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La réforme des retraites, du clash au crash démocratique : le rendez-vous manqué du Conseil constitutionnel

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La réforme des retraites, du clash au crash démocratique : le rendez-vous manqué du Conseil constitutionnel

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Sommaire

    La réforme des retraites, du clash au crash démocratique : le rendez-vous manqué du Conseil constitutionnel

    Crise démocratique, n’ayons pas peur des mots ! En sus d’une crise sociale et écologique, pourrait bien résulter une crise de régime politique.

    Ancrée depuis plusieurs décennies, la crise de la représentation fut portée sur le devant de la scène publique par le mouvement des gilets jaune. À l’ère du netizen – citoyen hyperconnecté – la légitimité démocratique se voudrait davantage procédurale : « la décision légitime […] résulte de la délibération de tous »[1]. Face à ces revendications, le chef de l’État n’a eu de cesse de rappeler sa prétendue détermination à relégitimer démocratiquement le processus de décision via de nouvelles méthodes délibératives englobantes : Grand débat, conventions, CNR… En vain.

    Pour preuve, dans ce contexte de crise de la « généralisation de la volonté »[2], le pouvoir exécutif a choisi de porter une réforme des retraites clivante dont la principale mesure, le report de l’âge légal de départ à 64 ans, est contestée par l’ensemble des syndicats et très massivement rejetée par les Français. Pour mener à bien sa réforme, le Gouvernement a utilisé l’arsenal du parlementarisme hyper-rationalisé que fournit la Constitution de la Vème République heurtant, davantage encore, le peu de confiance de ses « gouvernés » envers leurs institutions.

    Prenons les choses à rebours.

    À l’Assemblée, l’examen du texte s’est achevé par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Incapable de dégager une majorité solide pour adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a utilisé – et ce, pour la onzième fois depuis le début de la législature – cette arme atomique prévue par la Constitution permettant de faire adopter un texte sans vote, en mettant en jeu la responsabilité du gouvernement. Faute d’atteinte du nombre de votes requis en faveur de la motion de censure transpartisane LIOT présentée, la réforme des retraites se trouve entérinée mais il s’en est fallu de peu : 9 voix ont manqué pour renverser le gouvernement Borne ! L’Assemblée nationale ne se sera donc en réalité jamais prononcée directement sur ce texte fondamental, les travaux ayant été interrompus sans passage au vote en première lecture…

    Si le Gouvernement fait valoir qu’un vote a bien eu lieu au Sénat[3] – ce qui ne compense pas d’ailleurs l’absence de vote au sein de la chambre légitimement élue sur un sujet d’une telle importance – il faut dire que celui-ci fut obtenu au prix du recours à l’utilisation du fameux « vote bloqué » de l’article 44 alinéa 3 de la Constitution. Concrètement, ce mécanisme permet au Gouvernement de demander un vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. La violence du processus[4] est telle que le gouvernement a utilisé cette procédure sur l’ensemble du texte : les parlementaires peuvent débattre et s’exprimer, sans qu’il leur soit toutefois permis de passer au vote, article par article, selon leurs amendements. En somme, le dictat du tout ou rien, le choix binaire du à prendre ou laisser. Alors que l’essence de la discussion parlementaire requiert que chaque amendement, chaque article soit examiné puis voté, le 44-3 empêche cette fécondité délibérative pour obliger à un vote unique, pour ou contre, l’ensemble du texte.

    Foncièrement, le choix du véhicule législatif utilisé pourrait bien vicier l’ensemble du processus législatif. En choisissant d’insérer cette réforme des retraites dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) régi par l’article 47-1 plutôt que dans un projet de loi ordinaire, le Gouvernement a certainement joué avec le texte constitutionnel, obligeant le Parlement à se prononcer sur ce texte capital sous 50 jours.

    L’on notera, tout d’abord, qu’aucune des grandes réformes des retraites de ces 20 dernières années ne fut soumise à la procédure de l’art 47-1, même si le Sénat tentait déjà d’incorporer des amendements relatifs à cet objet dans les PLFSS précédents. Le problème se pose avec une acuité grandissante s’agissant d’un PLFRSS, consistant, en principe, à rectifier, les budgets adoptés en cours d’exercice. En l’espèce, les dispositions litigieuses du PLFRSS relèvent, par opposition au domaine exclusif, du domaine partagé des lois de financement : le premier regroupe les dispositions pour lesquelles les LFSS disposent d’un monopole (par exemple l’affectation totale ou partielle d’une recette exclusive du champ « LFSS » à une autre personne morale), le second les dispositions qui peuvent indifféremment figurer en loi ordinaire ou en LFSS[5]. Or, on constate depuis de nombreuses années, une extension problématique de ce domaine partagé, en PLF et en PLFSS, permettant au Gouvernement de faire ainsi bénéficier à des mesures plutôt clivantes (on pense au gel des minimas sociaux en 2017) une telle procédure de contournement. En effet, les procédures d’examen des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale fixées aux articles 47 et 47-1 et par extension rectificatifs comme en l’espèce, se caractérisent par leur caractère dérogatoire quant à la procédure parlementaire suivie (texte du Gouvernement examiné en séance, une seule lecture, délais stricts d’examen…), se justifiant par l’urgence. Cette méthode du recours à un PLF ou PLFSS et surtout à un PLFR ou à un PLFRSS pour faire passer des mesures sociales si capitales ne doit pas être ignoré. Le danger est grand de créer un précédent dans lequel les futurs gouvernements pourront s’engouffrer : toute réforme ayant un impact social réel, sous couvert d’impact budgétaire – et rares sont celles qui n’en ont pas – pourrait à terme être portée par un PLF ou un PLFSS et par extension un PLFR ou un PLFRSS et bénéficier d’une procédure parlementaire dérogatoire. Il faut également rappeler que l’article 49-3, restreint dans son utilisation à celui d’un par session, n’est pas comptabilisé quand il en est fait usage sur des PLF ou PLFSS et par extension rectificatifs.

