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Pour un ministère du Temps libéré

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Pour un ministère du Temps libéré

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Pour un ministère du Temps libéré

Note présentée dans le cadre du Festival des idées,

Le 8 juillet 2023, à La-Charité-sur-Loire

Introduction

« La retraite avant l’arthrite », « Ne pas perdre sa vie à la gagner »… Les slogans de la mobilisation contre la réforme des retraites ont été nourris de références au refus du sacrifice d’un temps de vie « pour soi » par l’allongement de l’âge de départ en retraites à 64 ans. La réforme des retraites a soulevé la question de la place du travail dans nos vies et plus profondément encore celle du temps de vie à notre disposition, une fois soustrait le temps passé au travail.

En effet, tout se passe comme si la réforme des retraites avait rappelé à notre société la valeur du temps personnel. Probablement que les graines de cette réflexion avaient été semées lors de l’arrêt du travail pendant le confinement et avec le développement du télétravail. Le rapport des Français au travail semble en tout cas avoir profondément changé : c’est ce que révèle une enquête de l’IFOP[1] menée en octobre 2022 selon laquelle 21 % des Français considèrent le travail comme très important, soit trois fois moins qu’en 1990.

Ce constat appelle logiquement une réflexion sur le réaménagement du temps de travail, par exemple avec la semaine de quatre jours (voir la note de l’Institut Rousseau sur ce sujet[2]). Il mène aussi à une réflexion d’accompagnement, de protection et de valorisation du temps libre de chacun d’entre nous. C’est que depuis plusieurs décennies, et malgré les gains de productivité, le travail semble avoir pris une place croissante dans nos vies, au détriment de notre temps personnel. C’est le fruit d’évolutions politiques (comme souligné par François Ruffin dans son dernier livre Le Temps d’apprendre à vivre[3]), d’évolutions du monde du travail, des outils numériques et du management (comme l’ont mis en lumière Dominique Méda et Bruno Palier notamment[4]), et aussi de l’emballement productif[5] d’une société de la surconsommation. Au global, c’est l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui est bouleversé.

Ces évolutions se font dans le contexte d’avancées technologiques qui génèrent une « accélération du temps »[6], telle que formulée par Hartmut Rosa. Selon lui, cette accélération s’articule autour de trois facteurs[7] : l’innovation technique (qui notamment comprime l’espace et multiplie la nécessité de communiquer), un accroissement des rythmes sociaux et culturels, et enfin une augmentation des rythmes de vie prenant la forme d’une densification des tâches à réaliser et donc un sentiment d’urgence permanent. Ces effets sont particulièrement visibles dans le monde du travail comme on le verra ci-dessous. Ils créent une corrélation entre d’un côté une meilleure productivité au travail grâce à la modernité, qui fait gagner du temps, et pourtant une sensation de manque de temps. De plus, le temps individuel semble de plus en plus déconnecté du temps collectif à travers une forme de désynchronisation des rythmes de vie[8]. La nouveauté de la situation actuelle repose également sur la valeur du temps à l’aune du dérèglement de la planète. L’urgence climatique nous impose que le temps disponible ne soit pas en contradiction avec ce défi qui constitue, lui aussi, une course contre la montre. De fait, le temps libéré interroge l’équation entre croissance, soutenabilité écologique et temps de travail.

Dans cette perspective, nous proposons la création d’un ministère du Temps libéré, ministère de plein exercice qui aurait la charge de coordonner une véritable politique publique d’accompagnement du temps libéré. Par « temps libéré », nous entendons tout le temps libre, c’est-à-dire qui n’est pas contraint.

Ce temps peut être contraint par le travail au sens classique du terme, en pensant plus particulièrement au travail salarié qui représente 37 heures par semaine en moyenne[9]. Le travail salarié reste aujourd’hui la forme d’activité majoritaire et nous semble la plus souhaitable. C’est à ce titre que nous le privilégions dans cette note, qui prendra nécessairement moins en compte les personnes inactives, les demandeurs d’emploi, les travailleurs non-salariés et les travailleurs à temps partiel. Il apparaît néanmoins souhaitable de donner autant que possible une dimension universelle à cette politique du temps libéré pour en permettre le bénéfice à tous, quelle que soit la situation professionnelle.

Le temps est également contraint par les trajets domicile-travail qui représentent environ 50 minutes par jour en moyenne (principalement en voiture)[10] ou encore par le « travail domestique ». Nous faisons le choix, dans le prolongement de certains sociologues (notamment Pierre Bourdieu[11]), de considérer les tâches domestiques et administratives, souvent réalisées par les femmes, comme un travail à part entière. Par définition, le travail domestique et administratif est multiple (faire les courses, aller chercher les enfants, tenir les comptes, prendre les rendez-vous médicaux, régler les factures…). Cette définition fait immédiatement apparaitre des inégalités dans la répartition du temps disponible. Inégalités de classe, inégalités territoriales et inégalités de genre en particulier. Ces inégalités nous amènent à considérer le temps comme un « capital temporel »[12] inégalement réparti et qu’il s’agira de mieux redistribuer.

En positif, nous considérons comme « temps libéré » le « temps pour soi »[13], quelle que soit l’utilisation qui en est faite. Passer du temps avec ses petits-enfants, faire du sport, jardiner, regarder une série à la maison, ne rien faire… Toutes ces activités constituent  du temps utilisé librement pour soi. Pour autant, ce temps libre peut également être mis au service des autres. Comme le soulignait André Henry, ministre du Temps libre, « Le temps libre, ce n’est pas seulement les loisirs, c’est aussi la culture et la vie citoyenne, l’engagement citoyen pour la République »[14]. Cet engagement n’a pas besoin d’être formalisé. Pour autant et sans l’imposer, nous pensons qu’il est nécessaire de créer les conditions que le temps libéré soit profitable à l’ensemble de la société et au climat par l’engagement citoyen dans sa forme institutionnelle.

À l’aune de ces enjeux, le rapport au temps constitue l’une des préoccupations les plus concrètes au quotidien pour les Français. Alors que l’offre politique française et européenne est en pleine mutation, un réformisme « radical » en prise avec le quotidien de nos concitoyens semble plus que jamais nécessaire. C’est dans cette perspective que nous versons dans le débat public la proposition d’un ministère du Temps libéré et d’une politique publique du temps libre.

I – Les Français à la recherche du temps perdu et de la reprise en main de leur destin

Dans son film À plein temps (2021), Eric Gravel dessine à travers la semaine d’une mère isolée le portrait d’une France qui court après le temps : temps de transports, badgeuse au travail, économies sur les gardes d’enfants, SMS, mails, réseaux sociaux… Les contraintes sur les journées pèsent si lourd que chaque journée relève du thriller haletant pour l’héroïne. À des degrés divers et de manière imperceptible, la société française parait prise de vitesse. En 2018, 65 % des Français estiment « manquer de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient dans une journée »[15]. Dans le même temps, 53 % d’entre eux déclarent vouloir ralentir leur rythme de vie (63 % des moins de 50 ans). Alors qu’en 2007, Nicolas Sarkozy consacrait le « travailler plus pour gagner plus », en septembre 2022, l’IFOP pour Solutions solidaires produit un sondage qui affirme que 61 % des salariés souhaitent « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre »[16].

Récemment, plusieurs études ont mis en exergue une « épidémie de flemme »[17] parmi les Français, en s’appuyant notamment sur le mouvement démissionnaire aux États-Unis, et désormais en France. La formule a donné lieu à de nombreuses interprétations, notamment en lien avec le confinement. Le débat semble s’être cristallisé sur un clivage entre les tenants d’un « droit à la paresse » et ceux de la « valeur travail ». La réalité nous semble plutôt être celle, médiane, d’une aspiration à un ralentissement des rythmes de vie, qui serait une forme de reprise de contrôle sur nos propres vies, ce qui également avancé par certains sociologues[18].

En effet, si le temps de travail a été divisé en moyenne par 2 entre 1900 et 2000[19], il s’est en même temps accéléré. C’est que paradoxalement, ce gain de temps génère plus une augmentation du travail et de production qu’un gain de temps libre. Hartmut Rosa résume la situation ainsi « Là où écrire dix lettres prenait deux heures, écrire dix emails n’en prend qu’une. Mais au lieu de gagner une heure, nous prenons deux heures pour écrire vingt emails »[20]. Désormais il est devenu impossible de « finir son travail » et il y a « toujours quelque chose à faire »[21]. De plus, on estime que près de 3 millions de Français travaillent ponctuellement la nuit[22] et que seuls 37 % des salariés ont des horaires de travail en journée prévues avec un repos le week-end[23]. Ainsi derrière la réduction du temps de travail se jouent d’autres évolutions : le travail devient de moins en moins émancipateur, de plus en plus intense et est de moins en moins une expérience collective.

Par ailleurs, ces évolutions côtoient de nouvelles contraintes temporelles hors du monde du travail, qui génèrent une aspiration à plus de temps libre. La progression du nombre de familles monoparentales[24] et le développement de « l’économie de l’attention »[25][26] ont notamment des effets structurants sur les emplois du temps individuels de chacun.

La reprise en main du temps a déjà fait l’objet de politiques publiques du temps libre, dont nous allons retracer l’historique.

II – La courte histoire des politiques du temps libre

Les politiques publiques du temps libre sont assez récentes dans notre histoire. À chaque fois, elles ont été des expériences courtes. Parfois structurantes, parfois plus superficielles, elles sont toutes riches d’enseignement.

Du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, l’industrialisation et la division du travail ont, sans discontinuer, accéléré et normalisé les rythmes du travail[27]. En 1936, le Front populaire prend le contre-pied de l’intensification du travail et propose une ambitieuse politique du temps libre, notamment par l’accès aux loisirs sous l’impulsion de Léo Lagrange, secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports. Les congés payés, la semaine de 40 heures et une éducation populaire en sont les héritages, toujours très présents dans notre société[28]. Cette expérience a, cependant, été limitée par la crise économique, l’alternance politique et l’effort de guerre de 39-45. À la Libération, la mise en place d’un nouveau système de retraites a également permis une avancée du temps libre importante, cette fois après la vie professionnelle.

Entre 1974 et 1981, un ministère de la Qualité de vie est créé. Cette expérience trop souvent oubliée[29] a eu le mérite de couvrir un large portefeuille associant environnement, tourisme, sport et jeunesse. On lui doit les premières législations en matière de protection de la nature[30], mais aussi des avancées en matière d’assouplissement du temps de travail et d’étalement des vacances[31]. Les prérogatives de ce ministère, large, mais déconnecté du ministère du Travail, n’ont pas permis d’aller plus loin dans une réforme plus globale du partage du temps entre travail, loisirs et repos.

En 1981, pour « changer la vie », un ministère du Temps libre avait été créé également, plus éphémère et moins ambitieux (même si on lui doit par exemple l’Agence nationale des chèques-vacances), accompagnant la retraite à 60 ans et la semaine de 39 heures. Selon le ministre de l’époque, sa suppression est notamment dû à la pression qu’a exercée le chômage de masse sur le temps libre. Il devenait politiquement trop compliqué de porter ce sujet dans un contexte où la priorité du gouvernement était la réduction du chômage. Les historiens témoins de sa création restent partagés sur le poids politique réel qui avait été donné à ce ministère[32]. De fait, son périmètre était en fait resserré autour du tourisme, du sport et de la jeunesse. Après cette expérience, plus aucun ministère de ce type n’a été remis en place, y compris à l’occasion des lois Aubry sur les 35 heures.

III – Un ministère du Temps libéré pour une politique publique du temps libéré

La proposition phare de cette note est la création d’un ministère du Temps libéré. Au regard des leçons de l’histoire des politiques du temps libre, nous retenons la nécessité de ne pas faire de ce ministère un simple symbole politique, mais une politique publique structurante articulée autour d’un nouveau projet de société.

Nous proposons d’articuler l’action de ce ministère autour d’une politique de la maîtrise du temps (A), d’une politique du développement du temps pour soi (B) et d’une politique du partage du temps au service de l’engagement, du lien social et du climat (C). Ces politiques publiques seront portées par un ministère large, intégrant à la fois les principales directions des ministères du Travail, de la Jeunesse et des Sports, de la Culture, du Tourisme et de la Vie associative (D).

A – Le « temps maîtrisé » : une politique de reprise de contrôle sur le temps

Le premier objectif d’une politique du temps libéré est de favoriser l’équilibre entre les temps personnels et professionnels à travers la mise en place d’une garantie individuelle au temps libéré. Pour ce faire, le ministère du Temps libéré pourra, avec les syndicats, formuler des propositions. Nous pensons notamment à celle de la semaine de quatre jours suggérée par l’Institut Rousseau[33] et nous formulons d’autres propositions en ce sens ci-dessous.

