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Penser l’école du monde d’après 

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      Penser l’école du monde d’après 

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      Les annonces faites par le ministre de l’Éducation Nationale sur le baccalauréat sont venues clôturer, pour une partie des enseignants, une première période de « continuité pédagogique » avant les vacances de printemps qui s’est révélée déstabilisante et à bien des égards épuisante pour les enseignants, les élèves et leurs familles. Ces annonces ont pu rassurer en partie. Il n’est plus question que les éventuelles notes obtenues par les élèves durant cette période aient un impact sur leur parcours. Le baccalauréat s’obtiendra en contrôle continu exclusivement – hormis, chose étrange, l’oral de français, maintenu. La deuxième vague d’épreuves communes de contrôle continu est supprimée – décision ô combien salutaire tant ces nouvelles-nées de la réforme du lycée avaient été difficiles à organiser aux mois de janvier et février. En attendant, les enseignants devront poursuivre leur travail, en faisant face aux limites inhérentes à l’enseignement à distance, mais aussi à un potentiel désengagement d’élèves considérant leur année scolaire déjà jouée.

      Juste après l’annonce de la fermeture de tous les établissements scolaires par Emmanuel Macron le jeudi 12 mars, les salles de professeurs étaient entrées en effervescence, entre questionnements et inquiétudes : comment poursuivre le travail ? Maintenir un lien avec les élèves ? Fallait-il, à tout prix, avancer dans le programme, progresser coûte que coûte ? Les indications évasives du Ministère ont tardé à venir mais un message est clairement passé : la progression dans les programmes scolaires ne devait pas être sacrifiée ; les nouvelles notions devaient être abordées ; les élèves devaient être évalués. En un mot, il allait falloir s’adapter. Si trois semaines plus tard, Jean-Michel Blanquer rebrousse chemin, c’est qu’il est devenu impossible de rester sourd aux alertes de l’ensemble du corps enseignant : il n’est pas envisageable de poursuivre un enseignement à distance qui serait équivalent au présentiel et, surtout, on ne peut pas évaluer de façon juste les élèves en cette période.

      La pression à l’adaptation et à l’efficacité a laissé peu de place, dans un premier temps, à la réflexion. Pourtant, nombre de problèmes se sont vite posés. Le premier a été d’ordre technique – plateformes en ligne ENT et Pronote surchargées, professeurs peu formés à prendre en main ces outils. L’enseignement à distance, ou continuité pédagogique, a rencontré bien d’autres points d’achoppement qui méritent que l’on s’y attarde. Tous convergent dans le même sens : celui de la rupture de l’égalité promise par l’école républicaine.

      Nous le savons : à l’échelle de la France métropolitaine et ultramarine comme à celle d’un établissement, les élèves ne disposent pas des mêmes conditions de travail à leur domicile. Certains, surtout au lycée, possèdent un ordinateur personnel et une connexion internet illimitée. D’autres doivent le partager avec l’ensemble de leur famille et attendre que leurs frères et sœurs, leurs parents, aient effectué leur travail pour pouvoir entamer leur programme de la journée. Certains ont la possibilité de s’isoler dès qu’ils en éprouvent le besoin, quand d’autres sont contraints d’étudier dans la promiscuité. Sans compter l’impact différent de la pandémie sur les familles. Ces inégalités matérielles, exacerbées par les contraintes de l’enseignement à distance, sont venues s’ajouter aux inégalités déjà si présentes en milieu scolaire : inégalités de capitaux culturels, concentration de problèmes socio-économiques sur certains établissements, etc. Un problème se pose alors avec d’autant plus de force : comment évaluer à l’aune des mêmes critères des travaux d’élèves produits dans des conditions si contrastées ?

      La continuité pédagogique a agi comme une formidable révélatrice des failles de notre système éducatif et doit nous inciter à faire un pas de côté pour réexaminer ce que nous attendons de l’école. La période qui s’ouvre peut nous permettre, en nous affranchissant du poids de l’évaluation et de la notation permanentes, de prendre le temps de la réflexion. L’une des promesses de l’éducation devrait être de prendre en compte la spécificité de chaque élève, de savoir différencier les attentes et les approches pour faire progresser chacun. Si cette promesse figure dans les discours institutionnels – elle est même érigée comme une des priorités de l’école -, elle s’avère extrêmement difficile à tenir en classe, notamment dans l’enseignement secondaire, face à des effectifs si peu adaptés. La continuité pédagogique n’a fait que rendre plus visible à la fois la nécessité et la complexité de la différenciation, à la manière d’une loupe : à distance, la spécificité de chacun se fait plus sensible encore et appelle de nouvelles réponses.