    Que reste-t-il dès lors pour empêcher l’entrée en vigueur de la réforme des retraites ? Qu’il s’agisse d’acter l’illégalité de la réforme ou de permettre l’organisation d’un référendum d’initiative partagée tendant à interdire la fixation de l’âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans, l’aval des sages de la rue de Montpensier s’avère nécessaire.

    Le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer sur la constitutionnalité même de ce PLFRSS. On le voit, la juxtaposition inédite des outils du parlementarisme rationalisé[6] sur cette réforme pose plus largement la question de la clarté et de la sincérité des débats parlementaires menés sur le PLFRSS, contrevenant à l’esprit même du texte constitutionnel. L’exécutif a délibérément choisi de couper court à la délibération, et ce, dans tous ses aspects. Or, domestiquer le Parlement ne doit pas conduire à le museler tout au long du processus délibératif : en amont, pendant et en aval.

    S’agissant du véhicule législatif utilisé, le Gouvernement a pu mettre en avant la décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986 dans laquelle le Conseil constitutionnel a validé l’éligibilité des PLFR aux délais contraints fixés à l’article 47, et par ricochet pourrait-on dire, celle des PLFRSS à ceux de l’article 47-1. Néanmoins, le Conseil constitutionnel insiste sur le fait que ces délais « ont pour objet […] d’assurer la continuité de la vie nationale ». Certes, la modification du budget de l’année en cours est considérée comme urgente, mais le cas de la réforme des retraites ne semble pas entrer dans cette catégorie : se pose alors la question de l’atteinte à la clarté et à la sincérité du débat parlementaire, susceptible d’entraîner le rejet de l’ensemble du PLFRSS en raison du détournement de l’usage de la procédure du 47-1. L’absence de clarté dans l’information transmise par le gouvernement aux parlementaires pourrait également constituer un motif de censure[7]. Par ailleurs, au Sénat, les rapporteurs ont engagé en pleine séance nocturne une réécriture presque intégrale de l’article 7, le plus polémique, dont l’objectif principal était d’entraîner la chute des 1 300 amendements de l’opposition, le tout, conjugué avec une confusion autour de l’irrecevabilité déclarée d’office sur les sous-amendements proposés par les groupes, nuisant de nouveau à la clarté et la sincérité des débats. Dans une moindre mesure, des cavaliers insérés n’ayant pas leur place dans le champ des finances pourraient largement justifier une annulation partielle par le Conseil constitutionnel.