Pour parvenir à un temps libéré garanti pour chaque individu, nous proposons d’abord la création d’un socle de jours de temps libéré non monétisables (a). Nous proposons également la démocratisation de l’accès au congé de proche aidant (b). Afin que cet enjeu suive les salariés tout au long de leur carrière, nous proposons un compte épargne temps universel (c). Enfin, face aux évolutions numériques, nous proposons la mise en place d’un droit à la déconnexion (d).

a) Le temps n’est pas de l’argent : conférer un socle de jours de temps libérés non monétisables aux salariés

Afin que le temps libre soit réellement émancipateur, il doit être libéré  des charges domestiques. Dans ce cadre, il convient d’offrir aux salariés des temps de compensation pour libérer réellement leur temps libre. Or, le dispositif de réduction du temps de travail (RTT), qui prévoit d’attribuer des journées ou de demi-journées de repos à un salarié dont la durée de travail hebdomadaire est supérieure à 35 heures et qui peut être monétisé, n’est pas utilisé à cette fin. En rendant non monétisable ce socle de RTT, nous lui redonnons son sens premier, qui est de réduire le temps de travail.

Proposition 1 : Garantir par la loi un socle minimum de jours de temps libéré, non monétisable, afin de permettre aux salariés de se libérer de contraintes personnelles (déménagement, garde d’enfants malade, etc.). Ce socle minimum bénéficierait à tous les salariés à temps complet, quelle que soit la durée de travail. Ces jours de temps libéré qui ne pourraient être utilisés sur une période longue comme les jours de congés, seraient cumulables dans le cadre du compte épargne temps universel.  

b) Prendre le temps du lien : démocratiser l’accès au congé de proche aidant

Plus de 9 millions de personnes déclarent aujourd’hui en France apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Nous pensons qu’il faut considérer ce temps de soin comme un travail à part entière pour que les personnes concernées puissent bénéficier d’un temps dédié pour pouvoir s’occuper dignement de leurs proches en situation de vulnérabilité. Ce droit à pouvoir consacrer du temps à ses proches en situation de fragilité, en particulier les aînés constituent un véritable élément d’une vie digne.

À cet égard, la loi du 18 novembre 2016 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a institué le « congé de proche aidant » permettant à toute personne résidant en France d’interrompre son activité professionnelle en étant indemnisée pour accompagner un proche en perte d’autonomie ou en situation de handicap. Ce congé, d’une durée maximum de trois mois (soit 66 jours) et que l’employeur ne peut refuser, permet à la personne de bénéficier de l’allocation journalière de proche aidant (AJPA) versé par les caisses d’allocations familiales (CAF) et dont le montant est de 62 euros par jour. Ce congé peut être fractionné sur la durée d’un an maximum.

Ce dispositif, qui au départ n’était pas indemnisé, est resté peu attractif. Alors qu’on estimait à 270 000 salariés et 67 000 agents publics éligibles en 2020, seuls 6 626 congés de proches aidants ont été ouverts par les CAF entre septembre 2020 et février 2022. Ce faible recours s’explique par une méconnaissance de ce dispositif, par sa complexité d’accès, mais également par l’essor du télétravail et du chômage partiel pendant la crise sanitaire.

Alors que, du fait du vieillissement de la population, 4 millions de personnes seront en situation de dépendance en 2050 selon l’INSEE, la politique du temps libéré pourrait se traduire par une véritable politique d’aide aux aidants. Dans ce cadre, le ministère du Temps libéré aurait vocation à proposer une montée en charge et une amélioration de ce dispositif.

Proposition 2 : Organiser un « Grenelle des proches aidants » afin de formuler des propositions, en concertation avec les associations des aidants familiaux, pour démocratiser l’accès au « congé de proche aidant » afin de permettre à chacun d’accompagner des proches en situation de dépendance. Le niveau d’indemnisation du « congé proche aidant » pourrait être revu à la hausse pour permettre au plus grand nombre de le prendre.

c) Gérer son temps tout au long de la vie professionnelle : introduire un compte épargne temps universel pour tous les salariés

La maîtrise du temps implique ensuite de permettre aux salariés de gérer librement leurs temps de vie tout au long de leur parcours professionnel. C’est l’objet du compte épargne temps qui permet aujourd’hui aux salariés d’accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d’une rémunération en contrepartie des périodes de congés non-prises. Néanmoins, le compte épargne temps est un dispositif très peu mis en place puisque seul un salarié sur dix en bénéficie aujourd’hui. Par ailleurs, le bénéfice des comptes épargne temps se perd en cas de rupture du contrat de travail.

Proposition 3 : Portée par la CFDT, l’instauration d’un « compte épargne temps universel » attaché à chaque salarié tout au long de sa vie professionnelle leur permettrait de conserver leurs droits à congés au-delà des changements d’employeurs, de statuts ou de secteur d’activité. Contrairement au dispositif existant, ce compte épargne temps serait universel et portable. Universel, car il bénéficierait aux salariés de tous les secteurs. Portable, car les salariés pourraient conserver leurs droits acquis tout au long de leur carrière même en cas de changement d’employeur. Chaque salarié pourrait ainsi « épargner du temps » ou « récupérer du temps » en fonction de sa situation personnelle et professionnelle. Ces « comptes épargne temps universel » seraient gérés par un fonds interprofessionnel.

d) Il y a un temps pour tout : garantir le droit à la déconnexion en dehors du travail

Le numérique a bouleversé les organisations de travail, rendant poreuse la frontière entre temps de travail et temps personnel. Or, la maîtrise du temps concerne d’abord celle des horaires de travail au quotidien.

C’est dans ce contexte que, par la loi du 8 août 2016 dite « loi Travail », le « droit à la déconnexion » est entré en vigueur le 1er janvier 2017 et figure à l’article L. 2242-17 du Code du travail. Bien qu’ayant une existence juridique, ce droit souffre aujourd’hui de plusieurs limites. D’abord parce que le Code du travail n’en définit pas les modalités d’exercice. Ensuite et surtout, parce qu’aucune obligation forte ne pèse sur les entreprises qui sont simplement tenues d’en discuter dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail qui a lieu chaque année. À défaut d’accord, l’employeur doit élaborer une charte qui, après avis du comité social et économique (CSE), définit les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion.

Proposition 4 : Afin de garantir la mise en œuvre effective du droit à la déconnexion, introduire une obligation de moyens pour les entreprises. Chaque entreprise devra ainsi préciser dans un accord collectif, les moyens concrets qu’elle entend mettre en œuvrent pour rendre ce droit effectif. Les entreprises devraient ainsi s’engager au minimum sur une initiative parmi un panel d’actions possibles et le signifier auprès du CSE, qui sera chargé d’en garantir la mise en œuvre. La non-exécution des obligations sur lesquelles les entreprises sont engagées serait être assortie d’une sanction financière à l’instar de ce qui a été fait en Allemagne. Afin d’en garantir l’effectivité, le CSE dans les entreprises de plus de 50 salariés, pourrait donner un avis sur les initiatives mises en œuvre au titre des consultations annuelles obligatoires sur la qualité de vie au travail.   

B) Le « temps pour soi » : une politique du temps au service du ralentissement et de l’émancipation

Les historiens des loisirs[34] ont apporté au débat une distinction essentielle entre le temps libre et le « temps pour soi ». Ce temps pour soi doit aussi permettre de créer « des oasis de décélération »[35] et de recréation de temps collectifs. Pour être émancipateur, ce temps libéré doit également être accessible à tous.

a) Le temps d’être ensemble : un plan d’investissement dans les infrastructures sportives, culturelles de nature collectives et des centres de vacances

Pour que les Français puissent bénéficier de ce temps retrouvé et en retirer du bien-être, la puissance publique doit garantir à tous un accès à une offre de services de sports et loisirs culturels. Il ne s’agit pas d’imposer aux citoyens un usage de leur temps libéré, mais de créer les conditions pour que celles et ceux qui le souhaitent en tirent le meilleur bénéfice, nous pensons en particulier à la qualité des infrastructures sportives et culturelles, qui sont des lieux de pratiques, mais aussi d’échanges, de rencontres, de convivialité et de collectif. Rénover ces lieux collectifs apparaît essentiel afin qu’ils retrouvent leur rôle de lien social.

Aujourd’hui, l’accès aux infrastructures sportives en particulier n’est pas garanti pour deux raisons principales. D’une part, cet accès est inégal sur le territoire : l’offre d’équipements sportifs est par exemple plus faible en zone urbaine sensible (qui concentre 3 % des infrastructures de sport alors que 7 % de la population y réside[36]). D’autre part, une part des infrastructures sportives est vieillissante : selon un récent rapport parlementaire[37], sur les 272 000 équipements sportifs bâtis dont les collectivités sont propriétaires, près de 40 % datent d’avant 1985, 61 % ont plus de 25 ans et 70 % n’ont jamais bénéficié de gros travaux.

Dans ce cadre, un investissement massif dans les infrastructures sportives et les espaces de vacances permettrait de promouvoir des espaces de temps libres et de loisirs collectifs, émancipateurs et libérés de l’emprise de la société de consommation. La France compte actuellement 66 000 salles de pratiques sportives collectives (gymnases, dojos…) et 6000 piscines, 21 600 équipements culturels (bibliothèques, musées, théâtre…) et 500 centres de vacances publics, majoritairement propriété des communes. Ce plan d’investissement pourrait s’inscrire dans ce périmètre.

Proposition 5 : Sur le modèle du plan « EduRenov », un plan d’investissement porté par l’État et la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations aurait pour objectif d’impulser la rénovation sur 10 ans de l’ensemble des centres de vacances ainsi que de la moitié la plus vétuste de ces équipements sportifs et culturels collectifs à raison d’un demi-million d’euros par équipement, soit un total de 2,5 milliards d’euros par an.

b) Ralentir nos déplacements : une politique d’accès aux mobilités douces

Le temps libéré pourrait également être utilisé pour ralentir nos déplacements et en particulier voyager autrement. Alors que le secteur des transports est aujourd’hui le principal émetteur de gaz à effets de serre en France (135 millions de tonnes de CO2 équivalent en 2019, soit presque un tiers des émissions nationales), un plan ambitieux d’accès aux « mobilités douces » permettrait aux Français de profiter du temps libéré en voyageant de manière responsable et en expérimentant des temps de loisirs en accord avec le désir de décélération. Ce plan, conçu à l’échelle nationale, se traduirait par le développement et la gratuité du réseau de TER ainsi que des trains de nuit.

La gratuité des TER est expérimentée en Espagne depuis septembre 2022[38] : l’État rembourse ainsi 100 % des abonnements des trains périurbains et du réseau ferré régional conventionnel. Conçue pour aider les ménages à faire face à l’inflation, cette mesure a produit des effets significatifs sur les modes de transport : la fréquentation des trains régionaux a augmenté de 24 % en septembre 2022 par rapport à septembre 2021. Une telle mesure peut trouver un écho en France dans la mesure où, pour 2 Français sur 5, le train est aujourd’hui trop cher par rapport à d’autres modes de transport ; la majorité des Français (57 %) jugeant, selon ce sondage réalisé par Harris Interactive[39], que la première mesure à instaurer pour les inciter à prendre le train serait la mise en place de politiques tarifaires plus avantageuses.

Alors que de nombreux départs en vacances se font au « chausse-pied », récompenser par un jour de congé ceux qui renoncent à des trajets européens et internationaux en avion pour les réaliser en train, bateau ou co-voiturage, serait également une aide au ralentissement. Ce serait également positif pour la planète en évitant un nombre considérable de déplacements sans priver les salariés de destinations lointaines. Ce dispositif est expérimenté en France par quelques entreprises[40], nous proposons de le généraliser.

Proposition 6 : Expérimenter, sur le modèle de l’Espagne, la gratuité d’accès aux réseaux TER. Ce plan représenterait un coût annuel de 6 à 8 milliards d’euros environ[41], coût réparti entre les Conseils régionaux compétents en la matière.

Proposition 7 : Généraliser un « Temps de trajet responsable »[42], représentant deux jours (ou quatre demi-journées) de congés par an pour les salariés qui prouvent qu’ils ont pu ainsi éviter un déplacement en avion pour un moyen de transport plus responsable écologiquement.

c) Prendre le temps d’élargir l’horizon : une politique de droit aux vacances

Près de la moitié des Français ne peuvent pas partir en vacances[43], alors qu’elles sont des moments essentiels de respiration ainsi que d’émancipation pour les enfants. Cet enjeu fait actuellement l’objet de propositions intéressantes, de parlementaires et de cercles de réflexion[44], raison pour laquelle nous nous contentons d’apporter un éclairage limité. Nous proposons également de renouer avec les classes vertes afin de libérer du « temps scolaire » classique pour élargir les horizons des enfants et des communautés éducatives.

Proposition 8 : Nous proposons la mise en place d’une classe verte obligatoire d’au moins six nuitées pour tous les élèves de CE2 et de Sixième. Cela permettrait également de renforcer le sentiment d’appartenance à une même société. Les classes vertes basculeraient dans le domaine des dépenses de fonctionnements obligatoires des collectivités territoriales compétentes (en l’espèce, communes et départements). Les familles contribueraient en fonction du quotient familial. Il s’agirait d’un temps scolaire, donc pris en charge par les équipes pédagogiques des établissements (indemnisées selon les règles en vigueur[45]). Le financement serait complété par la création d’un fonds alimenté notamment par une taxe sur l’hôtellerie de luxe, comme suggéré par une proposition de loi de janvier 2020[46]. Le ministère aurait la charge de veiller à la qualité des séjours et à l’égalité entre établissements en labellisant des sites d’accueil et des offres de séjours.

