Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Notes

Le résultat de la COP16 Biodiversité en Colombie : oui… mais non !

La COP16 à Cali en Colombie avait la charge de passer des mots à l’action. Elle a enregistré quelques avancées significatives mais des engagements importants pris antérieurement n’ont pas été tenus.   La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16) s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Cette COP avait pour but de s’accorder sur la mise en œuvre, d’ici à 2030, des 23 objectifs fixés par l’Accord de Kunming-Montréal (conclu lors de la COP15 en 2022), comme la préservation d’au moins 30 % des terres et des mers d’ici 2030, la réduction des pollutions et du risque lié aux pesticides [pour plus de détails sur le contexte, voir l’encadré en fin d’article]. La Colombie, quatrième pays le plus riche en biodiversité[1] et le plus diversifié en termes d’espèces d’oiseaux, de papillons et d’orchidées, a-t-elle su faire aboutir les négociations et obtenir de réelles avancées ? Malgré quelques progrès notables, des blocages importants demeurent : Représentation des peuples autochtones : la COP16 a conduit à la création d’un groupe permanent au sein de la Convention sur la diversité biologique pour intégrer les peuples autochtones, reconnaissant ainsi leur rôle central en tant que protecteurs de la nature et de la biodiversité. Lancement du « Fonds Cali » pour garantir le partage équitable des bénéfices tirés des ressources génétiques, notamment au profit des pays en développement, afin de compenser les usages industriels de ces ressources. Mais son abondement est volontaire, ce qui ne peut que susciter des craintes sur les montants versés. Un retard général sur l’élaboration des stratégies nationales de préservation de la biodiversité et des efforts pour intensifier la protection des écosystèmes qui restent limités, malgré l’urgence illustrée par les chiffres alarmants concernant la perte de biodiversité. Le mécanisme de pilotage et de suivi de ces stratégies et plans nationaux n’a pas été mis en place, contrairement à ce qui était prévu. L’impasse des négociations sur le financement : les discussions sur la mise en place d’un fonds autonome dédié à la biodiversité, sous gouvernance onusienne, ont échoué. Ce mécanisme, réclamé par les pays en développement pour remplacer l’actuel jugé inadéquat, s’est heurté à l’opposition des pays développés. Des contributions financières en croissance mais représentant seulement 2 % de l’objectif 2030 : huit gouvernements ont annoncé un total de 400 millions de dollars pour le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité, une étape très modeste en vue de l’objectif de 200 milliards de dollars d’aide annuelle d’ici 2030. Encadrement des « crédits biodiversité » : une feuille de route en vue de s’assurer que ces mécanismes de marché, conçus pour compenser les pertes écologiques, soient crédibles et servent effectivement la préservation de la nature a été proposée aux débats mais n’a pas pu être discutée faute de quorum. Le débat de fond sur l’utilisation ou non de ces crédits controversés (notamment suite aux scandales dont ont fait objet leurs équivalents carbone[2]) n’est ainsi pas tranché. I. Quelques avancées positives Un accord majeur a été officialisé lors de la COP16 : la création d’un organe permanent pour représenter les peuples autochtones au sein de la Convention sur la diversité biologique. Représentant un peu plus de 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones occupent 22 % des terres de la planète abritant plus de 80 % de la biodiversité mondiale. Leur savoir traditionnel est souvent en première ligne pour la protection de la biodiversité et la préservation des écosystèmes contre des intérêts économiques à court-terme. La création de cette structure officielle reconnaît leur rôle comme essentiel et leur permettra de renforcer leur statut dans les futures négociations liées à la nature et au climat. Des avancées ont également été faites en matière de partage avec les populations locales (y compris les peuples autochtones), des bénéfices issus de la « biopiraterie », à savoir l’exploitation économique des ressources naturelles de pays en développement, par le séquençage numérique de l’ADN de plantes, d’animaux ou de microorganisme qui sont spécifiques à ces territoires. Le texte adopté stipule que les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles, alimentaires et biotechnologiques qui utilisent ces ressources devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali ». Malheureusement ces seuils ne sont qu’indicatifs et il n’y a aucune obligation pour ces entreprises d’y contribuer. Ce qui, on ne peut que le craindre, risque de limiter très fortement le montant de ces versements. Enfin, un des textes importants adoptés place la biodiversité au même niveau que la décarbonation et le changement climatique. Cette décision va dans le sens des travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), qui indiquent que le changement climatique est une des causes majeures directes du déclin de la biodiversité. Elle doit permettre de créer des synergies pour solutionner les différentes problématiques de façon globale, sans (trop) les hiérarchiser ou les opposer. Elle devrait aussi permettre une plus grande attention politique et médiatique aux futures COP Biodiversité. II. Un premier échec majeur : celui des financements Les financements en provenance des États des pays riches pour la protection et la restauration de la nature, affichés à hauteur de 20 puis 30 milliards de dollars par an à horizon 2025 et 2030 à Montréal, sont très éloignés de l’objectif. Les engagements à l’alimentation du Fonds mondial pour la biodiversité (GBFF en anglais) se montent à seulement 400 millions de dollars. Les financements du secteur privé sont quant à eux quasiment absents. Il faut rappeler que les financements en provenance de toutes les sources (publiques, privées, philanthropiques, domestiques, innovantes sous la forme de taxes, etc.), et allant des pays du Nord vers ceux du Sud afin qu’ils investissent pour protéger et restaurer la biodiversité, sont estimés devoir être de l’ordre de 200 milliards de dollars par an. On en est très loin. Plus globalement, la prise de conscience par le secteur privé de l’effondrement de la diversité

Par Dicale L.