    La décision rendue ce jour, 14 avril, était relativement attendue. L’existence de cavaliers laissait peu de suspense quant à la censure partielle du PLFRSS, contrairement à la question du véhicule législatif utilisé et plus largement de la procédure dans son entièreté. Le problème étant que la mesure phare du report de l’âge légal à 64 ans est entérinée, principal sujet de divergences. Le Conseil constitutionnel a ainsi balayé les arguments visant la censure totale du PLFRSS alors même que le véhicule législatif d’urgence utilisé sur une réforme sociale d’une telle ampleur aurait pu constituer une  justification suffisante : « Il ne ressort ni des termes des dispositions constitutionnelles et organiques précitées, ni au demeurant des travaux préparatoires des dispositions organiques en vigueur, que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait subordonné à d’autres conditions que celles résultant de ces dispositions, et notamment à des conditions qui tiendraient à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux »[8]. Le Conseil constitutionnel aurait pu, à tout le moins, opérer un rappel à l’ordre, afin ne pas inciter l’exécutif à réutiliser ce véhicule législatif de l’article 47-1 pour de telles réformes. Au contraire, il affirmera que : « si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur »[9]. De façon plus audacieuse, il aurait également pu censurer le PLFRSS au regard du déroulé de l’ensemble de la procédure législative. Les détracteurs de la censure totale rappellent toutefois que le rôle du Conseil constitutionnel ne consiste pas en une résolution des crises. Si le juge constitutionnel n’est, en effet, pas celui de l’opportunité politique mais du droit, l’instrumentalisation des moyens de rationalisation juxtaposés à chaque moment de la procédure parlementaire, de façon inédite, impliquait qu’il se prononce. Il y va de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire dont l’aspect délibératif a été biaisé à chaque étape de la procédure législative. De deux choses l’une : soit le Conseil constitutionnel appréciait, de façon inédite, l’instrumentalisation politique des instruments juridiques mis à disposition de l’exécutif dans un souci de respect de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire ; soit il se cantonnait à un contrôle juridique littéral, aboutissant à un déni de l’esprit du texte constitutionnel lui-même. Le Conseil constitutionnel a privilégié cette dernière option considérant que la juxtaposition « inhabituelle »[10] de plusieurs procédures « n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi »[11]. En n’accueillant pas la censure totale sur ces considérations, le Conseil constitutionnel a voulu s’assurer de ne pas s’écarter de son champ de compétences – s’agissant de l’opportunité politique – aboutissant à une crise institutionnelle. Ni le Président de la République, ni le Conseil constitutionnel n’ont su s’ériger en tant que gardiens de la procédure législative délibérative, corollaire de la qualité du débat démocratique. La décision du Conseil constitutionnel à l’égard de la proposition du référendum d’initiative partagée afférente aurait pu laisser apparaître une volonté d’ouverture envers le peuple, comme ultime gardien. Il n’en est rien.

    En effet, parallèlement à la saisine sur le PLFRSS, une proposition de loi pour un référendum d’initiative partagée (RIP) portant indirectement sur la réforme des retraites a été déposée, le 20 mars, afin que l’âge de départ « ne puisse être fixé au-delà de 62 ans ». Il incombe au Conseil constitutionnel d’effectuer le contrôle de la recevabilité de la proposition sur plusieurs aspects[12].

    D’abord, vérifier que le quorum de signatures parlementaires est atteint, soit un cinquième. En l’espèce le seuil était respecté, la proposition comptant près de 250 parlementaires instigateurs. Ensuite, le Conseil constitutionnel vérifie le champ de ladite proposition à savoir l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ainsi qu’aux services publics qui y concourent. En l’espèce, interdire la fixation de l’âge de la retraite au-delà de 62 ans peut être sujet à interprétations. Le Conseil constitutionnel peut ne pas considérer la proposition comme une réforme en tant que telle, celle-ci étant dépourvue de portée normative (l’âge étant déjà fixé à 62 ans dans la norme en vigueur). Elle pourrait toutefois être assimilée à une réforme s’il se référait à l’âge de 64 ans contenu dans le PLFRSS, son objet portant indirectement sur la réforme des retraites adoptée pour l’empêcher mais cela reviendrait à se prononcer sur du droit non-encore promulgué et donc dépourvu de toute portée normative au sein de l’ordre juridique étatique[13]. En tout état de cause, rien n’interdit au législateur de se répéter, confirmant ainsi le droit actuellement en vigueur (62 ans) en y indiquant une limite certes symbolique (ne pas aller au-delà) mais normative en puissance, au regard du contexte actuel de la réforme des retraites. Le Conseil constitutionnel vérifie alors que la proposition ne contredit pas de dispositions constitutionnelles, ce qu’elle ne fait pas en l’espèce. Puis, le Conseil constitutionnel s’assure que la proposition ne porte pas sur une disposition promulguée depuis moins de un an. Une telle précaution fixée à l’alinéa 3 semblait enrayait toute dérive veto de ce mécanisme parlementaro-populaire. Pourtant, la proposition de loi d’initiative partagée validée le 9 mai 2019[14] par le Conseil constitutionnel, visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris entendait, en réalité, contrer le projet de privatisation des aérodromes de Paris (ADP). Ce dernier, bien que n’ayant pas encore été promulgué, avait été voté le 11 avril et donc adopté à la date où le Conseil constitutionnel rendit sa décision. En l’espèce, le PFRLSS n’ayant pas encore été promulgué en raison du contrôle de constitutionnalité effectué, la proposition de RIP respecte les délais. Enfin, comme pour toute proposition de loi, celle du referendum d’initiative partagée est soumise à l’examen de sa recevabilité financière au titre de l’article 40[15] de la Constitution. Le Conseil constitutionnel étant obligatoirement saisi de cette proposition de loi lors de son dépôt, il lui appartient également de s’assurer qu’elle respecte les exigences de l’article 40 de la Constitution[16], ce qui est le cas en l’espèce (confirmation de l’âge actuellement en vigueur).