Proposition 9 : En complément des « classes vertes » obligatoires pendant le temps scolaire, un « passe colo verte » pourrait être proposé pour garantir une inscription gratuite à une colonie de vacances centrée sur la biodiversité par cycle scolaire afin de permettre à tous les enfants un accès aux vacances. Une proposition de loi déposée le 4 juillet 2023 et portant mesures d’urgence pour les vacances, va dans ce sens.

Proposition 10 : Afin de permettre au plus grand nombre de ne pas renoncer aux vacances en raison du coût des déplacements, il nous paraît essentiel de prendre en compte la question des autoroutes. Si la nationalisation et la gratuité des autoroutes sont désormais des marronniers des campagnes présidentielles, les études estiment un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Dans ce cadre, la prise en charge par l’État de la recette des péages en juillet et août, notamment porté par François Ruffin, nous semble un bon compromis[47], dont le coût est compris entre 1,7 et 5 milliards d’euros[48].

C) Le temps partagé : une politique de temps de vie partagée au service de l’engagement citoyen, du climat et du lien social

La dernière politique que le ministère du Temps libéré pourrait animer est celle d’un partage du « capital temporel » de chacun au service de la société dans son ensemble. Il ne s’agit pas ici d’une injonction ni d’une obligation. Il s’agit seulement d’offrir les conditions permettant à ceux qui le souhaitent de mettre leur temps à disposition des autres dans un cadre institutionnel.

Dans cette perspective, nous proposons un droit opposable à l’engagement des salariés et plus largement un plan de soutien à la vie associative.

a) Pour un droit opposable à l’engagement des salariés

De nombreux besoins essentiels, liés en particulier aux activités du lien social, sont aujourd’hui insuffisamment pris en charge par le marché du travail. Dans le même temps, une aspiration à l’engagement citoyen des salariés s’exprime depuis quelques années, en particulier depuis la crise du coronavirus. Ainsi selon une étude de l’IFOP[49] menée en avril 2021, 75 % des responsables des ressources humaines indiquent que la crise sanitaire a accéléré une prise de conscience plus forte des enjeux sociétaux et environnementaux au sein de leur entreprise. Cette aspiration à l’engagement des salariés s’est traduite notamment par l’essor du mécénat de compétences : 46 % des responsables des ressources humaines interrogés confirment qu’un dispositif de mécénat de compétences est en place dans leur entreprise en 2021, soit 25 points de pourcentage de plus qu’en mars 2020.

Dans ce contexte, une politique du temps partagé permettrait de promouvoir l’engagement des salariés et s’inscrirait dans une stratégie plus large de soutien aux acteurs associatifs.

Proposition 11 : Créer un droit opposable à l’engagement des salariés inspiré du dispositif du mécénat de compétences pour les salariés à temps plein. Les entreprises dont les salariés feraient valoir leurs droits à l’engagement citoyen bénéficierait ainsi du régime fiscal du mécénat de compétences, à savoir une déduction d’impôt égale à 60 % du montant du coût de revient de la mise à disposition de chaque salarié. Ce « droit opposable à l’engagement des salariés » s’inscrirait plus largement dans une stratégie nationale de soutien aux associations.

b) Pour un plan national de soutien à la vie associative

La vie associative est aujourd’hui l’espace privilégié du temps partagé en France : 20 millions de personnes donnent ainsi de leur temps chaque année à une association. Le tissu associatif est particulièrement riche en France : le pays compre 1,5 million d’associations contre 580 000 en Allemagne et 193 000 au Royaume-Uni. La vie associative permet aux citoyens de s’engager bénévolement — 90 % des associations sont constituées uniquement de bénévoles ! — dans le champ social, éducatif, culturel, ou encore sportif. Alors que les initiatives citoyennes se sont démultipliées ces dernières années, la Cour des comptes[50] souligne que « la politique d’accompagnement du secteur associatif souffre d’une absence de stratégie de long terme ». Le secteur associatif s’est de ce fait affaibli financièrement : la part des subventions publiques dans le budget associatif a en particulier diminué de 34 % des ressources en 2005 à 20 % en 2017. De plus, alors que la formation est aujourd’hui la première attente des bénévoles pour exercer correctement leur activité, les crédits alloués à la formation à travers le fonds de développement de la vie associative ont diminué ces dernières années en euros constants.

Proposition 12 : Proposer une loi de programmation pluriannuelle de soutien au développement de la vie associative. Cette loi de programmation permettrait de garantir un volume minimum de subvention de fonctionnement pour les acteurs associatifs dans la durée et de leur offrir une visibilité sur leur trajectoire financière.

Proposition 13 : Un plan de formation des bénévoles associatifs pourrait prendre forme dans le cadre de cette loi de programmation pluriannuelle à travers la montée en puissance du fonds de développement de la vie associative — doté aujourd’hui de 8 millions d’euros seulement — pour soutenir la formation des 6,6 millions de responsables bénévoles réguliers en France, c’est-à-dire consacrant à minima huit heures par mois à leur association.

D) Le ministère du Temps libéré, l’architecture d’un « grand ministère »

Pour coordonner et donner une cohérence à l’ensemble des politiques publiques en faveur du temps libéré, nous proposons la mise en place d’un ministère du Temps libéré. Loin d’être un simple gadget politique, nous proposons d’en faire un grand ministère de plein exercice doté d’une réelle capacité d’action.

Afin d’exister dans l’architecture gouvernementale, et contrairement à ce qui avait été fait en 1981, nous proposons que le ministère du Temps libéré exerce une tutelle sur les administrations centrales suivantes : Travail, Jeunesse et Sports, Culture, Tourisme et Vie associative.

Nous proposons donc de sortir ces administrations de la tutelle du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Économie, ce qui a été la tendance ces dernières années, pour les regrouper dans un ensemble tourné vers l’aménagement du temps de travail et l’appropriation du temps libre. En effet, en 2018, le ministère de l’Éducation nationale a pris la tutelle du ministère de la Jeunesse et du ministère des Sports. Depuis 2019, la création de l’Agence nationale du sport a un peu plus dilué les moyens d’actions et d’orientation politique de l’État[51]. De son côté, le ministère de la Culture, bien que toujours de plein exercice, se trouve de plus en plus isolé, concurrencé et affaibli dans ses moyens[52].

Dans une architecture gouvernementale, ce « grand ministère » serait plus à même de coordonner une politique du temps libre ainsi que de peser dans les arbitrages interministériels. Ce format renforcerait utilement aussi sa capacité de négociation avec les organisations syndicales et patronales, clé de voûte de la mise en place des différents volets de cette politique publique (voir ci-dessous).

Concernant le secteur associatif, qui est au cœur du temps libéré, le ministère aurait notamment autorité sur la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) à qui nous donnerions une prérogative interministérielle (DIJEPVA). La Cour des comptes a d’ailleurs souligné que la politique d’accompagnement du secteur associatif souffrait d’« une coordination fragile » et qu’il était nécessaire de renforcer la DJEPVA[53].

Nous proposons enfin que le ministère trouve sa proximité avec un référent dans chaque préfecture régionale et départementale pour en assurer la déclinaison locale. Cette organisation suppose au niveau territorial une fusion des DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles), des DRAJES (Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports), du service Travail des DRIEETS (Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités). Ce schéma doit également se décliner au niveau départemental. Sans création de postes, il appartient à chaque référent que l’on nommera « délégué au temps libéré » d’animer localement la politique publique à travers des « conférences territoriales » trimestrielles associant collectivités locales, syndicats, représentants du monde du sport, de la culture, de l’éducation populaire…

Conclusion – Vers une « civilisation du temps libéré »

Au-delà de ce ministère du Temps libéré et la vaste politique publique qu’il pourrait mener, d’autres questions se posent, notamment en matière de réorientation de la politique industrielle française et européenne. Peut-être que ces mesures sont en fait nécessaires à une réorientation de l’appareil productif vers d’autres types de biens et de services, partant non pas de l’offre, mais de la demande.

À terme, ces changements constituent un pas décisif moins vers l’entière « disparition » du travail, que vers une société de l’autogestion du temps de travail[54], capable de rendre désirable une société moins sous l’emprise de la sphère marchande et monétaire et organisée autour de « l’abondance frugale »[55] selon les termes d’André Gorz, « c’est-à-dire une civilisation qui, tout en garantissant à tous une autonomie et une sécurité existentielles croissantes, élimine progressivement les consommations pléthoriques, source de manque de temps, de nuisances, de gaspillages et de frustrations, au profit d’une vie plus détendue, conviviale et libre ».

ANNEXE — RAPPEL DES PROPOSITIONS

I – UNE POLITIQUE DU TEMPS MAÎTRISE

Proposition 1 : Garantir par la loi un socle minimum de jours de temps libéré, non monétisable, afin de permettre aux salariés de se libérer de contraintes personnelles (déménagement, garde d’enfants malade, etc.). Ce socle minimum bénéficierait à tous les salariés à temps complet, quelle que soit la durée de travail. Ces jours de temps libérés qui ne pourraient être utilisés sur une période longue comme les jours de congés, seraient cumulables dans le cadre du compte épargne temps universel.

Proposition 2 : Organiser un « Grenelle des proches aidants » sous l’égide du ministère du Temps libéré afin de démocratiser l’accès au « congé proche aidant » et d’en améliorer les conditions d’indemnisation. L’objectif est de permettre à tous ceux qui le souhaitent de librement interrompre partiellement ou complètement son activité professionnelle pour prendre le temps d’accompagner des proches en situation de dépendance.

Proposition 3 : Portée aujourd’hui par la CFDT, l’instauration d’un « compte épargne temps universel » attaché à chaque salarié tout au long de sa vie professionnelle leur permettrait conserver leurs droits à congés au-delà des changements d’employeurs, de statuts ou de secteur d’activité. Contrairement au dispositif existant, ce compte épargne temps serait universel, portable et monétisable. Universel, car il bénéficierait aux salariés de tous les secteurs. Portable, car les salariés pourraient conserver leurs droits acquis tout au long de leur carrière même en cas de changement d’employeur. Monétisable, car le solde de droits disponibles pourrait être transformé en épargne salariale. En résumé, chaque salarié pourrait ainsi « épargner du temps » ou « récupérer du temps » en fonction de sa situation personnelle et professionnelle. Ces « comptes épargne temps universel » seraient gérés par un fonds interprofessionnel.

Proposition 4 : Afin de garantir la mise en œuvre effective du droit à la déconnexion, introduire une obligation de moyens pour les entreprises. Chaque entreprise devra ainsi préciser dans un accord collectif, les moyens concrets qu’elle entend mettre en œuvrent pour rendre ce droit effectif. Les entreprises devraient ainsi s’engager au minimum sur une initiative parmi un panel d’actions possibles et le signifier auprès du CSE, qui sera chargé d’en garantir la mise en œuvre. La non-exécution des obligations sur lesquelles les entreprises se seraient engagées pourrait être assortie d’une sanction financière à l’instar de ce qui a été fait en Allemagne. Afin de garantir l’effectivité du droit à la déconnexion, le rôle du CSE doit être renforcé sur ces sujets. Pour ce faire, le suivi de la mise en œuvre d’initiatives relatives au droit à la déconnexion pourrait être discuté, dans les entreprises de plus de 50 salariés, au titre des consultations annuelles obligatoires portant sur la qualité de vie au travail.

II – UNE POLITIQUE DU TEMPS POUR SOI

Proposition 5 : Sur le modèle du plan « EduRenov », un plan d’investissement porté par l’État et la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations aurait pour objectif d’impulser la rénovation sur 10 ans de l’ensemble des centres de vacances ainsi que de la moitié la plus vétuste de ces équipements sportifs et culturels collectifs à raison de 1 million d’euros par équipement, soit un total de 2,5 milliards d’euros par an.

Proposition 6 : Expérimenter, sur le modèle de l’Espagne, la gratuité d’accès aux réseaux TER. Ce plan représenterait un coût annuel de 6 à 8 milliards d’euros environ, coût réparti entre les Conseils régionaux compétents en la matière.

Proposition 7 : Généraliser un « Temps de trajet responsable », représentant deux jours (ou quatre demi-journées) de congés par an pour les salariés qui prouvent qu’ils ont pu ainsi éviter un déplacement en avion pour un moyen de transport plus responsable écologiquement.

Proposition 8 : Nous proposons la mise en place d’une classe verte obligatoire d’au moins six nuitées pour tous les élèves de CE2 et de Sixième. Cela permettrait également de renforcer le sentiment d’appartenance à une même société. Les classes vertes basculeraient dans le domaine des dépenses de fonctionnements obligatoires des collectivités territoriales compétentes (en l’espèce, communes et départements). Les familles contribueraient en fonction du quotient familial. Il s’agirait d’un temps scolaire, donc pris en charge par les équipes pédagogiques des établissements (indemnisées selon les règles en vigueur). Le financement serait complété par la création d’un fonds alimenté notamment par une taxe sur l’hôtellerie de luxe, comme suggéré par une proposition de loi de janvier 2020. Le ministère aurait la charge de veiller à la qualité des séjours et à l’égalité entre établissements en labellisant des sites d’accueil et des offres de séjours.

