Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

L’action climatique est-elle soluble dans le pétrole ?

[summary-3]

L’action climatique est-elle soluble dans le pétrole ?

Accueil > L’action climatique est-elle soluble dans le pétrole ?

Sommaire

    L’action climatique est-elle soluble dans le pétrole ?Le consensus de Dubaï et ses contradictions

    Auteurs

    Difficile de croire qu’il y a huit ans, en 2015 et à Paris, lors de la 21ème conférence sur le climat des Nations unies (COP 21), la communauté internationale parvenait à s’accorder sur la lutte contre le changement climatique et approuvait l’Accord de Paris. Ce consensus sur la nécessité de combattre le changement climatique et de maintenir l’augmentation des températures sous 2°C et si possible 1,5°C avait été baptisé « esprit de Paris ». Les années qui ont suivi l’ont enterré, laissant réapparaître de nombreuses divisions, que l’on pensait alors dépassées. Malgré tout, les narratifs des différents pays ont évolué alors que les effets du changement climatique se faisaient plus visibles et que la gouvernance internationale s’adaptait. Ces difficultés se reflètent dans le texte final de la COP 28, qui s’est tenue fin 2023 à Dubaï. D’un côté, le texte rappelle l’importance d’une « transition hors des énergies fossiles » afin de parvenir à l’objectif « net zéro en 2050 » en se basant sur la science. De l’autre, il reconnaît l’importance des « énergies de transition » (une allusion au gaz naturel, appartenant pourtant aux énergies fossiles), et appelle à l’accélération de solutions technologiques telles que le nucléaire ou la capture, utilisation et séquestration du CO2 (CCUS, pour carbon capture, utilisation and storage) alors qu’elles restent extrêmement coûteuses, inaccessibles pour de nombreux pays, et que leur efficacité reste sujet à discussion (voir plus bas)[1].

    Ce texte ambigu n’en est pas moins nommé par les Nations unies le « UAE consensus », soit en français le « consensus émirati ». Ce consensus et ses contradictions révèlent aussi des conceptions opposées des moyens à mettre en œuvre dans la lutte contre le changement climatique. L’heure est pourtant grave, alors que le service européen Copernicus a annoncé que 2023 serait probablement l’année la plus chaude jamais enregistrée[2]. Cette note vise donc à aller derrière ce consensus et à identifier les origines des dissensions entre les Etats, à faire une liste des tactiques employées pour continuer à utiliser des énergies fossiles tout en restant officiellement aligné avec les objectifs de l’Accord de Paris.

    Notons que nous nous focalisons sur les actions d’atténuation du changement climatique et d’utilisation des énergies fossiles et nous n’abordons pas les questions d’adaptation, de pertes et dommages ou de finances[3].

    Généalogie des divisions actuelles : l’insoluble question des responsabilités

    Le principe des « responsabilités communes, mais différenciées et des capacités respectives »

    Les divisions sur le plan climatique apparaissent très tôt dans l’histoire des négociations, et se manifestent notamment à travers le principe des « responsabilités communes, mais différenciées et des capacités respectives » (common but differentiated responsibilities and respective capabilities, CBDR). Ce principe a été inclus dans les déclarations des Nations unies sur l’Environnement de Stockholm (1972) puis de Rio (1992)[4]. D’après les CBDR, les pays développés sont les principaux responsables du changement climatique (en 1992, à l’époque où se développe cette rhétorique des CBDR, les États-Unis sont encore le premier émetteur annuel) et le maximum des efforts climatiques leur incombe. Cela implique qu’ils doivent drastiquement réduire leurs émissions, mais aussi financer la lutte contre le changement climatique dans les autres pays. Les États-Unis rejettent ce principe en 1997 avec la résolution Byrd-Hagel[5]. Le Sénat américain refuse alors à l’unanimité la ratification du Protocole de Kyoto[6].

    À l’inverse et selon les CBDR, les pays en développement ont besoin d’avoir accès à des sources d’énergie bon marché pour se développer. Ils doivent donc être autorisés à émettre des gaz à effet de serre, et doivent recevoir des soutiens financiers de la part des pays riches pour leurs transitions climatiques (les questions d’adaptation aux effets du changement climatique et de compensation des pertes et dommages s’ajouteront plus tard aux discussions). Cette idée reste d’actualité à l’aube de la COP 28, alors que l’Inde aurait demandé aux pays développés d’avoir une empreinte carbone négative afin de compenser les émissions des autres pays, nécessaires pour assurer leur développement[7].

    Les responsabilités en matière de changement climatique ainsi que le poids économique des différents pays ont évolué depuis 1992 et varient en fonction des calculs et approches adoptés. Le classement des plus gros émetteurs change si l’on considère les émissions historiques (soit l’accumulation des gaz à effet de serre depuis le XIXème siècle), même si le duo de tête reste les États-Unis et la Chine (il n’est par ailleurs pas impossible que cette dernière dépasse un jour les États-Unis)[8]. Une autre méthode de calcul, proposée en 2023, prend en compte l’histoire coloniale des pays et fait bondir les émissions de certains pays comme la France[9]. Les résultats changent encore si l’on choisit de mesurer les émissions par habitant : des pays très peuplés comme la Chine et l’Inde se positionnent loin derrière les pays développés, laissant notamment la place à d’autres émetteurs (Nouvelle-Zélande, Canada, ou encore Australie). Dès lors, déterminer quel pays a la plus grande part de responsabilité dans le changement climatique se révèle extrêmement difficile et la perception de la responsabilité de chaque pays dans le changement climatique varie d’une méthode de calcul à l’autre (sauf pour les États-Unis, qui se positionnent parmi les plus gros émetteurs, quelques soient les critères choisis – voir tableau ci-dessous)[10].

    Classements des plus gros émetteurs selon une sélection de critères[11] (2021)

    Rang Émissions cumulées (1850 – 2021) Émissions cumulées (1850 – 2021), en prenant en compte l’historique colonial Émissions cumulées par habitant
    Pays Total des émissions (MtCo2) Pays Total des émissions (MtCo2) Pays Total des émissions (tCO2)
    1 États-Unis 509,1 États-Unis 520,1 Nouvelle-Zélande 5765
    2 Chine 284,4 Chine 285,8 Canada 4772
    3 Russie 172,5 Russie 235,3 Australie 4013
    4 Brésil 112,9 Royaume-Uni 129,4 États-Unis 3820
    5 Allemagne 88,5 Brésil 112,7 Argentine 3382

    Source : Carbon Brief
    D’autres critères existent également, prenant par exemple en compte les émissions exportées.

    Sans évaluation consensuelle de la responsabilité de chacun, il est impossible de déterminer les efforts auxquels chaque État doit consentir pour réduire le plus rapidement possible les émissions.  La question de la responsabilité inclut ainsi en filigrane l’idée d’un droit à émettre pour chaque pays : autrement dit, les pays industriels sont parvenus à leur niveau actuel de développement en rejetant des millions de tonnes de CO2. Interdire aux pays en voie de développement de faire la même chose revient à les priver des opportunités de croissance. Mais les y autoriser revient aussi à se condamner à dépasser de loin les objectifs de limites des émissions de gaz à effet de serre. Le problème semble donc inextricable et certains ont pu le résumer par une opposition entre lutte contre le changement climatique et développement, créant de facto un droit moral de polluer pour accélérer la sortie de la pauvreté[12].

    Les limites de l’Accord de Paris

    Dès lors, le succès de l’Accord de Paris s’explique notamment par l’adoption d’une approche qui met de côté les responsabilités de chacun et laisse à chaque pays le soin de soumettre aux Nations unies son programme national de lutte contre le changement climatique, à travers les contributions déterminées au niveau national (CDN ou Nationally determined contributions). Ces CDN sont appelées à voir leurs objectifs renouvelés régulièrement. Le principe est simple, mais permet d’éteindre temporairement les questions de mesure de la responsabilité de chacun. Elles sont complétées par les Long-term low emissions development strategies (LT-LEDS ou stratégies à long terme de développement à faible émissions) que les États sont invités à soumettre et qui doivent esquisser une stratégie de réduction des émissions pour parvenir à un bilan national de zéro émission nette. Avant l’atteinte de cette neutralité, les pays fixent généralement une date de pic de leurs émissions, sans pour autant se fixer un seuil quantitatif à ne pas dépasser.

    Malgré ce succès, les tensions sur ce que la lutte contre le changement climatique implique au niveau national reviennent rapidement dans les négociations, avec l’idée persistante qu’abandonner les énergies fossiles fait peser des risques sur la croissance économique. Cette idée est mise en avant avec fracas par Donald Trump, quand il retire son pays de l’Accord, car celui-ci « désavantage » l’économie américaine. Les États-Unis n’auraient alors été prêts à rejoindre l’Accord qu’après de nouvelles négociations qui le rendraient « plus juste pour les États-Unis, ses travailleurs, ses habitants et ses contribuables »[13]. La démarche peut paraître d’autant plus choquante qu’elle émane du premier pollueur historique et de la première économie mondiale. En aucun cas la décision de Trump ne peut se justifier par un droit au développement. Au contraire, elle est motivée par une volonté de maintenir la position hégémonique de l’économie américaine, peu importe les coûts engendrés pour le reste de la planète. Reste que Washington finit par réintégrer l’Accord de Paris après le retour des démocrates à la Maison Blanche (mais on peut s’attendre à ce que Donald Trump le quitte à nouveau s’il est élu en 2024).