    Par sa décision rendue ce 14 avril, le Conseil constitutionnel déclare la proposition de RIP irrecevable par son absence de caractère normatif : « ainsi, à la date denregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans nemporte pas de changement de l’état du droit »[17]. Seulement, dans le but d’anticiper ce refus potentiel, une nouvelle proposition de RIP a été déposée hier par la gauche, enrichie d’un article supplémentaire portant sur la taxation. Si, formellement, la rédaction de l’article 1er de la proposition se veut plus normative, le fond reste identique à celui précédemment rejeté par le Conseil. L’ajout de l’article 2 consacrant une nouvelle taxation pourrait éventuellement permettre de contourner ce défaut normatif, à considérer que les articles soient intrinsèquement liés. C’est ce que semble sous-entendre l’exposé des motifs en liant la fixation dans le temps de l’âge à 62 ans, couplé aux moyens permettant d’en assurer la pérennité financière du système. S’il y a peu de chances que le Conseil constitutionnel statue en ce sens, les instigateurs lui offrent toutefois les arguments lui permettant de le faire. Si d’aventure, cette deuxième proposition de RIP était finalement jugée recevable, le recueil des signatures s’ouvrirait alors. Cette étape n’équivaut toutefois pas à un droit de veto suspensif et l’âge fixé à 64 ans pourrait déployer ses effets y compris durant le temps de la récolte des signatures (ainsi que l’a sous-entendu le Conseil constitutionnel ne liant pas ses deux décisions relatives à la privatisation des ADP, la première portant sur le RIP et la seconde sur la légalité de la loi-elle même). Les citoyens disposeraient de 9 mois pour apporter leur soutien à la proposition de loi. À considérer que les signatures atteignent le nombre de 4,9 millions au moins, un référendum ne serait organisé qu’à défaut d’examen de la proposition par les assemblées, ces dernières restant libres de ne pas adopter le texte. Le RIP équivaut donc à une sorte de droit de pétition renforcé, soumis à la volonté des pouvoirs publics. Il y a donc peu de chances de maintenir ou revenir à l’âge de 62 ans, sauf à ce que, devant une telle sanction populaire, les assemblées acceptent la proposition, ou que le Président ne prenne acte de cette délégitimation pour la soumettre par voie référendaire !

    Une dernière voie existe qu’est celle de l’article 10 de la Constitution. Avant la promulgation,  le Président peut « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles ». Espérons qu’il entendra raison et soumettra cette réforme d’une telle ampleur à cet authentique « cheminement démocratique ».

    [1] MANIN B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, n° 33, 1985, p. 83.

    [2] HUMMEL J., « A qui appartient la volonté générale ? Ouverture », Jus Politicum, n° 10, en ligne : [http:// juspoliticum.com/article/A-qui-appartient-la-volonte-generale-Ouverture-724.html], p. 2.

    [3] Il faut d’ailleurs rappeler que le texte transmis au Sénat par le Gouvernement incluait, retouché à la marge, l’article 2 (création de l’index Sénior) qui avait pourtant été rejeté par l’Assemblée Nationale.

    [4] Il suffit de lire les réactions des parlementaires membres du Comité consultatif constitutionnel de 1958 quand cette « innovation » a été introduite pour le comprendre.

    [5] Ce qui relève ni de l’un, ni de l’autre, constitue un cavalier.

    [6] Également, les articles 38, 42 al 10 et 16, 44 al 6, 44 bis al 3, 9 et 10 du règlement du Sénat qui n’ont pas fait l’objet de développements dans le présent point de vue.

    [7] Les réponses à certaines questions formulées par les parlementaires sont apparues absconses.

    [8] Déc CC, n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (cons 8).

    [9] idem (cons 11).

    [10] idem (cons 70).

    [11] idem (cons 69).

    [12] cf. art. 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

    [13] En guise de comparaison, le Tribunal de l’UE n’a pas hésité à consacrer l’initiative citoyenne européenne comme possiblement destructrice sur des actes à caractère préparatoire : « La réglementation relative à l’ICE ne comporte aucune indication, selon laquelle la participation citoyenne ne pourrait pas être envisagée pour empêcher l’adoption d’un acte juridique. Certes, si, conformément à l’art. 11, para 4, TUE et à l’art. 2, paragraphe 1, du règlement no 211/2011, l’acte juridique envisagé doit contribuer à l’application des traités, tel est bien le cas des actes ayant pour objet d’empêcher la conclusion du TTIP et du CETA, lesquels visent à modifier l’ordre juridique de l’Union », CJUE, n° T-754/14, Arrêt du Tribunal, Michael Efler e.a. contre Commission européenne, 10 mai 2017.

    [14] CC, Déc. n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

    [15] Pour rappel, l’art. 40 de la Constitution dispose : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

    [16] CC, Déc. n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013 sur la loi organique portant application de lart. 11 de la Constitution (cons 8): « qu’il ne saurait être dérogé à cette exigence pour le dépôt des propositions de loi présentées en application du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution ».

    [17] CC, Déc n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023, Proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans (cons 8).

