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Pourquoi le low-code est-il le symptôme d’un numérique à outrance ?

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Pourquoi le low-code est-il le symptôme d’un numérique à outrance ?

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Sommaire

    Pourquoi le low-code est-il le symptôme d’un numérique à outrance ?

    Les services et produits numériques ont bouleversé notre manière de communiquer et de consommer. Dans un monde hyper connecté, la digitalisation s’est imposée comme une norme permettant de créer de nouvelles expériences répondant aux prétendus besoins de fluidité et d’immédiateté des utilisateurs, au point que le numérique a dépassé son statut de moyen et est devenu une fin en soi, comme en témoigne par exemple l’explosion du nombre de services et d’appareils connectés. Cette rhétorique développée par les géants du numérique tend d’une part à mettre un terme aux discussions internes[1] aux entreprises de cette industrie et d’autre part à occulter la dégradation dramatique de l’environnement[2] et celle des conditions de travail du nouveau prolétariat[3] sur lequel reposent ces « innovations ».

    Cet impératif d’innovation, qui impose une itération à haute cadence de la part des concepteurs et une mise sur le marché rapide, rend difficile la prise de recul et la réflexion sur les produits et services développés et sur les outils mêmes utilisés pour ces développements. Pourtant, si la répartition des impacts du numérique à l’échelle mondiale impute 45 % de la consommation énergétique à la production et à la fin de vie de nos terminaux, supports réseaux et centres informatiques, les 55 % restants sont dus à l’utilisation de ceux-ci[4]. Cette note vise à questionner la partie proprement immatérielle de notre environnement numérique : celle du code et en particulier du low-code, qui nous semble être un angle inexploré de l’étude des impacts environnementaux, économiques et sociaux du numérique.

    Compte tenu du rythme de pénétration des équipements numériques et des opportunités de marché associées, il est apparu nécessaire pour les entreprises (petites et grandes) de faciliter l’accès à des outils de développement informatique à l’extérieur de leurs services informatique et technologie (IT).

    Ainsi, dès le début des années 1990, Microsoft lance le mouvement « low-code » avec le Visual Basic. Il s’agit d’un langage de programmation qui ambitionne de développer plus rapidement des applications en disposant visuellement des composants, en définissant des propriétés et des actions associées à ces composants, et en ajoutant quelques lignes de code pour en préciser les fonctionnalités.

    Plus généralement, une plate-forme de développement low-code est un logiciel qui fournit un environnement visuel aux programmeur·euses et aux développeur·euses dits « citoyen·nes » pour créer une application mobile ou Web. Le terme « citoyen » est un faux ami qui provient de l’anglicisme consacré « Citizen Development ». Il désigne une approche du développement logiciel nécessitant peu, voire pas du tout, de connaissance en langage informatique. Grâce au low-code, cette nouvelle classe de développeurs peuvent ajouter et agencer des composants d’application préexistants par glisser-déposer et les connecter entre eux au moyen d’interfaces graphiques ; et ainsi se passer de programmation informatique traditionnelle.

    Finie, donc, l’écriture de code en tant que telle. Les champs d’opportunité du low-code sont aujourd’hui décuplés par l’explosion des offres de cloud computing qui offrent une puissance de calcul accrue et une possibilité de développement collaboratif, permettant aisément à des collaborateur·rices de travailler simultanément au développement d’une même application à partir de briques déjà conçues. Les environnements low-code permettent le développement, le déploiement, l’exécution et la gestion rapide d’applications reposant sur un paradigme de programmation déclaratif, c’est-à-dire qui décrit le résultat final souhaité plutôt que les étapes nécessaires pour y accéder. Ces étapes sont établies de manière automatique par des algorithmes.

    Dans un contexte où le marché du low-code s’agite et où cette technologie connaît un essor certain, avec en particulier le renforcement des positions des GAM (en effet, Apple et Facebook ne semblent pas, pour l’instant, désireux d’entrer dans le bal), cette note se veut initiatrice d’une réflexion autour, d’une part, des enjeux de sécurité, de gouvernance et de dépendance aux fournisseurs (souvenons-nous seulement de l’émoi suscité par la panne des services de Google survenue le 14 décembre dernier) et d’autre part son rôle dans l’alourdissement de la note écologique déjà salée du numérique mondial.

    NB : Il est important de relever qu’il existe une différence entre le low-code et le no-code, en particulier quant aux publics ciblés : si le no-code s’adresse à des auteurs plus novices (les développeur·euses citoyen·nes), n’ayant aucune connaissance en code et permet de développer des applications métier, le low-code reste plus complexe et s’adresse à des développeur·euses plus aguerri·es car il nécessite quand même la rédaction de code (jusqu’à 10 % du projet de développement, et souvent les parties les plus techniques).

    Cependant pour les problématiques discutées aujourd’hui, ces deux technologies sont assimilables. Nous pourrons tout de même noter que les questions soulevées sont d’autant plus préoccupantes pour la technologie no-code qu’elle ne nécessite aucun prérequis technique.

     

    I. Un secteur prometteur

     

    Le marché du low-code connaît depuis plusieurs semestres des taux de croissance impressionnants. Paul Vincent, directeur de recherche et d’analyse chez le géant du conseil américain Gartner, prévient : « Aujourd’hui, toutes les entreprises ont mis au point une stratégie cloud, demain elles auront aussi toutes une stratégie de développement low-code »[5].

    a) Un produit attirant

    Selon les études de l’analyste ResearchAndMarkets en 2017, le marché du low-code pesait plus de 4 milliards de dollars dans le monde et dépassera les 27 milliards de dollars en 2022[6]. Ces chiffres sont confirmés par une deuxième étude plus récente, selon laquelle le marché des outils no-code/low-code atteindra les 45,5 milliards de dollars en 2025[7]. Gartner complète ces analyses en suggérant que la propagation du télétravail liée à la pandémie de Covid-19 favorise la poussée du développement à distance et renforce la nécessité d’outils de développement collaboratif. De nombreuses entreprises seront encore amenées à se tourner en 2021 vers des plate-formes de développement low-code pour déployer leurs programmes d’innovation et de transformation numérique[8]. Enfin, toujours selon Gartner, d’ici 2024 près de 65 % de toutes les applications développées le seront grâce à des plate-formes de développement low-code[9].

    À plusieurs égards, ces produits présentent des avantages et offrent des perspectives de croissance pour les entreprises. La logique de compétitivité et de concurrence du marché dicte aux entreprises et aux organisations, d’une part, une nécessité croissante d’automatisation logicielle des flux de travail en interne au nom du dogme de l’agilité et, d’autre part, le besoin de déployer de nouvelles applications, demandées (ou non) par les consommateurs, tout en réduisant les coûts et le temps de développement. Les plate-formes low-code permettent de prototyper et lancer des sites ou applications web et mobiles très rapidement, sans requérir de grandes connaissances en matière de développement informatique.

    Pour des entreprises de petite taille, moins dotées, et pour qui les services d’un·e développeur·euse représenteraient une charge financière trop élevée, le low-code apparaît comme un fort levier de croissance. Le low-code est en effet une solution satisfaisante pour lancer la première version d’un service numérique en assemblant des modules pré-existants. Cette technologie participe de la massification de l’usage du numérique en permettant presque à tout-un-chacun de concevoir une application en s’affranchissant à la fois de la rédaction de code et du design des interfaces, qui est généré automatiquement et personnalisable depuis les plate-formes.

    Le low-code permet aussi, dans une certaine mesure, d’éviter la délégation de la gestion des projets IT à des prestataires externes dont le coût structurel minimal de déploiement reste très élevé. De plus, de par le poids grandissant du numérique dans les stratégies de développement des entreprises, celles-ci sont souvent réticentes à voir leur levier principal de croissance reposer sur les ressources d’un prestataire. Cependant, nous verrons que si, grâce au low-code, ces entreprises se rassurent en donnant la possibilité à leurs collaborateur·rices de développer leurs produits en interne, elles n’en restent pas moins tributaires de fournisseurs externes, à savoir les vendeurs de solutions low-code.

    Outre l’aspect financier, le low-code semble être une bouffée d’air frais face à la difficulté que peut représenter le recrutement de profils informatiques en France. Selon une étude de Pôle Emploi conduite en 2019, visant à connaître leurs besoins en recrutement, 79 % des établissements interrogés, ayant au moins un projet de recrutement dans le secteur informatique, affirment devoir affronter une pénurie de candidat·es et 76 % se plaignent de l’inadéquation du profil de ces derniers·es[10].

    b) Une diversité des usages

    Cette massification de l’usage des outils de développement se traduit par une grande diversification des typologies d’acheteurs traditionnels de solutions IT. Dans son étude sectorielle sur les plate-formes de développement low-code[11], Gartner souligne que 41 % des employé·es qui personnalisent ou créent des données et/ou des solutions technologiques ne travaillent pas dans les services IT de leurs entreprises, mettant ainsi en lumière la propagation à grande échelle de cette technologie et la volonté des entreprises de créer des « applications métier »[12] afin de réduire leurs coûts et automatiser leurs processus. Gartner prévoit que d’ici 2025 la moitié des nouveaux achats commerciaux de solutions low-code ne proviendra pas des services informatiques des entreprises.

