En pleine crise sanitaire, la relocalisation des chaînes de production stratégiques semble bénéficier d’une quasi unanimité politique. Il convient de lier les volontés d’indépendance à celles de durabilité et de saisir cette opportunité pour bâtir simultanément un tissu industriel répondant aux exigences de la reconstruction écologique. À ce titre, le concept d’économie circulaire devrait être d’une grande actualité, il est dans les faits relativement absent des déclarations publiques et des débats.
L’économie circulaire est entendue comme le contraire de l’économie dite linéaire qui fonctionne en silo sur le modèle « extraire-produire-consommer-jeter ». Trop longtemps résumée à l’amélioration et la généralisation du recyclage, l’économie circulaire est de plus en plus comprise comme un modèle propre, un nouveau paradigme, intégrant une circulation, une réutilisation et une traçabilité des matériaux entre différentes chaînes de production, une consommation optimisée des matériaux ainsi que de nouveaux usages.
Récemment, cette thématique avait réussi, enfin, à se hisser au rang des transitions écologiques considérées par les acteurs institutionnels, notamment à l’échelle européenne et nationale. En décembre 2019, la Commission européenne, dans son Pacte vert pour l’Europe, avait décrit le volet « industrie durable » comme « une nouvelle politique industrielle fondée sur l’économie circulaire », notamment pour le ciment et l’acier. Une loi sur l’économie circulaire a également été adoptée en France en janvier. Bien qu’insuffisante tant sur le volet propositionnel que dans les moyens accordés à ces transformations, cette évolution sémantique démontre au moins une meilleure compréhension de la notion d’économie circulaire comme système d’ensemble.
Il ne faut pas s’arrêter là, encore moins abandonner cette ambition sous couvert de relance économique d’urgence, et proposer une définition ambitieuse de l’économie circulaire qui pourrait s’intégrer à une stratégie de relocalisation des filières industrielles.
Réaffirmons d’abord l’importance de l’économie circulaire dans l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre, parallèlement à une transition énergétique vers des énergies « propres » bien plus au centre de l’attention. Selon la fondation Ellen Mac Arthur, fondation anglaise spécialisée dans l’économie circulaire, la transition énergétique ne permet de traiter que 55 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales ; le reste des émissions provient directement des procédés industriels (industrie chimique, sidérurgie, industrie textile etc.) et de l’agriculture (élevage notamment), qui doivent eux aussi être transformés.
Un autre aspect également souvent oublié : les énergies renouvelables indispensables à la transition énergétique sont très gourmandes en matières premières. À titre d’exemple une éolienne de 3MW (150 mètres de haut) nécessite 335 tonnes d’acier, 1200 tonnes de bétons, 3 tonnes d’aluminium, 4,7 tonnes de cuivre. L’extraction de l’aluminium ou du cuivre est très polluante et de plus en plus difficile du fait de l’appauvrissement des sols en minerais. Pour le cuivre par exemple, la concentration moyenne du minerai de cuivre était de 1,8 % en 1930, elle est aujourd’hui de 0,5 %. L’économie circulaire, en limitant la consommation d’énergie et le besoin d’extraction, peut apporter des éléments de réponse à ce paradoxe écologique. Le recyclage du cuivre nécessite 85 % moins d’énergie que la production primaire (ISCG). À ce titre, l’intérêt de l’économie circulaire pour répondre au défi climatique semble clair ; mais surtout, elle apporte des solutions au regard des autres « limites planétaires » définies par Johan Rockström. En limitant l’extraction et l’utilisation de matériaux vierges, elle diminue la pression sur l’ensemble des ressources naturelles et préserve les écosystèmes.
Une démarche d’économie circulaire classique, telle que nous la pensons aujourd’hui, se conçoit selon les étapes de l’économie linéaire mais instaure, pour chacune d’entre elles, de bonnes pratiques et des innovations. Au sein du processus de production, les transformations pour plus de circularité sont tant intra-sectorielles (ecodesign, réduction d’emballage, augmentation de la durée de vie du produit) qu’intersectorielles (symbiose industrielle, échanges interbranches, réflexions sur la notion de déchets industriels, traçabilité des matériaux). Concernant l’usage et les habitudes de consommation, la réduction de « l’obsolescence psychologique », des effets de mode, des tendances est permise par un certain nombre de nouveaux usages. En dernier recours le recyclage et le traitement des déchets doivent encore, en Europe, faire l’objet d’investissements conséquents en matière d’infrastructures.
Cette conception en trois temps nous permet de mesurer l’étendue des progrès à réaliser par rapport à la situation actuelle, mais elle reste, dans son objectif et sa visée, insuffisante. Pour une économie circulaire véritablement durable, il est nécessaire d’adopter une approche de la circularité plus ambitieuse encore, dont l’objectif n’est pas seulement l’allongement de la durée d’usage, mais la réduction des flux de matières premières vierges entrant dans l’économie. Pour être circulaire, un système économique doit davantage s’auto-entretenir, à l’image d’un cercle sans commencement ni fin ; la circularité ne serait alors pas mesurée seulement par la durée d’utilisation du matériel ou son taux de recyclage, mais par la diminution de la dépendance aux ressources.
François Gosse en 2010 avait ainsi déduit une loi selon laquelle l’effet du recyclage d’une matière considérée devient réellement positif en dessous de 1% de croissance annuelle de sa consommation mondiale, sans quoi le besoin d’extraction continue d’augmenter. Prenons de nouveau l’exemple du cuivre : en prenant une croissance annuelle de la consommation de 2,87 % (moyenne observée de 1960 à 2014, sachant que depuis 2002 le taux de croissance annuelle de la consommation est supérieur à 3,4%), une durée moyenne de séjour dans ses usages de 35 ans et un taux de récupération en fin de vie variant de 43 % à 53 %, le cuivre secondaire issu du recyclage « en fin de vie » ne pourra couvrir au mieux que 16 à 19,7 % de la demande. Or la demande ne fait qu’augmenter. La consommation totale était de 6 millions de tonnes en 1975. En 2016, la consommation mondiale de cuivre atteignait 23,43 millions de tonnes (ICSG, 2016). En 2050, elle devrait avoisiner les 40 à 70 millions de tonnes soit 2 à 3 fois la consommation actuelle (Graedel et al., 2016).
Un système économique véritablement circulaire est donc un système qui tend à s’auto-alimenter, et, de fait, à s’affranchir autant que possible des ressources naturelles vierges que nous devons préserver. Les réflexions sur la démondialisation des chaînes de production doivent intégrer cette perspective afin de bâtir une industrie française et européenne davantage circulaire, donc durable.