    Publié le 14 avril 2023

    La réforme des retraites, du clash au crash démocratique : le rendez-vous manqué du Conseil constitutionnel

    Auteurs

    Beverley Toudic
    Doctorante en droit public à l’Université de Lille, Beverley Toudic est également vice-présidente de la Commission de la jeune recherche en droit constitutionnel. Ses thématiques de recherche s’attachent à l’étude des droits constitutionnel, électoral et parlementaire dans une perspective comparée à travers la dynamique de la chaîne de légitimation. Responsable des ressources humaines et des adhérents au sein de l’institut, elle est également en charge des études du pôle institutions.

    Marc Marienval
    Haut fonctionnaire.

    Crise démocratique, n’ayons pas peur des mots ! En sus d’une crise sociale et écologique, pourrait bien résulter une crise de régime politique.

    Ancrée depuis plusieurs décennies, la crise de la représentation fut portée sur le devant de la scène publique par le mouvement des gilets jaune. À l’ère du netizen – citoyen hyperconnecté – la légitimité démocratique se voudrait davantage procédurale : « la décision légitime […] résulte de la délibération de tous »[1]. Face à ces revendications, le chef de l’État n’a eu de cesse de rappeler sa prétendue détermination à relégitimer démocratiquement le processus de décision via de nouvelles méthodes délibératives englobantes : Grand débat, conventions, CNR… En vain.

    Pour preuve, dans ce contexte de crise de la « généralisation de la volonté »[2], le pouvoir exécutif a choisi de porter une réforme des retraites clivante dont la principale mesure, le report de l’âge légal de départ à 64 ans, est contestée par l’ensemble des syndicats et très massivement rejetée par les Français. Pour mener à bien sa réforme, le Gouvernement a utilisé l’arsenal du parlementarisme hyper-rationalisé que fournit la Constitution de la Vème République heurtant, davantage encore, le peu de confiance de ses « gouvernés » envers leurs institutions.

    Prenons les choses à rebours.

    À l’Assemblée, l’examen du texte s’est achevé par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Incapable de dégager une majorité solide pour adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a utilisé – et ce, pour la onzième fois depuis le début de la législature – cette arme atomique prévue par la Constitution permettant de faire adopter un texte sans vote, en mettant en jeu la responsabilité du gouvernement. Faute d’atteinte du nombre de votes requis en faveur de la motion de censure transpartisane LIOT présentée, la réforme des retraites se trouve entérinée mais il s’en est fallu de peu : 9 voix ont manqué pour renverser le gouvernement Borne ! L’Assemblée nationale ne se sera donc en réalité jamais prononcée directement sur ce texte fondamental, les travaux ayant été interrompus sans passage au vote en première lecture…

    Si le Gouvernement fait valoir qu’un vote a bien eu lieu au Sénat[3] – ce qui ne compense pas d’ailleurs l’absence de vote au sein de la chambre légitimement élue sur un sujet d’une telle importance – il faut dire que celui-ci fut obtenu au prix du recours à l’utilisation du fameux « vote bloqué » de l’article 44 alinéa 3 de la Constitution. Concrètement, ce mécanisme permet au Gouvernement de demander un vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. La violence du processus[4] est telle que le gouvernement a utilisé cette procédure sur l’ensemble du texte : les parlementaires peuvent débattre et s’exprimer, sans qu’il leur soit toutefois permis de passer au vote, article par article, selon leurs amendements. En somme, le dictat du tout ou rien, le choix binaire du à prendre ou laisser. Alors que l’essence de la discussion parlementaire requiert que chaque amendement, chaque article soit examiné puis voté, le 44-3 empêche cette fécondité délibérative pour obliger à un vote unique, pour ou contre, l’ensemble du texte.

    Foncièrement, le choix du véhicule législatif utilisé pourrait bien vicier l’ensemble du processus législatif. En choisissant d’insérer cette réforme des retraites dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) régi par l’article 47-1 plutôt que dans un projet de loi ordinaire, le Gouvernement a certainement joué avec le texte constitutionnel, obligeant le Parlement à se prononcer sur ce texte capital sous 50 jours.