    Le retrait provisoire des États-Unis met définitivement fin à ce fragile « esprit de Paris ». Les divergences réapparaissent et se cristallisent notamment autour de la question de l’avenir des énergies fossiles. La COP 26, tenue fin 2021 à Glasgow, en est le théâtre. Une déclaration, que plusieurs négociateurs considèrent comme finale, parle d’une « suppression progressive » (phase-out) des centrales à charbon. Au dernier moment, la Chine et l’Inde s’opposent cependant au texte et obtiennent que la déclaration mentionne « une accélération des efforts vers une diminution progressive de l’électricité au charbon non compensée et des subventions inefficaces aux énergies fossiles » (« accelerating efforts towards the phaseout of unabated coal power and inefficient fossil fuel subsidies »). Le président de la COP 26, Alok Sharma, au bord des larmes, doit se résigner à accepter le compromis[14].

    Cette question de « phase-out » (suppression/sortie progressive) et « phase-down » (réduction progressive) revient dans les discussions du G20 en 2023[15], puis dans les négociations de la COP 28. D’un côté, certains pays, dont l’Union européenne, appellent à une suppression progressive des énergies fossiles. De l’autre, les États-Unis, la Chine, l’Inde ou encore les pays du Golfe (y compris l’hôte de la COP 28, les Emirats) s’y opposent, jugeant irréaliste cet objectif. Une autre pierre d’achoppement concerne l’utilisation ou non du terme unabated (que l’on peut traduire par « non compensé »). « La suppression progressive des énergies fossiles non compensées » (phase-out of unabated fossil fuels) impliquant l’utilisation du CCUS pour compenser certaines émissions. Comme indiqué plus haut, le texte final a tranché, appelant à une « transition en dehors des énergies fossiles » (transitioning away from fossil fuels), laissant la possibilité d’utiliser le CCUS et même le gaz naturel[16].  Au-delà de ces discussions, on peut légitimement s’interroger sur l’impact du texte final des COP sur la consommation des énergies fossiles : la consommation mondiale de charbon n’a cessé d’augmenter depuis la COP 26 de Glasgow qui, comme indiqué plus haut, invite les pays à réduire leur utilisation des centrales thermiques[17].

    Ambition climatique et addiction aux énergies fossiles 

    Cette opposition entre phase-out et phase-down sépare deux camps. D’un côté, on compte un groupe de plus de 100 pays qui rassemble l’Union européenne (UE), des États africains et la plupart des petits États insulaires en développement (via le groupe AOSIS – Alliance of Small Island States, dont l’existence même est menacée par la montée des eaux due au changement climatique). Ceux-ci ont soumis aux Nations unies des objectifs relativement ambitieux. L’UE prévoit ainsi de parvenir à un pic de ses émissions en 2030, puis à la neutralité carbone en 2050. En outre, les politiques de l’UE combinent un travail sur l’offre (accélération du déploiement des renouvelables) et la demande (améliorations de la performance énergétique des différents secteurs de l’économie). Elle prévoit un usage modéré de la séquestration du CO2 et refuse d’utiliser les marchés du carbone internationaux définis par l’Article 6 de l’Accord de Paris pour compenser leurs émissions. Ces mesures n’empêchent cependant pas les ambitions européennes d’être jugées insuffisantes par le site de référence Climate Action Tracker[18].

    De l’autre côté, la plupart des gros émetteurs, parmi lesquels les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis ont adopté des positions plus ambigües.

    Certes, ils se sont fixés des objectifs de neutralité carbone et ont mis en place des politiques parfois ambitieuses de réduction de leurs émissions. Les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act (IRA) en 2022. La Chine occupe une position de leadership incontesté en matière de production de batteries, de véhicules électriques et de panneaux solaires[19]. Elle devrait atteindre son objectif de 1200 GW de puissance installée en matière d’énergies renouvelables en 2025, soit cinq ans avant ses prévisions[20]. Les Émirats Arabes Unis ont revu les ambitions de leur CDN à la hausse en juillet 2023 et, constatant que leur action climatique est considérée comme insuffisante par l’outil de référence Climate Action Tracker, envisagent encore de les rehausser en 2024[21]. En outre, ils rivalisent avec leur voisin saoudien pour devenir le leader de la région en matière d’action climatique, notamment via le développement de l’hydrogène[22].

    Pourtant, en parallèle de ces efforts, ces pays continuent à développer leurs capacités en matière d’énergies fossiles. Les États-Unis, malgré l’IRA, n’ont jamais extrait autant de pétrole et de gaz naturel qu’en 2023, avec près de 13 millions de barils de pétrole prévus pour l’année[23]. La Chine ne cesse d’augmenter ses capacités en matière de charbon : en 2022, année pendant laquelle le pays était encore en partie paralysé par les mesures anti-Covid, elle a commencé la construction de l’équivalent de 50 GW de centrales thermiques et prévoit la construction d’infrastructures lui permettant d’extraire 300 millions de tonnes métrique de charbon par an à utiliser comme back up (la nouvelle est tombée pendant la COP)[24]. Pendant la première moitié de 2023, elle a approuvé l’addition de 50,4 GW supplémentaires[25]. Les Émirats Arabes Unis ont beau être les hôtes de la COP 28, ils continuent à accélérer leurs activités pétrolières. Sultan Al Jabeer, président de la COP, dirige également la compagnie nationale pétrolière (ADNOC), et la BBC a récemment révélé qu’il avait prévu d’utiliser la COP 28 pour signer de nouveaux contrats d’expansion de sa société (les Émirats ont apporté un démenti, affirmant que les documents produits par la BBC sont des faux)[26]. D’autres scandales concernant les liens entre ADNOC et l’équipe de la COP ont également éclaté avant la COP 28.[27] Les Émirats devraient en outre extraire près de 40 milliards de barils de pétrole et de gaz durant les 70 prochaines années[28]. L’Arabie Saoudite aurait mis en place le Oil Demand Sustainability Programme (ODSP, soit programme de soutien de la demande en pétrole) dont l’objectif est d’accélérer la dépendance des pays africains à ses énergies fossiles[29].

    Même l’Europe, traditionnellement citée en modèle, semble être entrée dans une phase de recul en matière de réglementations environnementales[30]. Si celles-ci ne concernent pas le secteur des énergies propres pour l’instant, les avancées des partis d’extrême droite sur le continent pourraient avoir des conséquences sur le déploiement des renouvelables dans les années à venir. Enfin, dans un rapport paru le jour de la clôture de la COP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a annoncé par ailleurs une croissance « saine » de 2,2 millions de barils de pétrole par jour en 2024. Elle prévoit en outre une augmentation de la demande de 16,5 % jusqu’en 2045 par rapport à 2022 et des investissements de 610 milliards de dollars par an dans le secteur[31]. À titre de comparaison, la finance climat a représenté un peu moins de 1300 milliards de dollars en 2021-2022[32].

    Quatre tactiques et excuses fallacieuses pour continuer à consommer des énergies fossiles

    Comment concilier la lutte contre le changement climatique et le recours ininterrompu aux énergies fossiles décrit ci-dessus ? Il semblerait que pour ces pays, la combinaison de ces actions a priori contradictoires passe principalement par la mise en avant de quatre solutions.

    En premier lieu, la planification climatique fixe des objectifs à moyen et long terme : cinq ans à l’origine pour les CDN, un horizon entre 2030 et 2040 pour le pic des émissions (quand celui-ci est annoncé) et un autre entre 2050 et 2070 pour la neutralité carbone ou climatique. Dans les démocraties, ces horizons paraissent lointains et signifient souvent que les gouvernements prenant ces engagements ne seront plus au pouvoir quand ceux-ci devront être honorés. En outre, la plupart des engagements n’incluent pas de seuils d’émissions à ne pas dépasser avant le pic ou la neutralité : cela crée une forte incitation pour les acteurs du secteur des énergies fossiles, compagnies pétrolières et pays de l’OPEP en premiers, à accélérer leur production quand ils le peuvent encore. Cette augmentation n’est pas considérée comme contradictoire avec les investissements dans les énergies solaires, comme Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies le résume : « Quand nous aurons assez d’énergies décarbonées, nous pourrons baisser les énergies fossiles »[33]. Le seuil des énergies décarbonées n’est naturellement pas précisé, ni la manière dont les infrastructures en train d’être bâties seront démontées.

    Ensuite, d’importants espoirs sont placés dans les technologies permettant de capter le CO2 (CCUS). Le CCUS a ainsi été inclus dans les technologies considérées comme prioritaires par l’IRA américain et le Net Zero Industry Act européen[34]. Ces espoirs semblent souvent disproportionnés par rapport à ce que cette technologie a à offrir aujourd’hui. L’Agence internationale de l’énergie reconnaît que les résultats des projets développés jusqu’à présent restent décevants et que, si plus de 500 projets sont pour l’instant en phase de développement, le potentiel du CCUS reste bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour parvenir à une économie neutre en carbone[35]. Le Haut Conseil pour le Climat a également émis un avis sur cette technologie, dans lequel il souligne sa forte demande en énergie, en eau et en intrants chimiques, ainsi que la modestie des installations actuellement opérationnelles en comparaison avec les projections des scénarios de décarbonation[36].