    Cependant le caractère prédéfini des briques de développement restreint la personnalisation du fonctionnement et de l’aspect des applications, qui dépendent encore massivement du fournisseur de services. De plus, le low-code présente des possibilités d’intégration limitées à des infrastructures existantes, selon Richard Wang, PDG de Coding Dojo (un organisme de formation au développement)[13]. Ainsi, pour parvenir à des applications sophistiquées, offrant des parcours utilisateur satisfaisants, les services d’un·e développeur·se professionnel·le resteront indispensables. Il ajoute : « les moyennes et grandes entreprises continueront d’opter pour des applications sur mesure offrant plus de souplesse et de possibilités de personnalisation »[14]. Sont-ce là les prémices de nouvelles inégalités où les grandes entreprises auront le monopole des applications bien développées, compte-tenu des apparentes difficultés que représente le recrutement d’un·e développeur·se professionnel·le ?

    c) Une cour de récréation pour les GAM

    Ces perspectives de croissance de marché paraissent déjà en deçà de la réalité si l’on s’intéresse aux mouvements des géants de l’internet dans le domaine. En janvier 2020, Google, qui proposait déjà sa solution low-code App Maker, s’est offert la prometteuse plate-forme de développement no-code AppSheet et a retiré de son Workspace sa plate-forme App Maker au profit d’Appsheet. Cette dernière n’a pas été choisie au hasard : elle figurait parmi les leaders du secteur selon l’étude Forrester Low-Code Platforms For Business Developers du deuxième trimestre 2019[15]. Cette juteuse acquisition permet au géant américain de renforcer son positionnement sur le secteur B2B sans avoir à refondre son propre produit qui, au dire d’experts[16], peinait à décoller. De plus, les plateformes de développement low-code reposant sur le cloud computing, Google s’assure une hausse massive du nombre d’abonnements pour l’hébergement des données collectées et utilisées par les applications développées sur Appsheet.

    Microsoft de son côté affirme sa volonté de faire de sa plate-forme Teams un espace de travail complet et renforce son offre low-code dans Power Apps grâce à Dataflex et Dataflex Pro (ex-Common Data Service), une plate-forme de gestion de données collaborative pour apps, bots et process d’automatisation. Amazon quant à elle, lance Honeycode, un outil de développement low-code qui intégrera sa suite Amazon Web Service (AWS), confirmant la tendance lourde qu’est en train de devenir le low-code.

    Il semble que Google, Amazon et Microsoft cherchent à développer leurs propres solutions afin de créer des environnements de travail complets, extrêmement centralisés et ainsi concurrencer des acteurs comme Appian ou Salesforce, qui intègrent déjà des offres de services Google, Amazon ou Microsoft. En effet, si Power Apps de Microsoft a connu une si large adoption en 2019, il doit ce succès, en partie, à sa disponibilité dans les offres déjà populaires Office et Dynamics 365 (d’autres produits de Microsoft)[17]. Ainsi, si pour l’instant, le PDG d’Appian, Matt Calkins peut assurer que les offres de Microsoft ou d’Amazon sont compatibles avec sa plate-forme[18], il est permis de se demander jusqu’à quand ces géants du numérique vont laisser leurs APIs accessibles à leurs concurrents.

    Le low-code permet à de nouveaux profils d’entrer dans le jeu de la digitalisation. Depuis la mise en ligne d’une landing page grâce à des plate-formes comme Wix ou WordPress jusqu’au développement d’un outil de gestion d’essais cliniques avec des outils plus sophistiqués comme Appian ou Oracle APEX, cette technologie s’adresse à un éventail d’acteurs extrêmement large. Elle tend en outre à supporter des applications de plus en plus cruciales pour les organisations, à tel point que Gartner affirme dans son « quadrant magique » que d’ici 2023, plus de la moitié des entreprises aura adopté une plate-forme de développement low-code en tant qu’outil de développement d’application stratégique[19], au risque de perdre en souveraineté sur leurs propres produits.

    Proposition 1 : Introduire des cours d’initiation au développement informatique dès le lycée afin de susciter des vocations.

    Proposition 2 : Lancer un plan d’aide à l’embauche de développeur·euses pour les PME.

    II. La question de la gouvernance

     

    Les plate-formes de développement low-code tirent leur efficacité de l’architecture et de la puissance de calcul du cloud computing. Sur le secteur du cloud grand public (mis à disposition par un fournisseur de services et reposant sur l’Internet grand public ; en opposition au cloud d’entreprise qui n’est accessible que par l’intranet de l’entreprise ou via un VPN, un réseau privé virtuel), Amazon détient 40 % de parts de marché, suivi par Microsoft, qui en détient 19 % et Google qui complète le podium avec 9 % d’entre elles [20].

    Ces chiffres sont en constante augmentation, confirmant l’hégémonie des géants du web face à des acteurs pourtant très puissants il y a peu, tels que Salesforces, Oracle ou IBM. Ils posent aussi une double question quant à la gouvernance des projets low-code : la première concerne les données sur lesquelles reposent les applications développées sur des plate-formes low-code, et la seconde interroge la souveraineté des clients sur leurs propres applications. Nous pouvons en effet craindre une augmentation des dépendances des entreprises aux éditeurs de solutions, eux-mêmes souvent dépendants des géants de la tech (si une entreprise comme Salesforces possède ses propres datacenters, elle fait aussi appel aux services d’AWS pour compléter son offre[21]).

    a) La gouvernance des données

    Sur le plan des données, si les entreprises restent propriétaires des bases de données qu’elles alimentent, l’ultracentralisation soulève les questions de sécurité propres à toutes les solutions cloud. Certes, ces solutions permettent aux entreprises de se décharger de la tâche de gestion des infrastructures de stockage de données (mise à jour des systèmes d’exploitation, des logiciels serveurs, de leurs bibliothèques logicielles, etc.) ainsi que de leur sécurisation et représentent un argument de vente majeur des éditeurs de solutions low-code ; mais le recours à ces solutions ajoute un interlocuteur de plus dans la chaîne de production de services et peut s’avérer contre-productif en cas panne système, en cas de litige ou de dysfonctionnement : qui est responsable de quoi ? En cas de panne, quelles sont les causes incluses et les incidents exclus dans le contrat d’accord de niveau de service ? Le taux de disponibilité de serveur annoncé concerne-t-il l’ensemble des services ou des modules précis ? Quelles garanties sur la localisation des datacenters ? Comment sont répliquées les applications par l’éditeur, etc.

    Par ailleurs, nous avons vu que la technologie low-code ouvrait le développement à des personnes sans expertise de la discipline. Si l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, a imposé aux directions du système informatique (DSI) des entreprises des réformes quant à leurs politiques de sécurisation des informations utilisées, ainsi qu’un meilleur accès aux contenus, notamment pour que les particuliers puissent exercer l’ensemble des droits que leur confère ce nouveau régime, les développeur·euses citoyen·nes représentent des défis inédits pour les entreprises en matière de gouvernance des données et en particulier des données personnelles. Il convient pour les entreprises d’adopter une politique interne de gestion de leurs bases de données, afin de les segmenter et réguler l’accès de leurs développeur·euses, sans quoi le volet cyber sécurité et datagovernance pourraient être le maillon faible des projets low-code. Dans les entreprises, les DSI édictent des guides de bonnes pratiques et des règles visant à garantir la sécurité et la conformité des données à destination des développeur·euses. La prolifération des développeur·euses au sein des organisations et la diversité du niveau d’expertise devraient imposer aux DSI une vulgarisation de ces règles ainsi qu’une supervision quasi-permanente de ses développeur·euses. Cette supervision devrait, le cas échéant, limiter la création ou la mise en relation de certaines bases de données spécifiques : « par exemple, une organisation ne doit pas concevoir une application associant le nom et l’adresse d’un employé à un numéro de sécurité sociale, sauf dans une base de données protégée »[22]. La violation de telles contraintes crée des vulnérabilités pour la vie privée des employés, des clients, etc. et présente des risques juridiques pour les entreprises.