19 décembre 2024

Une planification sociale pour répondre à la crise de l’exclusion sociale

La pauvreté progresse, à nouveau, en France. En 2021, 500 000 personnes sont tombées sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 158 euros par mois pour une personne seule. Rupture de la continuité de l’accès aux droits pendant la crise du Covid-19, forte hausse du coût de la vie du fait de la crise énergétique, les plus fragiles ont vécu au premier chef la succession de bouleversements économiques et sociaux du dernier quinquennat. Pour n’évoquer que l’exemple inflationniste, on rappellera que la hausse des prix est ressentie avec une intensité deux fois plus importante pour 18 % des ménages[1], parmi les plus précaires, en raison de leur impossibilité à adapter leur régime de consommation, déjà restreint par leur salaire, à la hausse des prix. Ce ressac doit nous interpeller à l’heure même où la richesse nationale n’a jamais été aussi élevée et où sa concentration est toujours plus intense – plus d’un tiers de la richesse nationale étant détenu par 10 % de la population[2]. Le parti pris de cette note réside dans l’idée que la croissance de la pauvreté, en France, répond moins à des enjeux de conjoncture qu’à une structure de société. En effet, en dépit d’une générosité – somme toute assez relative –, le système social français ne parvient pas à endiguer les tendances économiques d’exclusion de l’emploi stable, de mise à la rue et de maintien des personnes dans des situations de dépendances douloureuses à des filets de sécurité sociale dont les mailles s’élargissent. Lutter contre la pauvreté ne devrait pas se limiter à une simple politique de transferts sociaux, évidemment nécessaire, mais bien s’inscrire dans une révision profonde de notre modèle économique, de notre rapport à la richesse – indicateur de la position sociale – et à son absence qui condamnerait les individus pauvres à une situation « d’individualité par défaut »[3]. Perte d’habileté physique, sociale, isolement, multiplication des troubles psychiques, la pauvreté est, en effet, toujours plus qu’une simple absence de richesse pour l’individu. Elle emporte un changement de son rapport au temps en le poussant vers la satisfaction exclusive de ses besoins présents[4]. Elle humilie l’individu « désaffilié »[5] en le soumettant à une tutelle spécifique – sociale voire clinique – tantôt paternaliste, tantôt excluante, toujours imposée. Enfin, elle le touche jusque dans l’accomplissement de ses tâches les plus intimes et se faisant, porte atteinte à sa dignité, donc à son humanité[6]. Lutter efficacement contre la pauvreté suppose donc de prendre conscience du clivage contemporain entre des « vécus dignes » et des « vies indignes »[7], que ne pourra dépasser la politique actuelle de transferts monétaires grimée d’injonctions à l’insertion. C’est bien par une mobilisation générale, partagée par les associations et le secteur privé, coordonnée et impulsée par les institutions, que la lutte contre la pauvreté pourra se mettre au niveau d’exigence imposé par les temps. L’exercice de planification solidaire que nous proposons vise à traduire, en termes organisationnels et politiques, ce sursaut. À cet effet, il propose de renforcer les instruments existants de la lutte contre la pauvreté, d’en clarifier la gouvernance et d’en multiplier les partenaires citoyens, associatifs et du secteur privé. À l’urgence écologique, le président de la République a répondu : planification écologique. Nous sommes, pour ce qui nous concerne, convaincus qu’à l’urgence sociale doit répondre une planification sociale concrète, immédiate, engagée sur une trajectoire minimale de cinq ans avec comme horizon l’éradication de la grande pauvreté d’ici à 2030. I. Constats : si la lutte contre la pauvreté constitue le fondement de la promesse républicaine des « secours publics », son caractère prioritaire n’est, pour autant, pas reconnu comme tel par les pouvoirs publics À l’occasion d’une intervention à la radiotélévision publique, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Pascal Brice, s’inquiétait, en réaction au discours de politique générale du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, d’une tendance à l’opposition de la classe moyenne de l’entre-deux, vivant péniblement de son travail, et des classes populaires, coûteuses en prestations de solidarité et présumées oisives[8]. S’il est évident que cette polarisation n’est pas récente – l’opposition entre le « bon pauvre » jugé méritant et l’oisif profiteur du système étant aussi ancienne que la création des premiers revenus d’assistance[9] – le risque actuel réside dans un diagnostic erroné des causes de l’exclusion et, de ce fait, dans la formulation de solutions qui contribueraient à aggraver l’intensité du problème. A. La lutte contre la pauvreté souffre d’une perception faussée, limitée à l’analyse de l’évolution des seuils monétaires par les pouvoirs publics Phénomène social protéiforme dont les ressorts et les processus renvoient à des facteurs historiques, économiques, familiaux, de genre et d’origine multiples, l’exclusion sociale[10] se caractérise donc par une myriade de définitions. Le sociologue Julien Damon, dans un article pour la revue Constructif, rassemble les différentes définitions de la pauvreté dans trois catégories : la pauvreté administrative, la pauvreté monétaire, la pauvreté comme représentation[11]. On pourrait ajouter à ces catégories le caractère socialement héréditaire d’un tel phénomène[12], tant il est difficile pour un exclu d’inverser la trajectoire sociale. La pauvreté marque la vie intérieure d’une insécurité mentale, émotionnelle, dont l’intensité varie évidemment selon les dispositions des personnes et leur trajectoire. La pauvreté existe donc au pluriel, ce dont les appareils statistiques peinent, parfois, à rendre compte. 1. La pauvreté monétaire, une mesure indispensable mais insuffisante pour rendre compte de l’ampleur du phénomène En termes quantitatifs, la pauvreté hexagonale est définie comme l’ensemble des personnes dont le niveau de revenu mensuel est inférieur au seuil de 60 % du revenu médian, soit 1158 euros par mois[13]. Ainsi, la pauvreté monétaire conçue suivant cette définition toucherait 9,1 millions de personnes, soit 14,6 % de la population active. Toutefois, son intensité varie selon les territoires ; en Outre-mer, la grande pauvreté – déterminée par une situation de privations associée à un niveau de vie inférieur à 50 % du revenu médian – atteint des seuils cinq à dix fois supérieurs[14] à ceux de la population en métropole[15]. Si le seuil métropolitain du niveau de vie était retenu, celui-ci serait incontestablement encore plus élevé. En outre, certaines configurations

Par Ellie P.

4 décembre 2024

Une poignée d’investisseurs contrôle les plus grandes entreprises pétrolières : que faire ?

