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Rechercher la bonne densité en ville par la protection du patrimoine bâti et paysager

En matière d’aménagement urbain et de besoin en logement, le choix entre l’étalement de la ville dans les zones rurales et la densification des espaces déjà urbanisés est souvent présenté comme une alternative inévitable. Pour stopper l’artificialisation des sols, il faudrait nécessairement « faire la ville sur elle-même » en surélevant le bâti existant, en comblant les dents creuses, voire en démolissant pour reconstruire à plus grande hauteur. Mais ces solutions ne s’attaquent pas aux causes du phénomène : est-il besoin de construire toujours plus en masse au regard du taux élevé de logements vacants et de sa répartition géographique ? Nous faisons face, pour reprendre les termes du sociologue Yankel Fijalkow, à une « crise de répartition » et non à une « crise de pénurie ». Outre les dommages environnementaux inhérents à la construction à grande échelle par une consommation excessive de ressources naturelles, la surdensification des centres détériore le bien-être de ses habitants et fragilise la préservation du patrimoine architectural et paysager. Elle altère la conception française du patrimoine bâti, fondée non sur la protection individuelle d’un monument classé ou inscrit, mais sur la cohérence d’ensemble du site dans lequel il s’insère : « un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort » déclara André Malraux à l’Assemblée nationale en 1962. En complément du zonage des espaces ruraux pour freiner l’urbanisation et préserver les ressources naturelles, la recherche de la bonne densité en ville réhabilite la méthode du « curetage d’îlot » pratiquée par l’architecte Albert Laprade : elle consiste à rénover le bâti ancien au lieu de le démolir, améliorer son hygiène et son confort tout en préservant son intégrité architecturale. I – Densifier les centres pour mettre un terme à l’artificialisation des sols : une fausse alternative ? 1 – Les conséquences environnementales et sociales de l’artificialisation des sols Depuis la fin des années 2010, la notion d’« artificialisation des sols » s’est imposée à l’agenda politique et médiatique pour décrire la dynamique d’urbanisation des espaces ruraux (principalement agricoles) en bordure des villes. Sur le plan technique, l’« artificialisation » consiste à imperméabiliser des sols naturels par une opération d’aménagement bâti, viaire ou équipementier : zones commerciales dotés de parkings, routes, lotissements pavillonnaires, etc[1]. Bien qu’un certain flou entoure encore sa définition (l’urbanisation résidentielle implique souvent une part de renaturation des parcelles loties grâce aux jardins privés), le Ministère de la transition écologique estime qu’entre 20 000 et 40 000 hectares sont artificialisés chaque année en France[2]. Les évaluations renvoient notamment aux données de la base Teruti-Lucas, faisant dire à certains observateurs que l’artificialisation engloutit l’équivalent d’un département français tous les dix ans[3]. L’artificialisation des sols est aujourd’hui vertement critiquée non seulement pour la perte de biodiversité qu’elle implique en rompant les continuités écologiques des milieux naturels, mais aussi pour l’uniformisation supposée des paysages et le caractère insoutenable des modes de vie périurbains, fondés sur la faible densité de l’habitat et la rareté d’implantation des petites infrastructures commerciales de proximité accessibles sans véhicule automobile. En motorisant l’accès aux équipements sur le territoire, le zonage périurbain augmente l’empreinte carbone. Comme la sociologie urbaine d’après-guerre, l’essayiste américain Lewis Mumford dénonçait déjà dans The City in history (1961) la désintégration individualiste provoquée par le lotissement en maisons individuelles, selon lui incapable de recréer les conditions spatiales de la vie en commun associée aux tissus urbains et ruraux anciens. C’est un enjeu aux implications à la fois sociales, environnementales et paysagères. Mais aujourd’hui, le problème n’est plus tant l’existence d’un habitat et d’un mode de vie périurbains – une réalité irrémédiable – que la poursuite d’un aménagement fondé sur des modèles résidentiels et commerciaux trop peu denses. C’est ainsi que la notion de densité s’invite en creux dans le débat sur l’artificialisation, car la dispersion spatiale de l’habitat est inhérente à la dynamique de l’étalement périurbain. La densification des centres urbains existants est-elle en miroir son contre-modèle écologique ? 2 – La densification comme contre-modèle de l’artificialisation Depuis les années 2000, les pouvoirs publics tentent d’enrayer le phénomène des extensions urbaines, avec un résultat mitigé. Promulguée le 22 août 2021, la loi Climat et résilience a institué la lutte contre l’artificialisation des sols par le mécanisme du Zéro artificialisation nette (ZAN), qui vise la « renaturation » (c’est-à-dire la reconquête d’un milieu naturel sur une surface donnée) de zones dont la superficie est équivalente aux espaces soumis à une future urbanisation. Bien qu’il soit trop tôt pour en dresser le premier bilan, cette mesure corrective semble faire un pas en avant, même si elle ne consiste pas à élaborer de véritables schémas nationaux et régionaux d’occupation des sols (comme les périmètres d’inconstructibilité décrétés dans les parcs naturels). Néanmoins, le ZAN consacre la prise de conscience par les pouvoirs publics de la crise environnementale déclenchée par l’étalement urbain et la nécessité d’une relocalisation économique et résidentielle dans les centralités urbaines existantes. Aujourd’hui, un nombre croissant d’architectes, d’urbanistes ou d’universitaires défendent à l’inverse la densification des villes comme contre-modèle écologique à l’artificialisation des sols : il faudrait « faire la ville sur la ville », voire préférer la verticalité à l’horizontalité pour mettre un terme à la périurbanisation. Les organismes d’État s’en sont fait une courroie de transmission privilégiée, comme l’Agence de la transition écologique (ex-ADEME) qui y a consacré un de ses Cahiers techniques pour l’approche environnementale de la ville en 2015[4]. En somme, il ne s’agit pas seulement de réoccuper des bâtiments désaffectés, mais aussi de surélever le bâti ancien, remplir les dents creuses (espace vide entre deux parcelles bâties), voire démolir de l’habitat à faible hauteur pour reconstruire à plus grande hauteur sur une même parcelle. Or l’idée de construire la ville sur elle-même pour résoudre le mal-logement des Français et résorber l’étalement périurbain engage trois grandes difficultés. En premier lieu, les centres-villes denses de plus de 5000 habitants/km2 courent un risque de surdensification qui dégrade significativement le bien-être de ses résidents (assombrissement des cours et des intérieurs, promiscuité, bruit, vis-à-vis), jusqu’à détériorer l’hygiène en créant

Par Bianco D.

24 mai 2022

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