    Pour faire face à ces risques, il est nécessaire de mettre en place des politiques de sécurisation des informations de l’entreprise, de ses employés et de ses clients. Cela peut être rendu possible en limitant l’accès des développeur·euses aux bases de données qui contiennent des données sensibles ou en exigeant une approbation pour accéder à ces bases, en traçant l’activité des développeur·euses et en gérant les violations de données[23].

    b) Les logiciels

    Sur le plan de la gouvernance des produits développés, le low-code présente des limites intrinsèques. De par son concept même, les éditeurs proposent de larges boîtes à outils de composantes modulables et qui sont mises à disposition des développeur·euses. Cependant ces composantes étant propres à chaque éditeur de solution, les fonctionnalités des produits développés sont donc conditionnées d’une part par l’offre de composantes proposées par la plate-forme, et d’autre part, par l’interprétation et la génération automatique de l’app ou du service par celle-ci. En pratique, la plupart des solutions low-code sont des canevas prédéfinis selon les secteurs d’activités, qui peuvent être personnalisés mais dont l’architecture reste relativement rigide. Si les applications low-code conviennent pour l’automatisation de tâches simples comme l’authentification, la validation de formulaires, ou la gestion de stocks et de données clients, elles sont limitées pour des tâches plus complexes. De plus, comme bien souvent, plus la complexité est élevée, plus le prix de la solution et la dépendance à la plate-forme augmentent. À ce sujet, de nombreuses organisations interrogées par Gartner évoquent la difficulté de prévoir la tarification et le besoin d’un budget supplémentaire pour l’accompagnement au déploiement et l’assistance réservée à certains services[24].

    Enfin, les entreprises sont souvent tributaires de l’éditeur qu’elles choisissent : si elles peuvent récupérer les données, il leur est impossible de migrer les applications développées sur une autre plate-forme. Ce manque d’interopérabilité inscrit les entreprises dans une dépendance au sentier vis-à-vis des éditeurs de solutions, qui les décourage à tenter de changer de fournisseurs.

    Les entreprises sont à la merci des évolutions de chartes de confidentialité, du changement des tarifs, ou de la mise à jour des briques de base. En cas de désaccord, ces entreprises se trouvent dans l’obligation de réécrire tout ou partie de leur application. À titre d’exemple, Google a annoncé la fermeture de sa solution App Maker en janvier 2021 après à peine cinq ans de services. Si Google propose bien une autre plate-forme de développement low-code, il ne sera pas possible de migrer directement les applications vers cette autre plate-forme, ni vers aucune autre d’ailleurs : « De par la spécificité du code source utilisé par App Maker, il est impossible de migrer votre application vers une autre plate-forme »[25].

    Olivier Reinaud, responsable du programme Business Solution Automation chez Nestlé confirme nos craintes : « La réversibilité est un point important. Si nous devions changer de plate-forme, il faudrait repartir de quasiment 0 »[26].

    Proposition 3 : Élargir le droit à la portabilité aux logiciels : imposer le recours à des standards d’importation et d’exportation des applications développées sur des plate-formes low-code afin de permettre la migration vers une autre plate-forme.

    Proposition 3.a : Recourir aux technologies existantes pour les applications front-end : html, css, web components standards, etc.

    Proposition 3.b : Établir un pseudo-code standard pour le développement back-end.

    Proposition 4 : Conditionner les aides aux financements publics (Caisse des Dépôts, BPI, aides d’État) à un taux de dépendance aux plateformes low-code des géants américains (ou non-européens ?) ou à une feuille de route de sortie du low-code.

    Proposition 5 : Mettre fin aux abonnements illimités ou forfaitaires à des services cloud.

    Proposition 6 : Instaurer une taxe sur la donnée stockée à partir d’un certain volume afin d’inciter les entreprises à être plus parcimonieuses sur leurs bases de données. Cette mesure présente le double avantage de limiter le volume de données collectées par les entreprises, et de contenir l’explosion de la charge des datacenters, très énergivores.

    Proposition 7 : Contraindre l’augmentation du volume entre les mises à jour d’un même logiciel, une des causes de l’obsolescence programmée.

    Proposition 7.a : Imposer une séparation entre les mises à jour de sécurité et les mises à jour fonctionnelles.

    Proposition 7.b : Établir un seuil (en pourcentage) d’augmentation du volume d’une application sur une plage temporelle glissante.

    III. La question environnementale

     

    a) Effet rebond

    Le fait de rendre une technologie plus accessible, en diminuant sa complexité technique, en faisant diminuer son temps de production, ou en augmentant l’efficacité avec laquelle une ressource est employée favorise sa propagation. Cependant, cette propagation est parfois tellement favorisée que la consommation totale de cette ressource peut augmenter. C’est ce que l’on appelle l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons).

    Google annonce que plus d’1,8 millions de logiciels ont déjà été créés grâce à AppSheet[27]. Le cabinet de conseil International Data Corporation (IDC) prévoit que 500 millions de logiciels seront développés dans les cinq prochaines années, soit plus que l’ensemble des programmes informatiques créés depuis quarante ans[28]. La très grande majorité d’entre eux seront créés sur des plate-formes de développement low-code. Le low-code fait sauter la barrière de la complexité technique et du coût de développement et favorise le développement à outrance de tous types de services numériques et d’applications. Les consommateurs de low-code ont maintenant le luxe de pouvoir se passer de la réflexion sur la nécessité, le besoin, le bien-fondé de l’application, du logiciel, du produit qu’ils s’apprêtent à développer et font exploser le coût écologique global du numérique.

    Dans l’imaginaire collectif, le numérique est une conception immatérielle et hors-sol dont les ressources seraient illimitées (on peut penser au nom même donné au “cloud”, qui renvoie à l’impalpable, à l’éthéré). Pourtant ce cloud (sur lequel repose la technologie low-code) n’est rien d’autre que l’agrégation de milliers de datacenters et représente déjà près de 15 % des émissions de gaz à effet de serre liées au numérique.

    Cette invisibilisation de la complexité et de la technique du numérique en général et du low-code en particulier participe de l’impact grandissant du numérique sur l’environnement. Si de nombreuses applications et services peuvent être développés avec la rédaction de quelques lignes de code, grâce aux abstractions disponibles sur les plate-formes, toutes ces interfaces qui prétendent réduire les difficultés cachent un énorme problème de volume, masqué dans les systèmes d’information des entreprises aujourd’hui[29].

    Après le « big data », un rapport de Dimensional Data réalisé pour Sourcegraph évoque le « big code »[30]. Le big code fait référence à la croissance ahurissante du volume et de la complexité du code. Cette croissance comprend l’augmentation du nombre d’environnements, de plate-formes et d’outils de développement, la diminution des délais de livraison et l’augmentation de la valeur commerciale escomptée. Dans les faits, plus de la moitié des responsables informatiques sondé·es ont indiqué que le volume de code avait été multiplié par 100 en dix ans (en mégaoctets et en nombre de dépôts) et près d’une personne sur cinq déclare devoir faire face à 500 fois plus de code. Les bases de code atteignent des volumes tels qu’il devient difficile pour les développeur·euses interrogé·es de découvrir, comprendre et corriger le code. En outre, 92 % des personnes interrogées affirment que la pression exercée sur leurs équipes pour livrer de nouvelles versions est importante. Ces deux phénomènes se traduisent par une crainte largement répandue dans les équipes de « casser quelque chose » et donc par une réticence à mettre à niveau les applications. Ces applications charrient alors des kilo-octets voire des mega-octets de (pseudo)code inutile qui saturent les espaces de stockage des appareils, nécessitent des processeurs toujours plus puissants et participent ainsi de l’obsolescence prématurée de tous nos dispositifs numériques.

    b) Stratégie maximaliste des éditeurs

    Afin de répondre à des problématiques dites « métier », les éditeurs proposent des solutions low-code verticalisées. Cela signifie qu’ils fournissent des briques fonctionnelles et techniques adaptées à chaque besoin (commercial, marketing, finance, RH, logistique, industrie, etc.). Chaque secteur, chaque métier nécessite des briques spécifiques capables d’exécuter des fonctions attendues, de collecter des données requises, et enfin de les traiter. D’autre part, la manière de les manipuler et de les afficher varie aussi ; en effet, un tableau de bord n’affichera pas les mêmes données, ni sous la même forme, s’il est destiné à être utilisé par un support technique, un service commercial ou une direction des ressources humaines. Le secteur d’activité impacte ces affichages et les besoins en données[31]. Cependant la stratégie employée par les éditeurs de solutions low-code semble être maximaliste : en donnant le maximum de possibilités à chaque brique, les éditeurs sont sûrs que celles-ci pourront satisfaire des besoins moindres. Une interface n’est pas anodine, la façon dont elle est pensée, construite, et doit être utilisée contraint le·la développeur·euse. Le caractère prédéfini des composantes impose donc des caractéristiques techniques parfois mal dimensionnées, comme par exemple l’embarcation de données qui ne sont pas nécessairement utiles à une fonctionnalité souhaitée ou bien propose des fonctionnalités trop riches et donc plus lourdes.