Proposition 9 : En complément des « classes vertes » obligatoires pendant le temps scolaire, un « passe colo verte » pourrait être proposé pour garantir une inscription gratuite à une colonie de vacances centrée sur la biodiversité par cycle scolaire afin de permettre à tous les enfants un accès aux vacances. Une proposition de loi déposée le 4 juillet 2023 et portant mesures d’urgence pour les vacances, va dans ce sens.

Proposition 10 : Afin de permettre au plus grand nombre de ne pas renoncer aux vacances en raison du coût des déplacements, il nous parait essentiel de prendre en compte la question des autoroutes. Si la nationalisation et la gratuité des autoroutes sont désormais des marronniers des campagnes présidentielles, les études estiment un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Dans ce cadre, la prise en charge par l’État de la recette des péages en juillet et août, notamment porté par François Ruffin, nous semble un bon compromis, qu’on peut estimer représenter un coût compris entre 1,7 et 5 milliards d’euros.

III – UNE POLITIQUE DU TEMPS PARTAGE

Proposition 11 : Créer un droit opposable à l’engagement des salariés inspiré du dispositif du mécénat de compétences pour les salariés à temps plein. Les entreprises dont les salariés feraient valoir leurs droits à l’engagement citoyen bénéficierait ainsi du régime fiscal du mécénat de compétences, à savoir une déduction d’impôt égale à 60 % du montant du coût de revient de la mise à disposition de chaque salarié. Ce « droit opposable à l’engagement des salariés » s’inscrirait plus largement dans une stratégie nationale de soutien aux associations.

Proposition 12 : Proposer une loi de programmation pluriannuelle de soutien au développement de la vie associative. Cette loi de programmation permettrait de garantir un volume minimum de subvention de fonctionnement pour les acteurs associatifs dans la durée et de leur offrir une visibilité sur leur trajectoire financière.

Proposition 13 : Un plan de formation des bénévoles associatifs pourrait prendre forme dans le cadre de cette loi de programmation pluriannuelle à travers la montée en puissance du fonds de développement de la vie associative — doté aujourd’hui de 8 millions d’euros seulement — pour soutenir la formation des 6,6 millions de responsables bénévoles réguliers en France, c’est-à-dire consacrant à minima huit heures par mois à leur association.

IV – UN MINISTÈRE DU TEMPS LIBÉRÉ

Proposition 14 : Un « grand ministère du temps Libéré », exerçant la tutelle sur les administrations centrales, Travail, Jeunesse, Culture, Sports, Tourisme et Vie associative.

[1]BENDAVID, R., BAUMLIN, F., « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail », Département Opinion et Stratégies d’Entreprises de l’ IFOP et Fondation Jean Jaurès, IFOP Focus numéro 234, janvier 2023, https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Focus-234-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail.pdf

[2]MONTJOTIN P. et ADRIANSSENS C., « La semaine de 4 jours, le temps du monde d’après », Institut Rousseau, mai 2023,  https://institut-rousseau.fr/semaine-de-quatre-jours-le-temps-du-monde-dapres/

[3]MOUTENET, P., « Recension du livre de François Ruffin Le temps d’apprendre à vivre la bataille des retraites », Institut Rousseau, janvier 2023, https://institut-rousseau.fr/recension-du-livre-de-francois-ruffin-le-temps-d-apprendre-a-vivre-la-bataille-des-retraites/

[4]REDON, A., « Pour parler retraites, parlons d’abord du travail », CSE Matin, 6 mars 2023, https://www.csematin.com/dialogue-social/syndicats/debat-cfdt-pour-parler-retraites-parlons-d-abord-du-travail.html

[5]MARX, K., « Travail de jour et nuit », Livre I, section III, chapitre X, Le Capital, 1872

[6]ROSA, H., Accélération : une critique sociale du temps, La Découverte, 2010

[7]DREVON, B., Idées économiques et sociales n° 177, pages 78 à 79, 2014, https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2014-3-page-78.htm

[8]GWIAZDZINSKI, L, « Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées », Nectart, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

[9]DARES, « La durée individuelle du travail », 28 avril 2022, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/la-duree-individuelle-du-travail

[10]ZILLONIZ, S., « Les temps de déplacement entre domicile et travail », DARES, Analyses numéro 81, 2 novembre 2015, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-temps-de-deplacement-entre-domicile-et-travail-des-disparites-selon-l#:~:text=L’aller%2Dretour%20entre%20le, et%20les%20autres%20zones%20g%C3%A9ographiques.

[11]BOURDIEU, P., La domination masculine, Seuil, 1998.

[12]L’HEUILLET, H., « Le temps est-il un capital comme un autre ? », Libération, 2022 https://www.liberation.fr/forums/le-temps-est-il-un-capital-comme-un-autre-20221006_MMZL577C5VARFCGKR5BD6DGXWM/

[13]CORBIN, A., L’avènement des loisirs, 1850-1960, Flammarion, 1995

[14]HENRI, A., « Quelles nouvelles conquêtes pour le temps libéré ? », colloque organisé par le député Benjamin Lucas le 13 mai 2023, https://usbeketrica.com/fr/article/le-temps-libre-c-est-aussi-et-surtout-un-temps-citoyen

[15]LEVY J.-D., POTERAU, J., HAUSER, M., « Les Français et leur rapport au temps », Harris Interactive pour Volvo, 2018, https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-leur-rapport-au-temps/

[16]FOURQUET, J. et TEGNY, C., « Le rapport des Français au travail », IFOP pour Solutions Solidaires, 2022, https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/11/119438-Presentation-revu-Jerome-pour-publication-IFOP.pdf

[17]FOURQUET, J. et PELTIER, J., « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », Fondation Jean Jaurès, 2022, https://www.jean-jaures.org/publication/grosse-fatigue-et-epidemie-de-flemme-quand-une-partie-des-francais-a-mis-les-pouces/

[18]TRIPPENBACH, I., « Emmanuel Macron, les sociologues et les classes moyennes… Récit d’un déjeuner confidentiel à l’Élysée », Le Monde, 26 mai 2023, https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/26/emmanuel-macron-les-sociologues-et-les-classes-moyennes-recit-d-un-dejeuner-confidentiel-a-l-elysee_6174904_823448.html

[19]EDMOND, H., « Les politiques temporelles des collectivités territoriales », Rapport d’information n° 558 (2013-2014), Sénat, déposé le 22 mai 2014, https://www.senat.fr/rap/r13-558/r13-55813.html

[20]ROSA, H., « Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer », Le Monde, 2016, https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/01/hartmut-rosa-plus-on-economise-le-temps-plus-on-a-la-sensation-d-en-manquer_4893818_4497916.html

[21]Ibid.

[22]EDMOND, H., « Les politiques temporelles des collectivités territoriales », Rapport d’information n° 558 (2013-2014), Sénat, déposé le 22 mai 2014, https://www.senat.fr/rap/r13-558/r13-55813.html

[23]Ibid.

[24]25 % des familles en France sont monoparentales. Voir, ALVAGA, E., BLOCH, K., ROBERT-BOBEE, K., « Les familles en France en 2020 », 2021, INSEE, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681

[25]CITTON, Y., Léconomie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme, La Découverte, 2014.

[26]Selon l’ARCEP, les Français passent désormais 32 heures par semaine derrière un écran, soit 33 % de leur temps éveillé. Voir HOIBIAN, S., « Le baromètre numérique 2022 », ARCEP, 2023 https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/barometre-du-numerique/le-barometre-du-numerique.html

[27] Sur le sujet des évolutions historiques et anthropologiques du rapport humain au temps, voir ATTALI, J., Histoires du temps, Fayard, 1982

[28]FONTAINE, M., « Une politique du temps libre ? 1981-1983 », Fondation Jean Jaurès, 2011, https://www.jean-jaures.org/publication/une-politique-du-temps-libre-1981-1983/

[29]GWIAZDZINSKI, L., « Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées », Nectart, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

[30]LAVILLE, B., « Du ministère de l’impossible au ministère d’État », Revue française d’administration publique n°134, 2010, https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2010-2-page-277.htm

[31]GWIAZDZINSKI, L., « Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées », Nectart, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

[32]FONTAINE, M., « Une politique du temps libre ? 1981-1983 », Fondation Jean Jaurès, 2011, https://www.jean-jaures.org/publication/une-politique-du-temps-libre-1981-1983/

[33]MONTJOTIN P. et ADRIANSSENS C., « La semaine de 4 jours, le temps du monde d’après », Institut Rousseau, mai 2023,  https://institut-rousseau.fr/semaine-de-quatre-jours-le-temps-du-monde-dapres/

[34]CORBIN, A., L’avènement des loisirs, 1850-1960, Flammarion, 1995

[35]ROSA, H., « Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer », Le Monde, 2016, https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/01/hartmut-rosa-plus-on-economise-le-temps-plus-on-a-la-sensation-d-en-manquer_4893818_4497916.html

[36]ZIMMER, C. et JANELLI, R., « Les lieux de pratique sportive en France », INJEP, 2022, https://injep.fr/publication/les-lieux-de-la-pratique-sportive-en-france/

[37]BELHADDAD, B., « Quels équipements pour une nation sportive », Mission parlementaire commandé par le Premier ministre, mars 2022

[38]ELKAIM, A., « Trains gratuits en Espagne : quel bilan ? », Reporterre, 2022 https://reporterre.net/Trains-gratuits-en-Espagne-quel-bilan

[39]HAUSER, M. et BROC, R., « Les Français et l’usage du train », Harris Interactive pour Réseau Action Climat France, Avril 2023,  https://reseauactionclimat.org/nouveau-sondage-sur-lusage-du-train-des-francais/

[40]BEAUVOIS, J., « Temps de Trajet Responsable (TTR) : des jours de congés pour voyager bas-carbone », L’info durable, 2023, https://www.linfodurable.fr/entreprises/temps-de-trajet-responsable-des-jours-de-conges-pour-voyager-bas-carbone-37530

[41]Autorité de régulation des transports, « Le marché français du transport ferroviaire en 2018 », 2018, https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/01/plaquette_bilan_ferroviaire_2018-1.pdf

[42]FABRE SOUNDRON, M., « Après les RTT, voici les TTR, les temps de trajets responsables pour éviter l’avion », Novethic, 2023, https://www.novethic.fr/actualite/energie/mobilite-durable/isr-rse/apres-les-rtt-voici-les-ttr-temps-de-trajet-responsable-pour-eviter-l-avion-151380.html

[43]MARCEL, D. et THIROT, S., « Les vacances des Français : accès, pouvoir d’achat et financement », Fondation Jean Jaurès, 2022, https://www.jean-jaures.org/publication/les-vacances-des-francais-acces-pouvoir-dachat-et-financement/

[44]KERMOAL, B., PELTIER, J., « Vers la vie pleine. Réenchanter les vacances au XXIe siècle », Fondation Jean Jaurès, 2023, https://www.jean-jaures.org/publication/vers-la-vie-pleine-reenchanter-les-vacances-au-xxie-siecle/

[45]Arrêté du 6 mai 1985, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070200/2021-05-28

[46] Proposition de loi visant à promouvoir et démocratiser l’accès aux colonies de vacances, Assemblée nationale, 2020, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2598_proposition-loi#

[47]RUFFIN, F., « Dès cet été, péage gratuit pour les Français ! », 2023 https://francoisruffin.fr/des-cet-ete-peage-gratuit-pour-les-francais/

[48]TOUZANI, S., GRANDIN, J., MAUSSION, F., « La carte des péages : comment les sociétés d’autoroutes réalisent des recettes records », Les Echos, 2019, https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-carte-des-peages-comment-les-societes-dautoroutes-realisent-des-recettes-records-961451

[49]BENDAVID, R. et FEVRAT, M., « Comment la crise sanitaire transforme l’organisation du travail des cadres », IFOP, 2021

[50]MOSCOVICI, P., « La politique d’accompagnement de la vie associative par l’État », Cour des comptes, 10 mars 2021, https://www.ccomptes.fr/system/files/2021-05/20210519-refere-S2021-0094-politique-accompagnement-vie-associative-Etat.pdf

[51]Cour des comptes, « L’Agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport », Communication à la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Juillet 2022

[52]CONFAVREUX, J. et GORIUS, A., « Le pouvoir de nommer comme seule politique », Revue du crieur, juin 2016

[53]MOSCOVICI, P., « La politique d’accompagnement de la vie associative par l’État », Cour des comptes, 10 mars 2021, https://www.ccomptes.fr/system/files/2021-05/20210519-refere-S2021-0094-politique-accompagnement-vie-associative-Etat.pdf

[54]DELORS, J., La Révolution du temps choisi, Albin Michel, 1980

[55]GORZ, A., « Bâtir une civilisation du temps libéré », Le Monde diplomatique, 1993

Publié le 28 juillet 2023

Pour un ministère du Temps libéré

Auteurs

Paul Montjotin
Diplômé de Sciences Po, Paul est enseignant en questions sociales et travaille dans le secteur de la formation et l’emploi.

