Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Think-Tank Social

L’institut Rousseau traite de plusieurs domaines dont un Think-Tank Social. Nous pensons que l’Etat a un rôle social à jouer dans de nombreux domaines allant de la lutte contre les discriminations, au fléchage par subventions à des domaines prioritaires comme les rénovations thermiques. Cela en passant par tous les sujets sociaux usuels.

Mettre la politique commerciale au service de l’autonomie stratégique, du climat et de l’emploi

La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein. I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale   1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales   La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine. On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3]. Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.   2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale   En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.   II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde 1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres   La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu

Par Ridel C.

22 mai 2020

Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

À l’instar du juriste Léon Duguit, on peut concevoir l’État comme « une fédération de services publics ayant pour objet d’organiser la société et d’assurer son fonctionnement pour le bien commun[1] ». C’est par la constitution de ces services publics que la République française s’est formée puis consolidée. Les services publics sont consubstantiels à l’identité républicaine de notre pays. Ils constituent l’instrument privilégié pour mettre en œuvre l’objectif historique de la République : l’intérêt général. La fonction publique représente en France environ un emploi sur cinq. Les services publics sont partout dans nos vies, indispensables à notre quotidien. En socialisant les risques, ils permettent l’accès aux besoins de base à des coûts très faibles pour l’immense majorité de la population. En refusant la logique marchande, ils consacrent les principes de solidarité, de continuité, d’égalité, de neutralité devant les biens et services mis en commun. Afin de mettre en marche les services publics, les fonctionnaires disposent d’un statut particulier. Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les fonctionnaires sont soumis à l’arbitraire de leur hiérarchie. Le recrutement par concours n’est pas systématique, et laisse souvent place à la cooptation et au clientélisme. Il faut attendre la Libération pour que la fonction publique se dote d’un premier statut : liberté syndicale, fonctionnaires classés en trois catégories hiérarchiques (A, B, C,) commissions paritaires dans la gestion des carrières individuelles et l’organisation des services, liberté d’opinion, et systématisation du recrutement par concours. Le droit de grève sera lui consacré par l’arrêt Dehaene du Conseil d’État en 1950. Les grandes lois des années 1980 tendent à unifier le statut des fonctionnaires et à rapprocher leurs droits des salariés du secteur privé. La loi du 13 juillet 1983 consacre notamment la liberté d’opinion (qui n’est pas la liberté d’expression, qui doit s’articuler avec le devoir de réserve), garantit le droit syndical et l’étend en reconnaissant le droit à congé pour formation syndicale. Les lois du 11 janvier 1984 (fonction publique d’État), du 26 janvier 1984 (fonction publique territoriale) et du 9 janvier 1986 (fonction publique hospitalière), unifient le régime juridique des trois fonctions publiques. Les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs comme les autres, ils sont soumis à des devoirs impérieux envers l’État et les usagers. En ce sens, le statut des fonctionnaires repose sur plusieurs principes : l’obéissance hiérarchique – mais également le devoir de désobéissance lorsqu’ils doivent répondre à un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ; le