    Nous avons examiné deux landing pages développées avec deux plate-formes de développement low-code différentes. La première a été développée sur la plate-forme Wix (wix.com)[32], la seconde grâce au générateur de sites statiques Hugo (gohugo.io)[33]. Ces deux sites ont été développés simultanément et renseignent les mêmes informations (le nom d’un studio, la photo de ses membres, une carte et des informations de contacts) dans le but de comparer leurs performances et en particulier leurs performances environnementales. Nous avons pour cela utilisé trois outils différents : web.dev, websitecarbon.com et GreenIT-Analysis add on.

     

    Les résultats sont les suivants :

    Figure 1 : Comparaison des performances environnementales et d’affichage de deux landing pages développées sur des plateformes low-code

     

    Nous constatons que pour deux sites quasi-identiques (les quelques différences pouvant exister sont précisément dues à l’impossibilité de paramétrer totalement les briques en fonction de nos souhaits) les indicateurs de la landing page développée sur Wix sont moins bons que ceux de la landing page développée sur Hugo. Ces écarts de performances, invisibles pour le·la développeur·euse et pour l’utilisateur·rice s’expliquent par la différence de technologies utilisées par ces deux éditeurs pour développer les briques primaires. Si ces chiffres paraissent anecdotiques à l’échelle de notre expérience, ils sont loin de l’être une fois multipliés par le nombre de sites et le nombre d’internautes.

    Proposition 8 : Intégrer un critère d’écoconception au cahier des charges de reconnaissance des formations de développeur·euses par l’État : Répertoire national des certifications professionnelles, diplôme visé par l’État, etc.

    Proposition 9 : Limiter la durée de vie des sites inactifs : imposer la clôture et la suppression d’un site ou application avec un temps d’inactivité donné.

    Proposition 10 : Inciter les entreprises à recourir aux licences Creative Commons ou à l’Open Source par des crédits d’impôts ou l’ouverture de marchés publics exclusifs pour permettre une vraie personnalisation des logiciels, stimuler l’innovation collective, challenger la sécurité des solutions numériques.

     

    CONCLUSION

    Le low-code est une technologie de simplification massive permettant de développer des services et des applications en quelques clics. Cette simplification est cependant parfois synonyme d’invisibilisation des nombreux questionnements qui peuvent (et devraient) apparaître lors du déroulement d’un projet IT, quant à l’hébergement, la souveraineté logicielle, ou la gouvernance des données. Si elle est une aubaine pour des petites entreprises présentant des difficultés à embaucher des développeurs, elle semble surtout être le théâtre des ambitions phagocytaires des GAM et le lieu des désirs insatiables de productivité des plus grandes entreprises. L’assouvissement de tels désirs se fait souvent au détriment des conditions de travail des humains et quasi-systématiquement au détriment de l’environnement.

    Un tournant vers la sobriété et une transformation collective de la société paraissent nécessaires. Il s’agit avant tout de questionner en profondeur nos besoins et nos usages des technologies et de remettre en cause les modèles socio-économiques existants. Le projet ne consiste pas à remplacer des technologies voraces par d’autres technologies plus frugales pour faire la même chose, mais bel et bien d’imaginer un monde où la technologie n’occuperait pas la place prédominante qui lui est donnée aujourd’hui. Dans son livre L’âge des low-tech, Vers une civilisation techniquement soutenable, Philippe Bihouix défend une vision systémique du low-tech, à trois dimensions[34]. Il prône d’abord une sobriété et une économie à la source, dans la conception même de nos objets et services.

    L’enjeu est la transformation de nos comportements. Moins utiliser les technologies, moins souvent, moins à tout propos et n’y avoir recours qu’en réponse à des besoins qui le justifient est primordial pour changer radicalement de modèle. Collectivement, cela se traduit par la recherche de solutions moins technologiques pour nous libérer de l’effet structurant des technologies en réduisant nos dépendances aux systèmes techniques complexes, en les transformant, en se les appropriant et en nous conformant aux contraintes physiques du monde dans lequel nous vivons.

    Cette transformation passe par une profonde réforme des conditions de production de nos objets et services afin de les amener à se fonder sur un travail humain digne et sur le savoir, la transparence, la collaboration. En ayant recours aux licences libres telles que l’Open Source ou le Creative Commons, on participe d’une part à la valorisation de la création collective et collaborative et d’autre part à la démystification de la complexité du numérique dont le code est un exemple prégnant.

     

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    [1] Fouquet, Helene, Nussbaum, Ania, « Dissent at Heart of Telecom Industry Undermines France’s 5G Push », Bloomberg, 18 septembre 2020.

    Un millier d’employés d’Orange tente depuis près d’un an d’interpeller le management sur les risques environnementaux et les défauts de rentabilité qu’engendreront, selon eux, le déploiement de la 5G.

    [2] Bouilloud, Romain, Jahier, Adrien, Moundib, Ilian, « Numérique : l’impératif de sobriété », Institut Rousseau. (à venir)

    [3] Voir par exemple Poulain, Henri, Invisibles, Les Travailleurs du clic, 2020, (92mn) ou Pitron, Guillaume, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018.

    [4] Ferreboeuf, Hugues, et al., Lean ICT, Pour une sobriété numérique, 2018.

    [5] Vincent, Paul, « Gartner: What to consider before adopting low-code development », ComputerWeekly.com, 25 novembre 2019.

    [6] Markets and Markets Analysis, Low-Code Development Platform Market by Component (Solution and Services (Professional and Managed)), Deployment Mode, Organization Size, Vertical (Telecom and IT, BFSI, Government), and Region – Global Forecast to 2022, 2018.

    [7] MarketsandMarkets Analysis, Low-Code Development Platform Market by Component (Platform and Services), Application Type, Deployment Type (Cloud and On-Premises), Organization Size (SMEs and Large Enterprises), Industry, and Region – Global Forecast to 2025, 2020.

    [8] Gagliordi, Natalie, « Le développement low code est devenu un mouvement technologique selon Gartner », ZDNet, 17 février 2021.

    [9] Leprince-Ringuet, Daphne, « Low-code and no-code development is changing how software is built – and who builds it », ZDNet, 18 novembre 2020.

    [10] BVA, CREDOC, Enquête complémentaire BMO 2019, Pôle emploi, 2019.

    [11] Vincent, Paul, Ijima, Kimihiko, Driver, Mark, Wong, Jason, Natis, Yefim, Gartner Magic Quadrant for Enterprise Low-Code Application Platforms, Gartner, 2019.

    [12] Une application métier est une application spécialement développée pour répondre aux besoins spécifiques d’un service particulier, dans un secteur d’activité particulier (le service logistique d’une entreprise de bâtiment par exemple).

    [13] Leprince-Ringuet, Daphne, Op. cit.

    [14] Ibid.

    [15] Rymer, John R., Mines, Christopher, Sjoblom, Sara, Reese, Andrew, The Forrester Wave™: Low-Code Platforms For Business Developers, Q2 2019, 2019.

    [16] Bohic, Clément, « Google ferme AppMaker : du low-code au no-code », Silicon.fr, 28 janvier 2020.

    [17] Raoul, Gaétan, « Low-code/no-code : les géants du cloud bousculent les lignes du marché », LeMagIT, 19 octobre 2020.

    [18] Ibid.

    [19] Vincent, Paul, Ijima, Kimihiko, Driver, Mark, Wong, Jason, Natis, Yefim, Op. cit.

    [20] Synergy Research Group, Amazon, Microsoft, Google and Alibaba Strengthen their Grip on the Public Cloud Market, 29 octobre 2019.

    [21] Salesforce, « Where is my Salesforce instance located? », Knowledge article, 2 février 2021.

    [22] Nolle, Tom, « Comment la gouvernance des applications low-code aide à protéger les données », LeMagIT, 10 septembre 2019.

    [23] Ibid.

    [24] Raoul, Gaétan, Op. cit.

    [25] Google Workspace Updates, « Google App Maker will be shut down on January 19, 2021 », 27 janvier 2020.

    [26] Tonic, François, « No code, low code : témoignage et retour terrain », ZDNet, 2 mai 2018.

    [27] Rosenbaum, Eric, « Next frontier in Microsoft, Google, Amazon cloud battle is over a world without code », CNBC, 1 avril 2020.

    [28] Gillen, Al, Chen, Gary, Gens, Frank, 500 Million New Logical Applications: More Background, IDC Research®, 2019.

    [29] McKendrick, Joe, « Oui, le low code et le no code c’est cool, mais le « Big Code » les guettent (c’est quoi ?) », ZDNet, 7 octobre 2020.

    [30] Dimensional Data sponsored by Sourcegraph, The Emergence of Big Code, a 2020 Survey of Software Professionals, 2020.

    [31] Tonic, François, Op. cit.

    [32] Cohen, Yaacov, https://yaacov60.wixsite.com/goodimpact

    [33] Cohen, Yaacov, https://atelier-simplon.netlify.app/

    [34] Bihouix, Philippe, L’âge des low-tech, Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014.

    Publié le 1 avril 2021

    Pourquoi le low-code est-il le symptôme d’un numérique à outrance ?