Charles Adrianssens
Diplômé de Sciences Po Paris et co-fondateur du média Une idée pour espérer.

Note présentée dans le cadre du Festival des idées,

Le 8 juillet 2023, à La-Charité-sur-Loire

Introduction

« La retraite avant l’arthrite », « Ne pas perdre sa vie à la gagner »… Les slogans de la mobilisation contre la réforme des retraites ont été nourris de références au refus du sacrifice d’un temps de vie « pour soi » par l’allongement de l’âge de départ en retraites à 64 ans. La réforme des retraites a soulevé la question de la place du travail dans nos vies et plus profondément encore celle du temps de vie à notre disposition, une fois soustrait le temps passé au travail.

En effet, tout se passe comme si la réforme des retraites avait rappelé à notre société la valeur du temps personnel. Probablement que les graines de cette réflexion avaient été semées lors de l’arrêt du travail pendant le confinement et avec le développement du télétravail. Le rapport des Français au travail semble en tout cas avoir profondément changé : c’est ce que révèle une enquête de l’IFOP[1] menée en octobre 2022 selon laquelle 21 % des Français considèrent le travail comme très important, soit trois fois moins qu’en 1990.

Ce constat appelle logiquement une réflexion sur le réaménagement du temps de travail, par exemple avec la semaine de quatre jours (voir la note de l’Institut Rousseau sur ce sujet[2]). Il mène aussi à une réflexion d’accompagnement, de protection et de valorisation du temps libre de chacun d’entre nous. C’est que depuis plusieurs décennies, et malgré les gains de productivité, le travail semble avoir pris une place croissante dans nos vies, au détriment de notre temps personnel. C’est le fruit d’évolutions politiques (comme souligné par François Ruffin dans son dernier livre Le Temps d’apprendre à vivre[3]), d’évolutions du monde du travail, des outils numériques et du management (comme l’ont mis en lumière Dominique Méda et Bruno Palier notamment[4]), et aussi de l’emballement productif[5] d’une société de la surconsommation. Au global, c’est l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui est bouleversé.

Ces évolutions se font dans le contexte d’avancées technologiques qui génèrent une « accélération du temps »[6], telle que formulée par Hartmut Rosa. Selon lui, cette accélération s’articule autour de trois facteurs[7] : l’innovation technique (qui notamment comprime l’espace et multiplie la nécessité de communiquer), un accroissement des rythmes sociaux et culturels, et enfin une augmentation des rythmes de vie prenant la forme d’une densification des tâches à réaliser et donc un sentiment d’urgence permanent. Ces effets sont particulièrement visibles dans le monde du travail comme on le verra ci-dessous. Ils créent une corrélation entre d’un côté une meilleure productivité au travail grâce à la modernité, qui fait gagner du temps, et pourtant une sensation de manque de temps. De plus, le temps individuel semble de plus en plus déconnecté du temps collectif à travers une forme de désynchronisation des rythmes de vie[8]. La nouveauté de la situation actuelle repose également sur la valeur du temps à l’aune du dérèglement de la planète. L’urgence climatique nous impose que le temps disponible ne soit pas en contradiction avec ce défi qui constitue, lui aussi, une course contre la montre. De fait, le temps libéré interroge l’équation entre croissance, soutenabilité écologique et temps de travail.

Dans cette perspective, nous proposons la création d’un ministère du Temps libéré, ministère de plein exercice qui aurait la charge de coordonner une véritable politique publique d’accompagnement du temps libéré. Par « temps libéré », nous entendons tout le temps libre, c’est-à-dire qui n’est pas contraint.

Ce temps peut être contraint par le travail au sens classique du terme, en pensant plus particulièrement au travail salarié qui représente 37 heures par semaine en moyenne[9]. Le travail salarié reste aujourd’hui la forme d’activité majoritaire et nous semble la plus souhaitable. C’est à ce titre que nous le privilégions dans cette note, qui prendra nécessairement moins en compte les personnes inactives, les demandeurs d’emploi, les travailleurs non-salariés et les travailleurs à temps partiel. Il apparaît néanmoins souhaitable de donner autant que possible une dimension universelle à cette politique du temps libéré pour en permettre le bénéfice à tous, quelle que soit la situation professionnelle.

Le temps est également contraint par les trajets domicile-travail qui représentent environ 50 minutes par jour en moyenne (principalement en voiture)[10] ou encore par le « travail domestique ». Nous faisons le choix, dans le prolongement de certains sociologues (notamment Pierre Bourdieu[11]), de considérer les tâches domestiques et administratives, souvent réalisées par les femmes, comme un travail à part entière. Par définition, le travail domestique et administratif est multiple (faire les courses, aller chercher les enfants, tenir les comptes, prendre les rendez-vous médicaux, régler les factures…). Cette définition fait immédiatement apparaitre des inégalités dans la répartition du temps disponible. Inégalités de classe, inégalités territoriales et inégalités de genre en particulier. Ces inégalités nous amènent à considérer le temps comme un « capital temporel »[12] inégalement réparti et qu’il s’agira de mieux redistribuer.

En positif, nous considérons comme « temps libéré » le « temps pour soi »[13], quelle que soit l’utilisation qui en est faite. Passer du temps avec ses petits-enfants, faire du sport, jardiner, regarder une série à la maison, ne rien faire… Toutes ces activités constituent  du temps utilisé librement pour soi. Pour autant, ce temps libre peut également être mis au service des autres. Comme le soulignait André Henry, ministre du Temps libre, « Le temps libre, ce n’est pas seulement les loisirs, c’est aussi la culture et la vie citoyenne, l’engagement citoyen pour la République »[14]. Cet engagement n’a pas besoin d’être formalisé. Pour autant et sans l’imposer, nous pensons qu’il est nécessaire de créer les conditions que le temps libéré soit profitable à l’ensemble de la société et au climat par l’engagement citoyen dans sa forme institutionnelle.

À l’aune de ces enjeux, le rapport au temps constitue l’une des préoccupations les plus concrètes au quotidien pour les Français. Alors que l’offre politique française et européenne est en pleine mutation, un réformisme « radical » en prise avec le quotidien de nos concitoyens semble plus que jamais nécessaire. C’est dans cette perspective que nous versons dans le débat public la proposition d’un ministère du Temps libéré et d’une politique publique du temps libre.

I – Les Français à la recherche du temps perdu et de la reprise en main de leur destin

Dans son film À plein temps (2021), Eric Gravel dessine à travers la semaine d’une mère isolée le portrait d’une France qui court après le temps : temps de transports, badgeuse au travail, économies sur les gardes d’enfants, SMS, mails, réseaux sociaux… Les contraintes sur les journées pèsent si lourd que chaque journée relève du thriller haletant pour l’héroïne. À des degrés divers et de manière imperceptible, la société française parait prise de vitesse. En 2018, 65 % des Français estiment « manquer de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient dans une journée »[15]. Dans le même temps, 53 % d’entre eux déclarent vouloir ralentir leur rythme de vie (63 % des moins de 50 ans). Alors qu’en 2007, Nicolas Sarkozy consacrait le « travailler plus pour gagner plus », en septembre 2022, l’IFOP pour Solutions solidaires produit un sondage qui affirme que 61 % des salariés souhaitent « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre »[16].

Récemment, plusieurs études ont mis en exergue une « épidémie de flemme »[17] parmi les Français, en s’appuyant notamment sur le mouvement démissionnaire aux États-Unis, et désormais en France. La formule a donné lieu à de nombreuses interprétations, notamment en lien avec le confinement. Le débat semble s’être cristallisé sur un clivage entre les tenants d’un « droit à la paresse » et ceux de la « valeur travail ». La réalité nous semble plutôt être celle, médiane, d’une aspiration à un ralentissement des rythmes de vie, qui serait une forme de reprise de contrôle sur nos propres vies, ce qui également avancé par certains sociologues[18].

En effet, si le temps de travail a été divisé en moyenne par 2 entre 1900 et 2000[19], il s’est en même temps accéléré. C’est que paradoxalement, ce gain de temps génère plus une augmentation du travail et de production qu’un gain de temps libre. Hartmut Rosa résume la situation ainsi « Là où écrire dix lettres prenait deux heures, écrire dix emails n’en prend qu’une. Mais au lieu de gagner une heure, nous prenons deux heures pour écrire vingt emails »[20]. Désormais il est devenu impossible de « finir son travail » et il y a « toujours quelque chose à faire »[21]. De plus, on estime que près de 3 millions de Français travaillent ponctuellement la nuit[22] et que seuls 37 % des salariés ont des horaires de travail en journée prévues avec un repos le week-end[23]. Ainsi derrière la réduction du temps de travail se jouent d’autres évolutions : le travail devient de moins en moins émancipateur, de plus en plus intense et est de moins en moins une expérience collective.

Par ailleurs, ces évolutions côtoient de nouvelles contraintes temporelles hors du monde du travail, qui génèrent une aspiration à plus de temps libre. La progression du nombre de familles monoparentales[24] et le développement de « l’économie de l’attention »[25][26] ont notamment des effets structurants sur les emplois du temps individuels de chacun.

La reprise en main du temps a déjà fait l’objet de politiques publiques du temps libre, dont nous allons retracer l’historique.

II – La courte histoire des politiques du temps libre

Les politiques publiques du temps libre sont assez récentes dans notre histoire. À chaque fois, elles ont été des expériences courtes. Parfois structurantes, parfois plus superficielles, elles sont toutes riches d’enseignement.

Du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, l’industrialisation et la division du travail ont, sans discontinuer, accéléré et normalisé les rythmes du travail[27]. En 1936, le Front populaire prend le contre-pied de l’intensification du travail et propose une ambitieuse politique du temps libre, notamment par l’accès aux loisirs sous l’impulsion de Léo Lagrange, secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports. Les congés payés, la semaine de 40 heures et une éducation populaire en sont les héritages, toujours très présents dans notre société[28]. Cette expérience a, cependant, été limitée par la crise économique, l’alternance politique et l’effort de guerre de 39-45. À la Libération, la mise en place d’un nouveau système de retraites a également permis une avancée du temps libre importante, cette fois après la vie professionnelle.

Entre 1974 et 1981, un ministère de la Qualité de vie est créé. Cette expérience trop souvent oubliée[29] a eu le mérite de couvrir un large portefeuille associant environnement, tourisme, sport et jeunesse. On lui doit les premières législations en matière de protection de la nature[30], mais aussi des avancées en matière d’assouplissement du temps de travail et d’étalement des vacances[31]. Les prérogatives de ce ministère, large, mais déconnecté du ministère du Travail, n’ont pas permis d’aller plus loin dans une réforme plus globale du partage du temps entre travail, loisirs et repos.

En 1981, pour « changer la vie », un ministère du Temps libre avait été créé également, plus éphémère et moins ambitieux (même si on lui doit par exemple l’Agence nationale des chèques-vacances), accompagnant la retraite à 60 ans et la semaine de 39 heures. Selon le ministre de l’époque, sa suppression est notamment dû à la pression qu’a exercée le chômage de masse sur le temps libre. Il devenait politiquement trop compliqué de porter ce sujet dans un contexte où la priorité du gouvernement était la réduction du chômage. Les historiens témoins de sa création restent partagés sur le poids politique réel qui avait été donné à ce ministère[32]. De fait, son périmètre était en fait resserré autour du tourisme, du sport et de la jeunesse. Après cette expérience, plus aucun ministère de ce type n’a été remis en place, y compris à l’occasion des lois Aubry sur les 35 heures.

III – Un ministère du Temps libéré pour une politique publique du temps libéré

La proposition phare de cette note est la création d’un ministère du Temps libéré. Au regard des leçons de l’histoire des politiques du temps libre, nous retenons la nécessité de ne pas faire de ce ministère un simple symbole politique, mais une politique publique structurante articulée autour d’un nouveau projet de société.

Nous proposons d’articuler l’action de ce ministère autour d’une politique de la maîtrise du temps (A), d’une politique du développement du temps pour soi (B) et d’une politique du partage du temps au service de l’engagement, du lien social et du climat (C). Ces politiques publiques seront portées par un ministère large, intégrant à la fois les principales directions des ministères du Travail, de la Jeunesse et des Sports, de la Culture, du Tourisme et de la Vie associative (D).

A – Le « temps maîtrisé » : une politique de reprise de contrôle sur le temps

Le premier objectif d’une politique du temps libéré est de favoriser l’équilibre entre les temps personnels et professionnels à travers la mise en place d’une garantie individuelle au temps libéré. Pour ce faire, le ministère du Temps libéré pourra, avec les syndicats, formuler des propositions. Nous pensons notamment à celle de la semaine de quatre jours suggérée par l’Institut Rousseau[33] et nous formulons d’autres propositions en ce sens ci-dessous.