      Malgré les difficultés, l’enseignement à distance peut réserver quelques surprises aux enseignants – ce sont par exemple ces élèves, peu impliqués ou en conflit avec l’institution scolaire en temps « normal », qui s’avèrent très investis dans ce tout autre contexte. Il peut être un terrain d’expérimentations où se recomposent les relations propres au cadre scolaire, entre professeurs, élèves et parents, mais aussi au sein des équipes pédagogiques pour lesquelles il demeure difficile d’harmoniser des pratiques qui se forgent au jour le jour. Ces adaptations, ces aménagements, se font au prix d’un investissement considérable des enseignants qui ne comptent pas leurs heures pour assurer leur mission de service public : répondre aux questionnements et inquiétudes de chacun, personnaliser les contacts quand cela est nécessaire, adapter les contenus et les démarches aux circonstances et aux difficultés rencontrées par les familles…

      À la sortie de cette crise, il sera indispensable d’enfin écouter les enseignants tant leur engagement aura permis à l’école de remplir des missions essentielles en ces temps difficiles. Maintenir le lien social, d’abord. Dans une atmosphère anxiogène, la possibilité pour les élèves de rompre l’isolement et d’avoir des interlocuteurs en-dehors de leur cercle familial et amical peut s’avérer très importante. L’école doit ici continuer de jouer un rôle fondamental : faire entendre une autre voix. Informer, rassurer quand cela est nécessaire ; participer à la formation d’esprits critiques. Donner, bien sûr, la possibilité aux élèves de continuer d’apprendre et de satisfaire leur curiosité, en réfléchissant à d’autres moyens de les faire travailler sans fixer des objectifs inatteignables… ou forcément évaluables. Cela ne saurait s’envisager sans une certaine souplesse, qui peut aussi permettre d’explorer d’autres champs de compétences moins faciles à travailler en classe, comme les capacités de recherche. Cela nécessite aussi de donner suffisamment de temps au travail personnel pour ne laisser personne sur le bord du chemin. Mais comment penser l’après sans rappeler à quel point ce travail d’adaptation à chacun est épuisant dans les conditions actuelles d’enseignement – classes surchargées, programmes scolaires toujours plus denses, échéances d’évaluation de plus en plus rapprochées ? L’école, comme d’autres services publics exsangues et pourtant incontournables, devra elle aussi faire l’objet de réflexions et de mesures à la hauteur des missions qu’elle remplit pour préparer le monde d’après.

       

      Publié le 5 avril 2020

      Penser l’école du monde d’après 

      Auteurs

      Maëlle Gélin
      Diplômée de Sciences Po, Maëlle Gélin est agrégée d'Histoire et enseignante.

      Les annonces faites par le ministre de l’Éducation Nationale sur le baccalauréat sont venues clôturer, pour une partie des enseignants, une première période de « continuité pédagogique » avant les vacances de printemps qui s’est révélée déstabilisante et à bien des égards épuisante pour les enseignants, les élèves et leurs familles. Ces annonces ont pu rassurer en partie. Il n’est plus question que les éventuelles notes obtenues par les élèves durant cette période aient un impact sur leur parcours. Le baccalauréat s’obtiendra en contrôle continu exclusivement – hormis, chose étrange, l’oral de français, maintenu. La deuxième vague d’épreuves communes de contrôle continu est supprimée – décision ô combien salutaire tant ces nouvelles-nées de la réforme du lycée avaient été difficiles à organiser aux mois de janvier et février. En attendant, les enseignants devront poursuivre leur travail, en faisant face aux limites inhérentes à l’enseignement à distance, mais aussi à un potentiel désengagement d’élèves considérant leur année scolaire déjà jouée.

      Juste après l’annonce de la fermeture de tous les établissements scolaires par Emmanuel Macron le jeudi 12 mars, les salles de professeurs étaient entrées en effervescence, entre questionnements et inquiétudes : comment poursuivre le travail ? Maintenir un lien avec les élèves ? Fallait-il, à tout prix, avancer dans le programme, progresser coûte que coûte ? Les indications évasives du Ministère ont tardé à venir mais un message est clairement passé : la progression dans les programmes scolaires ne devait pas être sacrifiée ; les nouvelles notions devaient être abordées ; les élèves devaient être évalués. En un mot, il allait falloir s’adapter. Si trois semaines plus tard, Jean-Michel Blanquer rebrousse chemin, c’est qu’il est devenu impossible de rester sourd aux alertes de l’ensemble du corps enseignant : il n’est pas envisageable de poursuivre un enseignement à distance qui serait équivalent au présentiel et, surtout, on ne peut pas évaluer de façon juste les élèves en cette période.