🇫🇷 🇬🇧 Par Robert I. Bell, Professeur de management au Brooklyn College, City University of New York Résumé Dans un contexte où les grandes entreprises pétrolières mondiales sont dominées par une petite poignée d’investisseurs institutionnels, une réforme fiscale ambitieuse, mêlant crédit d’impôt et taxation différentielle des rachats d’action, pourrait jouer un rôle essentiel dans la redirection de leurs investissements vers les énergies renouvelables. Les cinq plus grandes entreprises pétrolières mondiales — Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell — sont aujourd’hui contrôlées par un nombre restreint d’investisseurs institutionnels : 25 au total, détenant entre 38 % et 50 % de leurs actions [1]. Bien que ces investisseurs varient, on observe une forte homogénéité parmi eux, avec la présence systématique de grands noms tels que BlackRock, JP Morgan Chase et Vanguard. De ce fait, un petit groupe d’investisseurs domine de manière effective l’industrie pétrolière mondiale, et les dirigeants de ces entreprises œuvrent en priorité pour satisfaire leurs intérêts. Pourquoi cette concentration pose-t-elle problème ? Influence politique excessive Tout d’abord, ces géants pétroliers exercent une influence politique considérable à l’échelle mondiale. Un exemple récent l’illustre bien : en avril 2024, Donald Trump a organisé un dîner avec une vingtaine de dirigeants de l’industrie pétrolière dans son domaine en Floride, leur demandant un milliard de dollars pour financer sa campagne présidentielle [2]. En retour, il a promis de supprimer l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden ainsi que d’autres mesures visant à limiter le réchauffement climatique et à réduire la pollution. Trump, quel que soit son niveau d’intelligence, sait où se trouve l’argent et l’influence qu’il peut acheter. Obstacle à la transition vers les énergies renouvelables Cette structure de propriété empêche ensuite les grandes compagnies pétrolières de se reconvertir vers les énergies renouvelables. Bien que certains des 25 investisseurs puissent être des idéologues néolibéraux, la plupart d’entre eux ne poursuivent qu’un seul objectif : maximiser les profits de leurs actionnaires. Les compagnies pétrolières leur offrent une source de profits régulière et importante. Les véhicules, avions, navires et produits pétrochimiques — notamment le plastique — assurent à l’industrie pétrolière des bénéfices presque garantis. Et lorsque ces bénéfices ne suffisent pas, les compagnies rachètent leurs propres actions et versent des dividendes généreux, souvent à titre exceptionnel. Par conséquent, seule une très faible part des bénéfices générés par ces entreprises est réinvestie dans les énergies renouvelables. Personne n’a besoin d’être un idéologue pour que ce système perdure : les cadres supérieurs de ces entreprises préservent leur emploi en travaillant pour les actionnaires (c’est-à-dire les 25) et les actionnaires (c’est-à-dire les 25) travaillent simplement pour leurs investisseurs. En d’autres termes, chacun est responsable devant quelqu’un d’autre et a une bonne raison de ne pas se préoccuper du tableau d’ensemble. Absence de volonté de lutte contre le réchauffement climatique Ces investisseurs ne semblent pas non plus préoccupés par la crise climatique immédiate. Heather Zichal, responsable mondial du développement durable chez JPMorgan Chase & Co, l’un des principaux actionnaires de ces géants, l’a confirmé dans une interview accordée à Bloomberg lors de la semaine du climat en septembre 2024 : « Nous nous concentrons sur ce que nous pouvons contrôler, à savoir maximiser le rendement du capital » [3]. Plutôt que de réorienter leurs investissements vers les énergies renouvelables, ces institutions préfèrent continuer à canaliser les flux de trésorerie des entreprises pétrolières vers leurs portefeuilles d’actions, contribuant ainsi à l’immobilisme de ces structures. Potentiel des Supermajors pour la transition énergétique Cela est d’autant plus regrettable que les supermajors disposent des ressources et des compétences nécessaires pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment grâce à leur expertise dans les technologies offshores, qui pourraient être utilisées pour développer des parcs éoliens flottants. Cependant, des entreprises comme Equinor ont malheureusement utilisé cette expertise pour continuer à exploiter le pétrole en mer, masquant ainsi un greenwashing déguisé [4]. D’autres entreprises, comme Orsted [5], ont choisi une voie plus radicale en se reconvertissant vers les énergies renouvelables, mais ces efforts restent isolés. Il convient d’ailleurs de souligner que si Orsted est détenue majoritairement par le gouvernement danois, Equinor est détenue à 67 % par le gouvernement norvégien. Les recettes du gouvernement norvégien provenant d’Equinor sont ainsi reversées au fonds de pension gouvernemental (Government Pension Fund Global), géré par la Norge Bank. Son site web indique que « ces dépôts représentent moins de la moitié de la valeur du fonds. La majeure partie a été gagnée en investissant dans des actions, des titres à revenu fixe, des biens immobiliers et des infrastructures d’énergie renouvelable » [6] [7]. Cela dit, le fonds, outre les revenus qu’il tire du pétrole et du gaz naturel norvégiens, détient des parts importantes dans Shell, TotalEnergies, Chevron et Exxon [8]. Ainsi, si le pays a su éviter la « malédiction du pétrole » en réinvestissant une partie de ses profits dans des infrastructures durables, une part importante de ses revenus conduit à propager les effets néfastes du réchauffement climatique à l’échelle mondiale. Le gouvernement norvégien ne semble pas pressé de faire évoluer cet état de fait. Que faire ? Le système financier mondial est si inertiel que toute tentative de s’attaquer à la concentration de la propriété des entreprises pétrolières, ou à la question des « 25 » actionnaires, semble presque irréalisable à première vue. Les mouvements de désinvestissement ont tenté d’aborder cette question sous un angle moral, mais sans grand succès. Une approche plus pragmatique, qui considérerait la question sous l’angle financier et fiscal, pourrait-elle être plus efficace ? L’objectif ne devrait en effet peut-être pas être de faire sortir les investisseurs du pétrole, mais de faire sortir les compagnies pétrolières elles-mêmes du pétrole. La taxe sur le rachat d’actions : effet Robin des Bois ou piège fiscal ? La réaction des gilets jaunes à une taxe sur le diesel nous a appris qu’une taxe ciblée sur le carbone, qui peut être facilement présentée comme frappant de manière disproportionnée ceux qui se considèrent comme des pauvres, est une très mauvaise idée sur le plan politique. En revanche, une taxe sur les

Par Bell R.