    Le développement des marchés du carbone peut également sembler être pour les pays les plus riches une opportunité de continuer à émettre des gaz à effet de serre. De fait, les négociations des COP portant sur l’article 6 de l’Accord de Paris relatif aux marchés du carbone ont avancé ces dernières années, permettant désormais aux pays émetteurs de compenser une partie de leurs émissions en achetant des crédits à d’autres pays. La Suisse fait figure de pionnière sur ce sujet, ayant signé des accords avec le Pérou et le Ghana, puis avec le Sénégal, la Géorgie, les îles Vanuatu, Dominique, la Thaïlande et l’Ukraine[37].  En parallèle, les marchés volontaires ne cessent de se développer. L’Afrique apparaît à ce sujet comme un nouvel eldorado. Certaines initiatives, comme l’Africa Carbon Market Initiative (ACMI) créée fin 2022, poussent agressivement le développement de crédits sur le continent[38]. L’Arabie Saoudite ambitionne de créer une plateforme d’échange sur les marchés du carbone en 2024 et a d’ores et déjà mis en place la société qui doit la gérer (la Regional Voluntary Carbon Market Company)[39]. L’objectif est d’atteindre un volume d’échanges de 100 à 150 millions de tonnes d’ici 2030. Riyad prévoirait également d’acheter des volumes importants de crédits au Kenya[40].

    Les marchés du carbone ont notamment pour vocation de promouvoir des projets accélérant le développement bas-carbone des pays du Sud. Malheureusement, ce développement se fait de manière peu encadrée et de nombreux manquements sont régulièrement révélés. Le plus célèbre concerne la plus grosse société de certification du monde Verra et a été dénoncé par une enquête du Guardian, de Die Zeit et de l’ONG SourceMaterial[41]. 94 % de projets de compensation forestière (consistant principalement à planter des arbres, en misant sur leur rôle de puits de carbone) ne permettent pas de réduction effective d’émissions. La menace de déforestation à laquelle ces projets répondent aurait été exagérée à hauteur de 400 %. Des évictions et atteintes aux droits humains au nom de ces projets ont également été citées[42].

    En outre, l’absence de transparence des marchés du carbone semble inciter la participation d’acteurs dont les objectifs restent peu clairs. Citons par exemple les activités de la compagnie de conseil McKinsey, révélées par le média Climate Home News, et qui exercerait une influence sur le développement des marchés du carbone en Afrique. McKinsey aurait joué un rôle clé dans l’organisation du Sommet africain sur le climat tenu à Nairobi en septembre 2023 et proposant ses conseils aux gouvernements de la région. McKinsey utiliserait aussi ses liens auprès de Sustainable Energy for All pour influencer l’Africa Carbon Market Initiative (ACMI). D’après Climate Home News, il s’agit non pas de soutenir les pays africains, mais bien de « contrôler » les activités liées aux marchés du carbone sans transparence ni comptes à rendre[43]. Autre exemple, la société émiratie Blue Carbon en charge de la gestion de superficies forestières de la taille du Royaume-Uni est dirigée par des personnalités impliquées dans plusieurs scandales. Le Sheikh Ahmed Dalmook al-Maktoum, son président, a piloté la vente de vaccins contre le Covid-19 Spoutnik a plusieurs pays qui a dû être annulée, faute de livraisons. Il est conseillé par Samuele Landi, un fugitif italien condamné pour une banqueroute frauduleuse et également officiellement consul général du Liberia aux Émirats[44]. Autant d’éléments qui renforcent les doutes sur la capacité des marchés du carbone à remplir leurs promesses.

    Notons qu’il existe également une quatrième tactique, heureusement moins utilisée, qui consiste à remettre en cause les prévisions du GIEC et de fait à minimiser l’impact des activités humaines sur le changement climatique[45]. Donald Trump est l’un des plus fervents adeptes de ce type de remise en cause de la réalité scientifique[46]. Pensons également au célèbre discours de l’Arabie Saoudite lors de l’ouverture de la COP 15 en 2009, remettant en cause les conclusions du GIEC en raison des emails révélés lors d’une fuite[47]. Enfin, le président même de la COP 28, Sultan Al Jabeer a également tenu en novembre des propos remettant en cause la réalité scientifique la contribution des énergies fossiles au changement climatique (il s’est rétracté par la suite)[48].

    Conclusion : les renouvelables et la baisse de la demande nous sauveront-elles ?

    Les COP, et plus précisément la COP28, font éclater aux yeux du monde les divisions des États et viennent souligner les incohérences de leurs politiques de lutte contre le changement climatique. Probablement faut-il voir dans ces incohérences la manifestation du sentier de la dépendance : des économies comme celles des pays du Golfe ont crû grâce aux énergies fossiles, qui font désormais partie des cultures nationales tant le modèle économique de ces pétro-monarchies bien nommées repose sur elles. Sortir des hydrocarbures semble d’autant moins concevable. La plupart des pays préfèrent s’engager dans des tactiques de contournement qui permettent de continuer l’extraction de l’or noir : objectifs de neutralité sans plafond quantitatif des émissions et mécanismes de compensation (CCUS et marchés du carbone).

    Est-ce à dire que les pires trajectoires de réchauffement vont se réaliser ? Des éléments permettent d’espérer que non : la croissance des énergies renouvelables se révèle beaucoup plus rapide que prévue et le texte final de la COP 28 comprend un appel au triplement des énergies renouvelables et de doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030. Sans action politique ferme ciblant les hydrocarbures, l’augmentation de l’offre d’énergies décarbonées et la baisse de la demande semblent être les seuls leviers permettant de décarboner nos systèmes énergétiques.  La veille de la COP 28, l’influent et respecté think tank Climate Analytics a publié une étude affirmant qu’un pic des émissions en 2023 n’était pas à exclure[49]. Cela semble peu probable, mais un pic prochain nous rapprocherait de la neutralité climatique, qui pourrait éventuellement être atteint avec des efforts sur la demande et un moratoire sur les énergies fossiles.

    [1] Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement (2023) First Global Stocktake, CCNUCC, 12 décembre, p. 5, https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cma2023_L17_adv.pdf De très nombreuses analyses du texte ont été produites immédiatement après sa parution. On pourra par exemple se référer à celle-ci: Axios, « COP28: The sentence that will “hang over very discussion” on fossil fuels », 14 décembre 2023, https://www.axios.com/2023/12/14/cop28-climate-deal-whats-next?stream=top

    [2] Copernicus, « Obersver: Copernicus data for climate-informed decisions », 7 décembre 2023, https://www.copernicus.eu/en/news/news/observer-copernicus-data-climate-informed-decisions

    [3] Au sujet de la finance, et plus particulièrement de l’engagement climatique des acteurs privés, on pourra se référer entre autres à l’étude publiée par l’Institut Rousseau avant la COP. Dicale L. (2023), « Quelques réflexions sur les transitions climatiques et environnementales des entreprises et des banques, étroitement liées et imbriquées », Institut Rousseau, 2 novembre https://institut-rousseau.fr/quelques-reflexions-sur-les-transitions-climatiques-et-environnementales-des-entreprises-et-des-banques-etroitement-liees-et-imbriquees/  Ford G., Symon J. et al. (2022), « A safer transition for fossil banking », Finance Watch, 3 octobre https://www.finance-watch.org/publication/a-safer-transition-for-fossil-banking/

    [4] Hey E., Paulini S. (2021) « Common but Differentiated Responsibilities », Max Planck Institute for Comparative Public Law and International Law, https://opil.ouplaw.com/display/10.1093/law:epil/9780199231690/law-9780199231690-e1568

    [5] Byrd-Hagel Resolution, 105ème Congrès, 1ère session, S. RES. 98, 25 juillet 1997, https://web.archive.org/web/20160809040037/https://www.nationalcenter.org/KyotoSenate.html

    [6] Barthélemy, P. « Le principe de responsabilité dans les négociations climatiques : impasse ou nouveau départ ? », IDDRI, blog, 10 décembre 2015, https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/le-principe-de-responsabilite-dans-les-negociations et « Common but differentiated responsibilites », Britannica, non daté.

    [7] Reuters, « India to push developed nations to become ‘carbon negative’ before 2050, sources say », 14 octobre 2023, https://www.reuters.com/sustainability/india-push-developed-nations-become-carbon-negative-before-2050-sources-2023-10-13/

    [8] The Washington Post, « The United States has caused the most global warming. When will China pass it? », 01 mars 2023, https://www.washingtonpost.com/climate-environment/interactive/2023/global-warming-carbon-emissions-china-us/

    [9] Carbon Brief, « Revealed: How colonial rule radically shifts historical responsibility for climate change », 26 novembre 2023, https://www.carbonbrief.org/revealed-how-colonial-rule-radically-shifts-historical-responsibility-for-climate-change/

    [10] La question a été analysée en détail dans Carbon Brief, « Analysis : Which countries are historically responsible for climate change », 5 octobre 2021

    [11] Emissions cumulées de CO2 en provenance des énergies fossiles, de l’utilisation des terres et de la forêt.

