La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein.
I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale
1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales
La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine.
On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3].
Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.
2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale
En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.
II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde
1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres
La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu protectrice de son marché, même en l’absence de réciprocité d’ouverture dans un pays tiers. Les destructions d’emploi et la perte d’autonomie stratégique que cette politique pouvait entraîner étaient supposément « compensées » par des coûts plus bas et un prix plus avantageux pour le consommateur.
Proposition n°1 : à terme, redéfinir les objectifs de la politique commerciale européenne dans les traités ; à court terme, s’en affranchir par la négociation politique au Conseil européen.
L’expérience a montré qu’il est tout à fait possible de s’affranchir de la lettre des traités si une unanimité politique au Conseil européen le décide. Il n’y a qu’à voir la vitesse à laquelle les règles budgétaires ou encore les restrictions en matière d’aide d’État, pourtant inscrites dans les traités, ont été suspendues dès les prémisses de la crise économique provoquée par le COVID-19. Cependant, l’équilibre politique en Europe reste en faveur du libre-échange. Pour les pays dits « hanséatiques », le libre-échange est un déterminant culturel. Pour les anciennes républiques du bloc de l’Est, la mémoire du communisme fait qu’il bénéficie encore d’une puissante adhésion. Lorsque la France a annoncé, l’an dernier, qu’elle voterait désormais contre les accords de libre-échange avec des États qui ne respecteraient pas les accords de Paris, elle était quasiment isolée. Pourtant, quelques mois plus tard, 24 États membres s’accordaient sur l’objectif de parvenir à la neutralité carbone en 2050…
2. Divergences des intérêts européens vis-à-vis du reste du monde et moindre interdépendance commerciale
Le nœud du problème de la politique commerciale commune est qu’elle doit accommoder les intérêts économiques de 27 États qui divergent passablement vis-à-vis du reste du monde (s’y ajoutent les intérêts géopolitiques, dont nous ne traiterons pas). Il est difficile de concilier les préférences commerciales d’un pays qui a intérêt à protéger son marché avec celles d’un autre très tourné vers l’export. La logique du « One size fits all » atteint vite ses limites si les disparités de modèle économique sont trop grandes au sein d’une même zone commerciale. La France ou l’Irlande, dont le secteur agricole et agroalimentaire constitue l’un des principaux excédents à l’exportation, veilleront à ce que les accords de libre-échange prévoient des protections pour ce marché ; l’Allemagne, dont le modèle est fortement exportateur (7,25% de PIB d’excédent commercial en 2019), préférera les accords de libre-échange les plus larges possibles. L’exemple de la négociation d’un Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) 2.0 entre l’Union européenne (UE) et l’administration Trump illustre ces difficultés. En juin 2018, Angela Merkel en visite à la Maison blanche avait appelé à la relance des négociations d’un accord commercial avec les États-Unis, après que l’administration américaine ait menacé l’Europe d’un renchérissement des droits de douanes sur leurs exportations d’acier et sur les voitures allemandes. Sous la pression, l’Allemagne avait clairement affirmé qu’elle était favorable à un nouvel accord même si la condition sine qua non exigée par Trump était qu’il couvre l’agriculture et permette une hausse des exportations américaines de soja (OGM) vers l’Europe, au grand dam de la France.
Si les pays européens ne commerçaient que marginalement avec des pays tiers hors de l’UE, nul doute que le casse-tête de la politique commerciale commune diminuerait. Cependant, la politique commerciale choisie par l’Europe et, aussi, les conséquences désastreuses de la crise de 2008 sur les économies européennes, a tendu à diminuer l’interdépendance des pays européens. L’Allemagne, qui accumule des excédents commerciaux records depuis 2007, a de plus en plus commercé avec le reste du monde, et de moins en moins avec les autres pays de l’UE. En 2019, la progression des échanges de l’Allemagne avec des pays hors UE, observée sur le long terme, s’est poursuivie. En raison d’une nette augmentation des échanges avec les États-Unis (+12 Md€) et la Chine (+7 Md€), la part des échanges de l’Allemagne hors UE augmente en 2019 par rapport à 2018 (42,1% contre 41,7%), alors que celle avec l’UE recule légèrement (57,9% par rapport à 58,3%). En dix ans, la part des échanges hors UE de l’Allemagne a crû de 40 à 42 %, tandis que celle des échanges avec l’UE est passée de 60 à 58%, la part des échanges avec la zone euro s’étant réduite de 41 à 37%.
Cette évolution pose un problème politique : si l’Allemagne accroît sa dépendance avec des pays tiers au détriment des pays de l’UE, comment peut-elle entendre les arguments en faveur d’une autonomie stratégique européenne, voire d’une quasi-autosuffisance ? Le Royaume-Uni était le seul État membre de l’Union à exporter davantage vers des pays hors-UE que vers des pays intra-UE (47% de ses exportations de biens en 2018 vs 59% en 2000), et le seul à en être sorti. La dépendance de l’Allemagne à la Chine, pays avec lequel les relations commerciales européennes sont notoirement déséquilibrées, est sans doute la plus préoccupante. La Chine est, en 2019, pour la quatrième année consécutive, le premier partenaire commercial de l’Allemagne. Sa part dans les échanges allemands s’élève à 8,5 %, devant les Pays-Bas (7,8 %), les Etats-Unis (7,8 %) et la France (7,1 %). Cet état de fait rend plus difficile l’établissement de règles de commerce équitables avec la Chine, compte tenu des représailles que pourrait craindre la première économie européenne.
III. À court terme, les États européens et la Commission devraient décréter un moratoire sur la négociation d’accords de libre-échange et protéger les secteurs économiques stratégiques, plus vulnérables en temps de crise, vis-à-vis de la prédation de puissances étrangères
1. Un moratoire sur les accords commerciaux en cours de négociation et de ratification
En plein confinement le 29 avril, le Commissaire européen au commerce, l’Irlandais Phil Hogan, annonçait la conclusion des négociations pour la modernisation de l’accord de libre-échange avec le Mexique. Cet accord propose notamment une réduction à néant des droits de douanes sur le commerce des biens et un accès des entreprises européennes aux marchés publics mexicains. À l’heure où l’on compte les morts et où l’on parle de la relocalisation des chaînes de valeurs, poursuivre le « business as usual » en signant des accords de libre-échange à tour de bras n’a pas de sens. Ni économique, ni politique. Un moratoire s’impose sur tous les accords commerciaux en cours de négociation ou de ratification (ex. JEFTA, MERCOSUR, Mexique, Vietnam), jusqu’à la mise au point d’une nouvelle stratégie commerciale post-COVID-19 qui devrait comprendre une conditionnalité forte portant sur des critères environnementaux et sociaux.
Proposition n°2 : obtenir un moratoire sur tous les accords commerciaux en cours de négociation (pas encore signés) ou de ratification (déjà signés).
2. Les secteurs économiques vulnérables doivent être protégés de la prédation des pays tiers
Sur un terrain légèrement différent de celui de la politique commerciale stricto sensu, il est essentiel de protéger nos entreprises stratégiques. La crise de 2008 et ses suites avaient affaibli les entreprises européennes et les États les plus endettés. Désireux de renflouer leurs caisses, ils étaient plus vulnérables à des investissements étrangers prédateurs, qui correspondent à l’acquisition d’actifs financiers représentant une part significative du capital de nos sociétés. Certaines opérations ont secoué le continent. En 2016, l’État grec a vendu le Pirée, plus grand port hellène, à l’armateur chinois Cosco Shipping Corporation, avant que ce même armateur ne rachète 85% des parts du deuxième plus grand port de Belgique, Zeebruges, au début de l’année 2018[7]. La même année, le pionnier allemand de la robotique Kuka, créé en 1898, a été vendu au chinois Midea, suscitant une vague d’émotion dans le pays. Si les investisseurs occidentaux (États-Unis, Suisse, Canada, Australie) représentent toujours l’écrasante majorité des investissements étrangers en Europe, la Chine, l’Inde ou encore la Russie ont considérablement renforcé leur présence. La Chine, qui ne contrôlait qu’environ 5 000 entreprises européennes en 2007, en contrôlait plus de 28 000 en 2017[8].
Depuis, la France et l’Union européenne ont renforcé leurs dispositifs de contrôle des investissements étrangers. Chaque État membre de l’Union européenne est désormais « invité » à créer un tel dispositif, mais n’y est pas obligé[9]. En avril 2019, la moitié des États membres de l’UE seulement disposait d’un mécanisme de filtrage des investissements étrangers. L’absence d’un tel mécanisme n’est pas à déplorer dans les États les plus riches et dotés d’une administration robuste (Allemagne, Italie, Espagne, France, Danemark, Autriche, Finlande, Royaume-Uni, Portugal), mais il est préoccupant dans les pays plus fragiles à l’Est et au Sud de l’Europe (Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie, Grèce), sujets à l’appétit chinois[10]. Dès lors qu’au sein du marché unique, un investissement étranger dans un État peut aussi affecter l’ordre public et la sécurité nationale d’un autre État, une régulation entre les nations européennes est nécessaire. Elle est pourtant limitée. Le droit européen ne prévoit qu’une coordination des mécanismes de filtrage nationaux sur la base de standards minimaux et des échanges d’information sur les investissements étrangers réalisés, car le filtrage des investissements étrangers relève de la compétence des États. Par ailleurs, le filtrage des investissements étrangers en Europe était jusqu’à présent le moins restrictif au monde. Une étude de l’OCDE[11] datant de 2018 montrait que l’ensemble des pays européens se situaient – à l’exception de la Pologne – en deçà de la moyenne de l’OCDE en matière de restrictivité des investissements étrangers (les 7 pays les moins restrictifs étant 7 pays de l’UE : Luxembourg, Portugal, Slovénie, Roumanie, République Tchèque, Pays-Bas, Estonie). À titre de comparaison, la Chine figure en 7ème position des pays les plus restrictifs sur 69 pays étudiés, les États-Unis sont 24èmes.
