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Notes

Une nouvelle République des citoyens 50 propositions pour renouveler nos institutions

« On fait campagne en vers, mais l’on gouverne en prose », dit l’adage prêté à l’ancien gouverneur de l’État de New York Mario M. Cuomo[1]. De tribunes de campagne en grands-messes devant le Congrès, les poètes de la politique aiment à parler de nouvelle ère démocratique impliquant la transformation de nos institutions. Au pouvoir, et ayant goûté au confort qu’elles procurent à celui qui les contrôle, ils se veulent ensuite des prosateurs réalistes et timides en la matière. Le diagnostic des dysfonctionnements du régime semble pourtant aujourd’hui assez largement partagé. La cinquième République souffre d’une concentration excessive des pouvoirs et de respirations démocratiques trop rares en dehors des élections présidentielles. À quoi bon donc produire une note se répandant une nouvelle fois en études et en revue de littérature sur ce qui fait consensus jusqu’au sein même de la famille gaulliste ? Pourtant, les propositions concrètes de réformes finissent, quand elles existent, immanquablement au fond d’un tiroir[2]. Plus qu’une nouvelle critique du fonctionnement de la Cinquième République, cette note se veut le mode d’emploi d’une réforme opérationnelle et réalisable. Sa visée est donc plus pratique que théorique. Il s’agit certes de repenser l’équilibre de nos institutions, mais de le repenser en prose en impulsant un meilleur équilibre des pouvoirs et une inclusion plus forte du peuple dans les processus de décision.   Table des matières I. Diagnostic des dysfonctionnements de la Cinquième République. II. Faut-il une VIe République ou une Ve République bis ? III. Comment changer les institutions ? IV. Limites de l’analyse Cinq objectifs pour refonder notre République : Objectif 1 : Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif Sous-objectif 1a : Rendre l’Assemblée nationale plus représentative grâce à la proportionnelle Des arguments non conclusifs contre la proportionnelle La mise en place de la proportionnelle est aisée. Sous-objectif 1b : Rééquilibrer le collège des grands électeurs sénatoriaux Objectif 2 : Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé Sous-objectif 2a : Revaloriser l’initiative parlementaire Sous-objectif 2b : Rendre plus effectif le contrôle parlementaire Sous-objectif 2c : Redonner aux parlementaires le temps de leurs missions Sous-objectif 2d : Accorder au Parlement les moyens de remplir son rôle Objectif 3 : Retrouver le sens de l’institution présidentielle Sous-objectif 3a : Repenser l’élection présidentielle Sous-objectif 3b : Repenser la répartition des pouvoirs entre Président de la République et Gouvernement. Objectif 4 : Redonner la parole au Peuple au sein des institutions Sous-objectif 4a : Promouvoir la démocratie délibérative Sous-objectif 4b : Favoriser la démocratie directe Le RIC peut prendre deux formes La principale limite au RIC provient de la mobilisation Objectif 5 : Redonner de la force au contrôle de constitutionnalité Sous-objectif 5a : Réviser le mode de nomination des membres Sous-objectif 5b : Faire du Conseil constitutionnel un gardien plus effectif de la