Dans une note publiée chez Hémisphère Gauche en décembre 2020, Gabriel Arnault, juriste et président de La Gazette du Made in France, soulignait l’importance d’approfondir les règles existantes en matière d’étiquetage pour permettre – enfin – aux consommateurs de faire un choix éclairé. Depuis, force est de constater que les choses ne se sont pas améliorées. Au contraire, l’actualité démontre – s’il le faut – que le droit européen est toujours le principal frein à une évolution durable.
Dès le Traité de Rome, la mise en place du marché commun entraîne la suppression des droits de douanes[1]. Les pays européens s’engagent à commercialiser les marchandises sans discriminer en raison de leur provenance. Ainsi, toute législation nationale qui impose un marquage d’origine sur les produits ou leur emballage est interdite. Elle constitue une atteinte au principe de la libre circulation des biens, perpétuellement réaffirmé depuis soixante ans[2]. Il existe, néanmoins, des cas dans lesquels l’indication géographique est obligatoire, lorsque la santé du consommateur l’exige ou qu’il existe un risque de confusion préjudiciable à sa sécurité. La subtilité est importante. Elle est à la racine des législations plus protectrices s’agissant de la viande, des produits de la mer, du miel ou des fruits et légumes. Il ne faut pas, pour autant, s’y tromper : le dispositif d’étiquetage systématique est exceptionnel et toute initiative nationale cherchant à l’étendre plus largement est, par nature, prohibée.
Une récente décision du Conseil d’État vient précisément de le rappeler[3]. Dans cette affaire, les juges du Palais-Royal étaient saisis par le groupe français Lactalis qui demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’un décret de 2016[4]. Ce dernier contraignait – à titre expérimental – les entreprises de l’agroalimentaire à indiquer l’origine des produits préparés avec plus de 8 % de viande ou 50 % de lait (lait liquide, beurre, crèmes, yaourts, fromages). De plus, lorsque toutes les étapes de production étaient réalisées dans un même pays, les industriels avaient la possibilité d’indiquer un simple « UE » ou « non-UE ». Le texte s’appuyait sur un règlement européen de 2011[5] mais était en décalage par rapport à l’esprit du droit de l’Union. Reconduit deux fois[6], il a souvent été l’objet de controverses. Les plus optimistes espéraient que les demandes de transparence exprimées par les consommateurs allaient être entendues et qu’il était l’amorce d’un mouvement européen d’envergure.
Pourtant, rien ne s’est passé comme prévu.
En moins d’un an, l’étiquetage des produits alimentaires a fait un bond en arrière et les espoirs d’une réforme d’ampleur ont été anéantis. En octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a statué sur la question préjudicielle posée par le Conseil d’État. Selon elle, les mesures d’étiquetage obligatoire sont possibles mais à condition qu’il existe un lien avéré entre certaines propriétés du produit et son origine ou sa provenance[7]. En l’occurrence, la France avait reconnu lors de l’instruction de l’affaire que son souhait était surtout de répondre aux demandes des consommateurs mais qu’il n’y avait pas en soi de propriété du lait qui puisse être reliée à son origine. Par conséquence, rien ne justifie qu’il bénéficie d’une indication d’origine et le Conseil d’État a annulé purement et simplement le décret de 2016, en mettant même à la charge du contribuable les frais de procédure qui avaient été engagés par le leader mondial des produits laitiers[8].
Le monde politique s’en est vivement ému. Invité sur Public Sénat le 12 avril 2021, le ministre de l’agriculture Julien Denormandie, a qualifié de « scandaleuse » l’attitude de l’entreprise Lactalis, accusée d’atteinte au patriotisme. « Il faut faire bouger les lignes au niveau européen » a t-il affirmé, alors même que, précisément, rien n’a changé depuis cinq ans. Certains évoquent la présidence du Conseil de l’Union européenne, que prendra la France en 2022. Mais ces spéculations manquent de réalisme. En attendant, le député de la majorité Grégory Besson-Moreau a déposé une proposition de loi, dite « Egalim II[9] », adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 24 juin 2021. S’agissant de l’étiquetage des produits agricoles, elle entend rendre conforme le droit français au droit européen. Si elle est finalement adoptée, il faudra donc apprécier au cas par cas s’il existe un lien entre les propriétés de telle ou telle marchandise et l’origine. Nul doute qu’au lieu d’imposer la transparence partout, cette formule floue sera source d’incertitude. Les industriels des produits laitiers seront de toute façon à l’abri, tandis que les attentes des Français seront une nouvelle fois déçues.
Proposition n°1 :
Engager une réflexion d’ensemble sur l’étiquetage des produits en assumant un désaccord avec le droit européen. Imposer par principe l’indication d’origine géographique des produits agricoles (mais aussi des produits industriels et artisanaux), pour valoriser les travailleurs et permettre aux consommateurs qui le souhaitent de soutenir efficacement les producteurs locaux.
Proposition n°2 :
Soutenir les Appellations d’origine protégée (AOP), qui mettent en avant des spécificités locales comme la noix du Périgord, la fourme d’Ambert, la pomme du Limousin, le beurre de Charente-Poitou, le miel de sapin des Vosges ou le Calvados. Encourager les Indications géographiques protégées industrielles et artisanales (IGPIA) qui valorisent les traditions locales comme la porcelaine de Limoges, la pierre de Bourgogne, le granit de Bretagne, la tapisserie d’Aubusson ou le linge basque. Cette proposition est compatible avec le droit européen car il y a un lien entre les propriétés des produits et leur origine. Elle est complémentaire à la mise en place d’un étiquetage obligatoire pour valoriser des savoir-faire rares et anciens.
Pour approfondir le sujet, lie vers la note intitulée « La schizophrénie de l’étiquetage des produits », publiée le 5 décembre 2020 chez Hémisphère Gauche.
[1] Article 13 et suivants du Traité de Rome, signé le 25 mars 1957.
[2] Désormais au Titre II de la Partie III du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
[3] Conseil d’État, 10 mars 2021, n°404651.
[4] Décret n°2016-1137 du 19 août 2016.
[5] En application du règlement n°1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011.
[6] Décrets n°2018-1239 du 24 décembre 2018, jusqu’au 31 mars 2020, et n°2020-363 du 27 mars 2020, jusqu’au 31 décembre 2021.
[7] CJUE, 1er octobre 2020, af. n°C-485/18.
[8] Au titre de l’article L761-1 du Code de la justice administrative.
[9] Proposition de loi n°4134.