Proposition n°3 : obtenir un engagement politique des nations européennes au Conseil européen à filtrer les investissements étrangers et à ramener à 10% du capital le seuil permettant aux gouvernements d’examiner et de bloquer des acquisitions étrangères dans certaines entreprises.
En France, c’est un régime d’autorisation préalable qui prévaut pour les investissements étrangers dans des secteurs limitativement énumérés, avec un seuil de contrôle fixé à 25% du capital. Renforcé en 2019, le filtrage des investissements étrangers l’a une nouvelle fois été à la faveur de la pandémie de COVID-19 : le seuil de contrôle a été abaissé à 10% et la liste des secteurs stratégiques dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable élargis aux biotechnologies. Cette liste[12] est relativement large mais ne couvre pas, par exemple, les secteurs clés et fragiles que sont les médias, les industries culturelles ou encore la sécurité alimentaire et l’exploitation des terres agricoles. De même, puisque nous avons toute latitude pour ajuster le filtrage des investissements étrangers, nous devrions le caler sur un principe de réciprocité avec la législation du pays d’où provient l’investissement, lorsque celle-ci est plus restrictive que la nôtre. Cela permettrait de respecter un parallélisme des formes, notamment avec la Chine et les États-Unis.
Proposition n°4 : renforcer le dispositif national sur la base d’une réciprocité avec le pays tiers qui investit, lorsque sa politique de filtrage est plus restrictive que la nôtre, de sorte à respecter un parallélisme des formes.
Proposition n°5 : ajouter à la liste des secteurs dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable : les médias et les industries culturelles, la sécurité alimentaire et l’exploitation des terres agricoles.
IV. À moyen et long terme, une politique commerciale cohérente avec une stratégie de relocalisation des chaînes de valeurs et protectrice de l’environnement
1. La politique commerciale doit protéger les secteurs industriels stratégiques et appuyer la relocalisation des chaînes de valeur
La politique commerciale va de pair avec la politique industrielle. Notre politique commerciale libre-échangiste a favorisé les tissus économiques très tournés vers l’export et intégrés aux chaînes de valeur mondiales. Une politique de relocalisation industrielle, en faveur de l’emploi et de l’autonomie stratégique, devra nécessairement s’accompagner d’une politique commerciale plus protectrice. La pandémie aura prouvé qu’il est urgent de rétablir notre indépendance d’approvisionnement en équipements médicaux (masques, respirateurs, tests, médicaments), alors que 90 % des principes actifs des médicaments sont produits en Inde et en Chine et que les pièces nécessaires à la fabrication d’un respirateur sont produites hors des pays où elles sont assemblées. Cette recherche d’indépendance devrait s’étendre à toute une série de biens jugés nécessaires à l’autonomie stratégique (sécurité sanitaire, alimentaire, énergétique). La politique commerciale pourra mettre en place des barrières tarifaires et non-tarifaires (normes, quotas) cohérentes avec l’amélioration progressive de notre autonomie. Elle devrait, en tout état de cause, veiller au respect des accords de Paris et des conventions internationales sur le travail par les pays avec lesquels elle s’engage.
Proposition n°6 : accompagner la relocalisation des filières stratégiques par des barrières tarifaires et non tarifaires progressives sur ces secteurs.
Proposition n°7 : conditionner l’accès au marché au respect des accords de Paris et des conventions internationales sur le travail.
La politique commerciale devra aussi nous préserver des stratégies industrielles conquérantes de la Chine ou des États-Unis, qui inondent nos marchés de produits souvent subventionnés et détruisent nos emplois – tout en nous dictant des besoins. Nous n’avons toujours pas tiré les leçons de notre dépendance aux GAFA ou au chinois Huawei pour les installations 5G. Le plan « Made in China 2025 » pour dominer les « industries de l’avenir » (intelligence artificielle, véhicules verts, technologies médicales, aérospatiales), s’il n’est pas contré par des barrières commerciales intelligentes, pourrait accroître notre dépendance à la Chine et poursuivre la destruction d’emplois. On se souvient à quelle vitesse la filière française des panneaux solaires avait été décimée par la concurrence chinoise, en violation massive des règles anti-dumping (les industries chinoises vendaient les panneaux solaires à un prix inférieur au prix plancher fixé par un accord commercial avec l’UE). En 2011, l’Europe représentait 70 % du marché mondial de photovoltaïque contre 10 % pour la Chine. En 2016, l’Europe ne représentait plus que 9 % contre 45 % pour la Chine et 19 % pour les Etats-Unis.[13]
Proposition n°8 : protéger l’emploi et l’industrie par le renforcement des mécanismes de défense commerciale contre le dumping, mais aussi prévoir la possibilité (à partir d’un écart de prix entre le produit importé et le produit national) de barrières tarifaires et/ou quotas lorsque la concurrence d’un état tiers menace nos entreprises de faillites qui déstabilisent toute une filière.
Un des principaux vecteurs de notre protection commerciale sera l’imposition de normes environnementales (cf. supra et infra) et sociales élevées à nos importations. Le contrôle de l’application de ces clauses dans le cadre des accords commerciaux devrait être plus transparent – faire l’objet d’un rapport annuel coréalisé par la Commission et le Parlement européen – et inclure les parlements nationaux, qui disposeraient d’un droit d’alerte en matière commerciale sur le modèle des « cartons » (jaune, orange, rouge) que les parlements peuvent activer lorsqu’ils estiment qu’une législation européenne n’est pas conforme au principe de subsidiarité.
Proposition n°9 : permettre aux parlements nationaux de contrôler l’application des clauses environnementales et sociales des accords de commerce, notamment via un mécanisme d’alerte sur le modèle des « cartons » (jaunes, oranges et rouges).
2. La politique commerciale doit être au service de la protection de l’environnement et de la biodiversité
Sous l’égide du GATT[14] puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les mesures environnementales de lutte contre la pollution pouvaient être considérées comme des entraves au libre commerce. L’article 3.5 de la Convention-cadre sur le changement climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro est claire à cet égard : il ne faut pas que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques (…) constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Jusqu’à présent, les règles du commerce international ont donc tenté de concilier le droit des États à prendre des mesures pour protéger la vie et la santé des personnes et des animaux, préserver les végétaux ou protéger les ressources naturelles et les droits des autres États à avoir accès au marché. Alors que menace la catastrophe climatique, il est temps d’inverser la hiérarchie des objectifs et d’affirmer que la protection de l’environnement prime sur le libre-échange.
Les retombées négatives du libre-échange sur le climat, à travers l’intensification des transports, de la production et de la consommation d’énergie, ne sont plus à prouver. L’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe doit être une priorité. Elle est désormais clairement envisagée par la Commission elle-même[15]. Des pénalités pourraient également être appliquées sur les industries dont l’impact environnemental est très nuisible et ne se réduit pas aux émissions carbone (consommation d’eau douce, énergie utilisée provenant des énergies fossiles, impact sur les milieux naturels, nombre de déchets produits). C’est le cas du textile, industrie par ailleurs fortement délocalisée et très productiviste, dont 73 % de la matière première finissent en décharge, dans les océans, ou incinérés[16], ou encore les produits issus de l’agriculture intensive en engrais chimiques. L’impact environnemental des produits peut être mesuré par l’analyse du cycle de vie des produits (Life Cycle Analysis) dont le cadre est d’ores et déjà spécifié par les normes internationales « ISO »[17].
Proposition n°10 : ajouter un équivalent « taxe carbone » aux droits de douanes, proportionnel au nombre de kilomètres parcourus par le produit importé et aux émissions carbone émises pour le produire.
Proposition n°11 : ajouter un « malus environnemental » sur les droits de douane des produits dont l’impact environnemental n’est que partiellement mesuré par les émissions carbone, à l’image du textile ou des produits de l’agriculture intensive et chimique.
Proposition n°12 : interdire le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacés d’extinctions.
V. Quels leviers face à la réticence d’États partenaires ?
La réforme de la politique commerciale dans un sens plus protecteur représente un virage politique considérable qui ne se fera pas en un jour et ne manquera pas de se heurter aux réticences de nos partenaires, en premier lieu l’Allemagne. Pour autant, la difficulté à construire une politique commerciale à 27 et les craintes des États européens lorsqu’il s’agit de tenir tête à la Chine ou aux États-Unis ne doivent pas nous désespérer et nous enfermer dans une stratégie unilatérale hâtive. Prenons ici l’exemple du Royaume-Uni. Post-Brexit, le projet national est celui de la « Global Britain » et s’appuie sur la « liberté retrouvée » en matière de politique commerciale. Pour un pays dont la tradition est si fortement mercantiliste, c’est tout sauf absurde. À ceci près que cette liberté s’est avérée largement factice. À l’époque ou Theresa May était encore au pouvoir, ses tentatives pour entamer des pourparlers commerciaux avec la Chine et les États-Unis se sont avérées infructueuses. Les deux puissances ont regardé de haut ce qui n’était plus à leurs yeux qu’un « petit marché de 60 millions de consommateurs » et l’ont renvoyé à ses négociations avec ses partenaires européens, dans l’attente de voir si le pays pouvait être un avant-poste du grand marché continental, ou pas. De son côté, l’Union européenne exige que le Royaume-Uni accepte un alignement réglementaire sur ses normes pour qu’il puisse accéder librement à son marché, ce qui revient à étouffer dans l’œuf ce qui lui restait de liberté en matière de politique commerciale. Résultat, l’île se retrouve entre le marteau et l’enclume.
