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Recension – « Le temps d’apprendre à vivre la bataille des retraites » de François Ruffin

Livre le temps d'apprendre à vivre de Francois Ruffin.

Auteurs

Moutenet P., Ruffin F.

Publié le

11 janvier 2023

Dans une actualité préoccupante marquée par un travail de déconstruction des fondamentaux de notre système de protection sociale, récemment l’assurance chômage et prochainement la retraite, signalons la parution d’un court ouvrage de combat de François Ruffin « Le temps d’apprendre à vivre, la bataille des retraites » aux éditions Les Liens qui Libèrent. Dans cet ouvrage bien enlevé et roboratif, l’auteur décide d’inscrire sa réflexion sur la sauvegarde de notre modèle de retraite dans le cadre plus large de la maîtrise du temps, celui d’un choix de vie associant le combat contre le produire et le consommer plus à celui d’une meilleure répartition des richesses, d’une plus grande justice sociale et de la protection de notre environnement. Il fait le choix de sensibiliser le lecteur sur les enjeux de la bataille des retraites, de lui fournir des clés de lecture pour mieux comprendre, au-delà des discours trompeurs, les véritables objectifs poursuivis par les réformes conduites depuis 30 ans et les risques pour notre modèle de retraite par répartition.

Le gouvernement sous l’impulsion du président entend conduire une nouvelle réforme des retraites au plus vite et sans idée de compromis. Emmanuel Macron considérant que sa réélection lui octroie un mandat implicite des Français pour le faire. Selon Elisabeth Borne « notre système de retraite est une exception, alors que l’on part plus tard [à la retraite] chez la totalité de nos voisins européens », comme si le nivellement par le bas constituait un principe de gouvernement.

Le projet du gouvernement annoncé le 10 janvier prévoit à titre principal le recul de l’âge de la retraite à 64 ans d’ici 2030 avec une étape intermédiaire à 63ans et 3 mois d’ici la fin du quinquennat et une notable accélération dans la mise en œuvre de l’allongement de la durée de cotisation, mesure votée sous la présidence de François Hollande. Pour obtenir une retraite à temps plein, il faudra, dès l’année 2027 et non plus 2035, avoir cotisé pendant 43 ans. Cette nouvelle durée de cotisation s’applique désormais à la génération née en 1965, âgée de 58 ans aujourd’hui, et non plus à celle née en 1973.  Ce projet est assorti de quelques exceptions, sans véritable changement par rapport à ce qui existe aujourd’hui, pour tenir compte des carrières longues ou encore de la pénibilité de certains emplois. Sont aussi proposées quelques contreparties comme le relèvement de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) et une pension de retraite minimum à 85 % du SMIC pour les carrières à taux plein. La fin progressive des principaux régimes spéciaux a été annoncée. Un même principe dans la conduite des réformes : s’attaquer aux fondamentaux de notre système de solidarité et de répartition et accorder en contrepartie quelques concessions à la marge.

Le Haut-commissaire au Plan, François Bayrou, sous le couvert d’apporter « à l’opinion civique des éléments précis sur la situation actuelle et les perspectives du système de retraite », n’hésite pas à reprendre la doxa sur le sujet et à aller à contre-courant des conclusions du dernier rapport du Comité d’orientation des retraites (COR). Il alerte les Français sur la fragilité de l’équilibre financier du système de retraite qui viendrait « peser de plus en plus sur la capacité économique du pays et son indépendance ». Selon lui, le système de retraite serait structurellement déficitaire avec un déficit moyen annuel à terme évalué à 2,1 % du PIB, soit 50 milliards d’euros, alors que le scénario le plus pessimiste du COR, fondé sur un taux de chômage à 7 % et un très faible taux de productivité (0,7), fait état d’un déficit moyen annuel en 2070 à hauteur de 1,5 % du PIB. Le COR n’exclut d’ailleurs pas un scénario excédentaire qui pourrait à certaines conditions être de l’ordre de 1,32 % du PIB. Enfin, les auteurs du rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. Selon Philippe Laffon, l’ancien Secrétaire général adjoint auprès du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, « les perspectives financières sont favorables à long terme en raison des réformes passées et de la démographie ». En conséquence et contrairement aux discours actuels, la soutenabilité financière à long terme de notre modèle de retraite par répartition n’est pas remise en cause. Cette assertion n’amène pourtant pas à écarter la problématique de son financement, non pour des raisons de durabilité et de permanence du système mais de justice sociale, les réformes paramétriques opérées au cours des 30 dernières années ayant eu toutes pour objectif de réduire sensiblement le taux de remplacement des pensions servies.