    L’on notera, tout d’abord, qu’aucune des grandes réformes des retraites de ces 20 dernières années ne fut soumise à la procédure de l’art 47-1, même si le Sénat tentait déjà d’incorporer des amendements relatifs à cet objet dans les PLFSS précédents. Le problème se pose avec une acuité grandissante s’agissant d’un PLFRSS, consistant, en principe, à rectifier, les budgets adoptés en cours d’exercice. En l’espèce, les dispositions litigieuses du PLFRSS relèvent, par opposition au domaine exclusif, du domaine partagé des lois de financement : le premier regroupe les dispositions pour lesquelles les LFSS disposent d’un monopole (par exemple l’affectation totale ou partielle d’une recette exclusive du champ « LFSS » à une autre personne morale), le second les dispositions qui peuvent indifféremment figurer en loi ordinaire ou en LFSS[5]. Or, on constate depuis de nombreuses années, une extension problématique de ce domaine partagé, en PLF et en PLFSS, permettant au Gouvernement de faire ainsi bénéficier à des mesures plutôt clivantes (on pense au gel des minimas sociaux en 2017) une telle procédure de contournement. En effet, les procédures d’examen des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale fixées aux articles 47 et 47-1 et par extension rectificatifs comme en l’espèce, se caractérisent par leur caractère dérogatoire quant à la procédure parlementaire suivie (texte du Gouvernement examiné en séance, une seule lecture, délais stricts d’examen…), se justifiant par l’urgence. Cette méthode du recours à un PLF ou PLFSS et surtout à un PLFR ou à un PLFRSS pour faire passer des mesures sociales si capitales ne doit pas être ignoré. Le danger est grand de créer un précédent dans lequel les futurs gouvernements pourront s’engouffrer : toute réforme ayant un impact social réel, sous couvert d’impact budgétaire – et rares sont celles qui n’en ont pas – pourrait à terme être portée par un PLF ou un PLFSS et par extension un PLFR ou un PLFRSS et bénéficier d’une procédure parlementaire dérogatoire. Il faut également rappeler que l’article 49-3, restreint dans son utilisation à celui d’un par session, n’est pas comptabilisé quand il en est fait usage sur des PLF ou PLFSS et par extension rectificatifs.

    Que reste-t-il dès lors pour empêcher l’entrée en vigueur de la réforme des retraites ? Qu’il s’agisse d’acter l’illégalité de la réforme ou de permettre l’organisation d’un référendum d’initiative partagée tendant à interdire la fixation de l’âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans, l’aval des sages de la rue de Montpensier s’avère nécessaire.

    Le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer sur la constitutionnalité même de ce PLFRSS. On le voit, la juxtaposition inédite des outils du parlementarisme rationalisé[6] sur cette réforme pose plus largement la question de la clarté et de la sincérité des débats parlementaires menés sur le PLFRSS, contrevenant à l’esprit même du texte constitutionnel. L’exécutif a délibérément choisi de couper court à la délibération, et ce, dans tous ses aspects. Or, domestiquer le Parlement ne doit pas conduire à le museler tout au long du processus délibératif : en amont, pendant et en aval.

    S’agissant du véhicule législatif utilisé, le Gouvernement a pu mettre en avant la décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986 dans laquelle le Conseil constitutionnel a validé l’éligibilité des PLFR aux délais contraints fixés à l’article 47, et par ricochet pourrait-on dire, celle des PLFRSS à ceux de l’article 47-1. Néanmoins, le Conseil constitutionnel insiste sur le fait que ces délais « ont pour objet […] d’assurer la continuité de la vie nationale ». Certes, la modification du budget de l’année en cours est considérée comme urgente, mais le cas de la réforme des retraites ne semble pas entrer dans cette catégorie : se pose alors la question de l’atteinte à la clarté et à la sincérité du débat parlementaire, susceptible d’entraîner le rejet de l’ensemble du PLFRSS en raison du détournement de l’usage de la procédure du 47-1. L’absence de clarté dans l’information transmise par le gouvernement aux parlementaires pourrait également constituer un motif de censure[7]. Par ailleurs, au Sénat, les rapporteurs ont engagé en pleine séance nocturne une réécriture presque intégrale de l’article 7, le plus polémique, dont l’objectif principal était d’entraîner la chute des 1 300 amendements de l’opposition, le tout, conjugué avec une confusion autour de l’irrecevabilité déclarée d’office sur les sous-amendements proposés par les groupes, nuisant de nouveau à la clarté et la sincérité des débats. Dans une moindre mesure, des cavaliers insérés n’ayant pas leur place dans le champ des finances pourraient largement justifier une annulation partielle par le Conseil constitutionnel.