devoir du service, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer une activité lucrative à temps plein simultanément ; le devoir de réserve ; l’obligation de discrétion ; l’interdiction de posséder des intérêts dans une entreprise soumise au contrôle de son administration, qui seraient de nature à compromettre son indépendance. Le statut du fonctionnaire a pour corollaire la sécurité de l’emploi. Loin d’être un privilège anachronique, cette sécurité vise à protéger les fonctionnaires des pressions hiérarchiques et politiques, mais aussi à assurer la continuité du service. Ce principe fondamental du service public est cependant remis en cause par le non-remplacement fréquent des fonctionnaires partant à la retraite, et surtout par la contractualisation croissante des agents publics : plus d’un agent public sur cinq est contractuel et un contractuel sur quatre est en contrat court. Sous l’impulsion de la contre-révolution néolibérale et des théories du « nouveau management public », le statut des fonctionnaires n’a eu de cesse de connaître des exceptions, dérogations et limitations en tout genre. Si les prémices se font sentir dès les années 1990, c’est en 2007 et l’instauration de la RGPP que le statut de la fonction publique commence véritablement à s’effriter. Tout au long des quinquennats de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, la réduction du nombre de fonctionnaires est devenue l’axe principal des réformes touchant à la fonction publique[2]. Elle s’est accompagnée d’une part accrue du personnel non titulaire, d’une logique d’individualisation des tâches et des revenus chez les fonctionnaires, et d’une délégation toujours plus importante des activités vers le secteur privé. Ces politiques dites de « modernisation » ont pour conséquences une détérioration des conditions de travail des fonctionnaires et un affaiblissement des principes inhérents au service public, qui menacent l’accès à toutes et tous aux services de base. La crise sanitaire du Covid-19 a révélé qu’une fonction publique affaiblie menace directement les citoyens, en particulier dans l’hôpital public. Loin d’être un poids pour les finances publiques, les services publics permettent une prise en charge efficace, réactive et solidaire de la population. Il faut réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire à l’ensemble des agents publics, en encadrant strictement le recours à des personnels contractuels (I). Ce recrutement massif doit être accompagné d’une revalorisation des traitements, avec la hausse de la valeur du point d’indice (II). La fonction publique doit aussi permettre une meilleure représentativité de la société française, l’ouverture de nouveaux droits pour les fonctionnaires, et une meilleure prise en compte des usagers dans le fonctionnement des services publics (III).   1. Réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire   On compte 5,52 millions de personnes travaillant dans la fonction publique française : 2,45 millions de la fonction publique d’État (FPE) ; 1,9 million de la fonction publique territoriale (FPT) ; 1,17 million de la fonction publique hospitalière (FPH). Ces chiffres comprennent les fonctionnaires, c’est-à-dire les personnes titulaires, mais aussi les personnes sous contrat (en CDI ou en CDD), ainsi que les emplois aidés ; ces derniers sont en diminution depuis 2017 en particulier dans la FPT et les communes[3]. Dans l’ensemble de la fonction publique, il y a ainsi 3,84 millions de fonctionnaires (69,5%), 1,02 million de contractuels (18,4%), 309 000 militaires (5,6%) et 358 000 autres types de contrats (6,5%)[4]. Entre fin 2016 et fin 2017, les effectifs de la fonction publique hors contrats aidés ont augmenté de 0,8 %, soit 43 200 agents de plus. L’emploi public progresse dans les trois fonctions : + 0,9 % dans la FPT, + 0,8 % dans la FPE et + 0,7 % dans la FPH. Cependant, cette hausse est surtout le fait des contractuels (+5%) tandis que