Pour parvenir à un temps libéré garanti pour chaque individu, nous proposons d’abord la création d’un socle de jours de temps libéré non monétisables (a). Nous proposons également la démocratisation de l’accès au congé de proche aidant (b). Afin que cet enjeu suive les salariés tout au long de leur carrière, nous proposons un compte épargne temps universel (c). Enfin, face aux évolutions numériques, nous proposons la mise en place d’un droit à la déconnexion (d).

a) Le temps n’est pas de l’argent : conférer un socle de jours de temps libérés non monétisables aux salariés

Afin que le temps libre soit réellement émancipateur, il doit être libéré  des charges domestiques. Dans ce cadre, il convient d’offrir aux salariés des temps de compensation pour libérer réellement leur temps libre. Or, le dispositif de réduction du temps de travail (RTT), qui prévoit d’attribuer des journées ou de demi-journées de repos à un salarié dont la durée de travail hebdomadaire est supérieure à 35 heures et qui peut être monétisé, n’est pas utilisé à cette fin. En rendant non monétisable ce socle de RTT, nous lui redonnons son sens premier, qui est de réduire le temps de travail.

Proposition 1 : Garantir par la loi un socle minimum de jours de temps libéré, non monétisable, afin de permettre aux salariés de se libérer de contraintes personnelles (déménagement, garde d’enfants malade, etc.). Ce socle minimum bénéficierait à tous les salariés à temps complet, quelle que soit la durée de travail. Ces jours de temps libéré qui ne pourraient être utilisés sur une période longue comme les jours de congés, seraient cumulables dans le cadre du compte épargne temps universel.  

b) Prendre le temps du lien : démocratiser l’accès au congé de proche aidant

Plus de 9 millions de personnes déclarent aujourd’hui en France apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Nous pensons qu’il faut considérer ce temps de soin comme un travail à part entière pour que les personnes concernées puissent bénéficier d’un temps dédié pour pouvoir s’occuper dignement de leurs proches en situation de vulnérabilité. Ce droit à pouvoir consacrer du temps à ses proches en situation de fragilité, en particulier les aînés constituent un véritable élément d’une vie digne.

À cet égard, la loi du 18 novembre 2016 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a institué le « congé de proche aidant » permettant à toute personne résidant en France d’interrompre son activité professionnelle en étant indemnisée pour accompagner un proche en perte d’autonomie ou en situation de handicap. Ce congé, d’une durée maximum de trois mois (soit 66 jours) et que l’employeur ne peut refuser, permet à la personne de bénéficier de l’allocation journalière de proche aidant (AJPA) versé par les caisses d’allocations familiales (CAF) et dont le montant est de 62 euros par jour. Ce congé peut être fractionné sur la durée d’un an maximum.

Ce dispositif, qui au départ n’était pas indemnisé, est resté peu attractif. Alors qu’on estimait à 270 000 salariés et 67 000 agents publics éligibles en 2020, seuls 6 626 congés de proches aidants ont été ouverts par les CAF entre septembre 2020 et février 2022. Ce faible recours s’explique par une méconnaissance de ce dispositif, par sa complexité d’accès, mais également par l’essor du télétravail et du chômage partiel pendant la crise sanitaire.

Alors que, du fait du vieillissement de la population, 4 millions de personnes seront en situation de dépendance en 2050 selon l’INSEE, la politique du temps libéré pourrait se traduire par une véritable politique d’aide aux aidants. Dans ce cadre, le ministère du Temps libéré aurait vocation à proposer une montée en charge et une amélioration de ce dispositif.

Proposition 2 : Organiser un « Grenelle des proches aidants » afin de formuler des propositions, en concertation avec les associations des aidants familiaux, pour démocratiser l’accès au « congé de proche aidant » afin de permettre à chacun d’accompagner des proches en situation de dépendance. Le niveau d’indemnisation du « congé proche aidant » pourrait être revu à la hausse pour permettre au plus grand nombre de le prendre.

c) Gérer son temps tout au long de la vie professionnelle : introduire un compte épargne temps universel pour tous les salariés

La maîtrise du temps implique ensuite de permettre aux salariés de gérer librement leurs temps de vie tout au long de leur parcours professionnel. C’est l’objet du compte épargne temps qui permet aujourd’hui aux salariés d’accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d’une rémunération en contrepartie des périodes de congés non-prises. Néanmoins, le compte épargne temps est un dispositif très peu mis en place puisque seul un salarié sur dix en bénéficie aujourd’hui. Par ailleurs, le bénéfice des comptes épargne temps se perd en cas de rupture du contrat de travail.

Proposition 3 : Portée par la CFDT, l’instauration d’un « compte épargne temps universel » attaché à chaque salarié tout au long de sa vie professionnelle leur permettrait de conserver leurs droits à congés au-delà des changements d’employeurs, de statuts ou de secteur d’activité. Contrairement au dispositif existant, ce compte épargne temps serait universel et portable. Universel, car il bénéficierait aux salariés de tous les secteurs. Portable, car les salariés pourraient conserver leurs droits acquis tout au long de leur carrière même en cas de changement d’employeur. Chaque salarié pourrait ainsi « épargner du temps » ou « récupérer du temps » en fonction de sa situation personnelle et professionnelle. Ces « comptes épargne temps universel » seraient gérés par un fonds interprofessionnel.

d) Il y a un temps pour tout : garantir le droit à la déconnexion en dehors du travail

Le numérique a bouleversé les organisations de travail, rendant poreuse la frontière entre temps de travail et temps personnel. Or, la maîtrise du temps concerne d’abord celle des horaires de travail au quotidien.

C’est dans ce contexte que, par la loi du 8 août 2016 dite « loi Travail », le « droit à la déconnexion » est entré en vigueur le 1er janvier 2017 et figure à l’article L. 2242-17 du Code du travail. Bien qu’ayant une existence juridique, ce droit souffre aujourd’hui de plusieurs limites. D’abord parce que le Code du travail n’en définit pas les modalités d’exercice. Ensuite et surtout, parce qu’aucune obligation forte ne pèse sur les entreprises qui sont simplement tenues d’en discuter dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail qui a lieu chaque année. À défaut d’accord, l’employeur doit élaborer une charte qui, après avis du comité social et économique (CSE), définit les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion.

Proposition 4 : Afin de garantir la mise en œuvre effective du droit à la déconnexion, introduire une obligation de moyens pour les entreprises. Chaque entreprise devra ainsi préciser dans un accord collectif, les moyens concrets qu’elle entend mettre en œuvrent pour rendre ce droit effectif. Les entreprises devraient ainsi s’engager au minimum sur une initiative parmi un panel d’actions possibles et le signifier auprès du CSE, qui sera chargé d’en garantir la mise en œuvre. La non-exécution des obligations sur lesquelles les entreprises sont engagées serait être assortie d’une sanction financière à l’instar de ce qui a été fait en Allemagne. Afin d’en garantir l’effectivité, le CSE dans les entreprises de plus de 50 salariés, pourrait donner un avis sur les initiatives mises en œuvre au titre des consultations annuelles obligatoires sur la qualité de vie au travail.   

B) Le « temps pour soi » : une politique du temps au service du ralentissement et de l’émancipation

Les historiens des loisirs[34] ont apporté au débat une distinction essentielle entre le temps libre et le « temps pour soi ». Ce temps pour soi doit aussi permettre de créer « des oasis de décélération »[35] et de recréation de temps collectifs. Pour être émancipateur, ce temps libéré doit également être accessible à tous.

a) Le temps d’être ensemble : un plan d’investissement dans les infrastructures sportives, culturelles de nature collectives et des centres de vacances

Pour que les Français puissent bénéficier de ce temps retrouvé et en retirer du bien-être, la puissance publique doit garantir à tous un accès à une offre de services de sports et loisirs culturels. Il ne s’agit pas d’imposer aux citoyens un usage de leur temps libéré, mais de créer les conditions pour que celles et ceux qui le souhaitent en tirent le meilleur bénéfice, nous pensons en particulier à la qualité des infrastructures sportives et culturelles, qui sont des lieux de pratiques, mais aussi d’échanges, de rencontres, de convivialité et de collectif. Rénover ces lieux collectifs apparaît essentiel afin qu’ils retrouvent leur rôle de lien social.

Aujourd’hui, l’accès aux infrastructures sportives en particulier n’est pas garanti pour deux raisons principales. D’une part, cet accès est inégal sur le territoire : l’offre d’équipements sportifs est par exemple plus faible en zone urbaine sensible (qui concentre 3 % des infrastructures de sport alors que 7 % de la population y réside[36]). D’autre part, une part des infrastructures sportives est vieillissante : selon un récent rapport parlementaire[37], sur les 272 000 équipements sportifs bâtis dont les collectivités sont propriétaires, près de 40 % datent d’avant 1985, 61 % ont plus de 25 ans et 70 % n’ont jamais bénéficié de gros travaux.

Dans ce cadre, un investissement massif dans les infrastructures sportives et les espaces de vacances permettrait de promouvoir des espaces de temps libres et de loisirs collectifs, émancipateurs et libérés de l’emprise de la société de consommation. La France compte actuellement 66 000 salles de pratiques sportives collectives (gymnases, dojos…) et 6000 piscines, 21 600 équipements culturels (bibliothèques, musées, théâtre…) et 500 centres de vacances publics, majoritairement propriété des communes. Ce plan d’investissement pourrait s’inscrire dans ce périmètre.

Proposition 5 : Sur le modèle du plan « EduRenov », un plan d’investissement porté par l’État et la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations aurait pour objectif d’impulser la rénovation sur 10 ans de l’ensemble des centres de vacances ainsi que de la moitié la plus vétuste de ces équipements sportifs et culturels collectifs à raison d’un demi-million d’euros par équipement, soit un total de 2,5 milliards d’euros par an.

b) Ralentir nos déplacements : une politique d’accès aux mobilités douces

Le temps libéré pourrait également être utilisé pour ralentir nos déplacements et en particulier voyager autrement. Alors que le secteur des transports est aujourd’hui le principal émetteur de gaz à effets de serre en France (135 millions de tonnes de CO2 équivalent en 2019, soit presque un tiers des émissions nationales), un plan ambitieux d’accès aux « mobilités douces » permettrait aux Français de profiter du temps libéré en voyageant de manière responsable et en expérimentant des temps de loisirs en accord avec le désir de décélération. Ce plan, conçu à l’échelle nationale, se traduirait par le développement et la gratuité du réseau de TER ainsi que des trains de nuit.

La gratuité des TER est expérimentée en Espagne depuis septembre 2022[38] : l’État rembourse ainsi 100 % des abonnements des trains périurbains et du réseau ferré régional conventionnel. Conçue pour aider les ménages à faire face à l’inflation, cette mesure a produit des effets significatifs sur les modes de transport : la fréquentation des trains régionaux a augmenté de 24 % en septembre 2022 par rapport à septembre 2021. Une telle mesure peut trouver un écho en France dans la mesure où, pour 2 Français sur 5, le train est aujourd’hui trop cher par rapport à d’autres modes de transport ; la majorité des Français (57 %) jugeant, selon ce sondage réalisé par Harris Interactive[39], que la première mesure à instaurer pour les inciter à prendre le train serait la mise en place de politiques tarifaires plus avantageuses.

Alors que de nombreux départs en vacances se font au « chausse-pied », récompenser par un jour de congé ceux qui renoncent à des trajets européens et internationaux en avion pour les réaliser en train, bateau ou co-voiturage, serait également une aide au ralentissement. Ce serait également positif pour la planète en évitant un nombre considérable de déplacements sans priver les salariés de destinations lointaines. Ce dispositif est expérimenté en France par quelques entreprises[40], nous proposons de le généraliser.

Proposition 6 : Expérimenter, sur le modèle de l’Espagne, la gratuité d’accès aux réseaux TER. Ce plan représenterait un coût annuel de 6 à 8 milliards d’euros environ[41], coût réparti entre les Conseils régionaux compétents en la matière.

Proposition 7 : Généraliser un « Temps de trajet responsable »[42], représentant deux jours (ou quatre demi-journées) de congés par an pour les salariés qui prouvent qu’ils ont pu ainsi éviter un déplacement en avion pour un moyen de transport plus responsable écologiquement.

c) Prendre le temps d’élargir l’horizon : une politique de droit aux vacances

Près de la moitié des Français ne peuvent pas partir en vacances[43], alors qu’elles sont des moments essentiels de respiration ainsi que d’émancipation pour les enfants. Cet enjeu fait actuellement l’objet de propositions intéressantes, de parlementaires et de cercles de réflexion[44], raison pour laquelle nous nous contentons d’apporter un éclairage limité. Nous proposons également de renouer avec les classes vertes afin de libérer du « temps scolaire » classique pour élargir les horizons des enfants et des communautés éducatives.

Proposition 8 : Nous proposons la mise en place d’une classe verte obligatoire d’au moins six nuitées pour tous les élèves de CE2 et de Sixième. Cela permettrait également de renforcer le sentiment d’appartenance à une même société. Les classes vertes basculeraient dans le domaine des dépenses de fonctionnements obligatoires des collectivités territoriales compétentes (en l’espèce, communes et départements). Les familles contribueraient en fonction du quotient familial. Il s’agirait d’un temps scolaire, donc pris en charge par les équipes pédagogiques des établissements (indemnisées selon les règles en vigueur[45]). Le financement serait complété par la création d’un fonds alimenté notamment par une taxe sur l’hôtellerie de luxe, comme suggéré par une proposition de loi de janvier 2020[46]. Le ministère aurait la charge de veiller à la qualité des séjours et à l’égalité entre établissements en labellisant des sites d’accueil et des offres de séjours.

