Un petit bilan d’une COP 30 pas totalement négative par Gaël Giraud
La plupart des médias dressent un bilan catastrophique de la trentième édition de la COP, qui eut lieu, cette année, à Belém, au Brésil, située à la fois aux portes de la forêt amazonienne et au bord de l’océan. À y regarder de plus près, cependant, le tableau est moins sombre qu’il n’y paraît. Non seulement parce que l’atmosphère des échanges, en zones verte et bleue, fut extrêmement vivifiée par la présence de représentants des populations autochtones d’Amazonie et par une allégresse toute brésilienne, mais encore parce que de réelles avancées ont été obtenues. Des déplacements des rapports de force ont aussi été enregistrés. C’est sur ces points que je vais insister dans ce qui suit, avant d’aborder l’échec des négociations sur la sortie des hydrocarbures fossiles. 1. Droits des peuples autochtones Belém, première COP en Amazonie, ne pouvait pas ignorer les peuples autochtones. Patricia Gualinga, porte-parole du peuple Sarayaku (connu pour sa lutte, en Équateur, depuis de nombreuses années, contre la destruction de la forêt par les industries extractives) s’est faite entendre avec force, notamment sur l’enjeu décisif de la reconnaissance des droits fonciers des peuples d’Amazonie : certaines entreprises extractives se prévalent que des pans entiers du territoire amazonien sont aujourd’hui sans « propriétaire » formel alors que des peuples autochtones y vivent depuis des siècles. Ces derniers revendiquent par conséquent d’être enfin reconnus comme propriétaires légitimes de ces terres. Plusieurs acquis importants ont ainsi été obtenus dans ce sens. Tout d’abord, sur le plan normatif, les textes (Belém Package, National adaptation plans, etc.) font une place explicite à la reconnaissance des droits fonciers autochtones et au rôle décisif des savoirs traditionnels dans l’adaptation. Une mention plus nette des peuples autochtones est désormais inscrite dans les plans nationaux d’adaptation. Certaines organisations autochtones brésiliennes (l’APIB[1] notamment) parlent d’« avancées historiques » sur la reconnaissance des droits des peuples autochtones et sur certains engagements financiers, tout en rappelant, à juste titre, que sans basculement massif des flux financiers « bruns » vers la protection des territoires, ces promesses restent fragiles. Du côté financier, en effet, des engagements financiers nouveaux ont été obtenus : environ 1,8 milliard de dollars pour les droits fonciers des peuples autochtones et afro-descendants (Forest and Land Tenure Pledge) ainsi que des promesses additionnelles s’élevant à 2,5 milliards de dollars pour le bassin du Congo. Cette initiative, baptisée « Belem Call for the Forests of the Congo Basin », était portée par la France et plusieurs pays européens. Ces sommes restent symboliques mais ces engagements permettent de faire entrer la reconnaissance des droits des peuples autochtones dans les négociations des prochaines COPs. La création de la Tropical Forests Forever Facility (TFFF), sur laquelle je reviendrai, a permis la reconnaissance d’un principe clé : au moins 20 % des flux dédiés aux forêts tropicales doivent aller directement aux peuples autochtones et aux communautés locales. C’était aussi une revendication forte de Patricia Gualinga, qui a fait valoir, avec raison, que l’on ne cesse de brasser des centaines de milliards dans les négociations internationales alors que ceux qui vivent dans la forêt (la protègent et sont les premières victimes de sa destruction comme du réchauffement) ne perçoivent aucune aide. 2. Convergence avec les luttes féministes De manière très intéressante, et peut-être pour la première fois, les revendications des peuples autochtones ont convergé avec le front de lutte féministe. Sur ce terrain également, un saut qualitatif a été obtenu, même si sa traduction concrète reste à construire. En effet, le Belém Gender Action Plan (GAP) 2025–2034, va beaucoup plus loin que les textes précédents puisqu’il intègre explicitement le travail du soin (care), de la santé des femmes et des violences faites aux femmes avec la reconnaissance des femmes afro-descendantes et des femmes défenseures de l’environnement comme actrices centrales des politiques climatiques. De façon révélatrice, le Belém Action Mechanism commence à articuler dans un même cadre les droits humains, les droits du travail, l’égalité de genre, les savoirs autochtones et la justice intergénérationnelle. Nous n’en sommes pas (encore) à une « charte écoféministe » explicite, mais la COP30 marque une convergence : la justice climatique est de plus en plus clairement formulée dans les catégories issues des luttes féministes. Cela rejoint l’intuition formulée dès 2015 par l’encyclique Laudato Si’ du Pape François (§ 123) où le désastre écologique était mis sur le même plan que les violences faites aux enfants et aux personnes âgées et, dans l’interprétation qu’en a fournie le Pape lui-même lors d’une audience le 3 septembre 2020, les violences faites aux femmes. 3. Triplement de l’aide à l’adaptation La multiplication et l’ aggravation des événements climatiques extrêmes rend décisive la question des efforts d’adaptation (au Sud en premier lieu mais, désormais, également au Nord). Or la confirmation du triplement de l’aide financière à l’adaptation est l’un des rares chiffres politiques clairs de Belém. La décision Mutirão / Belém Package “appelle” à tripler le financement de l’adaptation d’ici 2035, la faisant passer d’environ 40 milliard de dollars (le montant fixé à Glasgow) à 120 milliard de dollars par an, et à porter le total du financement climat sur une trajectoire visant 1.300 Mds de dollars par an à la même date. C’est un signal politique important qui prolonge et poursuit l’effort lancé à la COP26 de Glasgow, maintient une certaine pression sur les pays riches pour qu’ils ne relâchent pas leurs efforts financiers et ancre dans la soft law l’idée que l’adaptation n’est plus un sous-chapitre de la lutte climatique mais un sujet prioritaire. Reste que le texte adopté est truffé de formulations au conditionnel et d’imprécisions. En particulier, il ne contient pas de ventilation claire au sujet de la question délicate de savoir “qui paie quoi”. C’était l’un des nœuds gordiens de la discussion : la COP29 avait en effet achoppé sur la question de savoir si seuls les pays du Nord étaient invités à mettre la main au portefeuille ; la décision a été prise d’ouvrir la possibilité au « Sud » (entendre : la Chine) de contribuer également — et c’est ce qui a permis d’obtenir un accord. Toutefois, de nombreux pays espéraient pouvoir obtenir un horizon plus proche (2030) : l’horizon du triplement est repoussé à 2035 alors que les besoins sont massifs dès maintenant. Les ONG de lutte pour
Par Giraud G.
13 décembre 2025