Par Audubert V.

17 mai 2020

Pour une couverture totale de l’activité partielle

L’activité partielle constitue un des dispositifs les plus anciens de la politique publique de l’emploi. Il consiste à verser une partie de leur salaire à des employés qui cessent le travail, tout en maintenant leur lien contractuel avec l’employeur. Il apparaît formellement avec le décret du 19 avril 1918, qui institue des caisses publiques départementales de secours « contre le chômage résultant de la crise du ravitaillement, des matières premières et du charbon pour les industries » – un chômage conjoncturel partiel, administré par des offices paritaires départementaux et municipaux. La plupart des caisses syndicales, parfois abondées par subvention publique, prévoient alors aussi ce type d’aide. Une série de décrets, circulaires et ordonnances cimentent le dispositif entre 1931 et 1958. Un accord national interprofessionnel de 1968 entérine le caractère national et homogène du dispositif, sans requérir d’accords de branche. Ce dispositif à caractère préventif répond aux intérêts de plusieurs groupes sociaux. Du côté des salariés, il évite leur paupérisation, leur déqualification et la perte de statut social qu’engendre le chômage total. Il écarte le risque de licenciement, en échange d’une réduction provisoire de salaire. Du côté des employeurs, il limite les coûts de réembauche, la perte de potentiel productif avec les salariés les mieux formés et la dilapidation des frais de formation consentis. Une autre motivation, du côté de l’administration publique et des décideurs politiques, concerne l’information sur le marché de l’emploi. Un outil d’activité partielle attractif pour les employeurs leur apparaît nécessaire pour mesurer le temps d’emploi réel en entreprise et, ainsi, constituer des statistiques fiables de l’activité, sa variation et sa répartition entre branches. Ce souci est illustré par les anciens participants au Front populaire, concepteurs de la loi des 40 heures, marqués par leur difficulté à analyser, alors, le temps d’emploi par secteur et taille d’entreprise (Mendès-France, 1966). En somme, l’activité partielle est censée réunir un ensemble d’objectifs apparemment contradictoires : « en même temps conserver un potentiel de main-d’œuvre productif, garantir la pérennité du lien salarial et de Ia protection sociale pour les salariés et diminuer significativement les conflits » (Lallement, Lefèvre, 1997, p. 26). Toutefois, cet équilibre entre groupes sociaux se disloque dans la crise du Covid-19, où les usages de l’activité partielle apparaissent particulièrement ambigus et problématiques. Cette situation appelle une réforme de l’activité partielle, pour l’adapter aux enjeux contemporains et aux défis à venir. Cette note présente les limites du dispositif en termes de couverture (1), d’indemnisation (2) et de contrôle des abus (3) avant d’en proposer plusieurs pistes de réformes (4).   1. Un dispositif qui couvre mal les travailleurs précarisés L’une des limites les plus saillantes du dispositif est la couverture incomplète qu’il fournit. Un ensemble de salariés sont en effet laissés en dehors du dispositif : indépendants, salariés en contrats courts (intérimaires, CDD, saisonniers), chômeurs en fin de droits et démissionnaires.   