Fiche thématique de résistance et de proposition n°4
I. Le contexte
L’engorgement des services des urgences hospitalières s’explique par une situation critique des services d’urgence mais aussi par une offre de premier recours déficiente au regard des besoins en santé de la population. Faute d’une réponse satisfaisante en amont, « les urgences sont devenues le premier recours médical de nombreuses personnes » selon le professeur André Grimaldi. Le cap des 20 millions de passages par an aux urgences a été franchi en 2019 dont « plus de la moitié sont injustifiés et auraient dû logiquement trouver une réponse en médecine de ville ». L’application à l’hôpital de méthodes de management issues du monde de l’entreprise et la transformation de « l’hôpital de stock à l’hôpital de flux », se sont traduites par la suppression de 100 000 lits sur 20 ans. La saturation des services d’urgence se traduit par des heures passées sur des brancards à attendre, alors qu’il s’agit là d’une cause établie de surmortalité et des morts qualifiées d’« inattendues », relatives à un défaut de prise en charge dans les services d’accueil des urgences. »
La situation de la médecine de ville est plus que préoccupante : 7 millions de personnes n’ont pas de médecins traitants dont 700 000 sont en affection de longue durée (ALD). Un généraliste sur deux refuse aujourd’hui des nouveaux patients et 30 % de la population vit en zone sous-dotée contre 8 % en 2012 (Que choisir, 2019). Le diagnostic posé sur la médecine de ville par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) est édifiant : « nous sommes dans une situation de crise » et il y a « urgence à agir ». Le taux de participation des médecins libéraux aux gardes la nuit et les jours fériés n’est que de 38,5 % (Conseil de l’ordre des médecins, 2021). Plus de la moitié des départements n’ont pas de sites dédiés aux gardes ou dans moins de la moitié de leurs secteurs. Dans 35 départements, il n’y a pas de système de garde mobile pour s’occuper des patients qui ne peuvent pas quitter leur domicile ou qui sont hébergés dans des EHPAD.
Enfin, notre système de couverture santé organise dans les faits une inégalité financière d’accès aux soins en faisant une large place aux complémentaires. C’est plus de 1,6 million de personnes qui seraient ainsi touchées par le phénomène de renoncement aux soins pour des raisons financières.
II. Ce que nous proposons
Trois grands principes fondateurs doivent guider la réforme de notre système de soins :
- Partir des besoins du patient qui doit être replacé au cœur de la réflexion sur la réforme et à qui il faut proposer une prise en charge cohérente sur le territoire.
- S’appuyer sur les deux piliers de la réforme que sont l’hospitalier et l’ambulatoire, qu’il faut cesser d’opposer.
- Dans un contexte de démographie médicale encore défavorable dans les 10 prochaines années, améliorer les dispositifs existants tout en s’appuyant sur eux.
Cela suppose :
- De redonner les moyens à la médecine ambulatoire de proposer une offre de premier recours et de proximité capable de répondre aux besoins en matière de soins non programmés et de permanence des soins (gardes les nuits et les jours fériés). C’est une condition essentielle pour soulager l’hôpital d’une charge qui ne doit pas lui revenir.
- De recentrer l’hôpital public sur son cœur de métier : les urgences vitales, la réalisation d’actes techniques de pointe, les maladies aigües graves, la complexité médicale et la formation des médecins.
Recommandation 1 : Remailler sur le territoire l’offre de soins de premier recours selon une architecture tripartite dont le centre de gravité est l’hôpital de proximité :
- des hôpitaux de proximité (gouvernance partagée), qui constituent le cœur névralgique du système de soins, dotés des moyens pour offrir : des consultations externes pour les différentes spécialités, des lits de médecine aiguë notamment pour les pathologies gériatriques, des lits de soins palliatifs, des lits de convalescence et de soins de suite rééducation, une maison médicale de garde ouverte de 20 heures à minuit, une chambre de garde pour les effecteurs mobiles ;
- des structures permettant l’exercice collectif de la médecine : cabinets de groupes d’au moins 5 médecins, centres de santé et maisons pluridisciplinaires de santé avec des infirmières de pratique avancée notamment pour assurer le suivi de certaines ALD comme les diabétiques, des assistantes sociales et enfin des assistantes médicales. Il faut donner à ces structures les moyens d’investir en matériel et de se doter d’un secrétariat médical qui constitue un maillon indispensable. Ce qui suppose de porter le prix de la consultation non pas à 35 euros comme prévu d’ici la fin de l’année mais à 46 euros dont 20 pour financer les investissements nécessaires en contrepartie d’un cahier des charges contractualisé avec l’Assurance Maladie, précisant les engagements en termes d’investissements, de prise en charge des soins non programmés et de participation à l’effort de garde ;
- d’EHPAD dotés chacun d’au moins 2 lits d’urgence médico-social pour des besoins médicaux-sociaux aigus ne méritant pas une hospitalisation.
Recommandation 2 : organiser un plan de sauvetage pour répondre sans délai à la crise sans retarder une nécessaire refondation de l’hôpital public
- Renforcer l’attractivité du métier, ce qui suppose d’agir sur la charge de travail en visant un ratio de personnel cohérent avec une prise en charge de qualité des patients et sur les salaires en revalorisant prioritairement ceux des infirmières et des aides-soignantes : respectivement 2000 euros en début de carrière contre 1500 et 1600 euros contre le SMIC.
- Revoir le financement des hôpitaux en réservant la tarification à l’activité (T2A) à des actes techniques et les soins programmés. Pour le reste, prévoir une enveloppe globale dont la gestion et le suivi seraient placés sous la supervision d’un comité des sages avec une gouvernance partagée : agence régionale de santé (ARS), hôpital. Dans cette perspective, il est essentiel de redonner aux ARS un vrai pouvoir régional dans leur relation de travail avec les CHU et CH de leur région.
Recommandation 3 : une trajectoire de transformation vers une «grande Sécurité sociale»
- L’objectif refondateur à terme est l’universalité du système de santé et la réduction du reste à charge.
- Dans cette logique, la notion d’assurance complémentaire aurait vocation à disparaître à terme ou à conserver une part très résiduelle réduite aux remboursements de prestations non essentielles.
III. Que peuvent y gagner les citoyens ?
- Une réduction importante des hospitalisations que permet une réponse effective et de proximité dans la prise en charge de la continuité des soins et des soins non programmés.
- Des hôpitaux de proximité accessibles à moins de 30 min, véritable lien entre la médecine ambulatoire et les hôpitaux (CH et CHU).
- Une offre d’effecteurs mobiles pour les visites des patients âgés qui ne peuvent pas se déplacer.
- Une couverture maladie qui garantit un accès aux soins selon les besoins et non pas les moyens. Le renoncement aux soins ne peut plus être toléré.
- à terme, une prise en charge des besoins des patients de meilleure qualité à un coût moindre.
IV. Liens vers les travaux de l’Institut permettant d’aller plus loin dans la réflexion
Pour 500 millions d’euros, soit 6 euros par habitant, une offre de permanence des soins ambulatoires performante est possible – P. Moutenet, juin 2023.
Un système de couverture santé qui organise dans les faits une inégalité financière d’accès aux soins – P. Moutenet, avril 2022.