    Auteurs

    Virgile Leclercq
    Virgile Leclercq est diplômé de Sciences Po et de Strate École de Design. Il est designer et responsable de la connaissance dans un think and do tank qui œuvre pour un numérique plus responsable, en accompagnant les organisations (entreprises, services publics, incubateurs, écoles/universités…) dans la conception et l’application de stratégies numériques plus soutenables.

    Les services et produits numériques ont bouleversé notre manière de communiquer et de consommer. Dans un monde hyper connecté, la digitalisation s’est imposée comme une norme permettant de créer de nouvelles expériences répondant aux prétendus besoins de fluidité et d’immédiateté des utilisateurs, au point que le numérique a dépassé son statut de moyen et est devenu une fin en soi, comme en témoigne par exemple l’explosion du nombre de services et d’appareils connectés. Cette rhétorique développée par les géants du numérique tend d’une part à mettre un terme aux discussions internes[1] aux entreprises de cette industrie et d’autre part à occulter la dégradation dramatique de l’environnement[2] et celle des conditions de travail du nouveau prolétariat[3] sur lequel reposent ces « innovations ».

    Cet impératif d’innovation, qui impose une itération à haute cadence de la part des concepteurs et une mise sur le marché rapide, rend difficile la prise de recul et la réflexion sur les produits et services développés et sur les outils mêmes utilisés pour ces développements. Pourtant, si la répartition des impacts du numérique à l’échelle mondiale impute 45 % de la consommation énergétique à la production et à la fin de vie de nos terminaux, supports réseaux et centres informatiques, les 55 % restants sont dus à l’utilisation de ceux-ci[4]. Cette note vise à questionner la partie proprement immatérielle de notre environnement numérique : celle du code et en particulier du low-code, qui nous semble être un angle inexploré de l’étude des impacts environnementaux, économiques et sociaux du numérique.

    Compte tenu du rythme de pénétration des équipements numériques et des opportunités de marché associées, il est apparu nécessaire pour les entreprises (petites et grandes) de faciliter l’accès à des outils de développement informatique à l’extérieur de leurs services informatique et technologie (IT).

    Ainsi, dès le début des années 1990, Microsoft lance le mouvement « low-code » avec le Visual Basic. Il s’agit d’un langage de programmation qui ambitionne de développer plus rapidement des applications en disposant visuellement des composants, en définissant des propriétés et des actions associées à ces composants, et en ajoutant quelques lignes de code pour en préciser les fonctionnalités.

    Plus généralement, une plate-forme de développement low-code est un logiciel qui fournit un environnement visuel aux programmeur·euses et aux développeur·euses dits « citoyen·nes » pour créer une application mobile ou Web. Le terme « citoyen » est un faux ami qui provient de l’anglicisme consacré « Citizen Development ». Il désigne une approche du développement logiciel nécessitant peu, voire pas du tout, de connaissance en langage informatique. Grâce au low-code, cette nouvelle classe de développeurs peuvent ajouter et agencer des composants d’application préexistants par glisser-déposer et les connecter entre eux au moyen d’interfaces graphiques ; et ainsi se passer de programmation informatique traditionnelle.

    Finie, donc, l’écriture de code en tant que telle. Les champs d’opportunité du low-code sont aujourd’hui décuplés par l’explosion des offres de cloud computing qui offrent une puissance de calcul accrue et une possibilité de développement collaboratif, permettant aisément à des collaborateur·rices de travailler simultanément au développement d’une même application à partir de briques déjà conçues. Les environnements low-code permettent le développement, le déploiement, l’exécution et la gestion rapide d’applications reposant sur un paradigme de programmation déclaratif, c’est-à-dire qui décrit le résultat final souhaité plutôt que les étapes nécessaires pour y accéder. Ces étapes sont établies de manière automatique par des algorithmes.

    Dans un contexte où le marché du low-code s’agite et où cette technologie connaît un essor certain, avec en particulier le renforcement des positions des GAM (en effet, Apple et Facebook ne semblent pas, pour l’instant, désireux d’entrer dans le bal), cette note se veut initiatrice d’une réflexion autour, d’une part, des enjeux de sécurité, de gouvernance et de dépendance aux fournisseurs (souvenons-nous seulement de l’émoi suscité par la panne des services de Google survenue le 14 décembre dernier) et d’autre part son rôle dans l’alourdissement de la note écologique déjà salée du numérique mondial.

    NB : Il est important de relever qu’il existe une différence entre le low-code et le no-code, en particulier quant aux publics ciblés : si le no-code s’adresse à des auteurs plus novices (les développeur·euses citoyen·nes), n’ayant aucune connaissance en code et permet de développer des applications métier, le low-code reste plus complexe et s’adresse à des développeur·euses plus aguerri·es car il nécessite quand même la rédaction de code (jusqu’à 10 % du projet de développement, et souvent les parties les plus techniques).

    Cependant pour les problématiques discutées aujourd’hui, ces deux technologies sont assimilables. Nous pourrons tout de même noter que les questions soulevées sont d’autant plus préoccupantes pour la technologie no-code qu’elle ne nécessite aucun prérequis technique.

     

    I. Un secteur prometteur

     

    Le marché du low-code connaît depuis plusieurs semestres des taux de croissance impressionnants. Paul Vincent, directeur de recherche et d’analyse chez le géant du conseil américain Gartner, prévient : « Aujourd’hui, toutes les entreprises ont mis au point une stratégie cloud, demain elles auront aussi toutes une stratégie de développement low-code »[5].

    a) Un produit attirant

    Selon les études de l’analyste ResearchAndMarkets en 2017, le marché du low-code pesait plus de 4 milliards de dollars dans le monde et dépassera les 27 milliards de dollars en 2022[6]. Ces chiffres sont confirmés par une deuxième étude plus récente, selon laquelle le marché des outils no-code/low-code atteindra les 45,5 milliards de dollars en 2025[7]. Gartner complète ces analyses en suggérant que la propagation du télétravail liée à la pandémie de Covid-19 favorise la poussée du développement à distance et renforce la nécessité d’outils de développement collaboratif. De nombreuses entreprises seront encore amenées à se tourner en 2021 vers des plate-formes de développement low-code pour déployer leurs programmes d’innovation et de transformation numérique[8]. Enfin, toujours selon Gartner, d’ici 2024 près de 65 % de toutes les applications développées le seront grâce à des plate-formes de développement low-code[9].

    À plusieurs égards, ces produits présentent des avantages et offrent des perspectives de croissance pour les entreprises. La logique de compétitivité et de concurrence du marché dicte aux entreprises et aux organisations, d’une part, une nécessité croissante d’automatisation logicielle des flux de travail en interne au nom du dogme de l’agilité et, d’autre part, le besoin de déployer de nouvelles applications, demandées (ou non) par les consommateurs, tout en réduisant les coûts et le temps de développement. Les plate-formes low-code permettent de prototyper et lancer des sites ou applications web et mobiles très rapidement, sans requérir de grandes connaissances en matière de développement informatique.

    Pour des entreprises de petite taille, moins dotées, et pour qui les services d’un·e développeur·euse représenteraient une charge financière trop élevée, le low-code apparaît comme un fort levier de croissance. Le low-code est en effet une solution satisfaisante pour lancer la première version d’un service numérique en assemblant des modules pré-existants. Cette technologie participe de la massification de l’usage du numérique en permettant presque à tout-un-chacun de concevoir une application en s’affranchissant à la fois de la rédaction de code et du design des interfaces, qui est généré automatiquement et personnalisable depuis les plate-formes.

    Le low-code permet aussi, dans une certaine mesure, d’éviter la délégation de la gestion des projets IT à des prestataires externes dont le coût structurel minimal de déploiement reste très élevé. De plus, de par le poids grandissant du numérique dans les stratégies de développement des entreprises, celles-ci sont souvent réticentes à voir leur levier principal de croissance reposer sur les ressources d’un prestataire. Cependant, nous verrons que si, grâce au low-code, ces entreprises se rassurent en donnant la possibilité à leurs collaborateur·rices de développer leurs produits en interne, elles n’en restent pas moins tributaires de fournisseurs externes, à savoir les vendeurs de solutions low-code.

    Outre l’aspect financier, le low-code semble être une bouffée d’air frais face à la difficulté que peut représenter le recrutement de profils informatiques en France. Selon une étude de Pôle Emploi conduite en 2019, visant à connaître leurs besoins en recrutement, 79 % des établissements interrogés, ayant au moins un projet de recrutement dans le secteur informatique, affirment devoir affronter une pénurie de candidat·es et 76 % se plaignent de l’inadéquation du profil de ces derniers·es[10].

    b) Une diversité des usages

    Cette massification de l’usage des outils de développement se traduit par une grande diversification des typologies d’acheteurs traditionnels de solutions IT. Dans son étude sectorielle sur les plate-formes de développement low-code[11], Gartner souligne que 41 % des employé·es qui personnalisent ou créent des données et/ou des solutions technologiques ne travaillent pas dans les services IT de leurs entreprises, mettant ainsi en lumière la propagation à grande échelle de cette technologie et la volonté des entreprises de créer des « applications métier »[12] afin de réduire leurs coûts et automatiser leurs processus. Gartner prévoit que d’ici 2025 la moitié des nouveaux achats commerciaux de solutions low-code ne proviendra pas des services informatiques des entreprises.