28 novembre 2024

A handful of investors own big oil: what to do about it

🇫🇷 🇬🇧 By Robert I. Bell Professor of Management at Brooklyn College, City University of New York Each of five oil Supermajors- EXXON, Chevron, TotalEnergies, BP, and Shell — is controlled by only 25 institutional investors, holding between 38% and 50% of the stock. They aren’t always the same 25, but there is tremendous overlap, with US firms Blackrock, JP Morgan Chase, and Vanguard always in each ownership cabal.[1] Thus a handful of essentially the same owners effectively control the world’s oil industry. Since the 25, or even a material percentage of them, could easily break top management simply by agreeing among themselves to dump the shares, it is hard to imagine that top management is not focused on them and what they want. What would be a good response to effective control of the oil supermajors by 25 institutional shareholders each? Why is the handful of owners a problem? First, these oil companies exercise enormous political influence, globally. Although this is well documented, a recent event perfectly illustrates it. Donald Trump gathered some two dozen top oil executives for dinner at his Florida estate in April of this year and asked for $1 Billion in Presidential campaign contributions; if elected, he would throw out Biden’s Inflation Reduction Act and other efforts to stop global warming and environmental pollution. Whatever else Trump may or may not know, he does know where the money is, and the political influence it can buy.[2] Second, this ownership structure is, in my opinion, literally preventing the oil majors from transforming into renewable energy companies. Although some of the 25 Fund managers may be right-wing ideologues, most of them probably have more or less only one interest—raking in for “the shareholders,” i.e., their funds, all the money generated by the oil companies not needed to pay their bills or drill more holes to maintain their oil reserves. The oil companies represent a more or less sure source of money; all those cars, trucks, airplanes and ships burning some product extracted from oil, and all those items in the petro-chemical industry, especially plastic, make oil as close to a sure-thing as there is. The oil supermajors guarantee this sure-thing by constant share buybacks to keep up the stock price as best as they can in the face of unstable oil prices, and pay out fat dividends, sometimes special dividends. So very little of the free cash generated by the oil sure-thing goes into renewable energy. Please note, nobody needs to be a crazy ideologue or greedy monster for this to be true; top management simply preserves their jobs by delivering for the shareholders (i.e., the 25) and the shareholders (i.e., the 25) are simply delivering for their investors. In other words, everybody is simply being responsible to somebody else. Third, these financial owners apparently are not focused on saving the world from the immediate crisis of global warming, if we look at the implications of the words of Heather Zichal, Global Head of Sustainability at JPMorgan Chase & Co, one of the 25 controlling shareholders in each of the five Supermajors: “There are a lot of things that we, as a bank, can control, but there are things that we can’t…We’re focused on what we can control—facilitating capital,” she said in a Bloomberg interview during Climate Week in September, 2024 in New York City.[3] As we have seen, her bank, along with another 24 institutional investors, are facilitating their capital into the controlling stake in oil stocks, and the oil companies are then handing essentially all their free cash flow to these owners, instead of using a material part of it to convert out of oil and into renewable energy. Fourth, the oil Supermajors are in a spectacular position to help save the world from global warming by converting to or materially contributing to renewable energy—they have much of the offshore knowledge and even equipment to create huge fleets of floating wind turbines. One, not a Supermajor, but a big company nonetheless, Equinor, has actually started to do that—regrettably in order to produce more offshore oil![4] So this is either a significant green move for an oil company or very high-end greenwash. Another, also not a Supermajor, Danish Oil and Natural Gas, changed its name to Orsted, and is now the world’s biggest developer of offshore wind farms. Perhaps not incidentally, on October 7, 2024, Equinor announced it was buying nearly 10% of Orsted, but would not seek any management changes or board seats and it supported Orsted’s current strategy.[5] Orsted is majority owned by the Danish government. Equinor is 67% owned by the Norwegian government. The Norwegian government’s revenue from Equinor goes into the Government Pension Fund Global, run by Norge Bank. Their website states, “these deposits account for less than half the value of the fund. Most of it has been earned by investing in equities, fixed income, real estate and renewable energy infrastructure.”[6] The fund helps to finance a very successful, egalitarian social welfare state.[7] That said, the Fund, in addition to its revenue from Norwegian oil and natural gas, owns material percentages of Shell, TotalEnergies, Chevron, and Exxon.[8] So, although the fund helps to make Norway perhaps the only country in the world to escape “the curse of oil,” it also helps to inflict the curse of global warming on the rest of us, and themselves. What should be done about this? There is so much inertia in the global financial system that any idea of addressing the concentration of ownership, the issue of the 25 itself, however bad it may be, is likely a fantasy. The divestiture movement has addressed this issue of ownership, but as a moral issue, and regrettably without great success. Can it be more successful if it is made a financial one? Maybe the goal should not be to get the investors out of oil, but to get the oil companies themselves out of oil. The stock buyback tax has a Robin Hood effect, but with problems We know from the gilet jaune response to a tax on diesel, that

Par Bell R.