    [12] Voir entre autres les narratifs développés par le groupe des Like Minded Developing Countries. Lau Øfjord Blaxekjær, Bård Lahn, et al. (2020), « The narrative position of the Like-Minded Developing Countries in global climate negotiations », dans Coalitions in the Climate Change Negotiations, Routledge, 23 pp.  

    [13] The Hill, « Trump : we are getting out of Paris climate deal », 1er juin 2017, https://thehill.com/policy/energy-environment/335955-trump-pulls-us-out-of-paris-climate-deal/

    [14] The Guardian, « Ratchets, phase-downs and a fragile agreement: how Cop26 played out », 15 novembre 2021, https://www.theguardian.com/environment/2021/nov/15/ratchets-phase-downs-and-a-fragile-agreement-how-cop26-played-out

    [15] Le Monde, « Les pays du G20 échouent à s’accorder sur un calendrier de réduction des énergies fossiles », 22 juillet 2023, https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/22/les-pays-du-g20-echouent-a-s-accorder-sur-un-calendrier-de-reduction-des-energies-fossiles_6183029_3210.html

    [16] CCNUCC, Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement (2023) First Global Stocktake, op. cit.

    [17] Agence internationale de l’énergie, « Global coal demand set to remain at record levels in 2023 », 27 juillet 2023, https://www.iea.org/news/global-coal-demand-set-to-remain-at-record-levels-in-2023

    [18] https://climateactiontracker.org/countries/eu/

    [19]  China Dialogue, « The ‘new three’: How China came to lead solar cell, lithium battery and EV manufacturing », 7 novembre 2023, https://chinadialogue.net/en/business/new-three-china-solar-cell-lithium-battery-ev/?mc_cid=6293f3048a&mc_eid=381f953a21

    [20] Reuters, « Explainer : The numbers behind China’s renewable energy boom », 15 novembre 2023, https://www.reuters.com/sustainability/climate-energy/numbers-behind-chinas-renewable-energy-boom-2023-11-15/

    [21] Reuters, « COP 28 host UAE may update climate plans next yar after ‘insufficient’ ranking », 13 novembre 2023, https://www.reuters.com/world/middle-east/cop28-host-uae-may-update-climate-plans-next-year-after-insufficient-ranking-2023-11-16/

    [22] Gulf International Forum, « The Race to Net Zero: Saudi Arabia and the UAE Compete over Climate Action », 28 avril 2023, https://gulfif.org/the-race-to-net-zero-saudi-arabia-and-the-uae-compete-over-climate-action/

    [23] The Guardian, « US oil and gas production set to break record in 2023 despite UN climate goals », 27 novembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/27/us-oil-gas-record-fossil-fuels-cop28-united-nations

    [24] Caixin, « China Plans 3-Million-Ton of Backup Coal Production Capacity by 2030 », 8 décembre 2023, https://www.caixinglobal.com/2023-12-08/china-plans-3-million-ton-of-backup-coal-production-capacity-by-2030-102143849.html

    [25] The Guardian, « China’s coal addiction puts spotlight on its climate ambitions before Cop28 », 27 novembre 2023, https://www.theguardian.com/world/2023/nov/27/china-coal-addiction-spotlight-climate-ambitions-cop28

    [26] BBC, « COP28 : UAE planned to use climate talks to make oil deals », 27 novembre 2023, https://www.bbc.com/news/science-environment-67508331

    [27] Par exemple The Guardian, « ‘Absolute scandal’: UAE state oil firm able to read COP28 climate summit emails », 7 juin 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/jun/07/uae-oil-firm-cop28-climate-summit-emails-sultan-al-jaber-adnoc

    [28] Energy Monitor, « Exclusive: COP28 host UAE to extract nearly 40 billion barrels of oil and gas over 70 years », 13 novembre 2023, https://www.energymonitor.ai/sectors/industry/exclusive-cop28-host-uae-to-extract-nearly-40-billion-barrels-of-oil-and-gas-over-70-years/

    [29] The Guardian, « Revealed: Saudi Arabia’s grand plan to ‘hook’ poor countries on oil », 27 novembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/27/revealed-saudi-arabia-plan-poor-countries-oil

    [30] Le Monde, « Pour la première fois, toute l’Union européenne a enclenché la marche arrière sur l’environnement », 26 novembre 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/26/pour-la-premiere-fois-toute-l-union-europeenne-a-enclenche-la-marche-arriere-sur-l-environnement_6202428_3232.html

    [31] OPEC (2023), « OPEC Monthly Oil Market Report », et OPEC (2023), World Oil Outlook 2045 https://woo.opec.org/chapter.php?chapterNr=1766

    [32]Climate Policy Initiative (2023), « Global Landscape of Climate Finance 2023 », 2 novembre, https://www.climatepolicyinitiative.org/publication/global-landscape-of-climate-finance-2023/

    [33] Cité dans La Tribune, « COP28: tripler les capacités des énergies renouvelables d’ici à 2030, un objectif en trompe-l’œil ? », 29 novembre 2023, https://www.latribune.fr/climat/energie-environnement/cop28-l-objectif-en-trompe-l-oeil-d-un-triplement-des-capacites-des-energies-renouvelables-984431.html

    [34] Senate Democrats, « Summary of the Energy Security and Climate Change Investments in the Inflation Reduction Act of 2022 », non daté, https://www.democrats.senate.gov/imo/media/doc/summary_of_the_energy_security_and_climate_change_investments_in_the_inflation_reduction_act_of_2022.pdf Commission européenne, Net Zero Industry Act, 2023, « https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal/green-deal-industrial-plan/net-zero-industry-act_en

    [35] AIE, « Carbon Capture, Utilisation and Storage », https://www.iea.org/energy-system/carbon-capture-utilisation-and-storage

    [36] Haut Conseil pour le Climat (2023), Avis sur la stratégie de capture du carbone, son utilisation et son stockage (CCUS), novembre 2023, https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2023/11/Haut-conseil-pour-le-climat-Avis-CCS.pdf

    [37] New York Times, « Switzerland is Paying Poorer Nations to Cut Emissions on Its Behalf », 10 novembre 2022, https://www.nytimes.com/2022/11/07/climate/switzerland-emissions-ghana-peru-ukraine-georgia.html

    [38] https://africacarbonmarkets.org/

    [39] Arab News, « MENA carbon market likely to reach around 150m tons by 2030 », 11 octobre 2023 https://www.arabnews.com/node/2389511/business-economy

    [40] Business Daily, « President Ruto eyes billions in Saudi Arabia carbon credit deals », 25 octobre 2023, https://www.businessdailyafrica.com/bd/economy/-ruto-eyes-billions-in-saudi-arabia-carbon-credit-deals–4412404

    [41] The Guardian, « Revealed : more than 90% of rainforest carbon offsets by biggest certifier are worthless, analysis shows [Exclusif: une analyse montre que 90% des projets de compensation carbone de la forêt tropicale du plus gros organisme de certification ne valent rien] », 18 janvier 2023, disponible sur https://amp.theguardian.com/environment/2023/jan/18/revealed-forest-carbon-offsets-biggest-provider-worthless-verra-aoe

    [42] Ibid.

    [43] Climate Home News, « Leaks reveal how McKinsey drives African climate agenda », 27 novembre 2023, https://www.climatechangenews.com/2023/11/27/leaks-reveal-how-mckinsey-drives-african-climate-agenda/

    [44] The Guardian, « Who is the UAE sheikh behind deals to manage vast areas of African forest? », 30 novembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/30/who-is-the-uae-sheikh-behind-deals-to-manage-vast-areas-of-african-forest et Climate Home News, “Meet the Italian fugitive advising Emirati start-up Blue Carbon”, 23 novembre 2023, https://www.climatechangenews.com/2023/11/23/meet-the-italian-fugitive-advising-emirati-start-up-blue-carbon/

    [45] Voir à ce sujet Livingston J.E. et Rummukainen M. (2020) “Taking science by surprise: The knowledge politics of the IPCC Special Report on 1.5 degrees”, Environmental Science & Policy, vol. 112, octobre, pp. 10 – 16, https://doi.org/10.1016/j.envsci.2020.05.020

    [46] CNN, « Fast check: Trump’s latest false climate figure is off by more than 1,000 times », 24 avril 2023, https://edition.cnn.com/2023/04/24/politics/fact-check-trump-sea-levels-ocean-climate-change/index.html

    [47] On peut revoir des extraits de ce discours dans le documentaire diffusé sur Arte.tv, « Pétrole un lobby tout puissant », https://www.arte.tv/fr/videos/RC-024617/petrole-un-lobby-tout-puissant/ . La défiance de l’Arabie Saoudite vis-à-vis du GIEC lors de la COP 15 est également documentée par le « Earth Negociation Bulletin », IISD,  vol. 12, n°459, 22 décembre 2009, https://cetesb.sp.gov.br/proclima/wp-content/uploads/sites/36/2014/08/cop-15_ingles.pdf

    [48] The Guardian, « COP28 president says there is ‘no science’ behind demands for phase-out of fossil fuels », 3 décembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/03/back-into-caves-cop28-president-dismisses-phase-out-of-fossil-fuels

    [49] Claire Fyson et al. (2023), « When will global greenhouse gas emissions peak? », Climate Analytics, 22 novembre, https://climateanalytics.org/publications/when-will-global-greenhouse-gas-emissions-peak

