spatiale. En parallèle, les politiques des réseaux REP et REP+ visent à donner davantage de moyens aux établissements qui font face aux enjeux scolaires les plus difficiles, tout en essayant de renforcer leur attractivité pour conserver les élèves issus des milieux les moins défavorisés. Néanmoins, ces mesures ne relèvent que de l’incitation et sans règlementation véritablement contraignante, il semble impossible d’éviter les stratégies individuelles de contournement scolaires.


La mise en place d’une loi « SRU de l’école » doit donc devenir l’objectif prioritaire de notre politique d’intégration en mettant l’accent sur la mixité scolaire.
L’école est bien la clef de voûte du modèle d’intégration français, dont le rôle en matière de cohésion sociale s’est fortement érodé. Il faut refaire de l’école un espace de mixité et d’égalité des chances pour limiter le processus de cloisonnement et de reproduction sociale. Dans la continuité du plan pour la mixité à l’école annoncé par le ministre Pap Ndiaye en mai 2023[13], nous proposons une loi « SRU de l’école » qui fixerait des objectifs contraignants de mixité sociale s’appliquant à chaque établissement scolaire public et privé sous contrat. Cet objectif pourrait être exprimé soit comme un taux maximum et minimum de boursiers à respecter, en veillant à la bonne répartition des différents échelons de bourse, ou bien un indice de position sociale[14] (IPS) cible. Plusieurs outils pourraient ensuite être mobilisés pour favoriser une convergence sociale des établissements comme un mécanisme incitatif de « bonus-malus » pour assurer le respect des cibles de mixité pour les établissements privés sous contrat : les établissements qui respectent leurs objectifs bénéficieraient d’une bonification de la dotation de l’État, et une minoration dans le cas inverse. De même, les établissements privés sous contrat seraient incités à proposer une contribution sociale modulée en fonction des ressources des familles afin d’assurer l’accessibilité de l’enseignement privé aux familles les plus modestes. L’implantation géographique des établissements scolaires pourrait aussi être revue, en s’appuyant sur l’expérimentation qui a été menée dans la Haute-Garonne dès 2017[15] : en attendant leur reconstruction dans des zones plus mixtes socialement, deux collèges du quartier en politique de la ville du Mirail à Toulouse ont été progressivement fermés et ses élèves répartis dans des collèges alentour moins défavorisés, avec des résultats positifs sur la trajectoire scolaire des élèves concernés, sans dégradation de celles des élèves des lycées d’accueil.


Du point de vue de la gouvernance,
des comités de concertation pour la mixité sociale seraient créés. Présidés par le recteur ou la rectrice de l’Académie, ils comprendraient des représentants des établissements scolaires publics et privés sous contrat, des élus locaux et des parents d’élèves. L’objectif de ces comités serait de décliner sur le plan opérationnel les objectifs de la loi « SRU de l’école » et déployer les actions pertinentes, y compris dans d’autres domaines (politique du logement et de transport). Les retours d’expérience de la Haute-Garonne indiquent que la concertation doit être réelle pour assurer l’adhésion des parties impliquées.


Les arguments en faveur de cette loi ne manquent pas.  

La loi « SRU de l’école » ne créerait pas de concurrence entre les publics, mais œuvrerait en faveur de la mobilité sociale de l’ensemble des classes populaires.

Les projets de mixité sociale à l’école ont révélé des résultats au total positifs sur la réussite scolaire et au-delà : réduction des stéréotypes raciaux et sociaux et amélioration de l’insertion professionnelle notamment[16].

Un projet de rétablissement de la mixité scolaire à partir de collèges de QPV a déjà été expérimenté avec succès en citant l’exemple du quartier du Mirail à Toulouse.

Enfin, le coût budgétaire d’une telle politique publique est limité : l’application des objectifs de mixité sociale et le dispositif de « bonus-malus » seraient neutres budgétairement, les seules dépenses supplémentaires financeraient les dispositifs d’accompagnement supplémentaires à destination des élèves issus des milieux les plus défavorisés (transport, logement, aide aux devoirs et tutorat, etc.).

 

[1] L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers, Insee, 2025

[2] Intégration des enfants d’immigrés : échecs criants, succès silencieux, rapport d’Hakim El Karoui, octobre 2023

[3] Immigrés et descendants d’immigrés en France, Insee Références, 2023. Chiffres disponibles ici : Flux migratoires en France et dans les pays européens − Immigrés et descendants d’immigrés, Insee. La proportion est stable en 2021.

[4] Affiliations et pratiques religieuses − Immigrés et descendants d’immigrés, Insee, 2023

[5] Enquête Trajectoires et Origines de l’INED et l’Insee (La diversité des origines et la mixité des unions progressent au fil des générations, Insee Première, 1910).