27 novembre 2024

Négocier la transition écologique : du dialogue social au dialogue écologique

En mai 2022, le discours de huit étudiants d’AgroParisTech lors de leur cérémonie de remise de diplôme invitant leurs camarades de promotion à « déserter » les emplois « destructeurs » a mis une nouvelle fois en lumière la défiance croissante des jeunes diplômés à l’égard des entreprises. Une défiance nouvelle incarnée également par le Manifeste étudiant pour un réveil écologique signé par plus de 30 000 étudiants. Ces interpellations, signaux faibles d’une crise du travail qui traverse notre société, soulèvent une question majeure : comment réellement transformer les entreprises pour préserver les conditions de vie sur terre ? Si le discours des étudiants d’AgroParisTech a rencontré un écho important, c’est parce que la question écologique est indissociable de celle du travail. L’impératif écologique met aujourd’hui en lumière l’impasse d’un modèle de régulation du travail, hérité de la révolution industrielle, qui a évacué du champ de la négociation collective l’objet et la finalité du travail. C’est sur cet effacement de la finalité du travail, du seul ressort de l’employeur, que s’est construite la société salariale à la fin du XIXe siècle, réduisant le progrès social à des termes quantitatifs liés à la rémunération, au temps et aux conditions de travail. Ce modèle de régulation, aveugle à l’empreinte du travail sur notre environnement, nécessite désormais d’être repensé à l’aune de l’impératif écologique. Alors que l’urgence climatique s’est installée au cœur du débat public depuis quelques années, la transition écologique n’est appréhendée qu’à travers le prisme de l’État et de la « planification écologique » incarné par la création en 2022 du Secrétariat général pour la planification écologique (SGPE). La question de la transformation écologique des entreprises apparaît encore délaissée alors qu’elle constitue un levier d’action décisif. Or la transformation de l’appareil productif ne peut se décréter simplement par des lois mais implique de nouer, par la négociation collective, de nouveaux équilibres économiques et sociaux adaptés aux spécificités de chaque secteur d’activité. Face à l’impératif écologique, les relations collectives de travail qui se sont construites autour de l’objectif de sécurité économique et matérielle, doivent désormais intégrer l’enjeu de responsabilité environnementale. Conçu pour prendre en charge la révolution industrielle, le droit du travail peut constituer demain un formidable levier d’action pour réussir la transition écologique. Si une initiative telle que la Convention des entreprises pour le climat[1] témoigne d’un engagement réel des directions d’entreprises, faire de la question écologique un sujet de dialogue social est la seule garantie que ces transformations ne s’effectuent pas au détriment des salariés. À cet égard, une dynamique nouvelle semble à l’œuvre. À l’échelle nationale d’abord, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a, pour la première fois, conféré des prérogatives écologiques aux représentants des salariés en entreprises. Par ailleurs, les organisations professionnelles tentent de s’emparer des questions écologiques. Un premier accord de branche sur la transition écologique a ainsi été conclu le 17 octobre 2023[2] dans le secteur pharmaceutique. Signé par les syndicats représentatifs (CFDT, FO, CFTC, UNSA) et le syndicat de l’industrie pharmaceutique (LEEM), cet accord impose des obligations nouvelles en matière écologique aux entreprises du secteur. L’intégration des questions écologiques dans le dialogue social à tous les niveaux apparaît comme une nécessité pour réussir la transformation écologique des entreprises. Pour ce faire, cette note formule des propositions fortes, dans le prolongement de la loi « Climat et résilience », pour faire de l’impératif écologique un sujet de dialogue social à part entière. Père fondateur du dialogue social en entreprise, l’ancien ministre du Travail de François Mitterrand, Jean Auroux, affirmait que « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit et du silence des hommes ». Face à l’urgence écologique, l’entreprise ne peut désormais plus être le lieu de la destruction du vivant et du silence des hommes. C’est le sens de l’ensemble des propositions qui sont ici formulées pour faire de l’urgence écologique un véritable sujet de dialogue social. 1. L’impératif écologique, grand absent du dialogue social Si la loi « Climat et résilience » a pour la première fois étendu le champ de compétence des comités sociaux et économiques (CSE) aux questions écologiques, force est de constater que ce cadre reste insuffisant pour faire émerger un véritable dialogue social en matière écologique. C’est d’ailleurs ce que souligne une enquête réalisée par Syndex auprès de représentants du personnel en 2023[3] : si 79 % des représentants du personnel ont connaissance des prérogatives environnementales des CSE, 83 % d’entre eux estiment qu’il n’existe peu ou pas de dialogue social sur les questions écologiques dans leur entreprise. Seuls 15 % estiment aujourd’hui qu’il y en a suffisamment. Cette absence de dialogue social sur les questions écologiques tient à la limite des prérogatives des CSE en la matière, et plus largement à l’absence d’espace de discussion comme de moyens spécifiques dédiés aux questions écologiques. Si les représentants du personnel disposent désormais de compétences réelles en matière écologique, ces derniers souffrent d’un manque de temps comme de moyens dédiés pour s’emparer véritablement de ces sujets. a. Le dialogue social, une conquête politique récente Alors que plus de 88 000 accords collectifs en entreprise ont été conclus en 2022, le dialogue social en entreprise est un acquis récent. Jusqu’en 1982 et l’adoption des « lois Auroux », le dialogue social n’avait lieu que lorsque les entreprises étaient confrontées à des conflits sociaux. Aspirant à faire des salariés des « citoyens à part entière dans l’entreprise », le ministre du Travail Jean Auroux engage alors une réforme profonde du droit du travail qui oblige, pour la première fois, les entreprises à négocier chaque année avec les représentants du personnel sur l’évolution des salaires, du temps de travail et des conditions de travail ; sans obligation toutefois de devoir conclure un accord. La loi du 13 novembre 1982 marque ainsi un changement de paradigme : alors que les négociations en entreprise avaient auparavant principalement vocation à mettre fin à des conflits sociaux pouvant prendre la forme de grèves, l’instauration des négociations obligatoires à partir de 1982 contraint soudain les employeurs et les représentants des salariés à dialoguer « à froid » et négocier des accords collectifs. L’absence de dialogue social en matière

Par Bozonnet C., Montjotin P.

18 novembre 2024

METTRE FIN À L’ORIENTATION RÉPRESSIVE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ POUR RENOUER LA CONFIANCE ENTRE LES FORCES DE L’ORDRE ET LA POPULATION

Introduction La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme, par son article 12, que « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Cette force publique, au cœur du pacte républicain, s’incarne aujourd’hui dans les institutions formant les forces de sécurité intérieures : la police nationale, la gendarmerie nationale et la branche « surveillance » de la direction générale des douanes et droits indirects. Définis comme des personnes « dépositaires de l’autorité publique » par les textes, policiers, gendarmes et douaniers sont de fait titulaires de la puissance publique, et de ce que Max Weber a fameusement nommé le « monopole de la violence physique légitime ». À ce titre, l’agent bénéficie d’une protection particulière, l’outrage ou la rébellion constituant ainsi des délits spécifiquement prévus pour réprimer des actes commis à l’encontre de sa personne. Cette protection et cette autorité obligent le policier ou le gendarme, tenu à une exigence particulière d’exemplarité, ainsi que de retenue, de proportionnalité et de mesure dans l’usage de la force. L’autorité du policier ou du gendarme n’est pas seulement une aura transcendantale née de sa fonction. Elle résulte également de la qualité de la relation concrète qui le lie au public, par laquelle il renforce sa légitimité, laquelle ne peut que résulter d’un long processus de développement d’une confiance réciproque et non d’une simple loi. Le policier ou le gendarme ne demeure en effet titulaire du monopole de la violence légitime que s’il exerce légitimement la force. Depuis deux décennies, on assiste à l’émergence d’une défiance croissante entre une partie des citoyens et les forces de l’ordre, illustrée l’an dernier par les huit jours d’émeutes entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, ayant suivi la mort de Nahel Merzouk. La confiance dans la police est en recul, notamment chez les jeunes : le taux de confiance chez les jeunes de 18 à 24 ans est tombé de 62 % à 52 % de 2020 à 2021 (CEVIPOF, La Confiance police-population en 2021 : le décrochage des 18-24 ans, mars 2021). Cette défiance s’exprime également dans la forte hausse du nombre d’outrages et de violences commis à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique, passés de 22 000 à 68 000 de 1990 à 2019[1]. Ce recul de la confiance dans la police entraîne une dégradation à la fois de la relation entre les forces de l’ordre et la population, et une dégradation du contexte d’intervention des policiers et des gendarmes. Par conséquent, il menace la capacité des forces de l’ordre à mener à bien leurs missions et, à terme, la stabilité des institutions. Les causes de cette défiance croissante sont multiples. Il s’agit d’abord du modèle de police qui a été porté par les institutions et les responsables politiques depuis 20 ans. Le développement d’une véritable proximité avec la population n’est pas un objectif prioritaire, en particulier depuis la disparition de la police de proximité. L’institution policière participe ainsi au développement d’une défiance réciproque entre les citoyens et les policiers et gendarmes, en éloignant ces derniers du terrain et en leur assignant une mission de nature principalement répressive, et insuffisamment préventive. Les modalités d’action des forces de l’ordre sont discutées voire critiquées, de nombreux chercheurs estimant que ces méthodes, par exemple en matière de maintien de l’ordre, favoriseraient l’escalade de la violence. Il s’agit d’une part de restaurer le lien de confiance en rétablissant une police de proximité de plein exercice (I), de pacifier la doctrine de maintien de l’ordre sans sacrifier son efficacité face aux groupuscules violents (II) et de lutter efficacement contre les violences policières illégitimes (III). I. Restaurer le lien de confiance entre la police et la population en changeant de doctrine policière et en restaurant la police de proximité La disparition de la police de proximité a indéniablement participé à la dégradation de la relation entre la police et la population. Gardien de la paix, le policier est chargé non seulement de réprimer les délits, mais aussi et surtout d’assurer la sécurité, ce qui passe par une prévention efficace des tensions. Pour cela, il doit être au contact de la population, et déployer une action de discussion et de négociation pour apaiser les conflits. Sa capacité d’anticipation dépend des relations de confiance qu’il est capable de développer avec les populations locales. La police de proximité, supprimée progressivement par la droite à partir de 2003[2] alors même qu’elle était plébiscitée par les élus locaux[3] depuis sa création en 1997, a fait les frais d’une conception purement répressive de la sécurité. Laurent Bonelli décrit dès 2005 ce nouveau modèle comme celui d’une « police d’intervention »[4]. On peut voir une illustration de cette doctrine dans la multiplication d’opérations « coup-de-poing », dans une logique punitive, voire primitive : dans les zones les plus touchées par la délinquance, il s’agit pour certains policiers d’imposer un rapport de force direct, qui les conduit trop souvent à traiter la population locale dans son ensemble comme un groupe hostile. Cette politique conduit à exacerber les tensions et le rejet de l’autorité républicaine et, paradoxalement, à céder le terrain aux délinquants dans les intervalles entre chaque intervention. L’émergence de cette doctrine a été concomitante avec la montée en puissance de la politique du chiffre. Or politique du chiffre et police de proximité se situent nécessairement dans un rapport antagoniste : en effet, les indicateurs de la politique du chiffre ciblent les contrôles, les interpellations et les déferrements. Par nature, les résultats de la police de proximité sont très difficiles à évaluer, puisqu’elle vise justement à prévenir la délinquance par la connaissance des habitants et des enjeux locaux. Ce tournant répressif de la politique de sécurité engagé par l’État dans les années 2000 s’est avéré un échec aux graves conséquences : non seulement le lien avec les populations a été perdu dans des quartiers populaires toujours plus socialement exclus, mais la délinquance n’a cessé d’y augmenter, témoignant de la pertinence d’une conception moins étroite et autoritariste de la sécurité. Pour