Le marché intérieur et la politique commerciale pourraient être d’immenses leviers de protection et d’exportation de nos normes environnementales et sanitaires vis-à-vis du reste du monde, pourvu que le marché intérieur abandonne le dogme de la concurrence et que la politique commerciale se mette au service de l’emploi, du climat et de notre autonomie stratégique. L’Union européenne demeure le premier marché de destination des flux commerciaux de biens (32,4 % des flux mondiaux de biens, loin devant la Chine (13,4 %) et les États-Unis avec 8,4 %) et le plus grand marché de consommation mondial. Cette position nous offre un levier de négociation immense vis-à-vis des pays tiers, que nous n’utilisons pas ou peu. Évidemment, les négociations intergouvernementales sont toujours plus longues à 27 États. Mais lorsqu’une norme est ainsi adoptée, elle est forte et peut s’exporter : quand l’UE interdit la pêche en eaux profondes, elle interdit aussi l’importation de produits pêchés en eaux profondes à travers le monde.
Plusieurs leviers pourraient nous aider à faire basculer la politique commerciale européenne.
Il y a d’abord des éléments de contexte favorables et une stratégie de politique industrielle à mobiliser pour les conforter. La pandémie pourrait rallier à une politique commerciale protectrice les pays d’Europe centrale et orientale qui attireraient, par un coût du travail encore modéré, la relocalisation de chaînes de valeur depuis l’Asie. Par ailleurs, elle pourrait aussi achever de pointer les limites du modèle d’extraversion commerciale allemand. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine avaient déjà commencé à le fragiliser. L’essor industriel de la Chine a été l’une des clés du modèle de croissance de l’Allemagne à partir du début des années 2000, la Chine offrant un débouché colossal aux exportations allemandes de véhicules mais aussi de machines-outils pendant plus de 20 ans. Désormais, la Chine consolide son hégémonie économique et investit massivement dans des révolutions technologiques qui risquent de compromettre l’avantage allemand. Pour accompagner ce changement de modèle et renforcer les solidarités économiques régionales en Europe, des coopérations inter-nationales en matière industrielle[18], comme l’alliance récemment lancée entre la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne sur la production de batteries électriques, semblent un bon moyen de favoriser un rapprochement des intérêts économiques des pays européens vis-à-vis du reste du monde, et ainsi d’harmoniser leurs préférences commerciales.
Proposition n°13 : renforcer la coordination des politiques industrielles entre nations européennes pour construire des alliances régionales, favoriser un rapprochement des intérêts économiques et contribuer à l’harmonisation des préférences commerciales.
Nous devons quoiqu’il arrive entamer un travail de conviction politique, qui devra s’émanciper de la seule sphère diplomatique pour sensibiliser aussi les sociétés civiles et les parlements d’Europe. Des négociations récentes montrent qu’il n’y a pas lieu de désespérer du dialogue politique entre États européens (du moins, en dehors des sujets liés à la Zone euro), si l’on sait intelligemment recourir aux coalitions de circonstances. Au mois de mars 2019, la France se liait avec trois autres États membres (la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg) pour défendre l’objectif d’une neutralité carbone de l’UE en 2050. Deux mois plus tard, au sommet européen de Sibiu, la coalition avait grossi à huit États membres. En septembre, 24 États membres finissaient par adhérer à cet objectif de neutralité carbone en 2050. Si la voie de la négociation ne peut aboutir, il ne faut pas craindre la confrontation et envisager des mesures unilatérales ou coordonnées avec quelques pays. La taxe GAFA, adoptée en France et dans quelques États européens, est un exemple récent.
[1] Soit près de deux fois la contraction du commerce international observé entre octobre 2008 et janvier 2009, qui s’élevait à 17%.
[2] Une étude de la Banque de France suggère qu’environ 13 % du déclin de l’emploi manufacturier en France de 2001 à 2007 serait imputable à la concurrence chinoise (2001 marquant l’adhésion de la Chine à l’OMC).
[3] Des économistes comme Dani Rodrik (Harvard) ont pointé le lien entre les effets destructeurs du commerce international – et notamment la concurrence chinoise – sur l’emploi manufacturier aux Etats-Unis et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.
[4] 94% of the Fortune 1000 are seeing Coronavirus supply chain disruptions : Report, Fortune, 21 février 2020.
[5] Déclaration du G20, 15 novembre 2008.
[6] Article 206 TFUE.
[7] Dans le même temps, un autre opérateur portuaire chinois « China Merchants Port » a acquis des parts dans les ports de Dunkerque, du Havre, de Marseille, de Nantes et de Marsaxlokk, à Malte. Les entreprises chinoises contrôleraient désormais près d’un dixième des capacités portuaires européennes.
[8] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/march/tradoc_157724.pdf
[9] Règlement européen du 19 mars 2019, n°2019/452.
[10] La Chine a créé, un nouveau forum diplomatique « 17+1 », qui rassemble 17 pays d’Europe centrale et orientale, plus la Chine.
[11] https://data.oecd.org/fr/fdi/restrictivite-de-l-ide.htm
[12] L’article R.153-2 du code monétaire et financier.
[13] https://www.quelleenergie.fr/magazine/energie-solaire/marche-photovoltaique-souffre-europe-55788/
[14] General Agreement on Tariffs and Trade.
[15] Voir le « Green New Deal » proposé par Ursula Von der Leyen.
[16] Études de Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy: Redesigning fashion’s future.
[17] ISO 14040:2006.
[18] Sur le modèle de l’OCCAR dans le secteur de la défense.
Mettre la politique commerciale au service de l’autonomie stratégique, du climat et de l’emploi
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Sommaire
Chloé Ridel
Chloé Ridel est haut fonctionnaire et militante associative, présidente de l’association Mieux Voter. Elle est l'auteur de D'une guerre à l’autre - L'Europe face à son destin. Diplômée de Sciences Po et de l’ENA, elle a été directrice adjointe de l’Institut Rousseau de 2020 à 2023. Elle est chargée des questions européennes au sein du conseil scientifique de l’institut.
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La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein.
I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale
1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales
La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine.
On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3].
Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.
2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale
En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.
II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde
1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres
La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu protectrice de son marché, même en l’absence de réciprocité d’ouverture dans un pays tiers. Les destructions d’emploi et la perte d’autonomie stratégique que cette politique pouvait entraîner étaient supposément « compensées » par des coûts plus bas et un prix plus avantageux pour le consommateur.
Proposition n°1 : à terme, redéfinir les objectifs de la politique commerciale européenne dans les traités ; à court terme, s’en affranchir par la négociation politique au Conseil européen.
L’expérience a montré qu’il est tout à fait possible de s’affranchir de la lettre des traités si une unanimité politique au Conseil européen le décide. Il n’y a qu’à voir la vitesse à laquelle les règles budgétaires ou encore les restrictions en matière d’aide d’État, pourtant inscrites dans les traités, ont été suspendues dès les prémisses de la crise économique provoquée par le COVID-19. Cependant, l’équilibre politique en Europe reste en faveur du libre-échange. Pour les pays dits « hanséatiques », le libre-échange est un déterminant culturel. Pour les anciennes républiques du bloc de l’Est, la mémoire du communisme fait qu’il bénéficie encore d’une puissante adhésion. Lorsque la France a annoncé, l’an dernier, qu’elle voterait désormais contre les accords de libre-échange avec des États qui ne respecteraient pas les accords de Paris, elle était quasiment isolée. Pourtant, quelques mois plus tard, 24 États membres s’accordaient sur l’objectif de parvenir à la neutralité carbone en 2050…
2. Divergences des intérêts européens vis-à-vis du reste du monde et moindre interdépendance commerciale
Le nœud du problème de la politique commerciale commune est qu’elle doit accommoder les intérêts économiques de 27 États qui divergent passablement vis-à-vis du reste du monde (s’y ajoutent les intérêts géopolitiques, dont nous ne traiterons pas). Il est difficile de concilier les préférences commerciales d’un pays qui a intérêt à protéger son marché avec celles d’un autre très tourné vers l’export. La logique du « One size fits all » atteint vite ses limites si les disparités de modèle économique sont trop grandes au sein d’une même zone commerciale. La France ou l’Irlande, dont le secteur agricole et agroalimentaire constitue l’un des principaux excédents à l’exportation, veilleront à ce que les accords de libre-échange prévoient des protections pour ce marché ; l’Allemagne, dont le modèle est fortement exportateur (7,25% de PIB d’excédent commercial en 2019), préférera les accords de libre-échange les plus larges possibles. L’exemple de la négociation d’un Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) 2.0 entre l’Union européenne (UE) et l’administration Trump illustre ces difficultés. En juin 2018, Angela Merkel en visite à la Maison blanche avait appelé à la relance des négociations d’un accord commercial avec les États-Unis, après que l’administration américaine ait menacé l’Europe d’un renchérissement des droits de douanes sur leurs exportations d’acier et sur les voitures allemandes. Sous la pression, l’Allemagne avait clairement affirmé qu’elle était favorable à un nouvel accord même si la condition sine qua non exigée par Trump était qu’il couvre l’agriculture et permette une hausse des exportations américaines de soja (OGM) vers l’Europe, au grand dam de la France.