[6] Immigrés et descendants d’immigrés en France, Insee Références, 2023

[7] Bernardot Marie-José, Étrangers, immigrés : repenser l’intégration, Presses de l’EHESP, 2019

[8] Durkheim Émile, De la division du travail social, 1893

[9] Op.cit Immigrés et descendants d’immigrés, Insee, 2023

[10] Un système dual persiste en France jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale avec des écoles primaires, qui scolarisent la quasi-totalité de la population française, et un enseignement de secondaire, qui commence entre 11 et 13 ans, réservé, de fait, aux élèves issus des familles de notables.

[11] L’enseignement privé sous contrat, Cour des comptes, juin 2023

[12] SRU 2020-2022 : un bilan décevant, Fondation pour le Logement, 2024

[13] Mobilisation en faveur de la mixité sociale et scolaire dans l’enseignement, Dossier de presse du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse,  mai 2023

[14] L’IPS est l’indicateur mis en place par l’Éducation nationale depuis 2016 pour appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents

[15] La mixité sociale dans les collèges pour favoriser la réussite de tous les élèves : le plan réussi de la Haute-Garonne, Marine Calazel et Iannis Roder, Fondation Jean Jaurès, 2023

[16] Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets, Charousset P., Monnet M., Souidi Y., Institut des Politiques Publiques, Note n°97, novembre 2023

Publié le 4 juillet 2025

Renforcer l’intégration avec une loi « SRU de l’école »

Auteurs

Emilie Fabre
Diplômée de Sciences Po et de l'ENA, Emilie est haute fonctionnaire au ministère de l'économie et des finances.

Depuis la fin des années 90, une partie des représentants politiques français, emmenés par l’extrême-droite, brandissent la double menace d’un tsunami migratoire et d’un fossé culturel freinant l’intégration des populations nouvellement arrivées. Occultant l’intégration des migrants comme fait majeur, ce refrain stigmatisant attribue l’érosion de la cohésion sociale et nationale à la seule responsabilité individuelle des personnes migrantes ou de leurs descendants. Par-là, elle se détourne d’enjeux traversant toute la société française, tels que la cohésion et la mixité entre les différentes catégories sociales. Notre proposition de loi « SRU de l’école » renoue avec une ambition d’égalité et de solidarité dépassant largement le débat sur l’immigration.


La société française n’est pas « submergée » par l’immigration ni au bord de la guerre civile.

Tout d’abord, rappelons que l’immigration est un phénomène pluriséculaire en France. Il a connu des périodes de hausse et de diminution. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a néanmoins connu une hausse régulière de l’immigration. En 2023, 10,7 % de la population résidant en France était immigrée contre 5 % en 1946[1]. L’origine géographique des pays d’émigration a également fortement évolué, en passant d’une immigration d’origine principalement européenne — en 1954, 60 % des immigrés sont originaires d’Espagne, de Pologne ou d’Italie[2] — à une immigration principalement d’origine extra européenne. D’après les estimations de l’Insee, en 2019, sur les 272 000 nouveaux arrivants sur le territoire français, 41 % sont issus de pays africains contre 32 % de pays européens[3]. De même la religion, sur la part des immigrés qui disent avoir une religion (78 %), 55 % sont musulmans — soit environ 40 % des personnes immigrées au total[4]. Nous sommes donc loin d’une immigration exclusivement africaine et musulmane, telle que martelée par un pan du spectre politique ! De plus, contrairement au discours dominant, l’intégration des immigrés et de leurs descendants reste le processus majoritaire : à titre d’exemple, 66 % des descendants d’immigrés vivent avec un conjoint sans ascendance migratoire directe[5] et les descendants d’immigrés sont même plus nombreux à déclarer « se sentir chez eux en France » que les personnes sans ascendance migratoire (95 % contre 93 %)[6].


Si les immigrés sont donc loin d’être réfractaires à l’intégration, le modèle d’intégration français est en crise.
Depuis la fin du XIXe siècle, ce modèle d’intégration repose sur cinq piliers[7] : l’acquisition de la nationalité française de laquelle dépendaient initialement l’accès aux droits sociaux, l’apprentissage de la langue française, l’école laïque et obligatoire, le service militaire et le travail. Force est de constater que ces piliers s’effritent parallèlement à l’affaiblissement des services publics et à la disparition du plein emploi. Le double processus d’intégration décrit par Durkheim, soit une démarche individuelle d’intégration et une capacité intégratrice de la société française, est mis à mal par la dégradation de la deuxième. En conséquence : une faillite de l’intégration comme « processus par lequel une société parvient à s’attacher à ses individus, les constituant en membres solidaires d’une collectivité unifiée[8] ». Dans un contexte d’inégalités sociales grandissantes, les catégories sociales les plus aisées font sécession de la solidarité nationale. Le cas du logement et de la ségrégation spatiale au sein des grandes métropoles est particulièrement emblématique, à l’image de Paris intramuros, où la part des cadres et professions intellectuelles est passée de 24,7 % de la population parisienne en 1982 à 46,4 % en 2013. En parallèle, les immigrés sont surreprésentés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : 23 % d’entre eux y résident, contre 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans[9].