Proposition 9 : En complément des « classes vertes » obligatoires pendant le temps scolaire, un « passe colo verte » pourrait être proposé pour garantir une inscription gratuite à une colonie de vacances centrée sur la biodiversité par cycle scolaire afin de permettre à tous les enfants un accès aux vacances. Une proposition de loi déposée le 4 juillet 2023 et portant mesures d’urgence pour les vacances, va dans ce sens.

Proposition 10 : Afin de permettre au plus grand nombre de ne pas renoncer aux vacances en raison du coût des déplacements, il nous paraît essentiel de prendre en compte la question des autoroutes. Si la nationalisation et la gratuité des autoroutes sont désormais des marronniers des campagnes présidentielles, les études estiment un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Dans ce cadre, la prise en charge par l’État de la recette des péages en juillet et août, notamment porté par François Ruffin, nous semble un bon compromis[47], dont le coût est compris entre 1,7 et 5 milliards d’euros[48].

C) Le temps partagé : une politique de temps de vie partagée au service de l’engagement citoyen, du climat et du lien social

La dernière politique que le ministère du Temps libéré pourrait animer est celle d’un partage du « capital temporel » de chacun au service de la société dans son ensemble. Il ne s’agit pas ici d’une injonction ni d’une obligation. Il s’agit seulement d’offrir les conditions permettant à ceux qui le souhaitent de mettre leur temps à disposition des autres dans un cadre institutionnel.

Dans cette perspective, nous proposons un droit opposable à l’engagement des salariés et plus largement un plan de soutien à la vie associative.

a) Pour un droit opposable à l’engagement des salariés

De nombreux besoins essentiels, liés en particulier aux activités du lien social, sont aujourd’hui insuffisamment pris en charge par le marché du travail. Dans le même temps, une aspiration à l’engagement citoyen des salariés s’exprime depuis quelques années, en particulier depuis la crise du coronavirus. Ainsi selon une étude de l’IFOP[49] menée en avril 2021, 75 % des responsables des ressources humaines indiquent que la crise sanitaire a accéléré une prise de conscience plus forte des enjeux sociétaux et environnementaux au sein de leur entreprise. Cette aspiration à l’engagement des salariés s’est traduite notamment par l’essor du mécénat de compétences : 46 % des responsables des ressources humaines interrogés confirment qu’un dispositif de mécénat de compétences est en place dans leur entreprise en 2021, soit 25 points de pourcentage de plus qu’en mars 2020.

Dans ce contexte, une politique du temps partagé permettrait de promouvoir l’engagement des salariés et s’inscrirait dans une stratégie plus large de soutien aux acteurs associatifs.

Proposition 11 : Créer un droit opposable à l’engagement des salariés inspiré du dispositif du mécénat de compétences pour les salariés à temps plein. Les entreprises dont les salariés feraient valoir leurs droits à l’engagement citoyen bénéficierait ainsi du régime fiscal du mécénat de compétences, à savoir une déduction d’impôt égale à 60 % du montant du coût de revient de la mise à disposition de chaque salarié. Ce « droit opposable à l’engagement des salariés » s’inscrirait plus largement dans une stratégie nationale de soutien aux associations.

b) Pour un plan national de soutien à la vie associative

La vie associative est aujourd’hui l’espace privilégié du temps partagé en France : 20 millions de personnes donnent ainsi de leur temps chaque année à une association. Le tissu associatif est particulièrement riche en France : le pays compre 1,5 million d’associations contre 580 000 en Allemagne et 193 000 au Royaume-Uni. La vie associative permet aux citoyens de s’engager bénévolement — 90 % des associations sont constituées uniquement de bénévoles ! — dans le champ social, éducatif, culturel, ou encore sportif. Alors que les initiatives citoyennes se sont démultipliées ces dernières années, la Cour des comptes[50] souligne que « la politique d’accompagnement du secteur associatif souffre d’une absence de stratégie de long terme ». Le secteur associatif s’est de ce fait affaibli financièrement : la part des subventions publiques dans le budget associatif a en particulier diminué de 34 % des ressources en 2005 à 20 % en 2017. De plus, alors que la formation est aujourd’hui la première attente des bénévoles pour exercer correctement leur activité, les crédits alloués à la formation à travers le fonds de développement de la vie associative ont diminué ces dernières années en euros constants.

Proposition 12 : Proposer une loi de programmation pluriannuelle de soutien au développement de la vie associative. Cette loi de programmation permettrait de garantir un volume minimum de subvention de fonctionnement pour les acteurs associatifs dans la durée et de leur offrir une visibilité sur leur trajectoire financière.

Proposition 13 : Un plan de formation des bénévoles associatifs pourrait prendre forme dans le cadre de cette loi de programmation pluriannuelle à travers la montée en puissance du fonds de développement de la vie associative — doté aujourd’hui de 8 millions d’euros seulement — pour soutenir la formation des 6,6 millions de responsables bénévoles réguliers en France, c’est-à-dire consacrant à minima huit heures par mois à leur association.

D) Le ministère du Temps libéré, l’architecture d’un « grand ministère »

Pour coordonner et donner une cohérence à l’ensemble des politiques publiques en faveur du temps libéré, nous proposons la mise en place d’un ministère du Temps libéré. Loin d’être un simple gadget politique, nous proposons d’en faire un grand ministère de plein exercice doté d’une réelle capacité d’action.

Afin d’exister dans l’architecture gouvernementale, et contrairement à ce qui avait été fait en 1981, nous proposons que le ministère du Temps libéré exerce une tutelle sur les administrations centrales suivantes : Travail, Jeunesse et Sports, Culture, Tourisme et Vie associative.

Nous proposons donc de sortir ces administrations de la tutelle du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Économie, ce qui a été la tendance ces dernières années, pour les regrouper dans un ensemble tourné vers l’aménagement du temps de travail et l’appropriation du temps libre. En effet, en 2018, le ministère de l’Éducation nationale a pris la tutelle du ministère de la Jeunesse et du ministère des Sports. Depuis 2019, la création de l’Agence nationale du sport a un peu plus dilué les moyens d’actions et d’orientation politique de l’État[51]. De son côté, le ministère de la Culture, bien que toujours de plein exercice, se trouve de plus en plus isolé, concurrencé et affaibli dans ses moyens[52].

Dans une architecture gouvernementale, ce « grand ministère » serait plus à même de coordonner une politique du temps libre ainsi que de peser dans les arbitrages interministériels. Ce format renforcerait utilement aussi sa capacité de négociation avec les organisations syndicales et patronales, clé de voûte de la mise en place des différents volets de cette politique publique (voir ci-dessous).

Concernant le secteur associatif, qui est au cœur du temps libéré, le ministère aurait notamment autorité sur la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) à qui nous donnerions une prérogative interministérielle (DIJEPVA). La Cour des comptes a d’ailleurs souligné que la politique d’accompagnement du secteur associatif souffrait d’« une coordination fragile » et qu’il était nécessaire de renforcer la DJEPVA[53].

Nous proposons enfin que le ministère trouve sa proximité avec un référent dans chaque préfecture régionale et départementale pour en assurer la déclinaison locale. Cette organisation suppose au niveau territorial une fusion des DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles), des DRAJES (Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports), du service Travail des DRIEETS (Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités). Ce schéma doit également se décliner au niveau départemental. Sans création de postes, il appartient à chaque référent que l’on nommera « délégué au temps libéré » d’animer localement la politique publique à travers des « conférences territoriales » trimestrielles associant collectivités locales, syndicats, représentants du monde du sport, de la culture, de l’éducation populaire…

Conclusion – Vers une « civilisation du temps libéré »

Au-delà de ce ministère du Temps libéré et la vaste politique publique qu’il pourrait mener, d’autres questions se posent, notamment en matière de réorientation de la politique industrielle française et européenne. Peut-être que ces mesures sont en fait nécessaires à une réorientation de l’appareil productif vers d’autres types de biens et de services, partant non pas de l’offre, mais de la demande.

À terme, ces changements constituent un pas décisif moins vers l’entière « disparition » du travail, que vers une société de l’autogestion du temps de travail[54], capable de rendre désirable une société moins sous l’emprise de la sphère marchande et monétaire et organisée autour de « l’abondance frugale »[55] selon les termes d’André Gorz, « c’est-à-dire une civilisation qui, tout en garantissant à tous une autonomie et une sécurité existentielles croissantes, élimine progressivement les consommations pléthoriques, source de manque de temps, de nuisances, de gaspillages et de frustrations, au profit d’une vie plus détendue, conviviale et libre ».

ANNEXE — RAPPEL DES PROPOSITIONS

I – UNE POLITIQUE DU TEMPS MAÎTRISE

Proposition 1 : Garantir par la loi un socle minimum de jours de temps libéré, non monétisable, afin de permettre aux salariés de se libérer de contraintes personnelles (déménagement, garde d’enfants malade, etc.). Ce socle minimum bénéficierait à tous les salariés à temps complet, quelle que soit la durée de travail. Ces jours de temps libérés qui ne pourraient être utilisés sur une période longue comme les jours de congés, seraient cumulables dans le cadre du compte épargne temps universel.

Proposition 2 : Organiser un « Grenelle des proches aidants » sous l’égide du ministère du Temps libéré afin de démocratiser l’accès au « congé proche aidant » et d’en améliorer les conditions d’indemnisation. L’objectif est de permettre à tous ceux qui le souhaitent de librement interrompre partiellement ou complètement son activité professionnelle pour prendre le temps d’accompagner des proches en situation de dépendance.

Proposition 3 : Portée aujourd’hui par la CFDT, l’instauration d’un « compte épargne temps universel » attaché à chaque salarié tout au long de sa vie professionnelle leur permettrait conserver leurs droits à congés au-delà des changements d’employeurs, de statuts ou de secteur d’activité. Contrairement au dispositif existant, ce compte épargne temps serait universel, portable et monétisable. Universel, car il bénéficierait aux salariés de tous les secteurs. Portable, car les salariés pourraient conserver leurs droits acquis tout au long de leur carrière même en cas de changement d’employeur. Monétisable, car le solde de droits disponibles pourrait être transformé en épargne salariale. En résumé, chaque salarié pourrait ainsi « épargner du temps » ou « récupérer du temps » en fonction de sa situation personnelle et professionnelle. Ces « comptes épargne temps universel » seraient gérés par un fonds interprofessionnel.

Proposition 4 : Afin de garantir la mise en œuvre effective du droit à la déconnexion, introduire une obligation de moyens pour les entreprises. Chaque entreprise devra ainsi préciser dans un accord collectif, les moyens concrets qu’elle entend mettre en œuvrent pour rendre ce droit effectif. Les entreprises devraient ainsi s’engager au minimum sur une initiative parmi un panel d’actions possibles et le signifier auprès du CSE, qui sera chargé d’en garantir la mise en œuvre. La non-exécution des obligations sur lesquelles les entreprises se seraient engagées pourrait être assortie d’une sanction financière à l’instar de ce qui a été fait en Allemagne. Afin de garantir l’effectivité du droit à la déconnexion, le rôle du CSE doit être renforcé sur ces sujets. Pour ce faire, le suivi de la mise en œuvre d’initiatives relatives au droit à la déconnexion pourrait être discuté, dans les entreprises de plus de 50 salariés, au titre des consultations annuelles obligatoires portant sur la qualité de vie au travail.

II – UNE POLITIQUE DU TEMPS POUR SOI

Proposition 5 : Sur le modèle du plan « EduRenov », un plan d’investissement porté par l’État et la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations aurait pour objectif d’impulser la rénovation sur 10 ans de l’ensemble des centres de vacances ainsi que de la moitié la plus vétuste de ces équipements sportifs et culturels collectifs à raison de 1 million d’euros par équipement, soit un total de 2,5 milliards d’euros par an.

Proposition 6 : Expérimenter, sur le modèle de l’Espagne, la gratuité d’accès aux réseaux TER. Ce plan représenterait un coût annuel de 6 à 8 milliards d’euros environ, coût réparti entre les Conseils régionaux compétents en la matière.

Proposition 7 : Généraliser un « Temps de trajet responsable », représentant deux jours (ou quatre demi-journées) de congés par an pour les salariés qui prouvent qu’ils ont pu ainsi éviter un déplacement en avion pour un moyen de transport plus responsable écologiquement.

Proposition 8 : Nous proposons la mise en place d’une classe verte obligatoire d’au moins six nuitées pour tous les élèves de CE2 et de Sixième. Cela permettrait également de renforcer le sentiment d’appartenance à une même société. Les classes vertes basculeraient dans le domaine des dépenses de fonctionnements obligatoires des collectivités territoriales compétentes (en l’espèce, communes et départements). Les familles contribueraient en fonction du quotient familial. Il s’agirait d’un temps scolaire, donc pris en charge par les équipes pédagogiques des établissements (indemnisées selon les règles en vigueur). Le financement serait complété par la création d’un fonds alimenté notamment par une taxe sur l’hôtellerie de luxe, comme suggéré par une proposition de loi de janvier 2020. Le ministère aurait la charge de veiller à la qualité des séjours et à l’égalité entre établissements en labellisant des sites d’accueil et des offres de séjours.