    Cependant le caractère prédéfini des briques de développement restreint la personnalisation du fonctionnement et de l’aspect des applications, qui dépendent encore massivement du fournisseur de services. De plus, le low-code présente des possibilités d’intégration limitées à des infrastructures existantes, selon Richard Wang, PDG de Coding Dojo (un organisme de formation au développement)[13]. Ainsi, pour parvenir à des applications sophistiquées, offrant des parcours utilisateur satisfaisants, les services d’un·e développeur·se professionnel·le resteront indispensables. Il ajoute : « les moyennes et grandes entreprises continueront d’opter pour des applications sur mesure offrant plus de souplesse et de possibilités de personnalisation »[14]. Sont-ce là les prémices de nouvelles inégalités où les grandes entreprises auront le monopole des applications bien développées, compte-tenu des apparentes difficultés que représente le recrutement d’un·e développeur·se professionnel·le ?

    c) Une cour de récréation pour les GAM

    Ces perspectives de croissance de marché paraissent déjà en deçà de la réalité si l’on s’intéresse aux mouvements des géants de l’internet dans le domaine. En janvier 2020, Google, qui proposait déjà sa solution low-code App Maker, s’est offert la prometteuse plate-forme de développement no-code AppSheet et a retiré de son Workspace sa plate-forme App Maker au profit d’Appsheet. Cette dernière n’a pas été choisie au hasard : elle figurait parmi les leaders du secteur selon l’étude Forrester Low-Code Platforms For Business Developers du deuxième trimestre 2019[15]. Cette juteuse acquisition permet au géant américain de renforcer son positionnement sur le secteur B2B sans avoir à refondre son propre produit qui, au dire d’experts[16], peinait à décoller. De plus, les plateformes de développement low-code reposant sur le cloud computing, Google s’assure une hausse massive du nombre d’abonnements pour l’hébergement des données collectées et utilisées par les applications développées sur Appsheet.

    Microsoft de son côté affirme sa volonté de faire de sa plate-forme Teams un espace de travail complet et renforce son offre low-code dans Power Apps grâce à Dataflex et Dataflex Pro (ex-Common Data Service), une plate-forme de gestion de données collaborative pour apps, bots et process d’automatisation. Amazon quant à elle, lance Honeycode, un outil de développement low-code qui intégrera sa suite Amazon Web Service (AWS), confirmant la tendance lourde qu’est en train de devenir le low-code.

    Il semble que Google, Amazon et Microsoft cherchent à développer leurs propres solutions afin de créer des environnements de travail complets, extrêmement centralisés et ainsi concurrencer des acteurs comme Appian ou Salesforce, qui intègrent déjà des offres de services Google, Amazon ou Microsoft. En effet, si Power Apps de Microsoft a connu une si large adoption en 2019, il doit ce succès, en partie, à sa disponibilité dans les offres déjà populaires Office et Dynamics 365 (d’autres produits de Microsoft)[17]. Ainsi, si pour l’instant, le PDG d’Appian, Matt Calkins peut assurer que les offres de Microsoft ou d’Amazon sont compatibles avec sa plate-forme[18], il est permis de se demander jusqu’à quand ces géants du numérique vont laisser leurs APIs accessibles à leurs concurrents.

    Le low-code permet à de nouveaux profils d’entrer dans le jeu de la digitalisation. Depuis la mise en ligne d’une landing page grâce à des plate-formes comme Wix ou WordPress jusqu’au développement d’un outil de gestion d’essais cliniques avec des outils plus sophistiqués comme Appian ou Oracle APEX, cette technologie s’adresse à un éventail d’acteurs extrêmement large. Elle tend en outre à supporter des applications de plus en plus cruciales pour les organisations, à tel point que Gartner affirme dans son « quadrant magique » que d’ici 2023, plus de la moitié des entreprises aura adopté une plate-forme de développement low-code en tant qu’outil de développement d’application stratégique[19], au risque de perdre en souveraineté sur leurs propres produits.

    Proposition 1 : Introduire des cours d’initiation au développement informatique dès le lycée afin de susciter des vocations.

    Proposition 2 : Lancer un plan d’aide à l’embauche de développeur·euses pour les PME.

    II. La question de la gouvernance

     

    Les plate-formes de développement low-code tirent leur efficacité de l’architecture et de la puissance de calcul du cloud computing. Sur le secteur du cloud grand public (mis à disposition par un fournisseur de services et reposant sur l’Internet grand public ; en opposition au cloud d’entreprise qui n’est accessible que par l’intranet de l’entreprise ou via un VPN, un réseau privé virtuel), Amazon détient 40 % de parts de marché, suivi par Microsoft, qui en détient 19 % et Google qui complète le podium avec 9 % d’entre elles [20].

    Ces chiffres sont en constante augmentation, confirmant l’hégémonie des géants du web face à des acteurs pourtant très puissants il y a peu, tels que Salesforces, Oracle ou IBM. Ils posent aussi une double question quant à la gouvernance des projets low-code : la première concerne les données sur lesquelles reposent les applications développées sur des plate-formes low-code, et la seconde interroge la souveraineté des clients sur leurs propres applications. Nous pouvons en effet craindre une augmentation des dépendances des entreprises aux éditeurs de solutions, eux-mêmes souvent dépendants des géants de la tech (si une entreprise comme Salesforces possède ses propres datacenters, elle fait aussi appel aux services d’AWS pour compléter son offre[21]).

    a) La gouvernance des données

    Sur le plan des données, si les entreprises restent propriétaires des bases de données qu’elles alimentent, l’ultracentralisation soulève les questions de sécurité propres à toutes les solutions cloud. Certes, ces solutions permettent aux entreprises de se décharger de la tâche de gestion des infrastructures de stockage de données (mise à jour des systèmes d’exploitation, des logiciels serveurs, de leurs bibliothèques logicielles, etc.) ainsi que de leur sécurisation et représentent un argument de vente majeur des éditeurs de solutions low-code ; mais le recours à ces solutions ajoute un interlocuteur de plus dans la chaîne de production de services et peut s’avérer contre-productif en cas panne système, en cas de litige ou de dysfonctionnement : qui est responsable de quoi ? En cas de panne, quelles sont les causes incluses et les incidents exclus dans le contrat d’accord de niveau de service ? Le taux de disponibilité de serveur annoncé concerne-t-il l’ensemble des services ou des modules précis ? Quelles garanties sur la localisation des datacenters ? Comment sont répliquées les applications par l’éditeur, etc.

    Par ailleurs, nous avons vu que la technologie low-code ouvrait le développement à des personnes sans expertise de la discipline. Si l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, a imposé aux directions du système informatique (DSI) des entreprises des réformes quant à leurs politiques de sécurisation des informations utilisées, ainsi qu’un meilleur accès aux contenus, notamment pour que les particuliers puissent exercer l’ensemble des droits que leur confère ce nouveau régime, les développeur·euses citoyen·nes représentent des défis inédits pour les entreprises en matière de gouvernance des données et en particulier des données personnelles. Il convient pour les entreprises d’adopter une politique interne de gestion de leurs bases de données, afin de les segmenter et réguler l’accès de leurs développeur·euses, sans quoi le volet cyber sécurité et datagovernance pourraient être le maillon faible des projets low-code. Dans les entreprises, les DSI édictent des guides de bonnes pratiques et des règles visant à garantir la sécurité et la conformité des données à destination des développeur·euses. La prolifération des développeur·euses au sein des organisations et la diversité du niveau d’expertise devraient imposer aux DSI une vulgarisation de ces règles ainsi qu’une supervision quasi-permanente de ses développeur·euses. Cette supervision devrait, le cas échéant, limiter la création ou la mise en relation de certaines bases de données spécifiques : « par exemple, une organisation ne doit pas concevoir une application associant le nom et l’adresse d’un employé à un numéro de sécurité sociale, sauf dans une base de données protégée »[22]. La violation de telles contraintes crée des vulnérabilités pour la vie privée des employés, des clients, etc. et présente des risques juridiques pour les entreprises.