C’est ce que nous rappelle François Ruffin dans son ouvrage. Dans un premier temps, tel un peintre exécutant sur le vif une pochade, il brosse un bref historique des luttes sociales à l’origine de notre système de retraite. Il rappelle comment le visionnaire, Jean Jaurès au début du XX siècle, bien avant notre sécurité sociale, a défendu contre les syndicats la loi sur la création des premières caisses de retraite : « Nous la votons pour avoir le principe, nous la votons malgré les sacrifices qu’elle impose à la classe ouvrière. Mais demain, nous vous demanderons un âge abaissé, une institution pour l’invalidité, demain nous vous demanderons dans la période transitoire une retraite plus élevée, une participation plus large des assurés à la gestion des caisses… » (p.23). Il cite parmi d’autres avancées l’instauration en 1956 du minimum vieillesse, élément de « cette révolution silencieuse qui s’opère alors » (p.25) avec pour conséquence un « taux de pauvreté des personnes âgées (qui) plonge, divisé par quatre en 15 ans » (p.25), en mars 1982 l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans.

L’auteur consacre ensuite avec force quelques pages à la « contre-offensive » (p.28) lancée dès la fin des années 80 par les gouvernements néolibéraux qui se sont succédé : la réforme Balladur de 1993 portant la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités dans le secteur privé et fixant le nombre d’années de référence pour le calcul du salaire de référence à 25 ans contre les 10 meilleures années auparavant et indexant la revalorisation des pensions sur l’inflation et non plus les salaires ; la réforme Fillon de 2003 portant la durée de cotisation à 42 annuités et instaurant un système de décote applicable jusqu’à l’âge de 67 ans ; enfin « l’opération la plus vicieuse, la plus insidieuse » (p.31) conduite sous la présidence Hollande, renonçant à un recul de l’âge légal de départ à la retraite, par crainte « d’agiter le chiffon rouge » (p 31), pour préférer un allongement progressif « génération après génération » de la durée de cotisations. Ainsi, au fur et à mesure des réformes : « En 2035, il faudra avoir travaillé 43 ans pour obtenir une retraite à taux plein » (p.31).

L’auteur nous interpelle sur « les effets, dans la durée, de ce détricotage… C’est la pauvreté chez les personnes âgées qui remonte » et cette phrase qui claque, comme un appel à notre conscience, « C’est à nouveau une « retraite pour les morts » ! En effet : dans les classes populaires, ce sont 40 % des hommes, et 20 % des femmes, qui ont une retraite « courte », inférieure à 10 ans (p.32).

Comme le souligne l’auteur, sous l’effet cumulé des réformes passées, le taux de remplacement, c’est-à-dire le rapport entre la pension de retraite et le dernier revenu perçu, diminue dans des proportions très significatives. Pour la génération née en 2000, les prévisions estiment qu’il devrait s’établir dans une fourchette comprise entre 53 % et 63 % contre 74 % aujourd’hui et 84 % avant ces différentes réformes. On part donc à la retraite plus tard, et plus pauvre. Et si l’on vit en effet plus vieux aujourd’hui, plusieurs éléments sont aussi à considérer, à commencer par la première cause de demande de liquidation des droits à la retraite qui n’est autre que l’état de santé dégradé des personnes. La durée de vie moyenne en bonne santé en France est de 62 ans pour les hommes et 63 ans pour les femmes, alors qu’elle est supérieure de 10 ans en Suède (73,8 ans pour les hommes et 72,7 ans pour les femmes). Dans ces conditions, allonger l’âge légal de la retraite au-delà de 62 ans conduira au mieux à un phénomène de vases communicants entre les dépenses de retraite et les dépenses maladie et au pire à un basculement dans la pauvreté. En outre, l’espérance de vie, stable aujourd’hui, présente des écarts non négligeables selon la classe sociale d’appartenance. Il existe un différentiel de plus de 6 ans entre un ouvrier et un cadre.