Si les pays européens ne commerçaient que marginalement avec des pays tiers hors de l’UE, nul doute que le casse-tête de la politique commerciale commune diminuerait. Cependant, la politique commerciale choisie par l’Europe et, aussi, les conséquences désastreuses de la crise de 2008 sur les économies européennes, a tendu à diminuer l’interdépendance des pays européens. L’Allemagne, qui accumule des excédents commerciaux records depuis 2007, a de plus en plus commercé avec le reste du monde, et de moins en moins avec les autres pays de l’UE. En 2019, la progression des échanges de l’Allemagne avec des pays hors UE, observée sur le long terme, s’est poursuivie. En raison d’une nette augmentation des échanges avec les États-Unis (+12 Md€) et la Chine (+7 Md€), la part des échanges de l’Allemagne hors UE augmente en 2019 par rapport à 2018 (42,1% contre 41,7%), alors que celle avec l’UE recule légèrement (57,9% par rapport à 58,3%). En dix ans, la part des échanges hors UE de l’Allemagne a crû de 40 à 42 %, tandis que celle des échanges avec l’UE est passée de 60 à 58%, la part des échanges avec la zone euro s’étant réduite de 41 à 37%.
Cette évolution pose un problème politique : si l’Allemagne accroît sa dépendance avec des pays tiers au détriment des pays de l’UE, comment peut-elle entendre les arguments en faveur d’une autonomie stratégique européenne, voire d’une quasi-autosuffisance ? Le Royaume-Uni était le seul État membre de l’Union à exporter davantage vers des pays hors-UE que vers des pays intra-UE (47% de ses exportations de biens en 2018 vs 59% en 2000), et le seul à en être sorti. La dépendance de l’Allemagne à la Chine, pays avec lequel les relations commerciales européennes sont notoirement déséquilibrées, est sans doute la plus préoccupante. La Chine est, en 2019, pour la quatrième année consécutive, le premier partenaire commercial de l’Allemagne. Sa part dans les échanges allemands s’élève à 8,5 %, devant les Pays-Bas (7,8 %), les Etats-Unis (7,8 %) et la France (7,1 %). Cet état de fait rend plus difficile l’établissement de règles de commerce équitables avec la Chine, compte tenu des représailles que pourrait craindre la première économie européenne.
III. À court terme, les États européens et la Commission devraient décréter un moratoire sur la négociation d’accords de libre-échange et protéger les secteurs économiques stratégiques, plus vulnérables en temps de crise, vis-à-vis de la prédation de puissances étrangères
1. Un moratoire sur les accords commerciaux en cours de négociation et de ratification
En plein confinement le 29 avril, le Commissaire européen au commerce, l’Irlandais Phil Hogan, annonçait la conclusion des négociations pour la modernisation de l’accord de libre-échange avec le Mexique. Cet accord propose notamment une réduction à néant des droits de douanes sur le commerce des biens et un accès des entreprises européennes aux marchés publics mexicains. À l’heure où l’on compte les morts et où l’on parle de la relocalisation des chaînes de valeurs, poursuivre le « business as usual » en signant des accords de libre-échange à tour de bras n’a pas de sens. Ni économique, ni politique. Un moratoire s’impose sur tous les accords commerciaux en cours de négociation ou de ratification (ex. JEFTA, MERCOSUR, Mexique, Vietnam), jusqu’à la mise au point d’une nouvelle stratégie commerciale post-COVID-19 qui devrait comprendre une conditionnalité forte portant sur des critères environnementaux et sociaux.
Proposition n°2 : obtenir un moratoire sur tous les accords commerciaux en cours de négociation (pas encore signés) ou de ratification (déjà signés).
2. Les secteurs économiques vulnérables doivent être protégés de la prédation des pays tiers
Sur un terrain légèrement différent de celui de la politique commerciale stricto sensu, il est essentiel de protéger nos entreprises stratégiques. La crise de 2008 et ses suites avaient affaibli les entreprises européennes et les États les plus endettés. Désireux de renflouer leurs caisses, ils étaient plus vulnérables à des investissements étrangers prédateurs, qui correspondent à l’acquisition d’actifs financiers représentant une part significative du capital de nos sociétés. Certaines opérations ont secoué le continent. En 2016, l’État grec a vendu le Pirée, plus grand port hellène, à l’armateur chinois Cosco Shipping Corporation, avant que ce même armateur ne rachète 85% des parts du deuxième plus grand port de Belgique, Zeebruges, au début de l’année 2018[7]. La même année, le pionnier allemand de la robotique Kuka, créé en 1898, a été vendu au chinois Midea, suscitant une vague d’émotion dans le pays. Si les investisseurs occidentaux (États-Unis, Suisse, Canada, Australie) représentent toujours l’écrasante majorité des investissements étrangers en Europe, la Chine, l’Inde ou encore la Russie ont considérablement renforcé leur présence. La Chine, qui ne contrôlait qu’environ 5 000 entreprises européennes en 2007, en contrôlait plus de 28 000 en 2017[8].
Depuis, la France et l’Union européenne ont renforcé leurs dispositifs de contrôle des investissements étrangers. Chaque État membre de l’Union européenne est désormais « invité » à créer un tel dispositif, mais n’y est pas obligé[9]. En avril 2019, la moitié des États membres de l’UE seulement disposait d’un mécanisme de filtrage des investissements étrangers. L’absence d’un tel mécanisme n’est pas à déplorer dans les États les plus riches et dotés d’une administration robuste (Allemagne, Italie, Espagne, France, Danemark, Autriche, Finlande, Royaume-Uni, Portugal), mais il est préoccupant dans les pays plus fragiles à l’Est et au Sud de l’Europe (Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie, Grèce), sujets à l’appétit chinois[10]. Dès lors qu’au sein du marché unique, un investissement étranger dans un État peut aussi affecter l’ordre public et la sécurité nationale d’un autre État, une régulation entre les nations européennes est nécessaire. Elle est pourtant limitée. Le droit européen ne prévoit qu’une coordination des mécanismes de filtrage nationaux sur la base de standards minimaux et des échanges d’information sur les investissements étrangers réalisés, car le filtrage des investissements étrangers relève de la compétence des États. Par ailleurs, le filtrage des investissements étrangers en Europe était jusqu’à présent le moins restrictif au monde. Une étude de l’OCDE[11] datant de 2018 montrait que l’ensemble des pays européens se situaient – à l’exception de la Pologne – en deçà de la moyenne de l’OCDE en matière de restrictivité des investissements étrangers (les 7 pays les moins restrictifs étant 7 pays de l’UE : Luxembourg, Portugal, Slovénie, Roumanie, République Tchèque, Pays-Bas, Estonie). À titre de comparaison, la Chine figure en 7ème position des pays les plus restrictifs sur 69 pays étudiés, les États-Unis sont 24èmes.
Proposition n°3 : obtenir un engagement politique des nations européennes au Conseil européen à filtrer les investissements étrangers et à ramener à 10% du capital le seuil permettant aux gouvernements d’examiner et de bloquer des acquisitions étrangères dans certaines entreprises.
En France, c’est un régime d’autorisation préalable qui prévaut pour les investissements étrangers dans des secteurs limitativement énumérés, avec un seuil de contrôle fixé à 25% du capital. Renforcé en 2019, le filtrage des investissements étrangers l’a une nouvelle fois été à la faveur de la pandémie de COVID-19 : le seuil de contrôle a été abaissé à 10% et la liste des secteurs stratégiques dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable élargis aux biotechnologies. Cette liste[12] est relativement large mais ne couvre pas, par exemple, les secteurs clés et fragiles que sont les médias, les industries culturelles ou encore la sécurité alimentaire et l’exploitation des terres agricoles. De même, puisque nous avons toute latitude pour ajuster le filtrage des investissements étrangers, nous devrions le caler sur un principe de réciprocité avec la législation du pays d’où provient l’investissement, lorsque celle-ci est plus restrictive que la nôtre. Cela permettrait de respecter un parallélisme des formes, notamment avec la Chine et les États-Unis.
Proposition n°4 : renforcer le dispositif national sur la base d’une réciprocité avec le pays tiers qui investit, lorsque sa politique de filtrage est plus restrictive que la nôtre, de sorte à respecter un parallélisme des formes.
Proposition n°5 : ajouter à la liste des secteurs dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable : les médias et les industries culturelles, la sécurité alimentaire et l’exploitation des terres agricoles.
IV. À moyen et long terme, une politique commerciale cohérente avec une stratégie de relocalisation des chaînes de valeurs et protectrice de l’environnement
1. La politique commerciale doit protéger les secteurs industriels stratégiques et appuyer la relocalisation des chaînes de valeur
La politique commerciale va de pair avec la politique industrielle. Notre politique commerciale libre-échangiste a favorisé les tissus économiques très tournés vers l’export et intégrés aux chaînes de valeur mondiales. Une politique de relocalisation industrielle, en faveur de l’emploi et de l’autonomie stratégique, devra nécessairement s’accompagner d’une politique commerciale plus protectrice. La pandémie aura prouvé qu’il est urgent de rétablir notre indépendance d’approvisionnement en équipements médicaux (masques, respirateurs, tests, médicaments), alors que 90 % des principes actifs des médicaments sont produits en Inde et en Chine et que les pièces nécessaires à la fabrication d’un respirateur sont produites hors des pays où elles sont assemblées. Cette recherche d’indépendance devrait s’étendre à toute une série de biens jugés nécessaires à l’autonomie stratégique (sécurité sanitaire, alimentaire, énergétique). La politique commerciale pourra mettre en place des barrières tarifaires et non-tarifaires (normes, quotas) cohérentes avec l’amélioration progressive de notre autonomie. Elle devrait, en tout état de cause, veiller au respect des accords de Paris et des conventions internationales sur le travail par les pays avec lesquels elle s’engage.