    Publié le 20 décembre 2023

    L’action climatique est-elle soluble dans le pétrole ?
    Le consensus de Dubaï et ses contradictions

    Auteurs

    Thibaud Voïta

    Difficile de croire qu’il y a huit ans, en 2015 et à Paris, lors de la 21ème conférence sur le climat des Nations unies (COP 21), la communauté internationale parvenait à s’accorder sur la lutte contre le changement climatique et approuvait l’Accord de Paris. Ce consensus sur la nécessité de combattre le changement climatique et de maintenir l’augmentation des températures sous 2°C et si possible 1,5°C avait été baptisé « esprit de Paris ». Les années qui ont suivi l’ont enterré, laissant réapparaître de nombreuses divisions, que l’on pensait alors dépassées. Malgré tout, les narratifs des différents pays ont évolué alors que les effets du changement climatique se faisaient plus visibles et que la gouvernance internationale s’adaptait. Ces difficultés se reflètent dans le texte final de la COP 28, qui s’est tenue fin 2023 à Dubaï. D’un côté, le texte rappelle l’importance d’une « transition hors des énergies fossiles » afin de parvenir à l’objectif « net zéro en 2050 » en se basant sur la science. De l’autre, il reconnaît l’importance des « énergies de transition » (une allusion au gaz naturel, appartenant pourtant aux énergies fossiles), et appelle à l’accélération de solutions technologiques telles que le nucléaire ou la capture, utilisation et séquestration du CO2 (CCUS, pour carbon capture, utilisation and storage) alors qu’elles restent extrêmement coûteuses, inaccessibles pour de nombreux pays, et que leur efficacité reste sujet à discussion (voir plus bas)[1].

    Ce texte ambigu n’en est pas moins nommé par les Nations unies le « UAE consensus », soit en français le « consensus émirati ». Ce consensus et ses contradictions révèlent aussi des conceptions opposées des moyens à mettre en œuvre dans la lutte contre le changement climatique. L’heure est pourtant grave, alors que le service européen Copernicus a annoncé que 2023 serait probablement l’année la plus chaude jamais enregistrée[2]. Cette note vise donc à aller derrière ce consensus et à identifier les origines des dissensions entre les Etats, à faire une liste des tactiques employées pour continuer à utiliser des énergies fossiles tout en restant officiellement aligné avec les objectifs de l’Accord de Paris.

    Notons que nous nous focalisons sur les actions d’atténuation du changement climatique et d’utilisation des énergies fossiles et nous n’abordons pas les questions d’adaptation, de pertes et dommages ou de finances[3].

    Généalogie des divisions actuelles : l’insoluble question des responsabilités

    Le principe des « responsabilités communes, mais différenciées et des capacités respectives »

    Les divisions sur le plan climatique apparaissent très tôt dans l’histoire des négociations, et se manifestent notamment à travers le principe des « responsabilités communes, mais différenciées et des capacités respectives » (common but differentiated responsibilities and respective capabilities, CBDR). Ce principe a été inclus dans les déclarations des Nations unies sur l’Environnement de Stockholm (1972) puis de Rio (1992)[4]. D’après les CBDR, les pays développés sont les principaux responsables du changement climatique (en 1992, à l’époque où se développe cette rhétorique des CBDR, les États-Unis sont encore le premier émetteur annuel) et le maximum des efforts climatiques leur incombe. Cela implique qu’ils doivent drastiquement réduire leurs émissions, mais aussi financer la lutte contre le changement climatique dans les autres pays. Les États-Unis rejettent ce principe en 1997 avec la résolution Byrd-Hagel[5]. Le Sénat américain refuse alors à l’unanimité la ratification du Protocole de Kyoto[6].

    À l’inverse et selon les CBDR, les pays en développement ont besoin d’avoir accès à des sources d’énergie bon marché pour se développer. Ils doivent donc être autorisés à émettre des gaz à effet de serre, et doivent recevoir des soutiens financiers de la part des pays riches pour leurs transitions climatiques (les questions d’adaptation aux effets du changement climatique et de compensation des pertes et dommages s’ajouteront plus tard aux discussions). Cette idée reste d’actualité à l’aube de la COP 28, alors que l’Inde aurait demandé aux pays développés d’avoir une empreinte carbone négative afin de compenser les émissions des autres pays, nécessaires pour assurer leur développement[7].

    Les responsabilités en matière de changement climatique ainsi que le poids économique des différents pays ont évolué depuis 1992 et varient en fonction des calculs et approches adoptés. Le classement des plus gros émetteurs change si l’on considère les émissions historiques (soit l’accumulation des gaz à effet de serre depuis le XIXème siècle), même si le duo de tête reste les États-Unis et la Chine (il n’est par ailleurs pas impossible que cette dernière dépasse un jour les États-Unis)[8]. Une autre méthode de calcul, proposée en 2023, prend en compte l’histoire coloniale des pays et fait bondir les émissions de certains pays comme la France[9]. Les résultats changent encore si l’on choisit de mesurer les émissions par habitant : des pays très peuplés comme la Chine et l’Inde se positionnent loin derrière les pays développés, laissant notamment la place à d’autres émetteurs (Nouvelle-Zélande, Canada, ou encore Australie). Dès lors, déterminer quel pays a la plus grande part de responsabilité dans le changement climatique se révèle extrêmement difficile et la perception de la responsabilité de chaque pays dans le changement climatique varie d’une méthode de calcul à l’autre (sauf pour les États-Unis, qui se positionnent parmi les plus gros émetteurs, quelques soient les critères choisis – voir tableau ci-dessous)[10].

    Classements des plus gros émetteurs selon une sélection de critères[11] (2021)

    Rang Émissions cumulées (1850 – 2021) Émissions cumulées (1850 – 2021), en prenant en compte l’historique colonial Émissions cumulées par habitant
    Pays Total des émissions (MtCo2) Pays Total des émissions (MtCo2) Pays Total des émissions (tCO2)
    1 États-Unis 509,1 États-Unis 520,1 Nouvelle-Zélande 5765
    2 Chine 284,4 Chine 285,8 Canada 4772
    3 Russie 172,5 Russie 235,3 Australie 4013
    4 Brésil 112,9 Royaume-Uni 129,4 États-Unis 3820
    5 Allemagne 88,5 Brésil 112,7 Argentine 3382

    Source : Carbon Brief
    D’autres critères existent également, prenant par exemple en compte les émissions exportées.

    Sans évaluation consensuelle de la responsabilité de chacun, il est impossible de déterminer les efforts auxquels chaque État doit consentir pour réduire le plus rapidement possible les émissions.  La question de la responsabilité inclut ainsi en filigrane l’idée d’un droit à émettre pour chaque pays : autrement dit, les pays industriels sont parvenus à leur niveau actuel de développement en rejetant des millions de tonnes de CO2. Interdire aux pays en voie de développement de faire la même chose revient à les priver des opportunités de croissance. Mais les y autoriser revient aussi à se condamner à dépasser de loin les objectifs de limites des émissions de gaz à effet de serre. Le problème semble donc inextricable et certains ont pu le résumer par une opposition entre lutte contre le changement climatique et développement, créant de facto un droit moral de polluer pour accélérer la sortie de la pauvreté[12].

    Les limites de l’Accord de Paris

    Dès lors, le succès de l’Accord de Paris s’explique notamment par l’adoption d’une approche qui met de côté les responsabilités de chacun et laisse à chaque pays le soin de soumettre aux Nations unies son programme national de lutte contre le changement climatique, à travers les contributions déterminées au niveau national (CDN ou Nationally determined contributions). Ces CDN sont appelées à voir leurs objectifs renouvelés régulièrement. Le principe est simple, mais permet d’éteindre temporairement les questions de mesure de la responsabilité de chacun. Elles sont complétées par les Long-term low emissions development strategies (LT-LEDS ou stratégies à long terme de développement à faible émissions) que les États sont invités à soumettre et qui doivent esquisser une stratégie de réduction des émissions pour parvenir à un bilan national de zéro émission nette. Avant l’atteinte de cette neutralité, les pays fixent généralement une date de pic de leurs émissions, sans pour autant se fixer un seuil quantitatif à ne pas dépasser.

    Malgré ce succès, les tensions sur ce que la lutte contre le changement climatique implique au niveau national reviennent rapidement dans les négociations, avec l’idée persistante qu’abandonner les énergies fossiles fait peser des risques sur la croissance économique. Cette idée est mise en avant avec fracas par Donald Trump, quand il retire son pays de l’Accord, car celui-ci « désavantage » l’économie américaine. Les États-Unis n’auraient alors été prêts à rejoindre l’Accord qu’après de nouvelles négociations qui le rendraient « plus juste pour les États-Unis, ses travailleurs, ses habitants et ses contribuables »[13]. La démarche peut paraître d’autant plus choquante qu’elle émane du premier pollueur historique et de la première économie mondiale. En aucun cas la décision de Trump ne peut se justifier par un droit au développement. Au contraire, elle est motivée par une volonté de maintenir la position hégémonique de l’économie américaine, peu importe les coûts engendrés pour le reste de la planète. Reste que Washington finit par réintégrer l’Accord de Paris après le retour des démocrates à la Maison Blanche (mais on peut s’attendre à ce que Donald Trump le quitte à nouveau s’il est élu en 2024).