Par Lefebvre F.

17 octobre 2024

Vers une sécurité sociale de l’alimentation

Introduction : L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français Filmées par le média Brut pendant la pandémie de Covid-19, les images de l’interminable file d’attente d’étudiants lors d’une distribution alimentaire organisée par l’association Linkee dans le XIIIe arrondissement de Paris avaient marqué la réémergence de l’alimentation comme une urgence nationale[1]. La crise sanitaire passée, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a continué de progresser sur fond d’inflation des prix alimentaires pour atteindre un niveau record de 2,4 millions de bénéficiaires d’après le réseau des banques alimentaires[2]. Pour elles, l’aide alimentaire est souvent un moyen de pouvoir tout simplement manger à leur faim, alors que « le système alimentaire, de la production jusqu’à la consommation, dysfonctionne totalement, ne répondant à aucune promesse »[3]. Elle est aussi perçue par 86 % des bénéficiaires comme indispensable pour manger de manière saine et équilibrée. Plus largement, les études convergent pour dire que ce sont près de 8 millions de personnes qui vivent dans la précarité alimentaire en France, soit plus d’un français sur dix[4]. Plus largement encore, 55 % des Français considèrent aujourd’hui qu’il est trop cher de manger équilibré[5]. L’accessibilité de l’alimentation étant une source de tensions, le sujet a trouvé une place nouvelle dans le débat public. Dès 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a retenu parmi ses propositions celle du « chèque alimentaire », prenant la forme d’une aide mensuelle aux plus modestes fléchée sur l’achat d’aliments durables et issus de l’agriculture biologique. C’est une forme embryonnaire de sécurité sociale alimentaire à grande échelle. Le président de la République a repris à son compte cette proposition lors des élections présidentielles de 2022, avant de l’abandonner en 2023[6]. L’élection présidentielle de 2022 a aussi été largement marquée par l’enjeu de l’alimentation puisque le positionnement des candidats sur la consommation de produits carnés a cristallisé de manière inattendue la campagne. Malheureusement réduit médiatiquement à une caricaturale opposition entre France du « bifteck »[7] et France du « quinoa »[8], ce débat présentait au contraire des enjeux majeurs et sérieux, dont nous tentons de démontrer ici qu’ils peuvent trouver des réponses rassembleuses, écologiques et solidaires. Puis, l’inflation historique des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, notamment du fait de la hausse des coûts de l’énergie, de la guerre en Ukraine et de l’action à contre-emploi de certains grands groupes du secteur[9], a replacé l’alimentation au second rang des postes de dépense du budget des foyers français[10]. L’alimentation est revenue au premier plan de manière spectaculaire début 2024 avec la colère des agriculteurs, exprimant leurs difficultés à vivre de leur travail. Les violences alimentaires touchent bien les deux extrémités de la chaîne de valeur : de la fourche à la fourchette. Les Français s’y sont montrés particulièrement sensibles et se sont rangés avec une rare unanimité du côté des agriculteurs, 90 % d’entre eux affirmant soutenir leur action[11]. C’est que « bien manger » a de nombreuses significations pour les Français. Même si la place de l’alimentation dans nos vies est propre à chacune de nos cultures, sa place centrale pour notre santé est bien définie par le concept « One Health[12] », développé par l’ONU au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée et systémique de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles. Le contenu de nos assiettes a ainsi des effets directs sur la santé publique mondiale et sur la santé de la planète. « Bien manger » est d’abord pour chacun d’entre nous une priorité pour le bien-être individuel. La corrélation entre l’alimentation et la santé est de mieux en mieux identifiée par la population, y compris par celle qui n’a pas les possibilités de manger équilibré. C’est d’ailleurs ce que démontre le succès de l’application française Yuka, permettant de scanner le code barre d’un produit alimentaire pour connaître les effets sur la santé et qui revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France. « Bien manger », c’est aussi une ambition pour les autres. Créer les conditions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail s’est affirmé comme un enjeu populaire, ce qu’on retrouve par exemple avec le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Pour les autres aussi, car partager un repas en famille et entre amis est perçu comme une activité de partage et de lien social importante[13]. C’est également un moment de plaisir, de découverte et de maintien des traditions. « Bien manger », c’est enfin une urgence pour la planète. Le GIEC estime que le système alimentaire au sens large est directement et indirectement responsable de 21 % à 37 % des gaz à effet de serre (l’élevage étant une des principales causes)[14]. Mais par où commencer pour répondre à toutes ces questions à la fois et permettre à chacun d’entre nous de bien manger ? Les défis à relever sont vitaux et enchevêtrés. Ils concernent très directement notre santé, le lien social, la lutte contre la précarité et l’habitabilité de notre planète. Seule une proposition réformiste radicale, solutionnant les difficultés en les envisageant à leurs racines, permettra de réellement faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés. C’est pourquoi, la réflexion au menu de cette note s’inscrit dans la perspective d’un changement en profondeur de notre système alimentaire. La sécurité sociale alimentaire consiste à socialiser le bien commun qu’est l’alimentation à travers la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Elle constitue donc un changement majeur pour toute l’organisation de la société. Cette proposition a déjà fait l’objet de modélisations économiques. Elle émerge dans le débat public mais elle est parfois réduite à une carte vitale alimentaire ou à son coût élevé. Nous contribuons au débat en développant ici un chemin progressif pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire. Cela passe d’abord par un investissement public en faveur de l’éducation alimentaire, afin de reconstruire une « culture alimentaire » donnant davantage d’outils à la population pour savoir bien se nourrir. Nous portons aussi le développement d’un fonds d’expérimentation pour les initiatives locales, une réflexion sur