Proposition n°6 : accompagner la relocalisation des filières stratégiques par des barrières tarifaires et non tarifaires progressives sur ces secteurs.
Proposition n°7 : conditionner l’accès au marché au respect des accords de Paris et des conventions internationales sur le travail.
La politique commerciale devra aussi nous préserver des stratégies industrielles conquérantes de la Chine ou des États-Unis, qui inondent nos marchés de produits souvent subventionnés et détruisent nos emplois – tout en nous dictant des besoins. Nous n’avons toujours pas tiré les leçons de notre dépendance aux GAFA ou au chinois Huawei pour les installations 5G. Le plan « Made in China 2025 » pour dominer les « industries de l’avenir » (intelligence artificielle, véhicules verts, technologies médicales, aérospatiales), s’il n’est pas contré par des barrières commerciales intelligentes, pourrait accroître notre dépendance à la Chine et poursuivre la destruction d’emplois. On se souvient à quelle vitesse la filière française des panneaux solaires avait été décimée par la concurrence chinoise, en violation massive des règles anti-dumping (les industries chinoises vendaient les panneaux solaires à un prix inférieur au prix plancher fixé par un accord commercial avec l’UE). En 2011, l’Europe représentait 70 % du marché mondial de photovoltaïque contre 10 % pour la Chine. En 2016, l’Europe ne représentait plus que 9 % contre 45 % pour la Chine et 19 % pour les Etats-Unis.[13]
Proposition n°8 : protéger l’emploi et l’industrie par le renforcement des mécanismes de défense commerciale contre le dumping, mais aussi prévoir la possibilité (à partir d’un écart de prix entre le produit importé et le produit national) de barrières tarifaires et/ou quotas lorsque la concurrence d’un état tiers menace nos entreprises de faillites qui déstabilisent toute une filière.
Un des principaux vecteurs de notre protection commerciale sera l’imposition de normes environnementales (cf. supra et infra) et sociales élevées à nos importations. Le contrôle de l’application de ces clauses dans le cadre des accords commerciaux devrait être plus transparent – faire l’objet d’un rapport annuel coréalisé par la Commission et le Parlement européen – et inclure les parlements nationaux, qui disposeraient d’un droit d’alerte en matière commerciale sur le modèle des « cartons » (jaune, orange, rouge) que les parlements peuvent activer lorsqu’ils estiment qu’une législation européenne n’est pas conforme au principe de subsidiarité.
Proposition n°9 : permettre aux parlements nationaux de contrôler l’application des clauses environnementales et sociales des accords de commerce, notamment via un mécanisme d’alerte sur le modèle des « cartons » (jaunes, oranges et rouges).
2. La politique commerciale doit être au service de la protection de l’environnement et de la biodiversité
Sous l’égide du GATT[14] puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les mesures environnementales de lutte contre la pollution pouvaient être considérées comme des entraves au libre commerce. L’article 3.5 de la Convention-cadre sur le changement climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro est claire à cet égard : il ne faut pas que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques (…) constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Jusqu’à présent, les règles du commerce international ont donc tenté de concilier le droit des États à prendre des mesures pour protéger la vie et la santé des personnes et des animaux, préserver les végétaux ou protéger les ressources naturelles et les droits des autres États à avoir accès au marché. Alors que menace la catastrophe climatique, il est temps d’inverser la hiérarchie des objectifs et d’affirmer que la protection de l’environnement prime sur le libre-échange.
Les retombées négatives du libre-échange sur le climat, à travers l’intensification des transports, de la production et de la consommation d’énergie, ne sont plus à prouver. L’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe doit être une priorité. Elle est désormais clairement envisagée par la Commission elle-même[15]. Des pénalités pourraient également être appliquées sur les industries dont l’impact environnemental est très nuisible et ne se réduit pas aux émissions carbone (consommation d’eau douce, énergie utilisée provenant des énergies fossiles, impact sur les milieux naturels, nombre de déchets produits). C’est le cas du textile, industrie par ailleurs fortement délocalisée et très productiviste, dont 73 % de la matière première finissent en décharge, dans les océans, ou incinérés[16], ou encore les produits issus de l’agriculture intensive en engrais chimiques. L’impact environnemental des produits peut être mesuré par l’analyse du cycle de vie des produits (Life Cycle Analysis) dont le cadre est d’ores et déjà spécifié par les normes internationales « ISO »[17].
Proposition n°10 : ajouter un équivalent « taxe carbone » aux droits de douanes, proportionnel au nombre de kilomètres parcourus par le produit importé et aux émissions carbone émises pour le produire.
Proposition n°11 : ajouter un « malus environnemental » sur les droits de douane des produits dont l’impact environnemental n’est que partiellement mesuré par les émissions carbone, à l’image du textile ou des produits de l’agriculture intensive et chimique.
Proposition n°12 : interdire le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacés d’extinctions.
V. Quels leviers face à la réticence d’États partenaires ?
La réforme de la politique commerciale dans un sens plus protecteur représente un virage politique considérable qui ne se fera pas en un jour et ne manquera pas de se heurter aux réticences de nos partenaires, en premier lieu l’Allemagne. Pour autant, la difficulté à construire une politique commerciale à 27 et les craintes des États européens lorsqu’il s’agit de tenir tête à la Chine ou aux États-Unis ne doivent pas nous désespérer et nous enfermer dans une stratégie unilatérale hâtive. Prenons ici l’exemple du Royaume-Uni. Post-Brexit, le projet national est celui de la « Global Britain » et s’appuie sur la « liberté retrouvée » en matière de politique commerciale. Pour un pays dont la tradition est si fortement mercantiliste, c’est tout sauf absurde. À ceci près que cette liberté s’est avérée largement factice. À l’époque ou Theresa May était encore au pouvoir, ses tentatives pour entamer des pourparlers commerciaux avec la Chine et les États-Unis se sont avérées infructueuses. Les deux puissances ont regardé de haut ce qui n’était plus à leurs yeux qu’un « petit marché de 60 millions de consommateurs » et l’ont renvoyé à ses négociations avec ses partenaires européens, dans l’attente de voir si le pays pouvait être un avant-poste du grand marché continental, ou pas. De son côté, l’Union européenne exige que le Royaume-Uni accepte un alignement réglementaire sur ses normes pour qu’il puisse accéder librement à son marché, ce qui revient à étouffer dans l’œuf ce qui lui restait de liberté en matière de politique commerciale. Résultat, l’île se retrouve entre le marteau et l’enclume.
Le marché intérieur et la politique commerciale pourraient être d’immenses leviers de protection et d’exportation de nos normes environnementales et sanitaires vis-à-vis du reste du monde, pourvu que le marché intérieur abandonne le dogme de la concurrence et que la politique commerciale se mette au service de l’emploi, du climat et de notre autonomie stratégique. L’Union européenne demeure le premier marché de destination des flux commerciaux de biens (32,4 % des flux mondiaux de biens, loin devant la Chine (13,4 %) et les États-Unis avec 8,4 %) et le plus grand marché de consommation mondial. Cette position nous offre un levier de négociation immense vis-à-vis des pays tiers, que nous n’utilisons pas ou peu. Évidemment, les négociations intergouvernementales sont toujours plus longues à 27 États. Mais lorsqu’une norme est ainsi adoptée, elle est forte et peut s’exporter : quand l’UE interdit la pêche en eaux profondes, elle interdit aussi l’importation de produits pêchés en eaux profondes à travers le monde.
Plusieurs leviers pourraient nous aider à faire basculer la politique commerciale européenne.
Il y a d’abord des éléments de contexte favorables et une stratégie de politique industrielle à mobiliser pour les conforter. La pandémie pourrait rallier à une politique commerciale protectrice les pays d’Europe centrale et orientale qui attireraient, par un coût du travail encore modéré, la relocalisation de chaînes de valeur depuis l’Asie. Par ailleurs, elle pourrait aussi achever de pointer les limites du modèle d’extraversion commerciale allemand. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine avaient déjà commencé à le fragiliser. L’essor industriel de la Chine a été l’une des clés du modèle de croissance de l’Allemagne à partir du début des années 2000, la Chine offrant un débouché colossal aux exportations allemandes de véhicules mais aussi de machines-outils pendant plus de 20 ans. Désormais, la Chine consolide son hégémonie économique et investit massivement dans des révolutions technologiques qui risquent de compromettre l’avantage allemand. Pour accompagner ce changement de modèle et renforcer les solidarités économiques régionales en Europe, des coopérations inter-nationales en matière industrielle[18], comme l’alliance récemment lancée entre la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne sur la production de batteries électriques, semblent un bon moyen de favoriser un rapprochement des intérêts économiques des pays européens vis-à-vis du reste du monde, et ainsi d’harmoniser leurs préférences commerciales.
Proposition n°13 : renforcer la coordination des politiques industrielles entre nations européennes pour construire des alliances régionales, favoriser un rapprochement des intérêts économiques et contribuer à l’harmonisation des préférences commerciales.