S’ajoutent aux stratégies résidentielles, des stratégies d’évitement scolaires.
S’il ne faut pas fantasmer le modèle de la IIIe République qui aurait permis de faire de l’école un véritable espace de mixité[10], force est de constater que la ségrégation scolaire s’aggrave tendanciellement avec un contournement de la carte scolaire croissant via le recours à l’enseignement privé. Par exemple, en 2000, pour le second degré, 26,4 % des effectifs du privé sous-contrat venaient de milieux très favorisés contre un peu plus de 40 % en 2021. La part des élèves défavorisés est, elle, passée de 25 % en 2000 contre 16 % en 2021, alors que dans le secteur public la part d’élèves issus de milieux défavorisés ne baisse que de 40 % à 37 % sur la période[11]. La concentration d’élèves issus de milieux sociaux similaires au sein des mêmes établissements pose un véritable problème pour le système éducatif en raison d’un « effet de pairs » largement étayé par la littérature scientifique : les performances scolaires d’un élève ne dépendent pas uniquement de ses efforts individuels, mais aussi du niveau et des efforts fournis par les autres élèves, ces variables étant fortement corrélées avec l’origine sociale. La ségrégation scolaire a donc, pour effet, non seulement de figer les inégalités de départ, mais surtout de les augmenter. L’école devient donc contre-productive en matière d’ascension sociale ! Par ailleurs, en ne jouant pas son rôle de brassage, l’école ne peut remplir son objectif d’intégration sociale et culturelle et d’inculcation de valeurs communes nécessaires à l’essor d’un sentiment d’appartenance commun. Or notre contrat social requiert un minimum de sentiment d’interressemblance entre les différents groupes sociaux.


Les politiques menées jusqu’alors n’ont pas suffisamment investi le champ de la mixité sociale et n’ont pas traité avec efficacité l’enjeu de la ségrégation scolaire.
Concernant la politique de la ville, au-delà des moyens alloués qui sont certainement encore insuffisants, la philosophie de cette politique ne constitue pas le levier le plus efficace de mixité sociale. En effet, au-delà de renforcer l’attractivité de ces quartiers pour d’autres catégories sociales moins défavorisées, il est fondamental de prendre le sujet dans l’autre sens, en faisant contribuer davantage les quartiers aisés aux objectifs de mixité sociale. Sur ce point, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 a introduit un objectif minimum de logements sociaux par commune, aujourd’hui de 20 à 25 % des logements. Mais 64 % des communes concernées ne respectent pas la loi SRU[12] et préfèrent payer l’amende qui s’applique en cas de non-respect des objectifs de loi. De même, la construction de logements sociaux ne garantit pas qu’ils ciblent les ménages les plus précaires : par exemple, il est courant que les communes aisées évitent de construire des logements (« en PLAI ») attribués aux locataires en situation de grande précarité. Concernant la mixité scolaire, l’action politique s’est concentrée depuis les années 2000 sur l’assouplissement de la carte scolaire pour éviter que l’école ne reproduise le schéma de ségrégation socio-spatiale. En parallèle, les politiques des réseaux REP et REP+ visent à donner davantage de moyens aux établissements qui font face aux enjeux scolaires les plus difficiles, tout en essayant de renforcer leur attractivité pour conserver les élèves issus des milieux les moins défavorisés. Néanmoins, ces mesures ne relèvent que de l’incitation et sans règlementation véritablement contraignante, il semble impossible d’éviter les stratégies individuelles de contournement scolaires.