    Pour faire face à ces risques, il est nécessaire de mettre en place des politiques de sécurisation des informations de l’entreprise, de ses employés et de ses clients. Cela peut être rendu possible en limitant l’accès des développeur·euses aux bases de données qui contiennent des données sensibles ou en exigeant une approbation pour accéder à ces bases, en traçant l’activité des développeur·euses et en gérant les violations de données[23].

    b) Les logiciels

    Sur le plan de la gouvernance des produits développés, le low-code présente des limites intrinsèques. De par son concept même, les éditeurs proposent de larges boîtes à outils de composantes modulables et qui sont mises à disposition des développeur·euses. Cependant ces composantes étant propres à chaque éditeur de solution, les fonctionnalités des produits développés sont donc conditionnées d’une part par l’offre de composantes proposées par la plate-forme, et d’autre part, par l’interprétation et la génération automatique de l’app ou du service par celle-ci. En pratique, la plupart des solutions low-code sont des canevas prédéfinis selon les secteurs d’activités, qui peuvent être personnalisés mais dont l’architecture reste relativement rigide. Si les applications low-code conviennent pour l’automatisation de tâches simples comme l’authentification, la validation de formulaires, ou la gestion de stocks et de données clients, elles sont limitées pour des tâches plus complexes. De plus, comme bien souvent, plus la complexité est élevée, plus le prix de la solution et la dépendance à la plate-forme augmentent. À ce sujet, de nombreuses organisations interrogées par Gartner évoquent la difficulté de prévoir la tarification et le besoin d’un budget supplémentaire pour l’accompagnement au déploiement et l’assistance réservée à certains services[24].

    Enfin, les entreprises sont souvent tributaires de l’éditeur qu’elles choisissent : si elles peuvent récupérer les données, il leur est impossible de migrer les applications développées sur une autre plate-forme. Ce manque d’interopérabilité inscrit les entreprises dans une dépendance au sentier vis-à-vis des éditeurs de solutions, qui les décourage à tenter de changer de fournisseurs.

    Les entreprises sont à la merci des évolutions de chartes de confidentialité, du changement des tarifs, ou de la mise à jour des briques de base. En cas de désaccord, ces entreprises se trouvent dans l’obligation de réécrire tout ou partie de leur application. À titre d’exemple, Google a annoncé la fermeture de sa solution App Maker en janvier 2021 après à peine cinq ans de services. Si Google propose bien une autre plate-forme de développement low-code, il ne sera pas possible de migrer directement les applications vers cette autre plate-forme, ni vers aucune autre d’ailleurs : « De par la spécificité du code source utilisé par App Maker, il est impossible de migrer votre application vers une autre plate-forme »[25].

    Olivier Reinaud, responsable du programme Business Solution Automation chez Nestlé confirme nos craintes : « La réversibilité est un point important. Si nous devions changer de plate-forme, il faudrait repartir de quasiment 0 »[26].

    Proposition 3 : Élargir le droit à la portabilité aux logiciels : imposer le recours à des standards d’importation et d’exportation des applications développées sur des plate-formes low-code afin de permettre la migration vers une autre plate-forme.

    Proposition 3.a : Recourir aux technologies existantes pour les applications front-end : html, css, web components standards, etc.

    Proposition 3.b : Établir un pseudo-code standard pour le développement back-end.

    Proposition 4 : Conditionner les aides aux financements publics (Caisse des Dépôts, BPI, aides d’État) à un taux de dépendance aux plateformes low-code des géants américains (ou non-européens ?) ou à une feuille de route de sortie du low-code.

    Proposition 5 : Mettre fin aux abonnements illimités ou forfaitaires à des services cloud.

    Proposition 6 : Instaurer une taxe sur la donnée stockée à partir d’un certain volume afin d’inciter les entreprises à être plus parcimonieuses sur leurs bases de données. Cette mesure présente le double avantage de limiter le volume de données collectées par les entreprises, et de contenir l’explosion de la charge des datacenters, très énergivores.

    Proposition 7 : Contraindre l’augmentation du volume entre les mises à jour d’un même logiciel, une des causes de l’obsolescence programmée.

    Proposition 7.a : Imposer une séparation entre les mises à jour de sécurité et les mises à jour fonctionnelles.

    Proposition 7.b : Établir un seuil (en pourcentage) d’augmentation du volume d’une application sur une plage temporelle glissante.

    III. La question environnementale

     

    a) Effet rebond

    Le fait de rendre une technologie plus accessible, en diminuant sa complexité technique, en faisant diminuer son temps de production, ou en augmentant l’efficacité avec laquelle une ressource est employée favorise sa propagation. Cependant, cette propagation est parfois tellement favorisée que la consommation totale de cette ressource peut augmenter. C’est ce que l’on appelle l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons).

    Google annonce que plus d’1,8 millions de logiciels ont déjà été créés grâce à AppSheet[27]. Le cabinet de conseil International Data Corporation (IDC) prévoit que 500 millions de logiciels seront développés dans les cinq prochaines années, soit plus que l’ensemble des programmes informatiques créés depuis quarante ans[28]. La très grande majorité d’entre eux seront créés sur des plate-formes de développement low-code. Le low-code fait sauter la barrière de la complexité technique et du coût de développement et favorise le développement à outrance de tous types de services numériques et d’applications. Les consommateurs de low-code ont maintenant le luxe de pouvoir se passer de la réflexion sur la nécessité, le besoin, le bien-fondé de l’application, du logiciel, du produit qu’ils s’apprêtent à développer et font exploser le coût écologique global du numérique.

    Dans l’imaginaire collectif, le numérique est une conception immatérielle et hors-sol dont les ressources seraient illimitées (on peut penser au nom même donné au “cloud”, qui renvoie à l’impalpable, à l’éthéré). Pourtant ce cloud (sur lequel repose la technologie low-code) n’est rien d’autre que l’agrégation de milliers de datacenters et représente déjà près de 15 % des émissions de gaz à effet de serre liées au numérique.

    Cette invisibilisation de la complexité et de la technique du numérique en général et du low-code en particulier participe de l’impact grandissant du numérique sur l’environnement. Si de nombreuses applications et services peuvent être développés avec la rédaction de quelques lignes de code, grâce aux abstractions disponibles sur les plate-formes, toutes ces interfaces qui prétendent réduire les difficultés cachent un énorme problème de volume, masqué dans les systèmes d’information des entreprises aujourd’hui[29].

    Après le « big data », un rapport de Dimensional Data réalisé pour Sourcegraph évoque le « big code »[30]. Le big code fait référence à la croissance ahurissante du volume et de la complexité du code. Cette croissance comprend l’augmentation du nombre d’environnements, de plate-formes et d’outils de développement, la diminution des délais de livraison et l’augmentation de la valeur commerciale escomptée. Dans les faits, plus de la moitié des responsables informatiques sondé·es ont indiqué que le volume de code avait été multiplié par 100 en dix ans (en mégaoctets et en nombre de dépôts) et près d’une personne sur cinq déclare devoir faire face à 500 fois plus de code. Les bases de code atteignent des volumes tels qu’il devient difficile pour les développeur·euses interrogé·es de découvrir, comprendre et corriger le code. En outre, 92 % des personnes interrogées affirment que la pression exercée sur leurs équipes pour livrer de nouvelles versions est importante. Ces deux phénomènes se traduisent par une crainte largement répandue dans les équipes de « casser quelque chose » et donc par une réticence à mettre à niveau les applications. Ces applications charrient alors des kilo-octets voire des mega-octets de (pseudo)code inutile qui saturent les espaces de stockage des appareils, nécessitent des processeurs toujours plus puissants et participent ainsi de l’obsolescence prématurée de tous nos dispositifs numériques.

    b) Stratégie maximaliste des éditeurs

    Afin de répondre à des problématiques dites « métier », les éditeurs proposent des solutions low-code verticalisées. Cela signifie qu’ils fournissent des briques fonctionnelles et techniques adaptées à chaque besoin (commercial, marketing, finance, RH, logistique, industrie, etc.). Chaque secteur, chaque métier nécessite des briques spécifiques capables d’exécuter des fonctions attendues, de collecter des données requises, et enfin de les traiter. D’autre part, la manière de les manipuler et de les afficher varie aussi ; en effet, un tableau de bord n’affichera pas les mêmes données, ni sous la même forme, s’il est destiné à être utilisé par un support technique, un service commercial ou une direction des ressources humaines. Le secteur d’activité impacte ces affichages et les besoins en données[31]. Cependant la stratégie employée par les éditeurs de solutions low-code semble être maximaliste : en donnant le maximum de possibilités à chaque brique, les éditeurs sont sûrs que celles-ci pourront satisfaire des besoins moindres. Une interface n’est pas anodine, la façon dont elle est pensée, construite, et doit être utilisée contraint le·la développeur·euse. Le caractère prédéfini des composantes impose donc des caractéristiques techniques parfois mal dimensionnées, comme par exemple l’embarcation de données qui ne sont pas nécessairement utiles à une fonctionnalité souhaitée ou bien propose des fonctionnalités trop riches et donc plus lourdes.