Nous devons quoiqu’il arrive entamer un travail de conviction politique, qui devra s’émanciper de la seule sphère diplomatique pour sensibiliser aussi les sociétés civiles et les parlements d’Europe. Des négociations récentes montrent qu’il n’y a pas lieu de désespérer du dialogue politique entre États européens (du moins, en dehors des sujets liés à la Zone euro), si l’on sait intelligemment recourir aux coalitions de circonstances. Au mois de mars 2019, la France se liait avec trois autres États membres (la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg) pour défendre l’objectif d’une neutralité carbone de l’UE en 2050. Deux mois plus tard, au sommet européen de Sibiu, la coalition avait grossi à huit États membres. En septembre, 24 États membres finissaient par adhérer à cet objectif de neutralité carbone en 2050. Si la voie de la négociation ne peut aboutir, il ne faut pas craindre la confrontation et envisager des mesures unilatérales ou coordonnées avec quelques pays. La taxe GAFA, adoptée en France et dans quelques États européens, est un exemple récent.
[1] Soit près de deux fois la contraction du commerce international observé entre octobre 2008 et janvier 2009, qui s’élevait à 17%.
[2] Une étude de la Banque de France suggère qu’environ 13 % du déclin de l’emploi manufacturier en France de 2001 à 2007 serait imputable à la concurrence chinoise (2001 marquant l’adhésion de la Chine à l’OMC).
[3] Des économistes comme Dani Rodrik (Harvard) ont pointé le lien entre les effets destructeurs du commerce international – et notamment la concurrence chinoise – sur l’emploi manufacturier aux Etats-Unis et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.
[4] 94% of the Fortune 1000 are seeing Coronavirus supply chain disruptions : Report, Fortune, 21 février 2020.
[5] Déclaration du G20, 15 novembre 2008.
[6] Article 206 TFUE.
[7] Dans le même temps, un autre opérateur portuaire chinois « China Merchants Port » a acquis des parts dans les ports de Dunkerque, du Havre, de Marseille, de Nantes et de Marsaxlokk, à Malte. Les entreprises chinoises contrôleraient désormais près d’un dixième des capacités portuaires européennes.
[8] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/march/tradoc_157724.pdf
[9] Règlement européen du 19 mars 2019, n°2019/452.
[10] La Chine a créé, un nouveau forum diplomatique « 17+1 », qui rassemble 17 pays d’Europe centrale et orientale, plus la Chine.
[11] https://data.oecd.org/fr/fdi/restrictivite-de-l-ide.htm
[12] L’article R.153-2 du code monétaire et financier.
[13] https://www.quelleenergie.fr/magazine/energie-solaire/marche-photovoltaique-souffre-europe-55788/
[14] General Agreement on Tariffs and Trade.
[15] Voir le « Green New Deal » proposé par Ursula Von der Leyen.
[16] Études de Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy: Redesigning fashion’s future.
[17] ISO 14040:2006.
[18] Sur le modèle de l’OCCAR dans le secteur de la défense.
Publié le 22 mai 2020
Mettre la politique commerciale au service de l’autonomie stratégique, du climat et de l’emploi
Auteurs
Chloé Ridel
Chloé Ridel est haut fonctionnaire et militante associative, présidente de l’association Mieux Voter. Elle est l'auteur de D'une guerre à l’autre - L'Europe face à son destin. Diplômée de Sciences Po et de l’ENA, elle a été directrice adjointe de l’Institut Rousseau de 2020 à 2023. Elle est chargée des questions européennes au sein du conseil scientifique de l’institut.
La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein.
I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale
1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales
La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine.
On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3].
Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.
2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale
En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.
II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde
1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres
La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu protectrice de son marché, même en l’absence de réciprocité d’ouverture dans un pays tiers. Les destructions d’emploi et la perte d’autonomie stratégique que cette politique pouvait entraîner étaient supposément « compensées » par des coûts plus bas et un prix plus avantageux pour le consommateur.
Proposition n°1 : à terme, redéfinir les objectifs de la politique commerciale européenne dans les traités ; à court terme, s’en affranchir par la négociation politique au Conseil européen.
L’expérience a montré qu’il est tout à fait possible de s’affranchir de la lettre des traités si une unanimité politique au Conseil européen le décide. Il n’y a qu’à voir la vitesse à laquelle les règles budgétaires ou encore les restrictions en matière d’aide d’État, pourtant inscrites dans les traités, ont été suspendues dès les prémisses de la crise économique provoquée par le COVID-19. Cependant, l’équilibre politique en Europe reste en faveur du libre-échange. Pour les pays dits « hanséatiques », le libre-échange est un déterminant culturel. Pour les anciennes républiques du bloc de l’Est, la mémoire du communisme fait qu’il bénéficie encore d’une puissante adhésion. Lorsque la France a annoncé, l’an dernier, qu’elle voterait désormais contre les accords de libre-échange avec des États qui ne respecteraient pas les accords de Paris, elle était quasiment isolée. Pourtant, quelques mois plus tard, 24 États membres s’accordaient sur l’objectif de parvenir à la neutralité carbone en 2050…
2. Divergences des intérêts européens vis-à-vis du reste du monde et moindre interdépendance commerciale
Le nœud du problème de la politique commerciale commune est qu’elle doit accommoder les intérêts économiques de 27 États qui divergent passablement vis-à-vis du reste du monde (s’y ajoutent les intérêts géopolitiques, dont nous ne traiterons pas). Il est difficile de concilier les préférences commerciales d’un pays qui a intérêt à protéger son marché avec celles d’un autre très tourné vers l’export. La logique du « One size fits all » atteint vite ses limites si les disparités de modèle économique sont trop grandes au sein d’une même zone commerciale. La France ou l’Irlande, dont le secteur agricole et agroalimentaire constitue l’un des principaux excédents à l’exportation, veilleront à ce que les accords de libre-échange prévoient des protections pour ce marché ; l’Allemagne, dont le modèle est fortement exportateur (7,25% de PIB d’excédent commercial en 2019), préférera les accords de libre-échange les plus larges possibles. L’exemple de la négociation d’un Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) 2.0 entre l’Union européenne (UE) et l’administration Trump illustre ces difficultés. En juin 2018, Angela Merkel en visite à la Maison blanche avait appelé à la relance des négociations d’un accord commercial avec les États-Unis, après que l’administration américaine ait menacé l’Europe d’un renchérissement des droits de douanes sur leurs exportations d’acier et sur les voitures allemandes. Sous la pression, l’Allemagne avait clairement affirmé qu’elle était favorable à un nouvel accord même si la condition sine qua non exigée par Trump était qu’il couvre l’agriculture et permette une hausse des exportations américaines de soja (OGM) vers l’Europe, au grand dam de la France.
Si les pays européens ne commerçaient que marginalement avec des pays tiers hors de l’UE, nul doute que le casse-tête de la politique commerciale commune diminuerait. Cependant, la politique commerciale choisie par l’Europe et, aussi, les conséquences désastreuses de la crise de 2008 sur les économies européennes, a tendu à diminuer l’interdépendance des pays européens. L’Allemagne, qui accumule des excédents commerciaux records depuis 2007, a de plus en plus commercé avec le reste du monde, et de moins en moins avec les autres pays de l’UE. En 2019, la progression des échanges de l’Allemagne avec des pays hors UE, observée sur le long terme, s’est poursuivie. En raison d’une nette augmentation des échanges avec les États-Unis (+12 Md€) et la Chine (+7 Md€), la part des échanges de l’Allemagne hors UE augmente en 2019 par rapport à 2018 (42,1% contre 41,7%), alors que celle avec l’UE recule légèrement (57,9% par rapport à 58,3%). En dix ans, la part des échanges hors UE de l’Allemagne a crû de 40 à 42 %, tandis que celle des échanges avec l’UE est passée de 60 à 58%, la part des échanges avec la zone euro s’étant réduite de 41 à 37%.
Cette évolution pose un problème politique : si l’Allemagne accroît sa dépendance avec des pays tiers au détriment des pays de l’UE, comment peut-elle entendre les arguments en faveur d’une autonomie stratégique européenne, voire d’une quasi-autosuffisance ? Le Royaume-Uni était le seul État membre de l’Union à exporter davantage vers des pays hors-UE que vers des pays intra-UE (47% de ses exportations de biens en 2018 vs 59% en 2000), et le seul à en être sorti. La dépendance de l’Allemagne à la Chine, pays avec lequel les relations commerciales européennes sont notoirement déséquilibrées, est sans doute la plus préoccupante. La Chine est, en 2019, pour la quatrième année consécutive, le premier partenaire commercial de l’Allemagne. Sa part dans les échanges allemands s’élève à 8,5 %, devant les Pays-Bas (7,8 %), les Etats-Unis (7,8 %) et la France (7,1 %). Cet état de fait rend plus difficile l’établissement de règles de commerce équitables avec la Chine, compte tenu des représailles que pourrait craindre la première économie européenne.