La mise en place d’une loi « SRU de l’école » doit donc devenir l’objectif prioritaire de notre politique d’intégration en mettant l’accent sur la mixité scolaire.
L’école est bien la clef de voûte du modèle d’intégration français, dont le rôle en matière de cohésion sociale s’est fortement érodé. Il faut refaire de l’école un espace de mixité et d’égalité des chances pour limiter le processus de cloisonnement et de reproduction sociale. Dans la continuité du plan pour la mixité à l’école annoncé par le ministre Pap Ndiaye en mai 2023[13], nous proposons une loi « SRU de l’école » qui fixerait des objectifs contraignants de mixité sociale s’appliquant à chaque établissement scolaire public et privé sous contrat. Cet objectif pourrait être exprimé soit comme un taux maximum et minimum de boursiers à respecter, en veillant à la bonne répartition des différents échelons de bourse, ou bien un indice de position sociale[14] (IPS) cible. Plusieurs outils pourraient ensuite être mobilisés pour favoriser une convergence sociale des établissements comme un mécanisme incitatif de « bonus-malus » pour assurer le respect des cibles de mixité pour les établissements privés sous contrat : les établissements qui respectent leurs objectifs bénéficieraient d’une bonification de la dotation de l’État, et une minoration dans le cas inverse. De même, les établissements privés sous contrat seraient incités à proposer une contribution sociale modulée en fonction des ressources des familles afin d’assurer l’accessibilité de l’enseignement privé aux familles les plus modestes. L’implantation géographique des établissements scolaires pourrait aussi être revue, en s’appuyant sur l’expérimentation qui a été menée dans la Haute-Garonne dès 2017[15] : en attendant leur reconstruction dans des zones plus mixtes socialement, deux collèges du quartier en politique de la ville du Mirail à Toulouse ont été progressivement fermés et ses élèves répartis dans des collèges alentour moins défavorisés, avec des résultats positifs sur la trajectoire scolaire des élèves concernés, sans dégradation de celles des élèves des lycées d’accueil.


Du point de vue de la gouvernance,
des comités de concertation pour la mixité sociale seraient créés. Présidés par le recteur ou la rectrice de l’Académie, ils comprendraient des représentants des établissements scolaires publics et privés sous contrat, des élus locaux et des parents d’élèves. L’objectif de ces comités serait de décliner sur le plan opérationnel les objectifs de la loi « SRU de l’école » et déployer les actions pertinentes, y compris dans d’autres domaines (politique du logement et de transport). Les retours d’expérience de la Haute-Garonne indiquent que la concertation doit être réelle pour assurer l’adhésion des parties impliquées.


Les arguments en faveur de cette loi ne manquent pas.  

La loi « SRU de l’école » ne créerait pas de concurrence entre les publics, mais œuvrerait en faveur de la mobilité sociale de l’ensemble des classes populaires.

Les projets de mixité sociale à l’école ont révélé des résultats au total positifs sur la réussite scolaire et au-delà : réduction des stéréotypes raciaux et sociaux et amélioration de l’insertion professionnelle notamment[16].

Un projet de rétablissement de la mixité scolaire à partir de collèges de QPV a déjà été expérimenté avec succès en citant l’exemple du quartier du Mirail à Toulouse.

Enfin, le coût budgétaire d’une telle politique publique est limité : l’application des objectifs de mixité sociale et le dispositif de « bonus-malus » seraient neutres budgétairement, les seules dépenses supplémentaires financeraient les dispositifs d’accompagnement supplémentaires à destination des élèves issus des milieux les plus défavorisés (transport, logement, aide aux devoirs et tutorat, etc.).

 

[1] L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers, Insee, 2025

[2] Intégration des enfants d’immigrés : échecs criants, succès silencieux, rapport d’Hakim El Karoui, octobre 2023

[3] Immigrés et descendants d’immigrés en France, Insee Références, 2023. Chiffres disponibles ici : Flux migratoires en France et dans les pays européens − Immigrés et descendants d’immigrés, Insee. La proportion est stable en 2021.

[4] Affiliations et pratiques religieuses − Immigrés et descendants d’immigrés, Insee, 2023

[5] Enquête Trajectoires et Origines de l’INED et l’Insee (La diversité des origines et la mixité des unions progressent au fil des générations, Insee Première, 1910).

[6] Immigrés et descendants d’immigrés en France, Insee Références, 2023

[7] Bernardot Marie-José, Étrangers, immigrés : repenser l’intégration, Presses de l’EHESP, 2019

[8] Durkheim Émile, De la division du travail social, 1893

[9] Op.cit Immigrés et descendants d’immigrés, Insee, 2023

[10] Un système dual persiste en France jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale avec des écoles primaires, qui scolarisent la quasi-totalité de la population française, et un enseignement de secondaire, qui commence entre 11 et 13 ans, réservé, de fait, aux élèves issus des familles de notables.

[11] L’enseignement privé sous contrat, Cour des comptes, juin 2023

[12] SRU 2020-2022 : un bilan décevant, Fondation pour le Logement, 2024

[13] Mobilisation en faveur de la mixité sociale et scolaire dans l’enseignement, Dossier de presse du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse,  mai 2023

[14] L’IPS est l’indicateur mis en place par l’Éducation nationale depuis 2016 pour appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents

[15] La mixité sociale dans les collèges pour favoriser la réussite de tous les élèves : le plan réussi de la Haute-Garonne, Marine Calazel et Iannis Roder, Fondation Jean Jaurès, 2023

[16] Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets, Charousset P., Monnet M., Souidi Y., Institut des Politiques Publiques, Note n°97, novembre 2023

    Partager

    EmailFacebookTwitterLinkedInTelegram

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    [sibwp_form id=4]

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    [sibwp_form id=4]