    Le retrait provisoire des États-Unis met définitivement fin à ce fragile « esprit de Paris ». Les divergences réapparaissent et se cristallisent notamment autour de la question de l’avenir des énergies fossiles. La COP 26, tenue fin 2021 à Glasgow, en est le théâtre. Une déclaration, que plusieurs négociateurs considèrent comme finale, parle d’une « suppression progressive » (phase-out) des centrales à charbon. Au dernier moment, la Chine et l’Inde s’opposent cependant au texte et obtiennent que la déclaration mentionne « une accélération des efforts vers une diminution progressive de l’électricité au charbon non compensée et des subventions inefficaces aux énergies fossiles » (« accelerating efforts towards the phaseout of unabated coal power and inefficient fossil fuel subsidies »). Le président de la COP 26, Alok Sharma, au bord des larmes, doit se résigner à accepter le compromis[14].

    Cette question de « phase-out » (suppression/sortie progressive) et « phase-down » (réduction progressive) revient dans les discussions du G20 en 2023[15], puis dans les négociations de la COP 28. D’un côté, certains pays, dont l’Union européenne, appellent à une suppression progressive des énergies fossiles. De l’autre, les États-Unis, la Chine, l’Inde ou encore les pays du Golfe (y compris l’hôte de la COP 28, les Emirats) s’y opposent, jugeant irréaliste cet objectif. Une autre pierre d’achoppement concerne l’utilisation ou non du terme unabated (que l’on peut traduire par « non compensé »). « La suppression progressive des énergies fossiles non compensées » (phase-out of unabated fossil fuels) impliquant l’utilisation du CCUS pour compenser certaines émissions. Comme indiqué plus haut, le texte final a tranché, appelant à une « transition en dehors des énergies fossiles » (transitioning away from fossil fuels), laissant la possibilité d’utiliser le CCUS et même le gaz naturel[16].  Au-delà de ces discussions, on peut légitimement s’interroger sur l’impact du texte final des COP sur la consommation des énergies fossiles : la consommation mondiale de charbon n’a cessé d’augmenter depuis la COP 26 de Glasgow qui, comme indiqué plus haut, invite les pays à réduire leur utilisation des centrales thermiques[17].

    Ambition climatique et addiction aux énergies fossiles 

    Cette opposition entre phase-out et phase-down sépare deux camps. D’un côté, on compte un groupe de plus de 100 pays qui rassemble l’Union européenne (UE), des États africains et la plupart des petits États insulaires en développement (via le groupe AOSIS – Alliance of Small Island States, dont l’existence même est menacée par la montée des eaux due au changement climatique). Ceux-ci ont soumis aux Nations unies des objectifs relativement ambitieux. L’UE prévoit ainsi de parvenir à un pic de ses émissions en 2030, puis à la neutralité carbone en 2050. En outre, les politiques de l’UE combinent un travail sur l’offre (accélération du déploiement des renouvelables) et la demande (améliorations de la performance énergétique des différents secteurs de l’économie). Elle prévoit un usage modéré de la séquestration du CO2 et refuse d’utiliser les marchés du carbone internationaux définis par l’Article 6 de l’Accord de Paris pour compenser leurs émissions. Ces mesures n’empêchent cependant pas les ambitions européennes d’être jugées insuffisantes par le site de référence Climate Action Tracker[18].

    De l’autre côté, la plupart des gros émetteurs, parmi lesquels les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis ont adopté des positions plus ambigües.

    Certes, ils se sont fixés des objectifs de neutralité carbone et ont mis en place des politiques parfois ambitieuses de réduction de leurs émissions. Les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act (IRA) en 2022. La Chine occupe une position de leadership incontesté en matière de production de batteries, de véhicules électriques et de panneaux solaires[19]. Elle devrait atteindre son objectif de 1200 GW de puissance installée en matière d’énergies renouvelables en 2025, soit cinq ans avant ses prévisions[20]. Les Émirats Arabes Unis ont revu les ambitions de leur CDN à la hausse en juillet 2023 et, constatant que leur action climatique est considérée comme insuffisante par l’outil de référence Climate Action Tracker, envisagent encore de les rehausser en 2024[21]. En outre, ils rivalisent avec leur voisin saoudien pour devenir le leader de la région en matière d’action climatique, notamment via le développement de l’hydrogène[22].

    Pourtant, en parallèle de ces efforts, ces pays continuent à développer leurs capacités en matière d’énergies fossiles. Les États-Unis, malgré l’IRA, n’ont jamais extrait autant de pétrole et de gaz naturel qu’en 2023, avec près de 13 millions de barils de pétrole prévus pour l’année[23]. La Chine ne cesse d’augmenter ses capacités en matière de charbon : en 2022, année pendant laquelle le pays était encore en partie paralysé par les mesures anti-Covid, elle a commencé la construction de l’équivalent de 50 GW de centrales thermiques et prévoit la construction d’infrastructures lui permettant d’extraire 300 millions de tonnes métrique de charbon par an à utiliser comme back up (la nouvelle est tombée pendant la COP)[24]. Pendant la première moitié de 2023, elle a approuvé l’addition de 50,4 GW supplémentaires[25]. Les Émirats Arabes Unis ont beau être les hôtes de la COP 28, ils continuent à accélérer leurs activités pétrolières. Sultan Al Jabeer, président de la COP, dirige également la compagnie nationale pétrolière (ADNOC), et la BBC a récemment révélé qu’il avait prévu d’utiliser la COP 28 pour signer de nouveaux contrats d’expansion de sa société (les Émirats ont apporté un démenti, affirmant que les documents produits par la BBC sont des faux)[26]. D’autres scandales concernant les liens entre ADNOC et l’équipe de la COP ont également éclaté avant la COP 28.[27] Les Émirats devraient en outre extraire près de 40 milliards de barils de pétrole et de gaz durant les 70 prochaines années[28]. L’Arabie Saoudite aurait mis en place le Oil Demand Sustainability Programme (ODSP, soit programme de soutien de la demande en pétrole) dont l’objectif est d’accélérer la dépendance des pays africains à ses énergies fossiles[29].

    Même l’Europe, traditionnellement citée en modèle, semble être entrée dans une phase de recul en matière de réglementations environnementales[30]. Si celles-ci ne concernent pas le secteur des énergies propres pour l’instant, les avancées des partis d’extrême droite sur le continent pourraient avoir des conséquences sur le déploiement des renouvelables dans les années à venir. Enfin, dans un rapport paru le jour de la clôture de la COP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a annoncé par ailleurs une croissance « saine » de 2,2 millions de barils de pétrole par jour en 2024. Elle prévoit en outre une augmentation de la demande de 16,5 % jusqu’en 2045 par rapport à 2022 et des investissements de 610 milliards de dollars par an dans le secteur[31]. À titre de comparaison, la finance climat a représenté un peu moins de 1300 milliards de dollars en 2021-2022[32].

    Quatre tactiques et excuses fallacieuses pour continuer à consommer des énergies fossiles

    Comment concilier la lutte contre le changement climatique et le recours ininterrompu aux énergies fossiles décrit ci-dessus ? Il semblerait que pour ces pays, la combinaison de ces actions a priori contradictoires passe principalement par la mise en avant de quatre solutions.

    En premier lieu, la planification climatique fixe des objectifs à moyen et long terme : cinq ans à l’origine pour les CDN, un horizon entre 2030 et 2040 pour le pic des émissions (quand celui-ci est annoncé) et un autre entre 2050 et 2070 pour la neutralité carbone ou climatique. Dans les démocraties, ces horizons paraissent lointains et signifient souvent que les gouvernements prenant ces engagements ne seront plus au pouvoir quand ceux-ci devront être honorés. En outre, la plupart des engagements n’incluent pas de seuils d’émissions à ne pas dépasser avant le pic ou la neutralité : cela crée une forte incitation pour les acteurs du secteur des énergies fossiles, compagnies pétrolières et pays de l’OPEP en premiers, à accélérer leur production quand ils le peuvent encore. Cette augmentation n’est pas considérée comme contradictoire avec les investissements dans les énergies solaires, comme Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies le résume : « Quand nous aurons assez d’énergies décarbonées, nous pourrons baisser les énergies fossiles »[33]. Le seuil des énergies décarbonées n’est naturellement pas précisé, ni la manière dont les infrastructures en train d’être bâties seront démontées.

    Ensuite, d’importants espoirs sont placés dans les technologies permettant de capter le CO2 (CCUS). Le CCUS a ainsi été inclus dans les technologies considérées comme prioritaires par l’IRA américain et le Net Zero Industry Act européen[34]. Ces espoirs semblent souvent disproportionnés par rapport à ce que cette technologie a à offrir aujourd’hui. L’Agence internationale de l’énergie reconnaît que les résultats des projets développés jusqu’à présent restent décevants et que, si plus de 500 projets sont pour l’instant en phase de développement, le potentiel du CCUS reste bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour parvenir à une économie neutre en carbone[35]. Le Haut Conseil pour le Climat a également émis un avis sur cette technologie, dans lequel il souligne sa forte demande en énergie, en eau et en intrants chimiques, ainsi que la modestie des installations actuellement opérationnelles en comparaison avec les projections des scénarios de décarbonation[36].