Constitution I. Diagnostic des dysfonctionnements de la Cinquième République   Avant d’approcher le sujet de façon concrète et originale, il est impératif de rappeler brièvement le diagnostic aujourd’hui assez largement partagé du déséquilibre des pouvoirs sous la Cinquième. Le pouvoir disproportionné de l’exécutif repose d’abord sur un vice originel. Michel Debré souhaitait en effet bâtir un régime à l’anglaise, dont le Premier ministre serait le mur porteur. Toutefois, devant l’impossibilité d’imposer à l’Élysée et aux partis, un suffrage majoritaire à un tour, il craignait une forte instabilité parlementaire[3]. Aussi la Constitution a-t-elle été pensée pour dompter un Parlement récalcitrant. Or, le fait majoritaire va transformer les tempêtes parlementaires de jadis en mer d’huile. Sa conjonction avec les dispositifs de rationalisation va alors aboutir à faire du Parlement français le moins puissant de toutes les grandes démocraties occidentales[4]. Le général de Gaulle voulait pour sa part donner un sens bonapartiste au nouveau régime. L’élection au suffrage universel direct du Président, à la suite du référendum du 28 octobre 1962, a transformé les partis en écuries présidentielles. Élu par le peuple, le Président n’est conçu comme responsable que devant lui. Cette responsabilité extra-juridique est au cœur du Gaullisme comme régime de légitimité politique. Ainsi le général de Gaulle ne fait pas de « caprices » en menaçant de démissionner à chaque élection législative ou à chaque référendum… avant de s’exécuter en 1969. Si dans les faits, le pouvoir du chef de l’État est bien supérieur à celui que lui accorde le texte de la Constitution[5], c’est grâce à ce lien direct. S’il est rompu, alors ce qui rend légitime cette primauté s’effondre. Ce mode de mise en jeu de la responsabilité n’est toutefois guère fonctionnel, dès lors que la légitimité charismatique du Général n’est qu’imparfaitement transmissible à ses successeurs[6]. Certes, l’élection au suffrage universel permet de donner l’illusion du sacre populaire d’un sauveur, mais la légitimité qui y est inhérente n’est que de courte durée. Le système va alors progressivement dysfonctionner. Alors que De Gaulle ne pouvait envisager de subir une cohabitation, Valéry Giscard d’Estaing exclut de démissionner à la veille des législatives de 1978. Alors que la responsabilité politique du président était jugée par lui comme engagée en cas de dissolution ou de référendum, Jacques Chirac se maintient en 1997 puis en 2005. Ainsi aboutit-on à un pouvoir présidentiel omnipotent, mais sans responsabilité établie, ni par le droit ni par la pratique. Sa légitimité est entamée et, avec elle, celle de l’ensemble des institutions. Dès lors, référendums et élections sont jugés comme déstabilisateurs. Le quinquennat met fin aux élections législatives en cours de mandat, alors que les référendums se raréfient. Là où de Gaulle usa de l’article 11 de la Constitution pour faire appel au Peuple contre le Parlement, ses successeurs usent systématiquement de la convocation du Congrès pour contourner le Peuple. La Cinquième, pensée comme un régime faisant abondamment appel au Peuple, en vient à se calfeutrer pour se garder de tout vent électoral.