Mais l’auteur va au-delà de ces constats et s’interroge sur « cet acharnement du chef de l’État » et demande « pourquoi ne bat-il pas en retraite sur les retraites » (p.34). Pourquoi ? L’équilibre financier du système ? Non, comme nous l’avons dit, la soutenabilité à terme de notre système de répartition est assurée. Quelles seraient alors les autres raisons ? L’auteur en liste plusieurs et tout d’abord la préservation des dividendes versés aux actionnaires, qui atteignent aujourd’hui des sommets. En effet, plus de 61 milliards d’euros de dividendes ont été versés en 2022 et plus 10 milliards d’euros ont été dépensés par les entreprises cotées en bourse pour maintenir la valorisation élevée des actions, condition d’une valeur patrimoniale augmentée pour les actionnaires. L’auteur rappelle qu’en « 1983 on travaillait en moyenne une semaine par an pour les actionnaires. C’est aujourd’hui quatre semaines. » (p.38). Ce constat, que nous partageons avec l’auteur, nous amène à formuler quelques propositions comme la constitution d’un fond spécifique retraite, abondé par les entreprises distribuant des dividendes. Un prélèvement plafonné à un tiers des montants versés aux actionnaires rapporterait plus de 20 milliards d’euros. Un dispositif fondé sur une cotisation retraite appliquée sur l’intégralité de la valeur ajoutée, et non plus sur la seule masse salariale pourrait être envisagé. Il contribuerait à une meilleure répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et le travail.

François Ruffin poursuit son questionnement sur les raisons qui pourraient expliquer « cet acharnement ». Il évoque alors la lutte pour le plein emploi mais pour rappeler que le plein emploi pour Emmanuel Macron « ce sont les microentreprises et les autoentrepreneurs » avec « comme revenu moyen 590 euros par mois » (p.9). Un marché intermédiaire de l’emploi précaire à bas coût se développe et concerne plusieurs millions de salariés « aux frontières du marché de l’emploi stable et du chômage ». Il se caractérise par des carrières discontinues, alternant temps partiel subi, parfois de très courte durée et périodes de chômage. Dans son rapport 2022, l’observatoire des inégalités constate que la pauvreté du travail est une réalité « qui touche environ 8 millions de non -employés ou mal employés, soit un quart de la population active ».

Là encore, osons, à la suite du constat posé par l’auteur, une proposition. Un collectif d’universitaires a récemment évalué le montant annuel des aides publiques versées aux entreprises à 157 milliards d’euros. Si l’idée n’est pas de remettre en cause le principe d’un soutien aux entreprises, leur attribution devrait être conditionnée au respect d’un cahier des charges définissant les engagements attendus en termes de lutte contre les emplois précaires et à bas coûts mais aussi d’emploi des seniors. Le respect de ce cahier des charges devrait donner lieu à des contrôles au même titre que les contrôles fiscaux et soumis à restitution des aides obtenues, le cas échéant. Ce cadre d’aides ainsi repensé pourrait s’accompagner d’un système de bonus-malus appliqué aux entreprises dont les pratiques observées en matière d’emplois précaires de très courtes durées s’écarteraient de la norme commune. Un tel dispositif existe aujourd’hui mais il ne concerne que les cotisations chômage et son périmètre est limité à quelques secteurs d’activité et aux seules entreprises dont le nombre de fins de contrats de travail (hors démissions) rapporté à l’effectif moyen, soit le « taux de séparation », est supérieur ou égal à 150 % ! Pour ces entreprises, un taux de cotisation additionnel maximum de 1 % est alors appliqué. L’idée serait d’étendre ce système à l’ensemble des secteurs d’activité et de le rendre applicable à la retraite. Mais le développement de ce marché du travail précaire emporte aussi des conséquences directes sur le montant des pensions servies au regard des règles et des modalités de liquidation des retraites existantes. Il s’agit d’un point essentiel. Les systèmes de retraite actuels ont été pensés dans un contexte de « plein emploi » et de trajectoires professionnelles stables. Il en résulte qu’une réforme du système de retraite ne peut être découplée d’une réflexion sur l’évolution du marché de l’emploi et pas seulement du point de vue du taux d’emploi des seniors.

Dans cette perspective, nous pensons que des pistes plus structurantes sont à explorer notamment celles qui s’inscrivent dans un cadre repensé en matière de droits à la retraite, celles fondées sur le transfert des droits, jusqu’à présent attachés à l’emploi, vers la personne. Ce principe de transfert des droits à la personne appliqué à la retraite aurait pour conséquence de dissocier le calcul de la pension de la carrière effective du salarié et ainsi de réduire ou de neutraliser en partie l’impact des ruptures, interruptions et aléas subis par la personne au cours de sa vie professionnelle sur le montant de la pension perçue. Cette réflexion se fonde sur le postulat, à contre-courant des idées reçues et largement reprises dans les discours politiques, que l’immense majorité des salariés ne maîtrise pas leur parcours professionnel et que les périodes de chômage, les emplois précaires et à bas coûts impossibles à refuser avec le durcissement des règles d’indemnisation, sont en réalité subies. Le processus de liquidation de la retraite serait modifié en conséquence. Il prévoirait la reconstitution d’une carrière corrigée des périodes d’inactivité subies ou pour les personnes durablement installées dans ce marché intermédiaire de l’emploi précaire à bas coût, la révision des modalités de détermination du salaire de référence. Le système de retraite reconnaîtrait, non plus en termes dérogatoires limités par rapport à un dispositif général (carrières longues et pénibles par exemple) mais de façon native, les conséquences d’un changement durable du marché du travail.