III. À court terme, les États européens et la Commission devraient décréter un moratoire sur la négociation d’accords de libre-échange et protéger les secteurs économiques stratégiques, plus vulnérables en temps de crise, vis-à-vis de la prédation de puissances étrangères
1. Un moratoire sur les accords commerciaux en cours de négociation et de ratification
En plein confinement le 29 avril, le Commissaire européen au commerce, l’Irlandais Phil Hogan, annonçait la conclusion des négociations pour la modernisation de l’accord de libre-échange avec le Mexique. Cet accord propose notamment une réduction à néant des droits de douanes sur le commerce des biens et un accès des entreprises européennes aux marchés publics mexicains. À l’heure où l’on compte les morts et où l’on parle de la relocalisation des chaînes de valeurs, poursuivre le « business as usual » en signant des accords de libre-échange à tour de bras n’a pas de sens. Ni économique, ni politique. Un moratoire s’impose sur tous les accords commerciaux en cours de négociation ou de ratification (ex. JEFTA, MERCOSUR, Mexique, Vietnam), jusqu’à la mise au point d’une nouvelle stratégie commerciale post-COVID-19 qui devrait comprendre une conditionnalité forte portant sur des critères environnementaux et sociaux.
Proposition n°2 : obtenir un moratoire sur tous les accords commerciaux en cours de négociation (pas encore signés) ou de ratification (déjà signés).
2. Les secteurs économiques vulnérables doivent être protégés de la prédation des pays tiers
Sur un terrain légèrement différent de celui de la politique commerciale stricto sensu, il est essentiel de protéger nos entreprises stratégiques. La crise de 2008 et ses suites avaient affaibli les entreprises européennes et les États les plus endettés. Désireux de renflouer leurs caisses, ils étaient plus vulnérables à des investissements étrangers prédateurs, qui correspondent à l’acquisition d’actifs financiers représentant une part significative du capital de nos sociétés. Certaines opérations ont secoué le continent. En 2016, l’État grec a vendu le Pirée, plus grand port hellène, à l’armateur chinois Cosco Shipping Corporation, avant que ce même armateur ne rachète 85% des parts du deuxième plus grand port de Belgique, Zeebruges, au début de l’année 2018[7]. La même année, le pionnier allemand de la robotique Kuka, créé en 1898, a été vendu au chinois Midea, suscitant une vague d’émotion dans le pays. Si les investisseurs occidentaux (États-Unis, Suisse, Canada, Australie) représentent toujours l’écrasante majorité des investissements étrangers en Europe, la Chine, l’Inde ou encore la Russie ont considérablement renforcé leur présence. La Chine, qui ne contrôlait qu’environ 5 000 entreprises européennes en 2007, en contrôlait plus de 28 000 en 2017[8].
Depuis, la France et l’Union européenne ont renforcé leurs dispositifs de contrôle des investissements étrangers. Chaque État membre de l’Union européenne est désormais « invité » à créer un tel dispositif, mais n’y est pas obligé[9]. En avril 2019, la moitié des États membres de l’UE seulement disposait d’un mécanisme de filtrage des investissements étrangers. L’absence d’un tel mécanisme n’est pas à déplorer dans les États les plus riches et dotés d’une administration robuste (Allemagne, Italie, Espagne, France, Danemark, Autriche, Finlande, Royaume-Uni, Portugal), mais il est préoccupant dans les pays plus fragiles à l’Est et au Sud de l’Europe (Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie, Grèce), sujets à l’appétit chinois[10]. Dès lors qu’au sein du marché unique, un investissement étranger dans un État peut aussi affecter l’ordre public et la sécurité nationale d’un autre État, une régulation entre les nations européennes est nécessaire. Elle est pourtant limitée. Le droit européen ne prévoit qu’une coordination des mécanismes de filtrage nationaux sur la base de standards minimaux et des échanges d’information sur les investissements étrangers réalisés, car le filtrage des investissements étrangers relève de la compétence des États. Par ailleurs, le filtrage des investissements étrangers en Europe était jusqu’à présent le moins restrictif au monde. Une étude de l’OCDE[11] datant de 2018 montrait que l’ensemble des pays européens se situaient – à l’exception de la Pologne – en deçà de la moyenne de l’OCDE en matière de restrictivité des investissements étrangers (les 7 pays les moins restrictifs étant 7 pays de l’UE : Luxembourg, Portugal, Slovénie, Roumanie, République Tchèque, Pays-Bas, Estonie). À titre de comparaison, la Chine figure en 7ème position des pays les plus restrictifs sur 69 pays étudiés, les États-Unis sont 24èmes.
Proposition n°3 : obtenir un engagement politique des nations européennes au Conseil européen à filtrer les investissements étrangers et à ramener à 10% du capital le seuil permettant aux gouvernements d’examiner et de bloquer des acquisitions étrangères dans certaines entreprises.
En France, c’est un régime d’autorisation préalable qui prévaut pour les investissements étrangers dans des secteurs limitativement énumérés, avec un seuil de contrôle fixé à 25% du capital. Renforcé en 2019, le filtrage des investissements étrangers l’a une nouvelle fois été à la faveur de la pandémie de COVID-19 : le seuil de contrôle a été abaissé à 10% et la liste des secteurs stratégiques dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable élargis aux biotechnologies. Cette liste[12] est relativement large mais ne couvre pas, par exemple, les secteurs clés et fragiles que sont les médias, les industries culturelles ou encore la sécurité alimentaire et l’exploitation des terres agricoles. De même, puisque nous avons toute latitude pour ajuster le filtrage des investissements étrangers, nous devrions le caler sur un principe de réciprocité avec la législation du pays d’où provient l’investissement, lorsque celle-ci est plus restrictive que la nôtre. Cela permettrait de respecter un parallélisme des formes, notamment avec la Chine et les États-Unis.
Proposition n°4 : renforcer le dispositif national sur la base d’une réciprocité avec le pays tiers qui investit, lorsque sa politique de filtrage est plus restrictive que la nôtre, de sorte à respecter un parallélisme des formes.
Proposition n°5 : ajouter à la liste des secteurs dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable : les médias et les industries culturelles, la sécurité alimentaire et l’exploitation des terres agricoles.
IV. À moyen et long terme, une politique commerciale cohérente avec une stratégie de relocalisation des chaînes de valeurs et protectrice de l’environnement
1. La politique commerciale doit protéger les secteurs industriels stratégiques et appuyer la relocalisation des chaînes de valeur
La politique commerciale va de pair avec la politique industrielle. Notre politique commerciale libre-échangiste a favorisé les tissus économiques très tournés vers l’export et intégrés aux chaînes de valeur mondiales. Une politique de relocalisation industrielle, en faveur de l’emploi et de l’autonomie stratégique, devra nécessairement s’accompagner d’une politique commerciale plus protectrice. La pandémie aura prouvé qu’il est urgent de rétablir notre indépendance d’approvisionnement en équipements médicaux (masques, respirateurs, tests, médicaments), alors que 90 % des principes actifs des médicaments sont produits en Inde et en Chine et que les pièces nécessaires à la fabrication d’un respirateur sont produites hors des pays où elles sont assemblées. Cette recherche d’indépendance devrait s’étendre à toute une série de biens jugés nécessaires à l’autonomie stratégique (sécurité sanitaire, alimentaire, énergétique). La politique commerciale pourra mettre en place des barrières tarifaires et non-tarifaires (normes, quotas) cohérentes avec l’amélioration progressive de notre autonomie. Elle devrait, en tout état de cause, veiller au respect des accords de Paris et des conventions internationales sur le travail par les pays avec lesquels elle s’engage.
Proposition n°6 : accompagner la relocalisation des filières stratégiques par des barrières tarifaires et non tarifaires progressives sur ces secteurs.
Proposition n°7 : conditionner l’accès au marché au respect des accords de Paris et des conventions internationales sur le travail.
La politique commerciale devra aussi nous préserver des stratégies industrielles conquérantes de la Chine ou des États-Unis, qui inondent nos marchés de produits souvent subventionnés et détruisent nos emplois – tout en nous dictant des besoins. Nous n’avons toujours pas tiré les leçons de notre dépendance aux GAFA ou au chinois Huawei pour les installations 5G. Le plan « Made in China 2025 » pour dominer les « industries de l’avenir » (intelligence artificielle, véhicules verts, technologies médicales, aérospatiales), s’il n’est pas contré par des barrières commerciales intelligentes, pourrait accroître notre dépendance à la Chine et poursuivre la destruction d’emplois. On se souvient à quelle vitesse la filière française des panneaux solaires avait été décimée par la concurrence chinoise, en violation massive des règles anti-dumping (les industries chinoises vendaient les panneaux solaires à un prix inférieur au prix plancher fixé par un accord commercial avec l’UE). En 2011, l’Europe représentait 70 % du marché mondial de photovoltaïque contre 10 % pour la Chine. En 2016, l’Europe ne représentait plus que 9 % contre 45 % pour la Chine et 19 % pour les Etats-Unis.[13]
Proposition n°8 : protéger l’emploi et l’industrie par le renforcement des mécanismes de défense commerciale contre le dumping, mais aussi prévoir la possibilité (à partir d’un écart de prix entre le produit importé et le produit national) de barrières tarifaires et/ou quotas lorsque la concurrence d’un état tiers menace nos entreprises de faillites qui déstabilisent toute une filière.
Un des principaux vecteurs de notre protection commerciale sera l’imposition de normes environnementales (cf. supra et infra) et sociales élevées à nos importations. Le contrôle de l’application de ces clauses dans le cadre des accords commerciaux devrait être plus transparent – faire l’objet d’un rapport annuel coréalisé par la Commission et le Parlement européen – et inclure les parlements nationaux, qui disposeraient d’un droit d’alerte en matière commerciale sur le modèle des « cartons » (jaune, orange, rouge) que les parlements peuvent activer lorsqu’ils estiment qu’une législation européenne n’est pas conforme au principe de subsidiarité.