    La décision rendue ce jour, 14 avril, était relativement attendue. L’existence de cavaliers laissait peu de suspense quant à la censure partielle du PLFRSS, contrairement à la question du véhicule législatif utilisé et plus largement de la procédure dans son entièreté. Le problème étant que la mesure phare du report de l’âge légal à 64 ans est entérinée, principal sujet de divergences. Le Conseil constitutionnel a ainsi balayé les arguments visant la censure totale du PLFRSS alors même que le véhicule législatif d’urgence utilisé sur une réforme sociale d’une telle ampleur aurait pu constituer une  justification suffisante : « Il ne ressort ni des termes des dispositions constitutionnelles et organiques précitées, ni au demeurant des travaux préparatoires des dispositions organiques en vigueur, que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait subordonné à d’autres conditions que celles résultant de ces dispositions, et notamment à des conditions qui tiendraient à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux »[8]. Le Conseil constitutionnel aurait pu, à tout le moins, opérer un rappel à l’ordre, afin ne pas inciter l’exécutif à réutiliser ce véhicule législatif de l’article 47-1 pour de telles réformes. Au contraire, il affirmera que : « si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur »[9]. De façon plus audacieuse, il aurait également pu censurer le PLFRSS au regard du déroulé de l’ensemble de la procédure législative. Les détracteurs de la censure totale rappellent toutefois que le rôle du Conseil constitutionnel ne consiste pas en une résolution des crises. Si le juge constitutionnel n’est, en effet, pas celui de l’opportunité politique mais du droit, l’instrumentalisation des moyens de rationalisation juxtaposés à chaque moment de la procédure parlementaire, de façon inédite, impliquait qu’il se prononce. Il y va de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire dont l’aspect délibératif a été biaisé à chaque étape de la procédure législative. De deux choses l’une : soit le Conseil constitutionnel appréciait, de façon inédite, l’instrumentalisation politique des instruments juridiques mis à disposition de l’exécutif dans un souci de respect de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire ; soit il se cantonnait à un contrôle juridique littéral, aboutissant à un déni de l’esprit du texte constitutionnel lui-même. Le Conseil constitutionnel a privilégié cette dernière option considérant que la juxtaposition « inhabituelle »[10] de plusieurs procédures « n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi »[11]. En n’accueillant pas la censure totale sur ces considérations, le Conseil constitutionnel a voulu s’assurer de ne pas s’écarter de son champ de compétences – s’agissant de l’opportunité politique – aboutissant à une crise institutionnelle. Ni le Président de la République, ni le Conseil constitutionnel n’ont su s’ériger en tant que gardiens de la procédure législative délibérative, corollaire de la qualité du débat démocratique. La décision du Conseil constitutionnel à l’égard de la proposition du référendum d’initiative partagée afférente aurait pu laisser apparaître une volonté d’ouverture envers le peuple, comme ultime gardien. Il n’en est rien.

    En effet, parallèlement à la saisine sur le PLFRSS, une proposition de loi pour un référendum d’initiative partagée (RIP) portant indirectement sur la réforme des retraites a été déposée, le 20 mars, afin que l’âge de départ « ne puisse être fixé au-delà de 62 ans ». Il incombe au Conseil constitutionnel d’effectuer le contrôle de la recevabilité de la proposition sur plusieurs aspects[12].

    D’abord, vérifier que le quorum de signatures parlementaires est atteint, soit un cinquième. En l’espèce le seuil était respecté, la proposition comptant près de 250 parlementaires instigateurs. Ensuite, le Conseil constitutionnel vérifie le champ de ladite proposition à savoir l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ainsi qu’aux services publics qui y concourent. En l’espèce, interdire la fixation de l’âge de la retraite au-delà de 62 ans peut être sujet à interprétations. Le Conseil constitutionnel peut ne pas considérer la proposition comme une réforme en tant que telle, celle-ci étant dépourvue de portée normative (l’âge étant déjà fixé à 62 ans dans la norme en vigueur). Elle pourrait toutefois être assimilée à une réforme s’il se référait à l’âge de 64 ans contenu dans le PLFRSS, son objet portant indirectement sur la réforme des retraites adoptée pour l’empêcher mais cela reviendrait à se prononcer sur du droit non-encore promulgué et donc dépourvu de toute portée normative au sein de l’ordre juridique étatique[13]. En tout état de cause, rien n’interdit au législateur de se répéter, confirmant ainsi le droit actuellement en vigueur (62 ans) en y indiquant une limite certes symbolique (ne pas aller au-delà) mais normative en puissance, au regard du contexte actuel de la réforme des retraites. Le Conseil constitutionnel vérifie alors que la proposition ne contredit pas de dispositions constitutionnelles, ce qu’elle ne fait pas en l’espèce. Puis, le Conseil constitutionnel s’assure que la proposition ne porte pas sur une disposition promulguée depuis moins de un an. Une telle précaution fixée à l’alinéa 3 semblait enrayait toute dérive veto de ce mécanisme parlementaro-populaire. Pourtant, la proposition de loi d’initiative partagée validée le 9 mai 2019[14] par le Conseil constitutionnel, visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris entendait, en réalité, contrer le projet de privatisation des aérodromes de Paris (ADP). Ce dernier, bien que n’ayant pas encore été promulgué, avait été voté le 11 avril et donc adopté à la date où le Conseil constitutionnel rendit sa décision. En l’espèce, le PFRLSS n’ayant pas encore été promulgué en raison du contrôle de constitutionnalité effectué, la proposition de RIP respecte les délais. Enfin, comme pour toute proposition de loi, celle du referendum d’initiative partagée est soumise à l’examen de sa recevabilité financière au titre de l’article 40[15] de la Constitution. Le Conseil constitutionnel étant obligatoirement saisi de cette proposition de loi lors de son dépôt, il lui appartient également de s’assurer qu’elle respecte les exigences de l’article 40 de la Constitution[16], ce qui est le cas en l’espèce (confirmation de l’âge actuellement en vigueur).