Un dispositif qui exclut structurellement les travailleurs indépendants   Le dispositif d’activité partielle ne concerne, par définition, que les salariés, laissant de côté les indépendants. Certains ont pu affronter le confinement sereinement, soit parce qu’ils ont pu poursuivre leur activité, soit parce qu’ils disposaient d’une épargne de précaution conséquente, fréquente chez les indépendants (Lamarche et Romani, 2015). Mais un autre segment de ce groupe social s’est trouvé, lui, privé d’activité sans disposer de réserves financières conséquentes. Au premier rang de ceux-ci, on trouve une population dont le statut d’indépendant est contestable, qui exerce le plus souvent sous le statut d’auto-entrepreneurs : chauffeurs de plateformes, ouvriers du BTP, livreurs, etc., dont l’activité est fortement – voire totalement – dépendante d’un donneur d’ordre.   Une prise en charge éphémère des précaires en contrats courts   Pour les salariés en contrats courts, le dispositif s’applique théoriquement. En pratique, de nombreux employeurs ne les ont pas inclus dans leur demande et ont rompu le contrat de manière anticipée, le plus souvent en appliquant – de manière abusive – la clause de force majeure. De ce point de vue, le refus du gouvernement de contrôler, même provisoirement, les licenciements s’est payé par des destructions massives et immédiates d’emplois. Pour les salariés concernés, cela se traduit par une perte de revenus importante, le taux de remplacement de l’assurance-chômage étant moins élevé que celui de l’activité partielle (71 % en moyenne contre 84 %, et 100 % au niveau du SMIC). Mais même lorsque l’activité partielle a été appliquée à ces salariés, ils n’ont été indemnisés que jusqu’à échéance du contrat. Au-delà, ils basculent vers l’assurance-chômage. Outre la complexité d’une démarche administrative supplémentaire pour les nouveaux chômeurs, ce basculement ne peut s’opérer que sous réserve d’ouverture de droits. Cela exclut notamment les travailleurs précaires de type saisonnier, pour lesquels les allocations-chômage font partie du cycle ordinaire de l’année laborieuse, mais s’étendent démesurément en 2020 faute d’opportunité de réembauche.   Chômeurs et travailleurs de l’économie informelle livrés à eux-mêmes   D’une manière générale, l’ensemble des chômeurs ayant épuisé leurs droits se sont retrouvés privés de toute perspective d’embauche, sans pour autant que l’accès à l’assurance-chômage leur soit réouvert. Problématique a aussi été la situation des travailleurs en inter-contrats, ayant démissionné d’un emploi avant la crise en vue de prendre un nouveau poste dans le courant des mois d’avril ou de mars. Nombre d’entre eux ont vu leur embauche repoussée sine die, quand elle n’a pas été purement et simplement annulée, les laissant sans revenus pendant toute la période du confinement, et probablement au-delà. À l’ensemble de ces catégories bien connues des politiques de l’emploi s’ajoute celle des travailleurs de l’économie informelle. S’il n’est pas possible, par définition, d’en donner une évaluation précise, le travail au noir représente un volume d’activité considérable : on peut estimer à 1,9 million le nombre de salariés concernés (Gubian, Hagneré, Mahieu, 2019), dont plus de la moitié ne vivent que du travail informel. Plusieurs travaux scientifiques ont montré que ce dernier tenait une place importante dans l’économie locale de territoires touchés par le chômage de masse, que ce soit dans les territoires urbains comme ruraux (Coquard, 2019). Pour ces