Proposition n°9 : permettre aux parlements nationaux de contrôler l’application des clauses environnementales et sociales des accords de commerce, notamment via un mécanisme d’alerte sur le modèle des « cartons » (jaunes, oranges et rouges).
2. La politique commerciale doit être au service de la protection de l’environnement et de la biodiversité
Sous l’égide du GATT[14] puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les mesures environnementales de lutte contre la pollution pouvaient être considérées comme des entraves au libre commerce. L’article 3.5 de la Convention-cadre sur le changement climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro est claire à cet égard : il ne faut pas que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques (…) constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Jusqu’à présent, les règles du commerce international ont donc tenté de concilier le droit des États à prendre des mesures pour protéger la vie et la santé des personnes et des animaux, préserver les végétaux ou protéger les ressources naturelles et les droits des autres États à avoir accès au marché. Alors que menace la catastrophe climatique, il est temps d’inverser la hiérarchie des objectifs et d’affirmer que la protection de l’environnement prime sur le libre-échange.
Les retombées négatives du libre-échange sur le climat, à travers l’intensification des transports, de la production et de la consommation d’énergie, ne sont plus à prouver. L’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe doit être une priorité. Elle est désormais clairement envisagée par la Commission elle-même[15]. Des pénalités pourraient également être appliquées sur les industries dont l’impact environnemental est très nuisible et ne se réduit pas aux émissions carbone (consommation d’eau douce, énergie utilisée provenant des énergies fossiles, impact sur les milieux naturels, nombre de déchets produits). C’est le cas du textile, industrie par ailleurs fortement délocalisée et très productiviste, dont 73 % de la matière première finissent en décharge, dans les océans, ou incinérés[16], ou encore les produits issus de l’agriculture intensive en engrais chimiques. L’impact environnemental des produits peut être mesuré par l’analyse du cycle de vie des produits (Life Cycle Analysis) dont le cadre est d’ores et déjà spécifié par les normes internationales « ISO »[17].
Proposition n°10 : ajouter un équivalent « taxe carbone » aux droits de douanes, proportionnel au nombre de kilomètres parcourus par le produit importé et aux émissions carbone émises pour le produire.
Proposition n°11 : ajouter un « malus environnemental » sur les droits de douane des produits dont l’impact environnemental n’est que partiellement mesuré par les émissions carbone, à l’image du textile ou des produits de l’agriculture intensive et chimique.
Proposition n°12 : interdire le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacés d’extinctions.
V. Quels leviers face à la réticence d’États partenaires ?
La réforme de la politique commerciale dans un sens plus protecteur représente un virage politique considérable qui ne se fera pas en un jour et ne manquera pas de se heurter aux réticences de nos partenaires, en premier lieu l’Allemagne. Pour autant, la difficulté à construire une politique commerciale à 27 et les craintes des États européens lorsqu’il s’agit de tenir tête à la Chine ou aux États-Unis ne doivent pas nous désespérer et nous enfermer dans une stratégie unilatérale hâtive. Prenons ici l’exemple du Royaume-Uni. Post-Brexit, le projet national est celui de la « Global Britain » et s’appuie sur la « liberté retrouvée » en matière de politique commerciale. Pour un pays dont la tradition est si fortement mercantiliste, c’est tout sauf absurde. À ceci près que cette liberté s’est avérée largement factice. À l’époque ou Theresa May était encore au pouvoir, ses tentatives pour entamer des pourparlers commerciaux avec la Chine et les États-Unis se sont avérées infructueuses. Les deux puissances ont regardé de haut ce qui n’était plus à leurs yeux qu’un « petit marché de 60 millions de consommateurs » et l’ont renvoyé à ses négociations avec ses partenaires européens, dans l’attente de voir si le pays pouvait être un avant-poste du grand marché continental, ou pas. De son côté, l’Union européenne exige que le Royaume-Uni accepte un alignement réglementaire sur ses normes pour qu’il puisse accéder librement à son marché, ce qui revient à étouffer dans l’œuf ce qui lui restait de liberté en matière de politique commerciale. Résultat, l’île se retrouve entre le marteau et l’enclume.
Le marché intérieur et la politique commerciale pourraient être d’immenses leviers de protection et d’exportation de nos normes environnementales et sanitaires vis-à-vis du reste du monde, pourvu que le marché intérieur abandonne le dogme de la concurrence et que la politique commerciale se mette au service de l’emploi, du climat et de notre autonomie stratégique. L’Union européenne demeure le premier marché de destination des flux commerciaux de biens (32,4 % des flux mondiaux de biens, loin devant la Chine (13,4 %) et les États-Unis avec 8,4 %) et le plus grand marché de consommation mondial. Cette position nous offre un levier de négociation immense vis-à-vis des pays tiers, que nous n’utilisons pas ou peu. Évidemment, les négociations intergouvernementales sont toujours plus longues à 27 États. Mais lorsqu’une norme est ainsi adoptée, elle est forte et peut s’exporter : quand l’UE interdit la pêche en eaux profondes, elle interdit aussi l’importation de produits pêchés en eaux profondes à travers le monde.
Plusieurs leviers pourraient nous aider à faire basculer la politique commerciale européenne.
Il y a d’abord des éléments de contexte favorables et une stratégie de politique industrielle à mobiliser pour les conforter. La pandémie pourrait rallier à une politique commerciale protectrice les pays d’Europe centrale et orientale qui attireraient, par un coût du travail encore modéré, la relocalisation de chaînes de valeur depuis l’Asie. Par ailleurs, elle pourrait aussi achever de pointer les limites du modèle d’extraversion commerciale allemand. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine avaient déjà commencé à le fragiliser. L’essor industriel de la Chine a été l’une des clés du modèle de croissance de l’Allemagne à partir du début des années 2000, la Chine offrant un débouché colossal aux exportations allemandes de véhicules mais aussi de machines-outils pendant plus de 20 ans. Désormais, la Chine consolide son hégémonie économique et investit massivement dans des révolutions technologiques qui risquent de compromettre l’avantage allemand. Pour accompagner ce changement de modèle et renforcer les solidarités économiques régionales en Europe, des coopérations inter-nationales en matière industrielle[18], comme l’alliance récemment lancée entre la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne sur la production de batteries électriques, semblent un bon moyen de favoriser un rapprochement des intérêts économiques des pays européens vis-à-vis du reste du monde, et ainsi d’harmoniser leurs préférences commerciales.
Proposition n°13 : renforcer la coordination des politiques industrielles entre nations européennes pour construire des alliances régionales, favoriser un rapprochement des intérêts économiques et contribuer à l’harmonisation des préférences commerciales.
Nous devons quoiqu’il arrive entamer un travail de conviction politique, qui devra s’émanciper de la seule sphère diplomatique pour sensibiliser aussi les sociétés civiles et les parlements d’Europe. Des négociations récentes montrent qu’il n’y a pas lieu de désespérer du dialogue politique entre États européens (du moins, en dehors des sujets liés à la Zone euro), si l’on sait intelligemment recourir aux coalitions de circonstances. Au mois de mars 2019, la France se liait avec trois autres États membres (la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg) pour défendre l’objectif d’une neutralité carbone de l’UE en 2050. Deux mois plus tard, au sommet européen de Sibiu, la coalition avait grossi à huit États membres. En septembre, 24 États membres finissaient par adhérer à cet objectif de neutralité carbone en 2050. Si la voie de la négociation ne peut aboutir, il ne faut pas craindre la confrontation et envisager des mesures unilatérales ou coordonnées avec quelques pays. La taxe GAFA, adoptée en France et dans quelques États européens, est un exemple récent.
[1] Soit près de deux fois la contraction du commerce international observé entre octobre 2008 et janvier 2009, qui s’élevait à 17%.
[2] Une étude de la Banque de France suggère qu’environ 13 % du déclin de l’emploi manufacturier en France de 2001 à 2007 serait imputable à la concurrence chinoise (2001 marquant l’adhésion de la Chine à l’OMC).
[3] Des économistes comme Dani Rodrik (Harvard) ont pointé le lien entre les effets destructeurs du commerce international – et notamment la concurrence chinoise – sur l’emploi manufacturier aux Etats-Unis et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.
[4] 94% of the Fortune 1000 are seeing Coronavirus supply chain disruptions : Report, Fortune, 21 février 2020.
[5] Déclaration du G20, 15 novembre 2008.
[6] Article 206 TFUE.
[7] Dans le même temps, un autre opérateur portuaire chinois « China Merchants Port » a acquis des parts dans les ports de Dunkerque, du Havre, de Marseille, de Nantes et de Marsaxlokk, à Malte. Les entreprises chinoises contrôleraient désormais près d’un dixième des capacités portuaires européennes.
[8] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/march/tradoc_157724.pdf
[9] Règlement européen du 19 mars 2019, n°2019/452.
[10] La Chine a créé, un nouveau forum diplomatique « 17+1 », qui rassemble 17 pays d’Europe centrale et orientale, plus la Chine.
[11] https://data.oecd.org/fr/fdi/restrictivite-de-l-ide.htm
[12] L’article R.153-2 du code monétaire et financier.
[13] https://www.quelleenergie.fr/magazine/energie-solaire/marche-photovoltaique-souffre-europe-55788/
[14] General Agreement on Tariffs and Trade.
[15] Voir le « Green New Deal » proposé par Ursula Von der Leyen.
[16] Études de Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy: Redesigning fashion’s future.
[17] ISO 14040:2006.
[18] Sur le modèle de l’OCCAR dans le secteur de la défense.