    Nous avons examiné deux landing pages développées avec deux plate-formes de développement low-code différentes. La première a été développée sur la plate-forme Wix (wix.com)[32], la seconde grâce au générateur de sites statiques Hugo (gohugo.io)[33]. Ces deux sites ont été développés simultanément et renseignent les mêmes informations (le nom d’un studio, la photo de ses membres, une carte et des informations de contacts) dans le but de comparer leurs performances et en particulier leurs performances environnementales. Nous avons pour cela utilisé trois outils différents : web.dev, websitecarbon.com et GreenIT-Analysis add on.

     

    Les résultats sont les suivants :

    Figure 1 : Comparaison des performances environnementales et d’affichage de deux landing pages développées sur des plateformes low-code

     

    Nous constatons que pour deux sites quasi-identiques (les quelques différences pouvant exister sont précisément dues à l’impossibilité de paramétrer totalement les briques en fonction de nos souhaits) les indicateurs de la landing page développée sur Wix sont moins bons que ceux de la landing page développée sur Hugo. Ces écarts de performances, invisibles pour le·la développeur·euse et pour l’utilisateur·rice s’expliquent par la différence de technologies utilisées par ces deux éditeurs pour développer les briques primaires. Si ces chiffres paraissent anecdotiques à l’échelle de notre expérience, ils sont loin de l’être une fois multipliés par le nombre de sites et le nombre d’internautes.

    Proposition 8 : Intégrer un critère d’écoconception au cahier des charges de reconnaissance des formations de développeur·euses par l’État : Répertoire national des certifications professionnelles, diplôme visé par l’État, etc.

    Proposition 9 : Limiter la durée de vie des sites inactifs : imposer la clôture et la suppression d’un site ou application avec un temps d’inactivité donné.

    Proposition 10 : Inciter les entreprises à recourir aux licences Creative Commons ou à l’Open Source par des crédits d’impôts ou l’ouverture de marchés publics exclusifs pour permettre une vraie personnalisation des logiciels, stimuler l’innovation collective, challenger la sécurité des solutions numériques.

     

    CONCLUSION

    Le low-code est une technologie de simplification massive permettant de développer des services et des applications en quelques clics. Cette simplification est cependant parfois synonyme d’invisibilisation des nombreux questionnements qui peuvent (et devraient) apparaître lors du déroulement d’un projet IT, quant à l’hébergement, la souveraineté logicielle, ou la gouvernance des données. Si elle est une aubaine pour des petites entreprises présentant des difficultés à embaucher des développeurs, elle semble surtout être le théâtre des ambitions phagocytaires des GAM et le lieu des désirs insatiables de productivité des plus grandes entreprises. L’assouvissement de tels désirs se fait souvent au détriment des conditions de travail des humains et quasi-systématiquement au détriment de l’environnement.

    Un tournant vers la sobriété et une transformation collective de la société paraissent nécessaires. Il s’agit avant tout de questionner en profondeur nos besoins et nos usages des technologies et de remettre en cause les modèles socio-économiques existants. Le projet ne consiste pas à remplacer des technologies voraces par d’autres technologies plus frugales pour faire la même chose, mais bel et bien d’imaginer un monde où la technologie n’occuperait pas la place prédominante qui lui est donnée aujourd’hui. Dans son livre L’âge des low-tech, Vers une civilisation techniquement soutenable, Philippe Bihouix défend une vision systémique du low-tech, à trois dimensions[34]. Il prône d’abord une sobriété et une économie à la source, dans la conception même de nos objets et services.

    L’enjeu est la transformation de nos comportements. Moins utiliser les technologies, moins souvent, moins à tout propos et n’y avoir recours qu’en réponse à des besoins qui le justifient est primordial pour changer radicalement de modèle. Collectivement, cela se traduit par la recherche de solutions moins technologiques pour nous libérer de l’effet structurant des technologies en réduisant nos dépendances aux systèmes techniques complexes, en les transformant, en se les appropriant et en nous conformant aux contraintes physiques du monde dans lequel nous vivons.

    Cette transformation passe par une profonde réforme des conditions de production de nos objets et services afin de les amener à se fonder sur un travail humain digne et sur le savoir, la transparence, la collaboration. En ayant recours aux licences libres telles que l’Open Source ou le Creative Commons, on participe d’une part à la valorisation de la création collective et collaborative et d’autre part à la démystification de la complexité du numérique dont le code est un exemple prégnant.

     

    ____

    [1] Fouquet, Helene, Nussbaum, Ania, « Dissent at Heart of Telecom Industry Undermines France’s 5G Push », Bloomberg, 18 septembre 2020.

    Un millier d’employés d’Orange tente depuis près d’un an d’interpeller le management sur les risques environnementaux et les défauts de rentabilité qu’engendreront, selon eux, le déploiement de la 5G.

    [2] Bouilloud, Romain, Jahier, Adrien, Moundib, Ilian, « Numérique : l’impératif de sobriété », Institut Rousseau. (à venir)

    [3] Voir par exemple Poulain, Henri, Invisibles, Les Travailleurs du clic, 2020, (92mn) ou Pitron, Guillaume, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018.

    [4] Ferreboeuf, Hugues, et al., Lean ICT, Pour une sobriété numérique, 2018.

    [5] Vincent, Paul, « Gartner: What to consider before adopting low-code development », ComputerWeekly.com, 25 novembre 2019.

    [6] Markets and Markets Analysis, Low-Code Development Platform Market by Component (Solution and Services (Professional and Managed)), Deployment Mode, Organization Size, Vertical (Telecom and IT, BFSI, Government), and Region – Global Forecast to 2022, 2018.

    [7] MarketsandMarkets Analysis, Low-Code Development Platform Market by Component (Platform and Services), Application Type, Deployment Type (Cloud and On-Premises), Organization Size (SMEs and Large Enterprises), Industry, and Region – Global Forecast to 2025, 2020.

    [8] Gagliordi, Natalie, « Le développement low code est devenu un mouvement technologique selon Gartner », ZDNet, 17 février 2021.

    [9] Leprince-Ringuet, Daphne, « Low-code and no-code development is changing how software is built – and who builds it », ZDNet, 18 novembre 2020.

    [10] BVA, CREDOC, Enquête complémentaire BMO 2019, Pôle emploi, 2019.

    [11] Vincent, Paul, Ijima, Kimihiko, Driver, Mark, Wong, Jason, Natis, Yefim, Gartner Magic Quadrant for Enterprise Low-Code Application Platforms, Gartner, 2019.

    [12] Une application métier est une application spécialement développée pour répondre aux besoins spécifiques d’un service particulier, dans un secteur d’activité particulier (le service logistique d’une entreprise de bâtiment par exemple).

    [13] Leprince-Ringuet, Daphne, Op. cit.

    [14] Ibid.

    [15] Rymer, John R., Mines, Christopher, Sjoblom, Sara, Reese, Andrew, The Forrester Wave™: Low-Code Platforms For Business Developers, Q2 2019, 2019.

    [16] Bohic, Clément, « Google ferme AppMaker : du low-code au no-code », Silicon.fr, 28 janvier 2020.

    [17] Raoul, Gaétan, « Low-code/no-code : les géants du cloud bousculent les lignes du marché », LeMagIT, 19 octobre 2020.

    [18] Ibid.

    [19] Vincent, Paul, Ijima, Kimihiko, Driver, Mark, Wong, Jason, Natis, Yefim, Op. cit.

    [20] Synergy Research Group, Amazon, Microsoft, Google and Alibaba Strengthen their Grip on the Public Cloud Market, 29 octobre 2019.

    [21] Salesforce, « Where is my Salesforce instance located? », Knowledge article, 2 février 2021.

    [22] Nolle, Tom, « Comment la gouvernance des applications low-code aide à protéger les données », LeMagIT, 10 septembre 2019.

    [23] Ibid.

    [24] Raoul, Gaétan, Op. cit.

    [25] Google Workspace Updates, « Google App Maker will be shut down on January 19, 2021 », 27 janvier 2020.

    [26] Tonic, François, « No code, low code : témoignage et retour terrain », ZDNet, 2 mai 2018.

    [27] Rosenbaum, Eric, « Next frontier in Microsoft, Google, Amazon cloud battle is over a world without code », CNBC, 1 avril 2020.

    [28] Gillen, Al, Chen, Gary, Gens, Frank, 500 Million New Logical Applications: More Background, IDC Research®, 2019.

    [29] McKendrick, Joe, « Oui, le low code et le no code c’est cool, mais le « Big Code » les guettent (c’est quoi ?) », ZDNet, 7 octobre 2020.

    [30] Dimensional Data sponsored by Sourcegraph, The Emergence of Big Code, a 2020 Survey of Software Professionals, 2020.

    [31] Tonic, François, Op. cit.

    [32] Cohen, Yaacov, https://yaacov60.wixsite.com/goodimpact

    [33] Cohen, Yaacov, https://atelier-simplon.netlify.app/

    [34] Bihouix, Philippe, L’âge des low-tech, Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014.

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