Par Morel B.

9 novembre 2020

Un Parlement confiné ?

La crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui soulève rétrospectivement trois niveaux de questions, à court, moyen et long terme. Sur le long terme, la question est d’ordre civilisationnel. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » écrivait Paul Valéry. À l’heure de l’anthropocène, notre modèle de développement économique est-il viable ? Sur le moyen terme, le problème est celui de la préparation de notre société et de l’État devant cette pandémie et, plus globalement, la capacité de l’État moderne à protéger ses citoyens. Sur le court terme, enfin, la question est celle de la gestion de la crise par le Gouvernement et son efficacité. Évidemment, toutes ces questions sont éminemment politiques et devraient être discutées dans le lieu d’expression par excellence du débat démocratique, à savoir le Parlement. La démocratie peut en effet s’accommoder de régimes d’exception. Ceux-ci sont même nécessaires, lorsque la bonne marche des institutions n’est plus possible aux vues de l’état du pays. Ce fut le cas en l’espèce. On peut, certes, contester l’opportunité et le contenu de la loi relative à l’état d’urgence sanitaire, pas la nécessité de déroger à certaines dispositions du droit commun pour tenter de répondre efficacement à la crise. Toutefois, pour être légitime, tout régime d’exception doit comporter des garde-fous. Les écarts constatés doivent être strictement proportionnés. Mais qui apprécie cette nécessité et cette proportionnalité ? En démocratie, ce travail de contrôle ne peut être que celui du juge et surtout, du Parlement. Or, ce dernier a été en partie absent des événements lorsque ceux-ci se sont accélérés. Aujourd’hui, son fonctionnement est ralenti et entravé. En effet, l’Assemblée nationale a assez rapidement été identifiée comme un foyer de contamination, de nombreux députés, collaborateurs et fonctionnaires étant atteints par la maladie. Cela a conduit à prendre des mesures de précaution qui ont, par un heureux hasard, coïncidé avec la suspension des travaux parlementaires prévue de longue date en raison de la campagne des municipales. Mais cette suspension a aussi eu pour conséquence de rendre invisible le Parlement au moment où des décisions fondamentales ont été prises : maintien du 1er tour des municipales, fermeture des bars et restaurants, mise en place du confinement… Aucune de ces décisions n’a donné lieu à une quelconque discussion avec les élus de la Nation. Organiser des débats parlementaires aurait pourtant été tout à fait possible puisque, lorsque des dispositions législatives sont apparues nécessaires, le Parlement s’est réuni pour examiner le premier projet de loi de finances rectificative et le projet de loi d’urgence sanitaire. À l’échange et à la délibération collective, il a manifestement été préféré la décision individuelle du président/monarque tout puissant : en témoignent le nombre de « je » prononcés par ce dernier lors de sa première allocution… Mais l’on constate que cet exercice solitaire du pouvoir n’a pu perdurer face aux demandes de transparence et d’association du Parlement : pour le plan de déconfinement, il a ainsi été prévu de recourir à un débat suivi d’un vote en application de l’article 50-1 de la Constitution. Il s’agit là d’une amélioration que l’on peut saluer, même si le calendrier et les conditions du vote peuvent être critiqués. On notera que l’article 50-1, issu de la révision de 2008 et alors fort critiqué par les thuriféraires de la Vème République, est particulièrement adapté à ces situations où le Gouvernement souhaite recueillir la position du Parlement sans avoir de projet de loi précis à présenter et sans, surtout, avoir à engager sa responsabilité. Depuis 2015, il semble que les états d’exception soient devenus, si ce n’est la règle, au moins une habitude. Nos sociétés plus complexes et plus fragiles doivent faire face à ces menaces plus diffuses qu’hier. Pourtant, le dernier baromètre de la confiance politique réalisé pour le CEVIPOF montre que cette crise n’a pas ébranlé la foi de l’opinion en la démocratie[1]. Comment maintenir le contrôle parlementaire en temps de crise, même quand les chambres peinent à se réunir ? Comment rendre celui-ci effectif malgré le fait majoritaire ? De la réponse que nous donnerons à ces questions dépend en grande partie la résilience de nos démocraties devant les crises.   I. Maintenir la fonction législative   Après une première phase d’éclipse, le Parlement a repris son activité, mais de manière extrêmement contrainte et limitée : les travaux législatifs sont réduits (l’examen de nombreux textes est ainsi reporté) et la quasi-totalité des activités de contrôle est suspendue. La mise entre parenthèses de l’activité législative du Parlement pose par ailleurs un problème au regard de l’article 48 de la Constitution relatif à l’ordre du jour. Si la non-utilisation du temps de séance dévolu au Gouvernement ou à la majorité parlementaire ne soulève pas de problème de principe, la question du non-respect des séances d’initiative parlementaire des groupes minoritaires et d’opposition ne peut être évacuée d’un revers de la main. En mars, avril et mai, ce sont ainsi les « niches » des groupes La France insoumise, GDR et Les Républicains qui auront été un temps supprimées : le dernier calendrier de la session parlementaire les a reportées au mois de juin qui comprend désormais quatre (!) journées d’initiative parlementaire… La mise en place d’un débat de qualité implique à la fois la présence des parlementaires, et que le temps qui leur est accordé pour travailler les textes soit suffisant. Dans ce contexte, deux écueils sont à éviter : une procédure parlementaire expéditive et un recours excessif aux ordonnances.   1. Les conditions de la procédure parlementaire   Le premier problème est celui de la participation des élus aux débats. Comme le rappelle très justement Elina Lemaire[2], le Parlement est avant tout un pouvoir délibérant : l’élaboration de la loi passe par une confrontation des points de vue et des positions. Selon Jean-Jacques Rousseau, « pour qu’une volonté soit générale, il n’est pas toujours nécessaire qu’elles soient toutes unanimes, mais il est nécessaire que toutes les voix soient comptées ; toute exclusion rompt la généralité. »[3]. Ce qui vaut pour la volonté directement exprimée par le Peuple vaut également dans le cadre d’un régime représentatif selon Hans Kelsen[4]. Le Peuple demeure représenté

Par Morel B., Marienval M.

14 mai 2020

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