    Le développement des marchés du carbone peut également sembler être pour les pays les plus riches une opportunité de continuer à émettre des gaz à effet de serre. De fait, les négociations des COP portant sur l’article 6 de l’Accord de Paris relatif aux marchés du carbone ont avancé ces dernières années, permettant désormais aux pays émetteurs de compenser une partie de leurs émissions en achetant des crédits à d’autres pays. La Suisse fait figure de pionnière sur ce sujet, ayant signé des accords avec le Pérou et le Ghana, puis avec le Sénégal, la Géorgie, les îles Vanuatu, Dominique, la Thaïlande et l’Ukraine[37].  En parallèle, les marchés volontaires ne cessent de se développer. L’Afrique apparaît à ce sujet comme un nouvel eldorado. Certaines initiatives, comme l’Africa Carbon Market Initiative (ACMI) créée fin 2022, poussent agressivement le développement de crédits sur le continent[38]. L’Arabie Saoudite ambitionne de créer une plateforme d’échange sur les marchés du carbone en 2024 et a d’ores et déjà mis en place la société qui doit la gérer (la Regional Voluntary Carbon Market Company)[39]. L’objectif est d’atteindre un volume d’échanges de 100 à 150 millions de tonnes d’ici 2030. Riyad prévoirait également d’acheter des volumes importants de crédits au Kenya[40].

    Les marchés du carbone ont notamment pour vocation de promouvoir des projets accélérant le développement bas-carbone des pays du Sud. Malheureusement, ce développement se fait de manière peu encadrée et de nombreux manquements sont régulièrement révélés. Le plus célèbre concerne la plus grosse société de certification du monde Verra et a été dénoncé par une enquête du Guardian, de Die Zeit et de l’ONG SourceMaterial[41]. 94 % de projets de compensation forestière (consistant principalement à planter des arbres, en misant sur leur rôle de puits de carbone) ne permettent pas de réduction effective d’émissions. La menace de déforestation à laquelle ces projets répondent aurait été exagérée à hauteur de 400 %. Des évictions et atteintes aux droits humains au nom de ces projets ont également été citées[42].

    En outre, l’absence de transparence des marchés du carbone semble inciter la participation d’acteurs dont les objectifs restent peu clairs. Citons par exemple les activités de la compagnie de conseil McKinsey, révélées par le média Climate Home News, et qui exercerait une influence sur le développement des marchés du carbone en Afrique. McKinsey aurait joué un rôle clé dans l’organisation du Sommet africain sur le climat tenu à Nairobi en septembre 2023 et proposant ses conseils aux gouvernements de la région. McKinsey utiliserait aussi ses liens auprès de Sustainable Energy for All pour influencer l’Africa Carbon Market Initiative (ACMI). D’après Climate Home News, il s’agit non pas de soutenir les pays africains, mais bien de « contrôler » les activités liées aux marchés du carbone sans transparence ni comptes à rendre[43]. Autre exemple, la société émiratie Blue Carbon en charge de la gestion de superficies forestières de la taille du Royaume-Uni est dirigée par des personnalités impliquées dans plusieurs scandales. Le Sheikh Ahmed Dalmook al-Maktoum, son président, a piloté la vente de vaccins contre le Covid-19 Spoutnik a plusieurs pays qui a dû être annulée, faute de livraisons. Il est conseillé par Samuele Landi, un fugitif italien condamné pour une banqueroute frauduleuse et également officiellement consul général du Liberia aux Émirats[44]. Autant d’éléments qui renforcent les doutes sur la capacité des marchés du carbone à remplir leurs promesses.

    Notons qu’il existe également une quatrième tactique, heureusement moins utilisée, qui consiste à remettre en cause les prévisions du GIEC et de fait à minimiser l’impact des activités humaines sur le changement climatique[45]. Donald Trump est l’un des plus fervents adeptes de ce type de remise en cause de la réalité scientifique[46]. Pensons également au célèbre discours de l’Arabie Saoudite lors de l’ouverture de la COP 15 en 2009, remettant en cause les conclusions du GIEC en raison des emails révélés lors d’une fuite[47]. Enfin, le président même de la COP 28, Sultan Al Jabeer a également tenu en novembre des propos remettant en cause la réalité scientifique la contribution des énergies fossiles au changement climatique (il s’est rétracté par la suite)[48].

    Conclusion : les renouvelables et la baisse de la demande nous sauveront-elles ?

    Les COP, et plus précisément la COP28, font éclater aux yeux du monde les divisions des États et viennent souligner les incohérences de leurs politiques de lutte contre le changement climatique. Probablement faut-il voir dans ces incohérences la manifestation du sentier de la dépendance : des économies comme celles des pays du Golfe ont crû grâce aux énergies fossiles, qui font désormais partie des cultures nationales tant le modèle économique de ces pétro-monarchies bien nommées repose sur elles. Sortir des hydrocarbures semble d’autant moins concevable. La plupart des pays préfèrent s’engager dans des tactiques de contournement qui permettent de continuer l’extraction de l’or noir : objectifs de neutralité sans plafond quantitatif des émissions et mécanismes de compensation (CCUS et marchés du carbone).

    Est-ce à dire que les pires trajectoires de réchauffement vont se réaliser ? Des éléments permettent d’espérer que non : la croissance des énergies renouvelables se révèle beaucoup plus rapide que prévue et le texte final de la COP 28 comprend un appel au triplement des énergies renouvelables et de doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030. Sans action politique ferme ciblant les hydrocarbures, l’augmentation de l’offre d’énergies décarbonées et la baisse de la demande semblent être les seuls leviers permettant de décarboner nos systèmes énergétiques.  La veille de la COP 28, l’influent et respecté think tank Climate Analytics a publié une étude affirmant qu’un pic des émissions en 2023 n’était pas à exclure[49]. Cela semble peu probable, mais un pic prochain nous rapprocherait de la neutralité climatique, qui pourrait éventuellement être atteint avec des efforts sur la demande et un moratoire sur les énergies fossiles.

    [1] Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement (2023) First Global Stocktake, CCNUCC, 12 décembre, p. 5, https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cma2023_L17_adv.pdf De très nombreuses analyses du texte ont été produites immédiatement après sa parution. On pourra par exemple se référer à celle-ci: Axios, « COP28: The sentence that will “hang over very discussion” on fossil fuels », 14 décembre 2023, https://www.axios.com/2023/12/14/cop28-climate-deal-whats-next?stream=top

    [2] Copernicus, « Obersver: Copernicus data for climate-informed decisions », 7 décembre 2023, https://www.copernicus.eu/en/news/news/observer-copernicus-data-climate-informed-decisions

    [3] Au sujet de la finance, et plus particulièrement de l’engagement climatique des acteurs privés, on pourra se référer entre autres à l’étude publiée par l’Institut Rousseau avant la COP. Dicale L. (2023), « Quelques réflexions sur les transitions climatiques et environnementales des entreprises et des banques, étroitement liées et imbriquées », Institut Rousseau, 2 novembre https://institut-rousseau.fr/quelques-reflexions-sur-les-transitions-climatiques-et-environnementales-des-entreprises-et-des-banques-etroitement-liees-et-imbriquees/  Ford G., Symon J. et al. (2022), « A safer transition for fossil banking », Finance Watch, 3 octobre https://www.finance-watch.org/publication/a-safer-transition-for-fossil-banking/

    [4] Hey E., Paulini S. (2021) « Common but Differentiated Responsibilities », Max Planck Institute for Comparative Public Law and International Law, https://opil.ouplaw.com/display/10.1093/law:epil/9780199231690/law-9780199231690-e1568

    [5] Byrd-Hagel Resolution, 105ème Congrès, 1ère session, S. RES. 98, 25 juillet 1997, https://web.archive.org/web/20160809040037/https://www.nationalcenter.org/KyotoSenate.html

    [6] Barthélemy, P. « Le principe de responsabilité dans les négociations climatiques : impasse ou nouveau départ ? », IDDRI, blog, 10 décembre 2015, https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/le-principe-de-responsabilite-dans-les-negociations et « Common but differentiated responsibilites », Britannica, non daté.

    [7] Reuters, « India to push developed nations to become ‘carbon negative’ before 2050, sources say », 14 octobre 2023, https://www.reuters.com/sustainability/india-push-developed-nations-become-carbon-negative-before-2050-sources-2023-10-13/

    [8] The Washington Post, « The United States has caused the most global warming. When will China pass it? », 01 mars 2023, https://www.washingtonpost.com/climate-environment/interactive/2023/global-warming-carbon-emissions-china-us/

    [9] Carbon Brief, « Revealed: How colonial rule radically shifts historical responsibility for climate change », 26 novembre 2023, https://www.carbonbrief.org/revealed-how-colonial-rule-radically-shifts-historical-responsibility-for-climate-change/

    [10] La question a été analysée en détail dans Carbon Brief, « Analysis : Which countries are historically responsible for climate change », 5 octobre 2021

    [11] Emissions cumulées de CO2 en provenance des énergies fossiles, de l’utilisation des terres et de la forêt.

    [12] Voir entre autres les narratifs développés par le groupe des Like Minded Developing Countries. Lau Øfjord Blaxekjær, Bård Lahn, et al. (2020), « The narrative position of the Like-Minded Developing Countries in global climate negotiations », dans Coalitions in the Climate Change Negotiations, Routledge, 23 pp.  