Par Adrianssens C., Montjotin P., Hégly M.

14 octobre 2024

Le recours à l’Intelligence artificielle pour lutter contre la fraude fiscale

En France, les chiffres relatifs à la fraude fiscale ont de quoi impressionner. Après avoir estimé en janvier 2013, l’évitement illégal de l’impôt entre 60 et 80 milliards d’euros par an, le syndicat national Solidaires finances publiques a estimé en 2017[1], qu’il se situait dans la fourchette haute et qu’il était possible qu’il atteigne jusqu’à 100 milliards d’euros. Cette estimation du premier syndicat représentatif des agents du ministère chargé des impôts joue un grand rôle, car elle est très souvent reprise dans le débat politique et médiatique. Celle-ci, pour la Cour des comptes, se situerait aux alentours de 20 milliards d’euros par an (elle est probablement sous-estimée). En cumulant sur 10 années et prenant la fourchette basse de la Cour des Comptes, le coût de la fraude fiscale serait de 400 milliards d’euros (avec l’hypothèse haute du syndicat Solidaires finances publiques, deux fois plus). Combattre l’évitement illégal de l’impôt nécessite une stratégie globale. Cela passe en premier lieu par la législation fiscale et pénale. Le grand nombre de dispositifs dérogatoires par exemple nourrit le risque de fraude puisque les multiples conditions qui les assortissent ne sont pas toujours respectées. De ce point de vue, une revue de ces dispositifs ayant pour objectif d’en réduire le nombre et le coût s’impose. Cela passe également par la mobilisation de moyens humains (les personnels des services spécialisés en la matière), juridiques (les procédures de contrôle proprement dites par exemple) et techniques. C’est sur ce dernier point que nous revenons ici, tant il est vrai qu’ils ont constitué la priorité des pouvoirs publics, qui ont, hélas, surtout vu dans l’intelligence artificielle le moyen de poursuivre les suppressions d’emplois au sein de l’administration fiscale (voir sur ce sujet notamment la note de l’Institut Rousseau d’avril 2022[2]). I) Big Data et IA à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) Plusieurs initiatives ont déjà été mises en place dans les pays européens : lutte contre l’escroquerie à la TVA en Belgique via la modélisation automatique des réseaux, dispositif Connect en Angleterre pour détecter les incohérences dans les déclarations fiscales, système nommé Redditometro en Italie pour comparer montants d’imposition et trains de vie constatés. La France s’inscrit dans ce sillage, et les premières applications de l’IA dans l’administration de la fraude fiscale apparaissent sporadiquement. L’une des difficultés au déploiement de l’IA est liée à la complexité des missions de ces administrations, étant précisé par ailleurs que l’administration fiscale, déjà très « numérisée » , utilise de longue date des applications prévoyant des possibilités de requêtage très utilisées par les personnels dans le cadre de leurs missions. Depuis 2014, Bercy dispose d’une cellule de data mining spécialisée, qui utilise un outil dédié au ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR). Par l’analyse des comportements frauduleux constatés et la modélisation de ces derniers le but est d’identifier des critères caractérisant une personne ayant des comportements à risque de fraude. Le CFVR exploite les informations de 11 bases de données[3]. Précisons-le, initialement, ce traitement automatisé de données a porté sur la détection de la fraude en matière de TVA. En 2017, l’outil a été étendu aux personnes physiques, de façon expérimentale, par voie d’arrêté. Selon un rapport du Sénat déposé en 2020 par les sénateurs Thierry Carcenac et Claude Nougein[4], les techniques d’analyse de données utilisées « sont sans cesse étendues. En plus du data mining et du recours à l’IA, se développe le textmining, soit le traitement de données non structurées [textes ou images]. En parallèle, une expérimentation est menée dans plusieurs départements afin de croiser les déclarations des contribuables, les vues aériennes et les plans cadastraux pour traquer les erreurs, intentionnelles ou non, de déclaration des contribuables. Pour ce faire, la DGFiP s’appuie sur un logiciel développé par la société Accenture. » Les algorithmes permettent de faire du data mining, de l’exploration des données grâce à l’IA. Les algorithmes sont capables de détecter des incohérences dans les fichiers entre revenus, opérations financières ou trains de vie par rapport aux déclarations fiscales des ménages. Le décret publié le 13 février 2020 au Journal officiel, précisant les modalités de l’article 154 de la loi de finance 2020, a donné le coup d’envoi d’une expérimentation sur trois ans ne couvrant que trois types de fraudes : le trafic de marchandises prohibées, l’activité professionnelle non déclarée et la domiciliation fiscale frauduleuse. Le champ des données prospectées par cette IA dans le cyberespace est particulièrement étendu puisqu’il concerne les réseaux sociaux comme Facebook, les messageries comme Instagram ou encore les sites de commerce en ligne tels que LeBonCoin ou eBay. Ce programme doit permettre aux data scientists d’affiner leur méthode de profilage pour les personnes physiques. Il s’agit de renforcer les outils de détection des fraudes fiscales ou douanières particulièrement graves, pour lesquels les moyens d’investigation traditionnels des administrations sont insuffisants : fausse domiciliation fiscale à l’étranger, activité commerciale occulte, activités illicites telles que la contrebande de tabac ou le commerce de stupéfiants. L’affaire de la domiciliation fiscale de Johnny Hallyday illustre la démarche d’exploitation des réseaux sociaux à des fins de lutte contre la fraude pour déterminer la résidence fiscale effective (France ou États-Unis) au regard de la fiscalité applicable à la succession. L’analyse des contenus publiés par le défunt et sa famille (géolocalisation des photos) avait vocation à retracer ses déplacements et quantifier le nombre de jours passés dans chacun des pays, afin d’évaluer si les critères de résidence fiscale étaient démontrés ou non. Consultée en amont sur le projet de loi, compte tenu de l’impact du dispositif sur la vie privée et ses possibles effets sur la liberté d’expression en ligne, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mentionné expressément des réserves afin de préserver un équilibre entre l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et le respect des droits et de la liberté des personnes[5] et a indiqué qu’un pareil test « doit s’accompagner de garanties fortes afin de préserver les droits et libertés des personnes concernées ». Une grande prudence dans l’utilisation des données personnelles est exigée aux administrations publiques. Seules