    Par sa décision rendue ce 14 avril, le Conseil constitutionnel déclare la proposition de RIP irrecevable par son absence de caractère normatif : « ainsi, à la date denregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans nemporte pas de changement de l’état du droit »[17]. Seulement, dans le but d’anticiper ce refus potentiel, une nouvelle proposition de RIP a été déposée hier par la gauche, enrichie d’un article supplémentaire portant sur la taxation. Si, formellement, la rédaction de l’article 1er de la proposition se veut plus normative, le fond reste identique à celui précédemment rejeté par le Conseil. L’ajout de l’article 2 consacrant une nouvelle taxation pourrait éventuellement permettre de contourner ce défaut normatif, à considérer que les articles soient intrinsèquement liés. C’est ce que semble sous-entendre l’exposé des motifs en liant la fixation dans le temps de l’âge à 62 ans, couplé aux moyens permettant d’en assurer la pérennité financière du système. S’il y a peu de chances que le Conseil constitutionnel statue en ce sens, les instigateurs lui offrent toutefois les arguments lui permettant de le faire. Si d’aventure, cette deuxième proposition de RIP était finalement jugée recevable, le recueil des signatures s’ouvrirait alors. Cette étape n’équivaut toutefois pas à un droit de veto suspensif et l’âge fixé à 64 ans pourrait déployer ses effets y compris durant le temps de la récolte des signatures (ainsi que l’a sous-entendu le Conseil constitutionnel ne liant pas ses deux décisions relatives à la privatisation des ADP, la première portant sur le RIP et la seconde sur la légalité de la loi-elle même). Les citoyens disposeraient de 9 mois pour apporter leur soutien à la proposition de loi. À considérer que les signatures atteignent le nombre de 4,9 millions au moins, un référendum ne serait organisé qu’à défaut d’examen de la proposition par les assemblées, ces dernières restant libres de ne pas adopter le texte. Le RIP équivaut donc à une sorte de droit de pétition renforcé, soumis à la volonté des pouvoirs publics. Il y a donc peu de chances de maintenir ou revenir à l’âge de 62 ans, sauf à ce que, devant une telle sanction populaire, les assemblées acceptent la proposition, ou que le Président ne prenne acte de cette délégitimation pour la soumettre par voie référendaire !

    Une dernière voie existe qu’est celle de l’article 10 de la Constitution. Avant la promulgation,  le Président peut « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles ». Espérons qu’il entendra raison et soumettra cette réforme d’une telle ampleur à cet authentique « cheminement démocratique ».

    [1] MANIN B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, n° 33, 1985, p. 83.

    [2] HUMMEL J., « A qui appartient la volonté générale ? Ouverture », Jus Politicum, n° 10, en ligne : [http:// juspoliticum.com/article/A-qui-appartient-la-volonte-generale-Ouverture-724.html], p. 2.

    [3] Il faut d’ailleurs rappeler que le texte transmis au Sénat par le Gouvernement incluait, retouché à la marge, l’article 2 (création de l’index Sénior) qui avait pourtant été rejeté par l’Assemblée Nationale.

    [4] Il suffit de lire les réactions des parlementaires membres du Comité consultatif constitutionnel de 1958 quand cette « innovation » a été introduite pour le comprendre.

    [5] Ce qui relève ni de l’un, ni de l’autre, constitue un cavalier.

    [6] Également, les articles 38, 42 al 10 et 16, 44 al 6, 44 bis al 3, 9 et 10 du règlement du Sénat qui n’ont pas fait l’objet de développements dans le présent point de vue.

    [7] Les réponses à certaines questions formulées par les parlementaires sont apparues absconses.

    [8] Déc CC, n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (cons 8).

    [9] idem (cons 11).

    [10] idem (cons 70).

    [11] idem (cons 69).

    [12] cf. art. 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

    [13] En guise de comparaison, le Tribunal de l’UE n’a pas hésité à consacrer l’initiative citoyenne européenne comme possiblement destructrice sur des actes à caractère préparatoire : « La réglementation relative à l’ICE ne comporte aucune indication, selon laquelle la participation citoyenne ne pourrait pas être envisagée pour empêcher l’adoption d’un acte juridique. Certes, si, conformément à l’art. 11, para 4, TUE et à l’art. 2, paragraphe 1, du règlement no 211/2011, l’acte juridique envisagé doit contribuer à l’application des traités, tel est bien le cas des actes ayant pour objet d’empêcher la conclusion du TTIP et du CETA, lesquels visent à modifier l’ordre juridique de l’Union », CJUE, n° T-754/14, Arrêt du Tribunal, Michael Efler e.a. contre Commission européenne, 10 mai 2017.

    [14] CC, Déc. n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

    [15] Pour rappel, l’art. 40 de la Constitution dispose : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

    [16] CC, Déc. n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013 sur la loi organique portant application de lart. 11 de la Constitution (cons 8): « qu’il ne saurait être dérogé à cette exigence pour le dépôt des propositions de loi présentées en application du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution ».

    [17] CC, Déc n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023, Proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans (cons 8).

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