Mais revenons au livre de François Ruffin. L’auteur est en réalité convaincu qu’un dessein plus large explique cet « acharnement »  : celui de rester les « MAÎTRES DES HORLOGES ! ». Cette réponse nous projette dans un autre cadre d’analyse critique, et ce n’est pas le moindre intérêt du livre ! L’auteur se réfère aux propos de l’historien américain Gary Cross qui rappelait que « la clé de l’ère industrielle n’est pas la machine à vapeur mais l’horloge qui permet une nouvelle intensification du travail » (p.36). François Ruffin met ainsi l’accent sur le caractère subversif attaché au principe même de la retraite : « ce sont des années entières arrachées à tous les maîtres des horloges ». Selon eux, « Il faut travailler plus, il faut rallonger la durée de cotisation, il faut reculer l’âge de la retraite. » (p.36). Pour les maîtres des horloges « La retraite, c’est une autre vie qui est déjà là… c’est tout un pan de la vie hors marché, c’est une menace » (p.50)

Le processus d’industrialisation et de dépossession du temps de travail dont il est question constitue une tendance de fond du système productiviste. À grand renfort de systèmes de mesure, de quantification, de standardisation, d’indicateurs, l’objectif est d’identifier et de traquer les « temps morts », ceux qui n’ont pas de valeur marchande, ceux qui ne sont pas rentables et qu’il faut éliminer. Le processus de travail est ainsi recomposé en autant de tâches élémentaires expurgées de toute activité non directement en rapport avec l’acte de production, le seul qui mérite d’être rémunéré : « c’est le livreur Uber qui n’est payé que pour sa course, sans rien autour, sans le temps d’attente, le droit au chômage, à la sécu et encore moins à la retraite » (p.46). Plus aucune activité n’échappe à cette démarche productiviste. Elle touche de plein fouet notre système de santé et en particulier l’hôpital public, les politiques d’accompagnement des personnes âgées et notamment les EHPAD au sein desquelles les cadences de travail imposées au nom d’une efficacité renforcée et d’une maîtrise des dépenses de santé conduisent les infirmières ou les auxiliaires de vie à « ignorer le patient ». Cette tendance de fond s’accompagne d’une intensification du temps de travail : « Le temps de travail ne s’allonge pas seulement : il s’alourdit, il s’intensifie » (p.44). François Ruffin illustre ainsi son propos : « C’est l’auxiliaire de vie, aux horaires malléables, qui chez une personne âgée se badge à l’entrée, à la sortie, dont seul ce temps-là est compté », « des employés appelés en dernière minute, des semaines à trous, des vies de famille impossibles… » (p.45).

Alors l’auteur s’interroge cette fois sur comment stopper ce « grand bond en arrière du temps de travail » (p.39). Il nous propose quelques pistes : « la semaine de quatre jours ? La réduction de la durée hebdomadaire ? Un véritable congé parental ? » (p.49).

Je vous recommande la lecture de ce court ouvrage revigorant et salutaire dans lequel François Ruffin a préféré sensibiliser le lecteur sur les objectifs et les risques associés à la bataille en cours des retraites, faire appel à sa capacité de jugement, l’éclairer sur la voie à suivre plutôt que de lui proposer des réponses clés en main. En guise de conclusion, l’auteur fait siens les propos de l’épidémiologiste Richard Wilkinson « c’est la fin d’une époque. Jusqu’ici, pour améliorer notre condition, il y avait une réponse qui marchait : produire plus de richesses. Nous avons passé un certain seuil, et ce lien est désormais rompu » (p.53). François Ruffin conclut en qualifiant d’inédit ce début de XXIe siècle, considérant que sa génération est la première « à devoir répondre de façon plus novatrice à cette question : comment apporter de nouvelles améliorations à la qualité réelle de la vie humaine ? » (p.53). À certains moments forts de notre histoire et en particulier au mitan du siècle précédent, nos aînés ont su apporter des réponses inspirantes. À nous désormais d’inventer et ce livre nous y aide certainement.

 

 

 

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