Par Briot-Hadar J., Drezet V.

11 octobre 2024

Les Golden shares comme outils de planification écologique en alternative aux participations de l’État

Judith Kleman et Camille Souffron Pour l’Institut Rousseau Octobre 2024 Introduction 2 Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée 4 Actions spécifiques : qu’est-ce ? 4 Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens 6 Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique 8 Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques 8 Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ? 9 Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique 10 III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ? 12 Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité 12 (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux 13 Propositions 14 Résumé général : Nous proposons la réappropriation de l’outil de l’action spécifique (golden share) par l’État, action qui lui donne des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Nous proposons également le développement de nouveaux mécanismes juridiques et administratifs pour renforcer la souveraineté nationale, développer de réelles stratégies économiques, piloter la nécessaire transition écologique et affronter les crises actuelles. Proposition n°1 : ● Réappropriation par l’État de l’action spécifique dans des entreprises stratégiques (Total, Veolia). ● Élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE) et des secteurs sensibles du Code monétaire. ● Utilisation de l’action spécifique pour relancer des activités productives innovantes (i.e. mines de lithium, IA). Proposition n°2 : ● Couplage avec une planification économique et écologique ambitieuse. ● Mobilisation de différents services et organismes d’État pour sortir de la gestion passive des participations. Encouragement de la transformation des entreprises vers des missions sociales (affectio societatis). Proposition n°3 : ● Développement de nouveaux droits dans l’action spécifique (inspirés de l’Allemagne et des Pays-Bas) : droit de véto de l’État sur des votes stratégiques, interdiction de développer des activités nuisibles, obligation de réinvestir une partie des profits, plafond des droits de vote pour les gros actionnaires. ● Sélection de droits conférés selon les enjeux de chaque entreprise pour éviter l’opposition de la CJUE. Proposition n°4 : ● Conditionnement des financements et commandes publics à des critères environnementaux, sociaux, et économiques. Proposition n°5 : ● Création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale, et des droits humains. Inclusion des entreprises étrangères opérant en France dans ce contrôle. Proposition n°6 : ● Adaptation du cadre européen (TFUE) pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, bien que la révision des traités soit difficile. ● Utilisation de précédents juridiques pour justifier la réappropriation d’entreprises stratégiques face aux crises écologiques. Sélection précise des droits pour éviter un blocage européen. Introduction Le 19 juin dernier était publié le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Energies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, avec une liste de recommandations. Parmi ces dernières, un outil juridique d’une grande influence et peu discuté dans le débat public a été remis au goût du jour : l’action spécifique. Le rapport appelle en effet l’État à en acquérir une dans l’énergéticien à la fois pour organiser sa transition écologique et le protéger de l’américanisation massive de son actionnariat. L’action spécifique pourrait être un puissant outil de planification écologique, en plus de la défense des intérêts stratégiques de la France. D’autant que le concept de planification écologique s’est récemment développé dans le débat public et là où on ne l’attendait pas à une échelle remarquable, que ce soit chez des économistes comme Jean Pisani-Ferry évoquant le retour d’une « économie de pénurie »[1], ou bien directement au sein du gouvernement qui en revendique le terme[2].   La planification écologique, déjà évoquée dès 1972 par le président de la Commission européenne Sicco Mansholt dans sa fameuse lettre[3], peut s’avérer prometteuse voire nécessaire[4] dans une conjoncture économique instable et face aux conséquences de l’effondrement écologique, au vu des besoins en termes d’investissement[5] et de coordination des secteurs public et privé. Mais encore faut-il que cette planification soit réalisée par un État-stratège avec une vision cohérente, au-delà des purs effets d’annonce et aspects marketing. Or, dans le rapport d’information sénatorial de 2021 sur les participations annuelles de l’État[6], la sénatrice LR Martine Berthet notait qu’il était de plus en plus difficile de deviner une stratégie de long terme de la part de l’État français, et cela particulièrement au sujet de la dimension actionnariale de l’État. Selon ce rapport, le compte d’affectation spéciale « participations financières de l’État », regroupant recettes et cessions des dites participations, ne serait devenu depuis 2017 qu’un « outil comptable de la politique d’investissement de l’État » plutôt « qu’un levier d’action de l’État stratège ». La Cour des comptes va jusqu’à parler de « perte de substance »[7].   Autrement dit, plutôt que d’investir et de soutenir des secteurs stratégiques pour l’intérêt national, de sauvegarder la souveraineté économique du pays face à des gestionnaires court-termistes et des investisseurs étrangers, la gestion des actions de l’État suivrait désormais une simple logique d’optimisation du budget à court terme. L’État lui-même ferait parfois pression sur les actionnaires privés et les conseils d’administration pour verser et augmenter les dividendes ou bien réaliser des choix stratégiques dans le seul but de maximiser le taux de marge d’EBIT[8], par exemple chez Thalès[9], alors que l’on aurait à l’inverse pu penser que l’État était un garde-fou face aux pressions de la valorisation actionnariale.   Pourtant, l’État se retrouve rattrapé par l’urgence environnementale, dépassant le seul impératif climatique[10]. Une telle transformation impose de préparer les structures économiques et de coordonner un ensemble d’investissements publics (cf. le rapport 2 % de 2°C de l’Institut Rousseau) mais aussi privés. Nombre

Par Kleman J., Souffron C.

4 octobre 2024

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