      La pression à l’adaptation et à l’efficacité a laissé peu de place, dans un premier temps, à la réflexion. Pourtant, nombre de problèmes se sont vite posés. Le premier a été d’ordre technique – plateformes en ligne ENT et Pronote surchargées, professeurs peu formés à prendre en main ces outils. L’enseignement à distance, ou continuité pédagogique, a rencontré bien d’autres points d’achoppement qui méritent que l’on s’y attarde. Tous convergent dans le même sens : celui de la rupture de l’égalité promise par l’école républicaine.

      Nous le savons : à l’échelle de la France métropolitaine et ultramarine comme à celle d’un établissement, les élèves ne disposent pas des mêmes conditions de travail à leur domicile. Certains, surtout au lycée, possèdent un ordinateur personnel et une connexion internet illimitée. D’autres doivent le partager avec l’ensemble de leur famille et attendre que leurs frères et sœurs, leurs parents, aient effectué leur travail pour pouvoir entamer leur programme de la journée. Certains ont la possibilité de s’isoler dès qu’ils en éprouvent le besoin, quand d’autres sont contraints d’étudier dans la promiscuité. Sans compter l’impact différent de la pandémie sur les familles. Ces inégalités matérielles, exacerbées par les contraintes de l’enseignement à distance, sont venues s’ajouter aux inégalités déjà si présentes en milieu scolaire : inégalités de capitaux culturels, concentration de problèmes socio-économiques sur certains établissements, etc. Un problème se pose alors avec d’autant plus de force : comment évaluer à l’aune des mêmes critères des travaux d’élèves produits dans des conditions si contrastées ?

      La continuité pédagogique a agi comme une formidable révélatrice des failles de notre système éducatif et doit nous inciter à faire un pas de côté pour réexaminer ce que nous attendons de l’école. La période qui s’ouvre peut nous permettre, en nous affranchissant du poids de l’évaluation et de la notation permanentes, de prendre le temps de la réflexion. L’une des promesses de l’éducation devrait être de prendre en compte la spécificité de chaque élève, de savoir différencier les attentes et les approches pour faire progresser chacun. Si cette promesse figure dans les discours institutionnels – elle est même érigée comme une des priorités de l’école -, elle s’avère extrêmement difficile à tenir en classe, notamment dans l’enseignement secondaire, face à des effectifs si peu adaptés. La continuité pédagogique n’a fait que rendre plus visible à la fois la nécessité et la complexité de la différenciation, à la manière d’une loupe : à distance, la spécificité de chacun se fait plus sensible encore et appelle de nouvelles réponses.

      Malgré les difficultés, l’enseignement à distance peut réserver quelques surprises aux enseignants – ce sont par exemple ces élèves, peu impliqués ou en conflit avec l’institution scolaire en temps « normal », qui s’avèrent très investis dans ce tout autre contexte. Il peut être un terrain d’expérimentations où se recomposent les relations propres au cadre scolaire, entre professeurs, élèves et parents, mais aussi au sein des équipes pédagogiques pour lesquelles il demeure difficile d’harmoniser des pratiques qui se forgent au jour le jour. Ces adaptations, ces aménagements, se font au prix d’un investissement considérable des enseignants qui ne comptent pas leurs heures pour assurer leur mission de service public : répondre aux questionnements et inquiétudes de chacun, personnaliser les contacts quand cela est nécessaire, adapter les contenus et les démarches aux circonstances et aux difficultés rencontrées par les familles…

      À la sortie de cette crise, il sera indispensable d’enfin écouter les enseignants tant leur engagement aura permis à l’école de remplir des missions essentielles en ces temps difficiles. Maintenir le lien social, d’abord. Dans une atmosphère anxiogène, la possibilité pour les élèves de rompre l’isolement et d’avoir des interlocuteurs en-dehors de leur cercle familial et amical peut s’avérer très importante. L’école doit ici continuer de jouer un rôle fondamental : faire entendre une autre voix. Informer, rassurer quand cela est nécessaire ; participer à la formation d’esprits critiques. Donner, bien sûr, la possibilité aux élèves de continuer d’apprendre et de satisfaire leur curiosité, en réfléchissant à d’autres moyens de les faire travailler sans fixer des objectifs inatteignables… ou forcément évaluables. Cela ne saurait s’envisager sans une certaine souplesse, qui peut aussi permettre d’explorer d’autres champs de compétences moins faciles à travailler en classe, comme les capacités de recherche. Cela nécessite aussi de donner suffisamment de temps au travail personnel pour ne laisser personne sur le bord du chemin. Mais comment penser l’après sans rappeler à quel point ce travail d’adaptation à chacun est épuisant dans les conditions actuelles d’enseignement – classes surchargées, programmes scolaires toujours plus denses, échéances d’évaluation de plus en plus rapprochées ? L’école, comme d’autres services publics exsangues et pourtant incontournables, devra elle aussi faire l’objet de réflexions et de mesures à la hauteur des missions qu’elle remplit pour préparer le monde d’après.

       

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