Par Clouet H.

5 mai 2020

Notre système de santé après le covid-19 : réussir le changement de paradigme

Depuis le début de l’épidémie de covid-19, le Président de la République s’est engagé à plusieurs reprises à un effort massif en faveur de l’hôpital public et des soignants. Le directeur général de l’ARS Grand Est a été limogé pour avoir affirmé que la restructuration du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy se poursuivrait comme prévu et le ministre de la Santé s’est engagé à suspendre toutes les réorganisations. Un aggiornamento des politiques de santé semble donc à l’ordre du jour, mais ses contours demeurent très flous. La note de la Caisse des dépôts et consignations récemment dévoilée par Médiapart montre qu’il pourrait tout aussi bien ressembler à une accentuation des dérives antérieures, notamment le recours accru aux partenariats public-privé [1]. L’opportunité de renforcer notre système de santé ne peut être saisie que si l’on dégage une vision claire des maux qui l’affectaient avant la crise et de la manière dont celle-ci nous impose de redéfinir nos priorités. La question décisive est celle du changement de paradigme. Depuis trente ans, le paradigme dominant des réformes était celui de la productivité, c’est-à-dire la production du soin à un coût maîtrisé, se traduisant par des impératifs comme ceux de la maîtrise des dépenses de l’assurance-maladie, de l’incitation des hôpitaux à la productivité et du « virage ambulatoire » (faire de plus en plus d’interventions sans hospitalisation). Il faut se défier de tout manichéisme et toutes les évolutions antérieures ne sont pas nécessairement condamnables ; mais force est de constater qu’elles ont rendu notre système de santé bien plus fragile, avec des inégalités croissantes et une crise sociale dans le personnel soignant. Si l’on ne veut pas que l’après-crise se réduise à un coup de pouce temporaire, il faut réussir le passage à un paradigme nouveau, celui de la santé publique, c’est-à-dire de la recherche du plus haut niveau de santé de la population.   Table des matières 1. La productivité, paradigme dominant de l’avant-crise 1.1. La maîtrise des dépenses, impératif premier 1.2. La recherche délétère de l’hôpital-entreprise 1.3. Des inégalités territoriales et sociales timidement combattues 2. Ce que révèle ou confirme le Covid-19 2.1. Un hôpital public fragilisé mais qui tient le choc 2.2. Une culture de santé publique défaillante 2.3. Une médecine de ville désorganisée et négligée 2.4. Des fragilités intolérables dans l’approvisionnement en médicaments 3. Comment réformer selon un paradigme de santé publique 3.1. Pour un primat des politiques de résilience de la société 3.2. Comment donner enfin la priorité à la santé publique 3.3. Sortir de la T2A pour financer l’hôpital en fonction des besoins de la population 3.4. Fonder la qualité des soins sur la considération envers les soignants et l’ensemble des personnels hospitaliers 3.5. Réorganiser les soins de premier recours pour mieux répondre aux besoins de la population   1. La productivité, paradigme dominant de l’avant-crise 1.1. La maîtrise des dépenses, impératif premier S’il fallait résumer les politiques de santé à un acronyme, ce serait sans hésiter « ONDAM », pour « objectif national des dépenses d’assurance-maladie ». Créé en 1996 dans le cadre du plan Juppé, voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), l’ONDAM est le budget de l’assurance-maladie et le symbole d’une « gouvernance par les nombres » [2] du système de santé. Lorsque le Président de la République a annoncé sa stratégie de transformation du système de santé en septembre 2018, l’annonce phare a été l’augmentation du taux de progression de l’ONDAM de 2,3 à 2,5 %… 1 % d’augmentation de l’ONDAM équivaut à plus de 2 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Alors que l’ONDAM voté par le Parlement était fréquemment dépassé durant ses premières années d’existence, il est strictement respecté depuis 2010, à un niveau historiquement faible compris entre 2 et 2,5 % par an. Il a été en 2019 de 218,7 milliards d’euros. Source : Association Fipeco. Cette maîtrise, dont les ministres de la Santé ne manquent pas de se féliciter, repose sur des instruments de régulation qui pèsent de manière disproportionnée sur l’hôpital. En début d’année, une partie des crédits réservés aux hôpitaux est « gelé » comme réserve de précaution. Les dépenses de soins de ville dépassant régulièrement l’objectif, les crédits gelés sont annulés pour compenser et ne bénéficient donc jamais aux hôpitaux. Selon le Sénat [3], ce sont ainsi au total 3 milliards d’euros votés par le Parlement dont les hôpitaux n’ont pas bénéficié sur la période 2010-2018. Ces annulations de crédits contribuent en bonne partie aux déficits hospitaliers, qui ont abouti à la constitution d’une dette de 30 milliards d’euros aujourd’hui.   1.2. La recherche délétère de l’hôpital-entreprise Au hit-parade des acronymes, la « T2A », ou « tarification à l’activité », viendrait sans doute immédiatement après l’ONDAM sur le podium. Lancée en 2004 et pleinement appliquée depuis 2008 [4], la T2A consiste à attribuer un tarif défini nationalement à chaque acte ou type de soins (classés en « groupes homogènes de soins » ou « GHS ») réalisé par un hôpital ou une clinique privée. Le budget de l’établissement est la résultante de l’application de ces tarifs à son activité, connue de manière très fine grâce au codage de chaque acte dans le cadre du « PMSI » (programme médicalisé des systèmes d’information). Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la T2A n’est pas un outil de maîtrise des dépenses de santé : l’ancien système du « budget global », qui consistait à appliquer chaque année au budget de l’établissement un taux d’augmentation, permettait déjà d’assurer cette maîtrise. La T2A est un outil de répartition du budget, défini nationalement dans le cadre de l’ONDAM, en fonction de la productivité : plus un établissement réalise de soins, plus il bénéficiera d’un budget important. Ou du moins limitera sa diminution, car en cas de dépassement des prévisions d’activité, le ministère de la Santé baissera les tarifs afin de tenir l’ONDAM : comme Alice au pays des merveilles [5], l’hôpital doit courir de plus en plus vite pour ne pas reculer ! Lorsqu’elle était ministre de la Santé, Agnès Buzyn avait annoncé la fin de cette logique de l’hôpital-entreprise. Mais dans les

Par Marcelin P.

3 mai 2020

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