Proposition 9 : En complément des « classes vertes » obligatoires pendant le temps scolaire, un « passe colo verte » pourrait être proposé pour garantir une inscription gratuite à une colonie de vacances centrée sur la biodiversité par cycle scolaire afin de permettre à tous les enfants un accès aux vacances. Une proposition de loi déposée le 4 juillet 2023 et portant mesures d’urgence pour les vacances, va dans ce sens.

Proposition 10 : Afin de permettre au plus grand nombre de ne pas renoncer aux vacances en raison du coût des déplacements, il nous parait essentiel de prendre en compte la question des autoroutes. Si la nationalisation et la gratuité des autoroutes sont désormais des marronniers des campagnes présidentielles, les études estiment un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Dans ce cadre, la prise en charge par l’État de la recette des péages en juillet et août, notamment porté par François Ruffin, nous semble un bon compromis, qu’on peut estimer représenter un coût compris entre 1,7 et 5 milliards d’euros.

III – UNE POLITIQUE DU TEMPS PARTAGE

Proposition 11 : Créer un droit opposable à l’engagement des salariés inspiré du dispositif du mécénat de compétences pour les salariés à temps plein. Les entreprises dont les salariés feraient valoir leurs droits à l’engagement citoyen bénéficierait ainsi du régime fiscal du mécénat de compétences, à savoir une déduction d’impôt égale à 60 % du montant du coût de revient de la mise à disposition de chaque salarié. Ce « droit opposable à l’engagement des salariés » s’inscrirait plus largement dans une stratégie nationale de soutien aux associations.

Proposition 12 : Proposer une loi de programmation pluriannuelle de soutien au développement de la vie associative. Cette loi de programmation permettrait de garantir un volume minimum de subvention de fonctionnement pour les acteurs associatifs dans la durée et de leur offrir une visibilité sur leur trajectoire financière.

Proposition 13 : Un plan de formation des bénévoles associatifs pourrait prendre forme dans le cadre de cette loi de programmation pluriannuelle à travers la montée en puissance du fonds de développement de la vie associative — doté aujourd’hui de 8 millions d’euros seulement — pour soutenir la formation des 6,6 millions de responsables bénévoles réguliers en France, c’est-à-dire consacrant à minima huit heures par mois à leur association.

IV – UN MINISTÈRE DU TEMPS LIBÉRÉ

Proposition 14 : Un « grand ministère du temps Libéré », exerçant la tutelle sur les administrations centrales, Travail, Jeunesse, Culture, Sports, Tourisme et Vie associative.

[1]BENDAVID, R., BAUMLIN, F., « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail », Département Opinion et Stratégies d’Entreprises de l’ IFOP et Fondation Jean Jaurès, IFOP Focus numéro 234, janvier 2023, https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Focus-234-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail.pdf

[2]MONTJOTIN P. et ADRIANSSENS C., « La semaine de 4 jours, le temps du monde d’après », Institut Rousseau, mai 2023,  https://institut-rousseau.fr/semaine-de-quatre-jours-le-temps-du-monde-dapres/

[3]MOUTENET, P., « Recension du livre de François Ruffin Le temps d’apprendre à vivre la bataille des retraites », Institut Rousseau, janvier 2023, https://institut-rousseau.fr/recension-du-livre-de-francois-ruffin-le-temps-d-apprendre-a-vivre-la-bataille-des-retraites/

[4]REDON, A., « Pour parler retraites, parlons d’abord du travail », CSE Matin, 6 mars 2023, https://www.csematin.com/dialogue-social/syndicats/debat-cfdt-pour-parler-retraites-parlons-d-abord-du-travail.html

[5]MARX, K., « Travail de jour et nuit », Livre I, section III, chapitre X, Le Capital, 1872

[6]ROSA, H., Accélération : une critique sociale du temps, La Découverte, 2010

[7]DREVON, B., Idées économiques et sociales n° 177, pages 78 à 79, 2014, https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2014-3-page-78.htm

[8]GWIAZDZINSKI, L, « Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées », Nectart, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

[9]DARES, « La durée individuelle du travail », 28 avril 2022, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/la-duree-individuelle-du-travail

[10]ZILLONIZ, S., « Les temps de déplacement entre domicile et travail », DARES, Analyses numéro 81, 2 novembre 2015, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-temps-de-deplacement-entre-domicile-et-travail-des-disparites-selon-l#:~:text=L’aller%2Dretour%20entre%20le, et%20les%20autres%20zones%20g%C3%A9ographiques.

[11]BOURDIEU, P., La domination masculine, Seuil, 1998.

[12]L’HEUILLET, H., « Le temps est-il un capital comme un autre ? », Libération, 2022 https://www.liberation.fr/forums/le-temps-est-il-un-capital-comme-un-autre-20221006_MMZL577C5VARFCGKR5BD6DGXWM/

[13]CORBIN, A., L’avènement des loisirs, 1850-1960, Flammarion, 1995

[14]HENRI, A., « Quelles nouvelles conquêtes pour le temps libéré ? », colloque organisé par le député Benjamin Lucas le 13 mai 2023, https://usbeketrica.com/fr/article/le-temps-libre-c-est-aussi-et-surtout-un-temps-citoyen

[15]LEVY J.-D., POTERAU, J., HAUSER, M., « Les Français et leur rapport au temps », Harris Interactive pour Volvo, 2018, https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-leur-rapport-au-temps/

[16]FOURQUET, J. et TEGNY, C., « Le rapport des Français au travail », IFOP pour Solutions Solidaires, 2022, https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/11/119438-Presentation-revu-Jerome-pour-publication-IFOP.pdf

[17]FOURQUET, J. et PELTIER, J., « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », Fondation Jean Jaurès, 2022, https://www.jean-jaures.org/publication/grosse-fatigue-et-epidemie-de-flemme-quand-une-partie-des-francais-a-mis-les-pouces/

[18]TRIPPENBACH, I., « Emmanuel Macron, les sociologues et les classes moyennes… Récit d’un déjeuner confidentiel à l’Élysée », Le Monde, 26 mai 2023, https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/26/emmanuel-macron-les-sociologues-et-les-classes-moyennes-recit-d-un-dejeuner-confidentiel-a-l-elysee_6174904_823448.html

[19]EDMOND, H., « Les politiques temporelles des collectivités territoriales », Rapport d’information n° 558 (2013-2014), Sénat, déposé le 22 mai 2014, https://www.senat.fr/rap/r13-558/r13-55813.html

[20]ROSA, H., « Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer », Le Monde, 2016, https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/01/hartmut-rosa-plus-on-economise-le-temps-plus-on-a-la-sensation-d-en-manquer_4893818_4497916.html

[21]Ibid.

[22]EDMOND, H., « Les politiques temporelles des collectivités territoriales », Rapport d’information n° 558 (2013-2014), Sénat, déposé le 22 mai 2014, https://www.senat.fr/rap/r13-558/r13-55813.html

[23]Ibid.

[24]25 % des familles en France sont monoparentales. Voir, ALVAGA, E., BLOCH, K., ROBERT-BOBEE, K., « Les familles en France en 2020 », 2021, INSEE, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681

[25]CITTON, Y., Léconomie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme, La Découverte, 2014.

[26]Selon l’ARCEP, les Français passent désormais 32 heures par semaine derrière un écran, soit 33 % de leur temps éveillé. Voir HOIBIAN, S., « Le baromètre numérique 2022 », ARCEP, 2023 https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/barometre-du-numerique/le-barometre-du-numerique.html

[27] Sur le sujet des évolutions historiques et anthropologiques du rapport humain au temps, voir ATTALI, J., Histoires du temps, Fayard, 1982

[28]FONTAINE, M., « Une politique du temps libre ? 1981-1983 », Fondation Jean Jaurès, 2011, https://www.jean-jaures.org/publication/une-politique-du-temps-libre-1981-1983/

[29]GWIAZDZINSKI, L., « Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées », Nectart, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

[30]LAVILLE, B., « Du ministère de l’impossible au ministère d’État », Revue française d’administration publique n°134, 2010, https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2010-2-page-277.htm

[31]GWIAZDZINSKI, L., « Du ministère du Temps libre aux politiques temporelles localisées », Nectart, 2022 https://www.cairn.info/revue-nectart-2022-1-page-34.htm&wt.src=pdf

[32]FONTAINE, M., « Une politique du temps libre ? 1981-1983 », Fondation Jean Jaurès, 2011, https://www.jean-jaures.org/publication/une-politique-du-temps-libre-1981-1983/

[33]MONTJOTIN P. et ADRIANSSENS C., « La semaine de 4 jours, le temps du monde d’après », Institut Rousseau, mai 2023,  https://institut-rousseau.fr/semaine-de-quatre-jours-le-temps-du-monde-dapres/

[34]CORBIN, A., L’avènement des loisirs, 1850-1960, Flammarion, 1995

[35]ROSA, H., « Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer », Le Monde, 2016, https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/04/01/hartmut-rosa-plus-on-economise-le-temps-plus-on-a-la-sensation-d-en-manquer_4893818_4497916.html

[36]ZIMMER, C. et JANELLI, R., « Les lieux de pratique sportive en France », INJEP, 2022, https://injep.fr/publication/les-lieux-de-la-pratique-sportive-en-france/

[37]BELHADDAD, B., « Quels équipements pour une nation sportive », Mission parlementaire commandé par le Premier ministre, mars 2022

[38]ELKAIM, A., « Trains gratuits en Espagne : quel bilan ? », Reporterre, 2022 https://reporterre.net/Trains-gratuits-en-Espagne-quel-bilan

[39]HAUSER, M. et BROC, R., « Les Français et l’usage du train », Harris Interactive pour Réseau Action Climat France, Avril 2023,  https://reseauactionclimat.org/nouveau-sondage-sur-lusage-du-train-des-francais/

[40]BEAUVOIS, J., « Temps de Trajet Responsable (TTR) : des jours de congés pour voyager bas-carbone », L’info durable, 2023, https://www.linfodurable.fr/entreprises/temps-de-trajet-responsable-des-jours-de-conges-pour-voyager-bas-carbone-37530

[41]Autorité de régulation des transports, « Le marché français du transport ferroviaire en 2018 », 2018, https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/01/plaquette_bilan_ferroviaire_2018-1.pdf

[42]FABRE SOUNDRON, M., « Après les RTT, voici les TTR, les temps de trajets responsables pour éviter l’avion », Novethic, 2023, https://www.novethic.fr/actualite/energie/mobilite-durable/isr-rse/apres-les-rtt-voici-les-ttr-temps-de-trajet-responsable-pour-eviter-l-avion-151380.html

[43]MARCEL, D. et THIROT, S., « Les vacances des Français : accès, pouvoir d’achat et financement », Fondation Jean Jaurès, 2022, https://www.jean-jaures.org/publication/les-vacances-des-francais-acces-pouvoir-dachat-et-financement/

[44]KERMOAL, B., PELTIER, J., « Vers la vie pleine. Réenchanter les vacances au XXIe siècle », Fondation Jean Jaurès, 2023, https://www.jean-jaures.org/publication/vers-la-vie-pleine-reenchanter-les-vacances-au-xxie-siecle/

[45]Arrêté du 6 mai 1985, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070200/2021-05-28

[46] Proposition de loi visant à promouvoir et démocratiser l’accès aux colonies de vacances, Assemblée nationale, 2020, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2598_proposition-loi#

[47]RUFFIN, F., « Dès cet été, péage gratuit pour les Français ! », 2023 https://francoisruffin.fr/des-cet-ete-peage-gratuit-pour-les-francais/

[48]TOUZANI, S., GRANDIN, J., MAUSSION, F., « La carte des péages : comment les sociétés d’autoroutes réalisent des recettes records », Les Echos, 2019, https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-carte-des-peages-comment-les-societes-dautoroutes-realisent-des-recettes-records-961451

[49]BENDAVID, R. et FEVRAT, M., « Comment la crise sanitaire transforme l’organisation du travail des cadres », IFOP, 2021

[50]MOSCOVICI, P., « La politique d’accompagnement de la vie associative par l’État », Cour des comptes, 10 mars 2021, https://www.ccomptes.fr/system/files/2021-05/20210519-refere-S2021-0094-politique-accompagnement-vie-associative-Etat.pdf

[51]Cour des comptes, « L’Agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport », Communication à la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Juillet 2022

[52]CONFAVREUX, J. et GORIUS, A., « Le pouvoir de nommer comme seule politique », Revue du crieur, juin 2016

[53]MOSCOVICI, P., « La politique d’accompagnement de la vie associative par l’État », Cour des comptes, 10 mars 2021, https://www.ccomptes.fr/system/files/2021-05/20210519-refere-S2021-0094-politique-accompagnement-vie-associative-Etat.pdf

[54]DELORS, J., La Révolution du temps choisi, Albin Michel, 1980

[55]GORZ, A., « Bâtir une civilisation du temps libéré », Le Monde diplomatique, 1993

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