    [13] The Hill, « Trump : we are getting out of Paris climate deal », 1er juin 2017, https://thehill.com/policy/energy-environment/335955-trump-pulls-us-out-of-paris-climate-deal/

    [14] The Guardian, « Ratchets, phase-downs and a fragile agreement: how Cop26 played out », 15 novembre 2021, https://www.theguardian.com/environment/2021/nov/15/ratchets-phase-downs-and-a-fragile-agreement-how-cop26-played-out

    [15] Le Monde, « Les pays du G20 échouent à s’accorder sur un calendrier de réduction des énergies fossiles », 22 juillet 2023, https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/22/les-pays-du-g20-echouent-a-s-accorder-sur-un-calendrier-de-reduction-des-energies-fossiles_6183029_3210.html

    [16] CCNUCC, Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement (2023) First Global Stocktake, op. cit.

    [17] Agence internationale de l’énergie, « Global coal demand set to remain at record levels in 2023 », 27 juillet 2023, https://www.iea.org/news/global-coal-demand-set-to-remain-at-record-levels-in-2023

    [18] https://climateactiontracker.org/countries/eu/

    [19]  China Dialogue, « The ‘new three’: How China came to lead solar cell, lithium battery and EV manufacturing », 7 novembre 2023, https://chinadialogue.net/en/business/new-three-china-solar-cell-lithium-battery-ev/?mc_cid=6293f3048a&mc_eid=381f953a21

    [20] Reuters, « Explainer : The numbers behind China’s renewable energy boom », 15 novembre 2023, https://www.reuters.com/sustainability/climate-energy/numbers-behind-chinas-renewable-energy-boom-2023-11-15/

    [21] Reuters, « COP 28 host UAE may update climate plans next yar after ‘insufficient’ ranking », 13 novembre 2023, https://www.reuters.com/world/middle-east/cop28-host-uae-may-update-climate-plans-next-year-after-insufficient-ranking-2023-11-16/

    [22] Gulf International Forum, « The Race to Net Zero: Saudi Arabia and the UAE Compete over Climate Action », 28 avril 2023, https://gulfif.org/the-race-to-net-zero-saudi-arabia-and-the-uae-compete-over-climate-action/

    [23] The Guardian, « US oil and gas production set to break record in 2023 despite UN climate goals », 27 novembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/27/us-oil-gas-record-fossil-fuels-cop28-united-nations

    [24] Caixin, « China Plans 3-Million-Ton of Backup Coal Production Capacity by 2030 », 8 décembre 2023, https://www.caixinglobal.com/2023-12-08/china-plans-3-million-ton-of-backup-coal-production-capacity-by-2030-102143849.html

    [25] The Guardian, « China’s coal addiction puts spotlight on its climate ambitions before Cop28 », 27 novembre 2023, https://www.theguardian.com/world/2023/nov/27/china-coal-addiction-spotlight-climate-ambitions-cop28

    [26] BBC, « COP28 : UAE planned to use climate talks to make oil deals », 27 novembre 2023, https://www.bbc.com/news/science-environment-67508331

    [27] Par exemple The Guardian, « ‘Absolute scandal’: UAE state oil firm able to read COP28 climate summit emails », 7 juin 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/jun/07/uae-oil-firm-cop28-climate-summit-emails-sultan-al-jaber-adnoc

    [28] Energy Monitor, « Exclusive: COP28 host UAE to extract nearly 40 billion barrels of oil and gas over 70 years », 13 novembre 2023, https://www.energymonitor.ai/sectors/industry/exclusive-cop28-host-uae-to-extract-nearly-40-billion-barrels-of-oil-and-gas-over-70-years/

    [29] The Guardian, « Revealed: Saudi Arabia’s grand plan to ‘hook’ poor countries on oil », 27 novembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/27/revealed-saudi-arabia-plan-poor-countries-oil

    [30] Le Monde, « Pour la première fois, toute l’Union européenne a enclenché la marche arrière sur l’environnement », 26 novembre 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/26/pour-la-premiere-fois-toute-l-union-europeenne-a-enclenche-la-marche-arriere-sur-l-environnement_6202428_3232.html

    [31] OPEC (2023), « OPEC Monthly Oil Market Report », et OPEC (2023), World Oil Outlook 2045 https://woo.opec.org/chapter.php?chapterNr=1766

    [32]Climate Policy Initiative (2023), « Global Landscape of Climate Finance 2023 », 2 novembre, https://www.climatepolicyinitiative.org/publication/global-landscape-of-climate-finance-2023/

    [33] Cité dans La Tribune, « COP28: tripler les capacités des énergies renouvelables d’ici à 2030, un objectif en trompe-l’œil ? », 29 novembre 2023, https://www.latribune.fr/climat/energie-environnement/cop28-l-objectif-en-trompe-l-oeil-d-un-triplement-des-capacites-des-energies-renouvelables-984431.html

    [34] Senate Democrats, « Summary of the Energy Security and Climate Change Investments in the Inflation Reduction Act of 2022 », non daté, https://www.democrats.senate.gov/imo/media/doc/summary_of_the_energy_security_and_climate_change_investments_in_the_inflation_reduction_act_of_2022.pdf Commission européenne, Net Zero Industry Act, 2023, « https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal/green-deal-industrial-plan/net-zero-industry-act_en

    [35] AIE, « Carbon Capture, Utilisation and Storage », https://www.iea.org/energy-system/carbon-capture-utilisation-and-storage

    [36] Haut Conseil pour le Climat (2023), Avis sur la stratégie de capture du carbone, son utilisation et son stockage (CCUS), novembre 2023, https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2023/11/Haut-conseil-pour-le-climat-Avis-CCS.pdf

    [37] New York Times, « Switzerland is Paying Poorer Nations to Cut Emissions on Its Behalf », 10 novembre 2022, https://www.nytimes.com/2022/11/07/climate/switzerland-emissions-ghana-peru-ukraine-georgia.html

    [38] https://africacarbonmarkets.org/

    [39] Arab News, « MENA carbon market likely to reach around 150m tons by 2030 », 11 octobre 2023 https://www.arabnews.com/node/2389511/business-economy

    [40] Business Daily, « President Ruto eyes billions in Saudi Arabia carbon credit deals », 25 octobre 2023, https://www.businessdailyafrica.com/bd/economy/-ruto-eyes-billions-in-saudi-arabia-carbon-credit-deals–4412404

    [41] The Guardian, « Revealed : more than 90% of rainforest carbon offsets by biggest certifier are worthless, analysis shows [Exclusif: une analyse montre que 90% des projets de compensation carbone de la forêt tropicale du plus gros organisme de certification ne valent rien] », 18 janvier 2023, disponible sur https://amp.theguardian.com/environment/2023/jan/18/revealed-forest-carbon-offsets-biggest-provider-worthless-verra-aoe

    [42] Ibid.

    [43] Climate Home News, « Leaks reveal how McKinsey drives African climate agenda », 27 novembre 2023, https://www.climatechangenews.com/2023/11/27/leaks-reveal-how-mckinsey-drives-african-climate-agenda/

    [44] The Guardian, « Who is the UAE sheikh behind deals to manage vast areas of African forest? », 30 novembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/30/who-is-the-uae-sheikh-behind-deals-to-manage-vast-areas-of-african-forest et Climate Home News, “Meet the Italian fugitive advising Emirati start-up Blue Carbon”, 23 novembre 2023, https://www.climatechangenews.com/2023/11/23/meet-the-italian-fugitive-advising-emirati-start-up-blue-carbon/

    [45] Voir à ce sujet Livingston J.E. et Rummukainen M. (2020) “Taking science by surprise: The knowledge politics of the IPCC Special Report on 1.5 degrees”, Environmental Science & Policy, vol. 112, octobre, pp. 10 – 16, https://doi.org/10.1016/j.envsci.2020.05.020

    [46] CNN, « Fast check: Trump’s latest false climate figure is off by more than 1,000 times », 24 avril 2023, https://edition.cnn.com/2023/04/24/politics/fact-check-trump-sea-levels-ocean-climate-change/index.html

    [47] On peut revoir des extraits de ce discours dans le documentaire diffusé sur Arte.tv, « Pétrole un lobby tout puissant », https://www.arte.tv/fr/videos/RC-024617/petrole-un-lobby-tout-puissant/ . La défiance de l’Arabie Saoudite vis-à-vis du GIEC lors de la COP 15 est également documentée par le « Earth Negociation Bulletin », IISD,  vol. 12, n°459, 22 décembre 2009, https://cetesb.sp.gov.br/proclima/wp-content/uploads/sites/36/2014/08/cop-15_ingles.pdf

    [48] The Guardian, « COP28 president says there is ‘no science’ behind demands for phase-out of fossil fuels », 3 décembre 2023, https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/03/back-into-caves-cop28-president-dismisses-phase-out-of-fossil-fuels

    [49] Claire Fyson et al. (2023), « When will global greenhouse gas emissions peak? », Climate Analytics, 22 novembre, https://climateanalytics.org/publications/when-will-global-greenhouse-gas-emissions-peak

      Partager

      EmailFacebookTwitterLinkedInTelegram

      Télécharger en pdf

      Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

      Télécharger en pdf

      Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

      Télécharger en pdf

      Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

      Télécharger en pdf

      Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux