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Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire

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Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire

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Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire

Emmanuel Macron a annoncé le 17 février 2022 le retrait des forces françaises du Mali, après avoir amorcé au cours de l’année 2021 une transformation profonde de l’opération Barkhane. De fait, celle-ci prend fin, après sept ans et demi d’existence. Le processus de retrait va prendre plusieurs mois, compte tenu de l’ampleur de la manœuvre logistique de désengagement. Il intervient dans un climat délétère, marqué par de fortes tensions avec les militaires putschistes au pouvoir à Bamako, qui ont expulsé l’ambassadeur de France, fait appel aux mercenaires russes de la société Wagner et attisé un sentiment antifrançais qui trouve des échos ailleurs au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Dans le même temps, les groupes armés islamistes combattus par les soldats français continuent de mener des attaques meurtrières au Mali, au Niger, au Burkina Faso et de plus en plus souvent dans des pays du golfe de Guinée comme la Côte d’Ivoire et le Bénin.

Le retrait français n’est toutefois pas total. La France devrait maintenir des troupes au Niger et au Tchad, selon des modalités qui restent à préciser. Elle continuera par ailleurs d’être présente à travers son outil diplomatique et l’aide au développement. Mais une page se tourne et un premier bilan de l’opération Barkhane peut être fait. C’est le propos de cette note : analyser les décisions qui ont présidé à l’engagement militaire français ; mettre en évidence d’autres choix qui auraient pu être faits. Nous nous intéresserons ici d’abord à l’action militaire même s’il transparaîtra qu’elle ne peut pas être examinée isolément des dynamiques politiques, sociales et économiques.

  1. Les choix faits en 2013-2014 ont été structurants pour l’opération Barkhane

L’opération Barkhane, née en août 2014, était l’héritière de l’opération Serval, lancée en janvier 2013 pour reprendre le contrôle du nord du Mali tombé aux mains de groupes armés islamistes. Elle a également absorbé l’opération Épervier, présente au Tchad depuis février 1986 pour contribuer à la stabilité de ce pays. Elle doit donc être analysée à la lumière des choix effectués en 2013 et 2014. Nous n’évoquerons pas ici la guerre de 2011 en Libye, conduite par une coalition dirigée notamment par la France, qui a favorisé la déstabilisation du Sahel mais a constitué du point de vue de l’opération Barkhane une donnée extrinsèque.

Cette analyse de la genèse de l’opération Barkhane nous conduit à nous intéresser à quatre choix, pour certains répétés ensuite, qui se sont révélés structurants pour l’action militaire.

1.1. L’installation de la présence militaire au Sahel dans la durée

L’opération Barkhane aurait très bien pu ne pas exister. Une fois l’opération Serval réussie et les groupes armés islamistes chassés des villes du nord du Mali, la décision aurait pu être prise de quitter ce pays et de n’entreprendre une nouvelle action militaire qu’en cas de péril imminent. Les forces spéciales auraient eu la possibilité de mener des opérations ponctuelles. Les autorités maliennes se seraient retrouvées en première ligne face à un ennemi fortement affaibli, et auraient sans doute été davantage incitées à faire de la lutte contre le terrorisme une priorité. La France aurait évité de paraître de plus en plus, à mesure que le temps passait, comme une partie du problème plutôt que de la solution. Cette hypothèse, qui paraît de bon sens a posteriori[1], nous renvoie aux limites des interventions militaires : une force expéditionnaire peut renverser une situation et un rapport de force dans un court laps de temps mais son caractère exogène et sa faiblesse numérique la pénalisent face à une guérilla qui s’inscrit dans la durée.

Un choix différent a été fait, probablement à la fois parce que la situation semblait trop précaire et parce que les autorités françaises ont vu au Sahel un théâtre propre à affirmer la puissance nationale sur la scène mondiale. Cette deuxième raison mérite qu’on s’y arrête. Dans une mesure difficile à apprécier, les mobiles de la France au Sahel ne résidaient pas à Bamako, Niamey ou Kidal mais à New York, Bruxelles, Washington. La réaction très virulente à l’hypothèse d’une implication russe au Mali à l’automne 2021, avant même que celle-ci ne se matérialise, va dans le même sens : elle a été d’emblée analysée sous l’angle de la compétition entre puissances, après l’épisode centrafricain, accentuant l’impression que la France subissait quelques mois plus tard un revers du fait de son éviction par le groupe Wagner. Les autorités putschistes maliennes ont su instrumentaliser, à court terme du moins, les tensions stratégiques.

L’opération Barkhane a ainsi été, pendant plusieurs années, la vitrine de nos capacités militaires et une source de capital politique confortant la place de la France sur la scène internationale, sa présence au Conseil de sécurité des Nations unies et son statut de plus vieil allié des États-Unis. Ce capital a en partie été réinvesti pour faire bouger les lignes stratégiques à partir du Sahel avec une efficacité difficile à évaluer. On peut par exemple se demander si l’activation, au bénéfice notamment de l’opération Barkhane, de la clause de défense mutuelle prévue à l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne à la suite des attentats de novembre 2015, ou la création de la force multinationale européenne Takuba au Mali en mars 2020, ont marqué de vraies avancées pour la défense européenne.

La réponse est probablement positive mais dans une mesure modeste. Il paraît assez clair en revanche qu’elles n’ont pas permis d’altérer la situation stratégique au Sahel. Le bilan de l’opération Barkhane sera dans la suite de cette note évalué à l’aune de son but affiché, c’est-à-dire la lutte contre les groupes armés islamistes sahéliens, mais il doit tout autant être fait à la lumière du positionnement de la France sur la scène internationale. La question est dès lors de savoir si le coût humain (près de soixante soldats tués dans les opérations Serval et Barkhane), financier (de l’ordre du milliard d’euros par an) et politique (lié à la montée du sentiment antifrançais et à un retrait plus contraint que souhaité) n’est pas trop cher payé.

1.2. La promotion d’une solution négociée à la rébellion nordiste

L’élément déclencheur de la déstabilisation du Mali a été la rébellion lancée par les indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) en janvier 2012. Dominée par les Touaregs mais intégrant d’autres composantes de la société du nord du Mali, faisant écho aux soulèvements précédents (de 1916-1917 à 2007-2009), cette rébellion a été rapidement évincée par les groupes armés islamistes auxquels elle s’était associée. Mais une fois ceux-ci mis en déroute par l’opération Serval, le MNLA et son allié le Haut-Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) se sont retrouvés maîtres de la région septentrionale de Kidal, avec l’assentiment des troupes françaises. La France a alors fait le choix de promouvoir des négociations entre ces groupes rebelles et le gouvernement malien, alors que ce dernier envisageait une solution de force, ce qui s’est traduit notamment par une offensive ratée sur Kidal en mai 2014.

Ce choix a beaucoup été reproché à la France par la suite, une partie de la population malienne estimant qu’il confortait les rebelles et avalisait une partition de fait du pays en attendant l’issue des négociations. Il répondait à l’espoir de traiter les causes profondes des rébellions successives afin de mettre fin à une instabilité récurrente qui avait ouvert la voie aux groupes armés islamistes. Malheureusement, cet espoir n’a pas porté ses fruits. Le processus a buté non seulement sur des visions divergentes de la paix, mais aussi sur la rente politique, voire économique, qu’il a lui-même instaurée : les acteurs avaient finalement plus intérêt au statu quo, garanti par la communauté internationale, qu’à une solution médiane. Celle-ci était aussi nécessaire à long terme que coûteuse à court terme aux plans politique et financier. C’est ainsi qu’après l’accord de cessez-le-feu signé à Ouagadougou en juin 2013 entre le gouvernement malien, le MNLA et le HCUA, il a fallu deux ans émaillés de tensions pour obtenir la signature, sous médiation algérienne, d’un accord de paix. Celui-ci devait être mis en œuvre en deux ans mais il est encore loin de l’être à l’heure actuelle[2].

Pendant ce temps, le nombre de parties prenantes au processus de paix n’a cessé d’augmenter, une multitude de groupes armés se créant pour faire valoir leurs intérêts, représentant plus ou moins les diverses communautés du nord du Mali sur des bases ethniques ou infraethniques. Inspiré par les accords de paix précédents, notamment le Pacte national de 1992 et l’accord d’Alger de 2006, celui de 2015 n’a pas plus qu’eux permis de résoudre durablement la question de l’intégration des populations du nord du Mali, en particulier touarègues, à l’ensemble national.

Dans ce contexte, l’action de l’opération Barkhane a été rendue excessivement complexe par la coexistence d’une part de groupes armés participant au processus de paix qu’elle devait ménager voire accompagner dans le cadre de leur intégration à l’armée malienne, et d’autre part de groupes armés islamistes qui constituaient ses cibles. Elle a dû composer avec les interconnexions tribales, transactionnelles ou personnelles qui liaient les uns aux autres et au gouvernement malien. La communauté internationale, et en premier lieu la mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) créée en avril 2013, n’a pas su éviter la mise en place d’une véritable économie du processus de paix désincitant les acteurs à sortir de l’ornière. Elle a fait comme s’il s’agissait de maintenir et non d’imposer la paix, restant réticente à exercer toute forme de coercition (contrôle des armements, conditionnement de l’aide internationale).

1.3. Le refus constant de négocier avec les groupes armés islamistes

Avant même le début de l’opération Serval, alors que les groupes armés islamistes occupaient le nord du Mali, des négociations avaient commencé à Ouagadougou entre le gouvernement malien, le MNLA et le groupe Ansar Eddine. Ce dernier groupe était essentiellement constitué de Touaregs maliens alliés à al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il s’inscrivait d’abord dans une histoire locale, celle des rébellions touarègues auxquelles son chef Iyad ag Ghali avait participé en 1990-1991 et 2006, mais en s’en distinguant par son discours islamiste. Les négociations reprennent après la reconquête du nord du Mali par l’opération Serval, mais sans Ansar Eddine, dès lors classé parmi les groupes dits terroristes ciblés par les troupes françaises aux côtés d’AQMI. Il est vrai qu’entre-temps une partie des combattants d’Ansar Eddine avait formé un nouveau mouvement, le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), qui participait aux pourparlers et signait l’accord de cessez-le-feu de juin 2013. Aurait-il été possible, alors, d’entraîner Iyad ag Ghali dans le processus de négociations, d’isoler la composante internationaliste de la mouvance islamiste et de réduire ainsi l’ennemi sans combattre ? L’observateur en est livré à des spéculations.

Il est certain en revanche que les autorités françaises ont ensuite réaffirmé à plusieurs reprises leur refus d’ouvrir des négociations avec les groupes désignés à partir de 2013 comme terroristes, et qui après plusieurs recompositions s’organisent à l’heure actuelle en deux pôles concurrents : l’un dirigé par Iyad ag Ghali et lié à al-Qaida, l’autre qui a fait allégeance à l’État islamique en mai 2015. En mai 2021 encore, Emmanuel Macron conditionnait le maintien des troupes françaises à l’absence de telles négociations. Or c’était aller à l’encontre de la volonté des acteurs maliens eux-mêmes, telles qu’ils l’avaient exprimée lors de la conférence d’entente nationale en avril 2017 puis à l’issue du dialogue inclusif de décembre 2019. Le mouvement d’Iyad ag Ghali, de son côté, a donné des signes explicites en mars 2020[3] de vouloir engager un dialogue. Des négociations ont au demeurant eu lieu de manière ponctuelle, soit à propos de libération d’otages comme Soumaïla Cissé et Sophie Pétronin en octobre 2020[4], soit de situations locales spécifiques comme à Farabougou au Mali [5]ou Djibo au Burkina Faso[6].

Il est certes difficile d’affirmer avec certitude que des négociations plus générales auraient permis de trouver une solution durable au conflit. Mais en décourageant le gouvernement malien d’explorer cette voie, les autorités françaises en ont exclu la possibilité et au moins celle de diviser l’ennemi en favorisant la réintégration dans un processus politique d’une partie des combattants islamistes. Elles ont en fait adopté une rhétorique de guerre contre le terrorisme qui, au Sahel comme ailleurs, ne correspond pas aux dynamiques locales : si l’adhésion des groupes armés islamistes sahéliens à une idéologie mondialisée ne doit pas être réduite à un pur artifice, ils sont aussi mus par des considérations très locales qui échappent à des catégorisations binaires (terroriste / non terroriste) et qui auraient pu permettre de nouer un dialogue. Au demeurant, pendant que l’islamisme faisait figure de chiffon rouge dans les négociations au nord du Mali, il progressait politiquement au sud, avec pour figure de proue l’imam Mahmoud Dicko.

1.4. L’élargissement de la zone d’opérations à la région sahélienne

L’opération Barkhane avait pour caractéristique d’être une opération régionale, contrairement à l’opération Serval qui l’avait précédée. Sa zone d’opérations correspondait au G5 Sahel, une organisation formée en février 2014 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. La diplomatie et les forces militaires françaises ont beaucoup accompagné la montée en puissance du G5 Sahel, qui s’est doté d’une force transfrontalière en juillet 2017.

La stratégie régionale poursuivie répondait au départ à une volonté de lutter contre les flux d’armes et de combattants entre le sud de la Libye et le nord du Mali (via le Niger mais aussi l’Algérie), et au constat que les armées des autres pays sahéliens, notamment celle du Tchad, avaient apporté un appui précieux à l’opération Serval au Mali. Le paysage a toutefois commencé à changer significativement dès 2015, quelques mois après le lancement de l’opération Barkhane : les flux précités ont commencé à se tarir à la fois sous l’effet de l’action des forces françaises, de la diminution des stocks d’armes en Libye et de la reprise de la guerre civile dans ce pays[7] ; le centre de gravité des groupes islamistes a commencé à se déplacer vers le sud au Burkina Faso et au Niger ; et les troupes tchadiennes et nigériennes se sont trouvées en partie mobilisées par la lutte contre Boko Haram dans la région du lac Tchad. Au même moment toutefois, les attentats en France accéléraient l’adoption d’une rhétorique de guerre contre le terrorisme, et l’afflux de migrants en Europe alimentait une vision du Sahel comme un espace de trafics à entraver par l’addition de mesures sécuritaires et d’aide au développement.

En matière d’intervention militaire comme de politique migratoire, cette approche a été critiquée comme contraire aux dynamiques prévalant au Sahel, espace de circulation (et en effet de trafics[8]) entre l’Afrique de l’ouest et l’Afrique du nord, et donc stérile. Le G5 Sahel a par ailleurs été vu comme une création française, mal acceptée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest, organisation sous-régionale dont le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont membres aux côtés de douze autres pays. Au-delà, le défaut principal de cette stratégie a peut-être été d’effacer la diversité des contextes locaux, et de promouvoir une réponse militaire (et de développement) trop uniforme[9]. La déception française face au peu d’appétence de l’armée burkinabée pour un engagement de l’opération Barkhane au Burkina Faso[10] témoigne de cette volonté d’appliquer une réponse globale à des contextes qui pour être proches présentent des différences déterminantes[11].

  1. L’opération Barkhane n’a pas inversé les tendances profondes nourrissant la crise

Il est largement admis, y compris par l’armée française elle-même, que l’outil militaire ne saurait résoudre à lui seul une crise multidimensionnelle telle que celle que traverse le Sahel depuis dix ans et plus. Il en traite les symptômes plutôt que les causes profondes. Dans cette mesure, on peut dire que le bilan de l’opération Barkhane ne saurait être fait uniquement au regard de sa propre action, et que ses échecs sont ceux de la politique française et internationale de manière générale, voire qu’ils ne sont que le produit d’une situation inextricable dont les principaux responsables sont les acteurs locaux eux-mêmes. Ce n’est pas faux mais cela ne nous dispense pas d’examiner ce qui a fait que Barkhane, en tant qu’opération militaire, n’a pas été en mesure d’altérer cette situation.

Nous nous intéresserons dans ce cadre à trois dimensions de l’opération : la lutte contre les groupes armés islamistes, l’accompagnement des forces armées locales, et le soutien à des régimes défaillants et non démocratiques.

2.1. L’expansion continue des groupes armés islamistes au Sahel

Alors que l’opération Serval a connu des combats frontaux et des résultats clairs sous la forme de villes reconquises par les troupes françaises, l’opération Barkhane a dû faire face à un ennemi fuyant le contact et engagé dans une véritable guérilla. Ces vingt dernières années, les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont montré la complexité d’un tel contexte y compris pour une armée moderne. De fait, même si des coups sévères ont été portés aux groupes armés islamistes, dont l’élimination de certains de leurs chefs comme Yahya Abu al-Hammam en 2019, Abdelmalek Droukdel et Bah ag Moussa en 2020 ou Adnan Abu Walid al-Sahraoui en 2021, rien n’indique en fait que le rapport de forces ait été véritablement altéré au niveau stratégique[12]. Au cours des dix dernières années, ces groupes ont poursuivi leur stratégie d’implantation locale, accentuant leur résilience face à la mort de leurs dirigeants. Ils ont su s’insérer dans les dynamiques politiques et communautaires de plus en plus au sud, d’abord dans le delta intérieur du Niger, le nord et l’est du Burkina Faso et la région de Tillabéri au Niger, plus récemment dans les régions méridionales du Mali et le nord des pays côtiers.

Toutes choses égales par ailleurs, on peut dire que l’opération Barkhane a simplement manqué de moyens. L’armement des drones Reaper en décembre 2019 et le renforcement des effectifs de 4 500 à 5 100 soldats début 2020, de toute manière insuffisants, ont produit des effets trop tardifs. Rappelons que l’opération comptait initialement 3 000 soldats pour une zone d’opérations de centaines de milliers de kilomètres carrés dans un environnement particulièrement corrosif pour les hommes comme pour les équipements. Cela renvoie à la question évidente, mais parfois escamotée, de l’adéquation entre la mission et les moyens d’une telle opération.

Dans ce contexte, les troupes françaises ne pouvaient guère qu’empêcher les groupes armés islamistes de reprendre le contrôle de villes maliennes, frapper ponctuellement des regroupements de combattants ou des chefs ennemis, et rechercher le contact avec un adversaire qui l’évitait le plus souvent. Le déport du centre de gravité de la menace vers le sud a entraîné un redéploiement progressif du dispositif (ouverture d’une base à Ménaka en 2018 et d’une autre à Gossi en 2019, fermeture de celles de Madama en 2019 puis de Kidal, Tessalit et Tombouctou en 2021) qui a conduit les troupes françaises à concentrer ses efforts sur des zones plus circonscrites mais aussi plus densément peuplées. Elles ont fait le choix de ne pas s’aventurer plus au sud encore, dans les régions de Mopti et Ségou au centre du Mali, où les groupes armés islamistes ont renforcé progressivement leur présence. Elles n’auraient sans doute pas pu y éviter les mêmes écueils qu’ailleurs, dans une zone dont les autorités maliennes n’avaient pas été chassées, et avaient donc a priori plus d’atouts pour résister.

2.2. La difficile montée en puissance des forces armées locales

Les autorités françaises, conscientes que la capacité de l’opération Barkhane à vaincre les groupes islamistes armés était limitée, ont défini la mission des troupes françaises comme étant de conserver l’ascendant sur ces groupes jusqu’à ce que les forces locales soient en mesure d’y faire face seules. C’était conditionner le désengagement à la montée en puissance des forces armées sahéliennes. Or celles-ci, sous-dimensionnées, sous-équipées, parfois minées par la corruption, étaient loin de pouvoir remplir leur mission. L’armée malienne en particulier avait non seulement été mise en déroute en 2012 mais elle avait connu la même année de meurtrières luttes intestines à la suite du putsch d’Amadou Sanogo. Dix ans après, sa situation ne paraît guère plus brillante, et le recours aux mercenaires du groupe Wagner est, au-delà des nombreuses questions qu’il pose, un nouvel aveu de faiblesse.

Aux côtés de la mission européenne d’entraînement des forces armées maliennes (EUTM Mali)[13] et de la coopération de défense mise en œuvre par la communauté internationale, l’opération Barkhane a elle aussi, avec des ambitions plus modestes, cherché à appuyer le renforcement de ses partenaires du G5 Sahel et leur interopérabilité. Elle l’a fait notamment en déployant des détachements de liaison et d’appui opérationnel, c’est-à-dire des détachements d’une trentaine de soldats chargés d’accompagner au combat des unités maliennes et nigériennes, en vue de les aider à améliorer leurs modes d’action et de les faire bénéficier de certains des moyens des forces françaises. L’inconvénient de ce type de dispositifs, outre qu’ils peuvent réactiver des modèles coloniaux, est qu’ils confortent le partenaire local au niveau tactique sans que ses défaillances structurelles soient remises en cause.

Indépendamment des questions de corruption et d’organisation des armées, la question des droits humains est ici centrale. Les armées sahéliennes se rendent régulièrement coupables d’exactions qui, en plus de leur caractère condamnable en soi, ont un effet contre-productif en matière de lutte contre-insurrectionnelle. La commission nationale des droits humains du Niger a par exemple documenté le massacre d’au moins soixante et onze personnes en mars et avril 2020 dans la région de Tillabéri[14]. Le plus souvent les événements de ce type sont passés sous silence. Les troupes françaises ont donc couru le risque de se voir mêlées, de près ou de loin, à de telles violations des droits de l’homme. C’est pire lorsqu’elles ont accompagné non pas les forces armées maliennes ou nigériennes mais des groupes armés ethniques comme le Mouvement pour le salut de l’Azawad et le Groupe d’autodéfense des Touaregs imghads et alliés en 2017-2018[15] au nom de la lutte contre l’État islamique. L’opération Barkhane s’est donc non seulement trouvée associée à des acteurs eux-mêmes potentiellement impliqués dans des crimes, mais entraînée dans des affrontements intercommunautaires (ciblant en l’occurrence les Peuls) et dans un appui à des acteurs non-étatiques dont la prolifération sape la reconstruction d’une armée nationale qu’il s’agissait pourtant d’accompagner.

C’est lors d’une opération menée avec les forces armées maliennes que l’opération Barkhane a été elle-même accusée d’avoir, en janvier 2021, bombardé par erreur des civils dans la localité de Bounti[16]. Les autorités françaises ont démenti ces accusations, relayées par la MINUSMA, sans toutefois apporter d’éléments à l’appui de leurs dénégations. Quelle que soit la réalité des faits, cela a été une occasion manquée de démontrer le sérieux accordé à la question des bavures, et a fortiori des exactions. Le bilan des détachements de liaison et d’appui opérationnel, et de l’accompagnement au combat des armées sahéliennes, ne se résume pas à la question de la violation des droits humains, mais celle-ci en révèle les limites : utile et efficace tactiquement, l’intégration entre les troupes françaises et forces locales passait outre les défaillances structurelles de celles-ci.

2.3. Le soutien à des régimes défaillants et non démocratiques

La faiblesse des armées sahéliennes n’est qu’un des aspects de ce qu’il est convenu d’appeler la mauvaise gouvernance[17] : corruption, clientélisme, faiblesse des services publics, et cætera. L’opération Barkhane n’avait pas vocation à résoudre une question aussi complexe. Mais sa présence même contribuait à conforter des gouvernements et des institutions contribuant à cette mauvaise gouvernance. Le cas le plus flagrant a été le bombardement en février 2019 par les forces françaises d’une colonne de rebelles tchadiens de l’Union des forces de résistance qui se dirigeait vers Ndjamena depuis la Libye. Si les raisons de cette action sont évidentes (volonté d’éviter une nouvelle source de déstabilisation au Sahel et d’honorer une alliance avec un pays engagé au Mali) il n’en reste pas moins que les troupes françaises sont intervenues à l’appui d’un régime autoritaire hors de tout mandat antiterroriste. Cela ne pouvait qu’alimenter le sentiment d’une complicité de la France avec des élites discréditées dont la gouvernance nourrit l’instabilité.

L’opération Barkhane s’est par ailleurs déroulée dans un contexte marqué par l’immixtion répétée des armées dans les processus politiques : putschs d’août 2020 et mai 2021 au Mali et de janvier 2022 au Burkina Faso, tentatives de putsch en décembre 2015 et mars 2021 au Niger et en septembre 2016 au Burkina Faso… Les militaires français leur sont restés étrangers. Mais la suspension de la coopération opérationnelle avec les forces armées maliennes à la suite du second putsch d’Assimi Goïta (mai 2021) pose rétrospectivement la question de l’absence de mesure de ce type lors du premier (août 2020). Le renversement du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, lui-même élu et réélu dans des conditions contestées, a même un temps été accueilli positivement par les autorités françaises[18]. La France a aussi avalisé la prise de pouvoir par Mahamat Déby au Tchad, hors de tout processus constitutionnel, après la mort de son père au combat en avril 2021. Aucune conséquence n’en a été tirée quant au partenariat militaire entre les deux pays, au risque de décomplexer les putschistes en puissance au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et de nourrir le désenchantement des populations.

L’opération Barkhane n’avait pas pour but d’installer la démocratie au Sahel, et c’est sans doute heureux au vu des dernières expériences de ce type. Elle n’avait pas non plus vocation à réformer les modes de gouvernance des pays sahéliens, ce qui suppose d’autres types d’intervention à l’appui de dynamiques endogènes. Mais force est de constater qu’elle a, en tant qu’outil militaire, contribué à conforter des régimes défaillants et non démocratiques. Ces régimes ont compris que se poser en garant d’une stabilité aussi fragile soit-elle, voire en exportateur de sécurité, valait impunité. Or c’est cette impunité même qui constitue une des racines des crises dont l’opération Barkhane a cherché pendant sept ans et demi à traiter les symptômes. On est là face à une mécanique typique de la guerre contre le terrorisme.

La mission dévolue aux armées françaises dans le cadre de l’opération Barkhane était-elle impossible ? Cette note en a implicitement fait le constat : avec des moyens insuffisants, les soldats français ont évolué dans un environnement complexe et défavorable, car marqué par la persistance voire l’aggravation des causes structurelles de la crise. Cette note a toutefois aussi cherché à ouvrir une réflexion sur les choix politiques et opérationnels qui peuvent expliquer le bilan de sept années et demie (neuf en comptant l’opération Serval) d’engagement. Au sortir du brouillard de la guerre, il est nécessaire, sans nier la difficulté d’agir, d’opérer un retour sur l’expérience de l’opération Barkhane. D’autres choix auraient pu être faits, en particulier celui de chercher une solution négociée avec au moins une partie des groupes armés islamistes. C’est peut-être la voie que va à présent explorer le régime putschiste malien, mais aussi notre allié nigérien qui devrait désormais accueillir l’essentiel des troupes françaises et européennes présentes au Sahel[19].

[1]https://www.lefigaro.fr/vox/monde/colonel-michel-goya-la-france-aurait-du-s-arreter-a-temps-au-mali-20220203

[2] https://www.cartercenter.org/peace/conflict_resolution/mali-io.html

[3] https://warontherocks.com/2020/04/france-should-give-mali-space-to-negotiate-with-jihadists/

[4] https://www.liberation.fr/planete/2020/10/15/echange-de-prisonniers-au-mali-le-coup-de-la-liberation_1802490/

[5] https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-afrique/20210411-dans-les-coulisses-de-l-accord-de-niono-au-mali-1-4

[6] https://www.thenewhumanitarian.org/2021/03/11/exclusive-burkina-faso-s-secret-peace-talks-and-fragile-jihadist-ceasefire

[7] https://www.smallarmssurvey.org/sites/default/files/resources/SAS-SANA-Report-Niger-FR.pdf

[8] https://www.recherches-internationales.fr/RI117/RI117_Soto_Mayor.pdf

[9] https://aoc.media/analyse/2021/06/13/de-barkhane-au-developpement-la-revanche-des-contextes/

[10] https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/burkina-faso/254-social-roots-jihadist-violence-burkina-fasos-north

[11] https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2441/Etude_IRSEM_n51_2017.pdf

[12] https://newlinesinstitute.org/al-qaeda/implications-of-al-qaeda-in-the-islamic-maghrebs-new-leadership/

[13] https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/3233/RP_IRSEM_89.pdf

[14] https://cndh-niger.org/images/pdf/Rapport_Final_Mission_Investigation_Inates_Ayorou_2020-CNDH-REPPAD-Last%20(2)_2.pdf

[15] https://afriquexxi.info/article4912.html

[16] https://www.middleeasteye.net/fr/entretiens/france-mali-frappe-bounti-mariage-bavure-civils-rapport-onu-barkhane

[17] https://www.ispionline.it/en/pubblicazione/hollowness-governance-talk-and-about-sahel-30026

[18] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/18/barkhane-defaite-d-une-utopie-politico-militaire_6114184_3212.html

[19] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220225-niger-mohamed-bazoum-défend-la-venue-de-militaires-étrangers-supplémentaires

Publié le 16 mars 2022

Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire

Auteurs

Frédéric Galois

Emmanuel Macron a annoncé le 17 février 2022 le retrait des forces françaises du Mali, après avoir amorcé au cours de l’année 2021 une transformation profonde de l’opération Barkhane. De fait, celle-ci prend fin, après sept ans et demi d’existence. Le processus de retrait va prendre plusieurs mois, compte tenu de l’ampleur de la manœuvre logistique de désengagement. Il intervient dans un climat délétère, marqué par de fortes tensions avec les militaires putschistes au pouvoir à Bamako, qui ont expulsé l’ambassadeur de France, fait appel aux mercenaires russes de la société Wagner et attisé un sentiment antifrançais qui trouve des échos ailleurs au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Dans le même temps, les groupes armés islamistes combattus par les soldats français continuent de mener des attaques meurtrières au Mali, au Niger, au Burkina Faso et de plus en plus souvent dans des pays du golfe de Guinée comme la Côte d’Ivoire et le Bénin.

Le retrait français n’est toutefois pas total. La France devrait maintenir des troupes au Niger et au Tchad, selon des modalités qui restent à préciser. Elle continuera par ailleurs d’être présente à travers son outil diplomatique et l’aide au développement. Mais une page se tourne et un premier bilan de l’opération Barkhane peut être fait. C’est le propos de cette note : analyser les décisions qui ont présidé à l’engagement militaire français ; mettre en évidence d’autres choix qui auraient pu être faits. Nous nous intéresserons ici d’abord à l’action militaire même s’il transparaîtra qu’elle ne peut pas être examinée isolément des dynamiques politiques, sociales et économiques.

  1. Les choix faits en 2013-2014 ont été structurants pour l’opération Barkhane

L’opération Barkhane, née en août 2014, était l’héritière de l’opération Serval, lancée en janvier 2013 pour reprendre le contrôle du nord du Mali tombé aux mains de groupes armés islamistes. Elle a également absorbé l’opération Épervier, présente au Tchad depuis février 1986 pour contribuer à la stabilité de ce pays. Elle doit donc être analysée à la lumière des choix effectués en 2013 et 2014. Nous n’évoquerons pas ici la guerre de 2011 en Libye, conduite par une coalition dirigée notamment par la France, qui a favorisé la déstabilisation du Sahel mais a constitué du point de vue de l’opération Barkhane une donnée extrinsèque.

Cette analyse de la genèse de l’opération Barkhane nous conduit à nous intéresser à quatre choix, pour certains répétés ensuite, qui se sont révélés structurants pour l’action militaire.

1.1. L’installation de la présence militaire au Sahel dans la durée

L’opération Barkhane aurait très bien pu ne pas exister. Une fois l’opération Serval réussie et les groupes armés islamistes chassés des villes du nord du Mali, la décision aurait pu être prise de quitter ce pays et de n’entreprendre une nouvelle action militaire qu’en cas de péril imminent. Les forces spéciales auraient eu la possibilité de mener des opérations ponctuelles. Les autorités maliennes se seraient retrouvées en première ligne face à un ennemi fortement affaibli, et auraient sans doute été davantage incitées à faire de la lutte contre le terrorisme une priorité. La France aurait évité de paraître de plus en plus, à mesure que le temps passait, comme une partie du problème plutôt que de la solution. Cette hypothèse, qui paraît de bon sens a posteriori[1], nous renvoie aux limites des interventions militaires : une force expéditionnaire peut renverser une situation et un rapport de force dans un court laps de temps mais son caractère exogène et sa faiblesse numérique la pénalisent face à une guérilla qui s’inscrit dans la durée.

Un choix différent a été fait, probablement à la fois parce que la situation semblait trop précaire et parce que les autorités françaises ont vu au Sahel un théâtre propre à affirmer la puissance nationale sur la scène mondiale. Cette deuxième raison mérite qu’on s’y arrête. Dans une mesure difficile à apprécier, les mobiles de la France au Sahel ne résidaient pas à Bamako, Niamey ou Kidal mais à New York, Bruxelles, Washington. La réaction très virulente à l’hypothèse d’une implication russe au Mali à l’automne 2021, avant même que celle-ci ne se matérialise, va dans le même sens : elle a été d’emblée analysée sous l’angle de la compétition entre puissances, après l’épisode centrafricain, accentuant l’impression que la France subissait quelques mois plus tard un revers du fait de son éviction par le groupe Wagner. Les autorités putschistes maliennes ont su instrumentaliser, à court terme du moins, les tensions stratégiques.

L’opération Barkhane a ainsi été, pendant plusieurs années, la vitrine de nos capacités militaires et une source de capital politique confortant la place de la France sur la scène internationale, sa présence au Conseil de sécurité des Nations unies et son statut de plus vieil allié des États-Unis. Ce capital a en partie été réinvesti pour faire bouger les lignes stratégiques à partir du Sahel avec une efficacité difficile à évaluer. On peut par exemple se demander si l’activation, au bénéfice notamment de l’opération Barkhane, de la clause de défense mutuelle prévue à l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne à la suite des attentats de novembre 2015, ou la création de la force multinationale européenne Takuba au Mali en mars 2020, ont marqué de vraies avancées pour la défense européenne.

La réponse est probablement positive mais dans une mesure modeste. Il paraît assez clair en revanche qu’elles n’ont pas permis d’altérer la situation stratégique au Sahel. Le bilan de l’opération Barkhane sera dans la suite de cette note évalué à l’aune de son but affiché, c’est-à-dire la lutte contre les groupes armés islamistes sahéliens, mais il doit tout autant être fait à la lumière du positionnement de la France sur la scène internationale. La question est dès lors de savoir si le coût humain (près de soixante soldats tués dans les opérations Serval et Barkhane), financier (de l’ordre du milliard d’euros par an) et politique (lié à la montée du sentiment antifrançais et à un retrait plus contraint que souhaité) n’est pas trop cher payé.

1.2. La promotion d’une solution négociée à la rébellion nordiste

L’élément déclencheur de la déstabilisation du Mali a été la rébellion lancée par les indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) en janvier 2012. Dominée par les Touaregs mais intégrant d’autres composantes de la société du nord du Mali, faisant écho aux soulèvements précédents (de 1916-1917 à 2007-2009), cette rébellion a été rapidement évincée par les groupes armés islamistes auxquels elle s’était associée. Mais une fois ceux-ci mis en déroute par l’opération Serval, le MNLA et son allié le Haut-Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) se sont retrouvés maîtres de la région septentrionale de Kidal, avec l’assentiment des troupes françaises. La France a alors fait le choix de promouvoir des négociations entre ces groupes rebelles et le gouvernement malien, alors que ce dernier envisageait une solution de force, ce qui s’est traduit notamment par une offensive ratée sur Kidal en mai 2014.

Ce choix a beaucoup été reproché à la France par la suite, une partie de la population malienne estimant qu’il confortait les rebelles et avalisait une partition de fait du pays en attendant l’issue des négociations. Il répondait à l’espoir de traiter les causes profondes des rébellions successives afin de mettre fin à une instabilité récurrente qui avait ouvert la voie aux groupes armés islamistes. Malheureusement, cet espoir n’a pas porté ses fruits. Le processus a buté non seulement sur des visions divergentes de la paix, mais aussi sur la rente politique, voire économique, qu’il a lui-même instaurée : les acteurs avaient finalement plus intérêt au statu quo, garanti par la communauté internationale, qu’à une solution médiane. Celle-ci était aussi nécessaire à long terme que coûteuse à court terme aux plans politique et financier. C’est ainsi qu’après l’accord de cessez-le-feu signé à Ouagadougou en juin 2013 entre le gouvernement malien, le MNLA et le HCUA, il a fallu deux ans émaillés de tensions pour obtenir la signature, sous médiation algérienne, d’un accord de paix. Celui-ci devait être mis en œuvre en deux ans mais il est encore loin de l’être à l’heure actuelle[2].

Pendant ce temps, le nombre de parties prenantes au processus de paix n’a cessé d’augmenter, une multitude de groupes armés se créant pour faire valoir leurs intérêts, représentant plus ou moins les diverses communautés du nord du Mali sur des bases ethniques ou infraethniques. Inspiré par les accords de paix précédents, notamment le Pacte national de 1992 et l’accord d’Alger de 2006, celui de 2015 n’a pas plus qu’eux permis de résoudre durablement la question de l’intégration des populations du nord du Mali, en particulier touarègues, à l’ensemble national.

Dans ce contexte, l’action de l’opération Barkhane a été rendue excessivement complexe par la coexistence d’une part de groupes armés participant au processus de paix qu’elle devait ménager voire accompagner dans le cadre de leur intégration à l’armée malienne, et d’autre part de groupes armés islamistes qui constituaient ses cibles. Elle a dû composer avec les interconnexions tribales, transactionnelles ou personnelles qui liaient les uns aux autres et au gouvernement malien. La communauté internationale, et en premier lieu la mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) créée en avril 2013, n’a pas su éviter la mise en place d’une véritable économie du processus de paix désincitant les acteurs à sortir de l’ornière. Elle a fait comme s’il s’agissait de maintenir et non d’imposer la paix, restant réticente à exercer toute forme de coercition (contrôle des armements, conditionnement de l’aide internationale).

1.3. Le refus constant de négocier avec les groupes armés islamistes

Avant même le début de l’opération Serval, alors que les groupes armés islamistes occupaient le nord du Mali, des négociations avaient commencé à Ouagadougou entre le gouvernement malien, le MNLA et le groupe Ansar Eddine. Ce dernier groupe était essentiellement constitué de Touaregs maliens alliés à al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il s’inscrivait d’abord dans une histoire locale, celle des rébellions touarègues auxquelles son chef Iyad ag Ghali avait participé en 1990-1991 et 2006, mais en s’en distinguant par son discours islamiste. Les négociations reprennent après la reconquête du nord du Mali par l’opération Serval, mais sans Ansar Eddine, dès lors classé parmi les groupes dits terroristes ciblés par les troupes françaises aux côtés d’AQMI. Il est vrai qu’entre-temps une partie des combattants d’Ansar Eddine avait formé un nouveau mouvement, le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), qui participait aux pourparlers et signait l’accord de cessez-le-feu de juin 2013. Aurait-il été possible, alors, d’entraîner Iyad ag Ghali dans le processus de négociations, d’isoler la composante internationaliste de la mouvance islamiste et de réduire ainsi l’ennemi sans combattre ? L’observateur en est livré à des spéculations.

Il est certain en revanche que les autorités françaises ont ensuite réaffirmé à plusieurs reprises leur refus d’ouvrir des négociations avec les groupes désignés à partir de 2013 comme terroristes, et qui après plusieurs recompositions s’organisent à l’heure actuelle en deux pôles concurrents : l’un dirigé par Iyad ag Ghali et lié à al-Qaida, l’autre qui a fait allégeance à l’État islamique en mai 2015. En mai 2021 encore, Emmanuel Macron conditionnait le maintien des troupes françaises à l’absence de telles négociations. Or c’était aller à l’encontre de la volonté des acteurs maliens eux-mêmes, telles qu’ils l’avaient exprimée lors de la conférence d’entente nationale en avril 2017 puis à l’issue du dialogue inclusif de décembre 2019. Le mouvement d’Iyad ag Ghali, de son côté, a donné des signes explicites en mars 2020[3] de vouloir engager un dialogue. Des négociations ont au demeurant eu lieu de manière ponctuelle, soit à propos de libération d’otages comme Soumaïla Cissé et Sophie Pétronin en octobre 2020[4], soit de situations locales spécifiques comme à Farabougou au Mali [5]ou Djibo au Burkina Faso[6].

Il est certes difficile d’affirmer avec certitude que des négociations plus générales auraient permis de trouver une solution durable au conflit. Mais en décourageant le gouvernement malien d’explorer cette voie, les autorités françaises en ont exclu la possibilité et au moins celle de diviser l’ennemi en favorisant la réintégration dans un processus politique d’une partie des combattants islamistes. Elles ont en fait adopté une rhétorique de guerre contre le terrorisme qui, au Sahel comme ailleurs, ne correspond pas aux dynamiques locales : si l’adhésion des groupes armés islamistes sahéliens à une idéologie mondialisée ne doit pas être réduite à un pur artifice, ils sont aussi mus par des considérations très locales qui échappent à des catégorisations binaires (terroriste / non terroriste) et qui auraient pu permettre de nouer un dialogue. Au demeurant, pendant que l’islamisme faisait figure de chiffon rouge dans les négociations au nord du Mali, il progressait politiquement au sud, avec pour figure de proue l’imam Mahmoud Dicko.

1.4. L’élargissement de la zone d’opérations à la région sahélienne

L’opération Barkhane avait pour caractéristique d’être une opération régionale, contrairement à l’opération Serval qui l’avait précédée. Sa zone d’opérations correspondait au G5 Sahel, une organisation formée en février 2014 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. La diplomatie et les forces militaires françaises ont beaucoup accompagné la montée en puissance du G5 Sahel, qui s’est doté d’une force transfrontalière en juillet 2017.

La stratégie régionale poursuivie répondait au départ à une volonté de lutter contre les flux d’armes et de combattants entre le sud de la Libye et le nord du Mali (via le Niger mais aussi l’Algérie), et au constat que les armées des autres pays sahéliens, notamment celle du Tchad, avaient apporté un appui précieux à l’opération Serval au Mali. Le paysage a toutefois commencé à changer significativement dès 2015, quelques mois après le lancement de l’opération Barkhane : les flux précités ont commencé à se tarir à la fois sous l’effet de l’action des forces françaises, de la diminution des stocks d’armes en Libye et de la reprise de la guerre civile dans ce pays[7] ; le centre de gravité des groupes islamistes a commencé à se déplacer vers le sud au Burkina Faso et au Niger ; et les troupes tchadiennes et nigériennes se sont trouvées en partie mobilisées par la lutte contre Boko Haram dans la région du lac Tchad. Au même moment toutefois, les attentats en France accéléraient l’adoption d’une rhétorique de guerre contre le terrorisme, et l’afflux de migrants en Europe alimentait une vision du Sahel comme un espace de trafics à entraver par l’addition de mesures sécuritaires et d’aide au développement.

En matière d’intervention militaire comme de politique migratoire, cette approche a été critiquée comme contraire aux dynamiques prévalant au Sahel, espace de circulation (et en effet de trafics[8]) entre l’Afrique de l’ouest et l’Afrique du nord, et donc stérile. Le G5 Sahel a par ailleurs été vu comme une création française, mal acceptée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest, organisation sous-régionale dont le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont membres aux côtés de douze autres pays. Au-delà, le défaut principal de cette stratégie a peut-être été d’effacer la diversité des contextes locaux, et de promouvoir une réponse militaire (et de développement) trop uniforme[9]. La déception française face au peu d’appétence de l’armée burkinabée pour un engagement de l’opération Barkhane au Burkina Faso[10] témoigne de cette volonté d’appliquer une réponse globale à des contextes qui pour être proches présentent des différences déterminantes[11].

  1. L’opération Barkhane n’a pas inversé les tendances profondes nourrissant la crise

Il est largement admis, y compris par l’armée française elle-même, que l’outil militaire ne saurait résoudre à lui seul une crise multidimensionnelle telle que celle que traverse le Sahel depuis dix ans et plus. Il en traite les symptômes plutôt que les causes profondes. Dans cette mesure, on peut dire que le bilan de l’opération Barkhane ne saurait être fait uniquement au regard de sa propre action, et que ses échecs sont ceux de la politique française et internationale de manière générale, voire qu’ils ne sont que le produit d’une situation inextricable dont les principaux responsables sont les acteurs locaux eux-mêmes. Ce n’est pas faux mais cela ne nous dispense pas d’examiner ce qui a fait que Barkhane, en tant qu’opération militaire, n’a pas été en mesure d’altérer cette situation.

Nous nous intéresserons dans ce cadre à trois dimensions de l’opération : la lutte contre les groupes armés islamistes, l’accompagnement des forces armées locales, et le soutien à des régimes défaillants et non démocratiques.

2.1. L’expansion continue des groupes armés islamistes au Sahel

Alors que l’opération Serval a connu des combats frontaux et des résultats clairs sous la forme de villes reconquises par les troupes françaises, l’opération Barkhane a dû faire face à un ennemi fuyant le contact et engagé dans une véritable guérilla. Ces vingt dernières années, les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont montré la complexité d’un tel contexte y compris pour une armée moderne. De fait, même si des coups sévères ont été portés aux groupes armés islamistes, dont l’élimination de certains de leurs chefs comme Yahya Abu al-Hammam en 2019, Abdelmalek Droukdel et Bah ag Moussa en 2020 ou Adnan Abu Walid al-Sahraoui en 2021, rien n’indique en fait que le rapport de forces ait été véritablement altéré au niveau stratégique[12]. Au cours des dix dernières années, ces groupes ont poursuivi leur stratégie d’implantation locale, accentuant leur résilience face à la mort de leurs dirigeants. Ils ont su s’insérer dans les dynamiques politiques et communautaires de plus en plus au sud, d’abord dans le delta intérieur du Niger, le nord et l’est du Burkina Faso et la région de Tillabéri au Niger, plus récemment dans les régions méridionales du Mali et le nord des pays côtiers.

Toutes choses égales par ailleurs, on peut dire que l’opération Barkhane a simplement manqué de moyens. L’armement des drones Reaper en décembre 2019 et le renforcement des effectifs de 4 500 à 5 100 soldats début 2020, de toute manière insuffisants, ont produit des effets trop tardifs. Rappelons que l’opération comptait initialement 3 000 soldats pour une zone d’opérations de centaines de milliers de kilomètres carrés dans un environnement particulièrement corrosif pour les hommes comme pour les équipements. Cela renvoie à la question évidente, mais parfois escamotée, de l’adéquation entre la mission et les moyens d’une telle opération.

Dans ce contexte, les troupes françaises ne pouvaient guère qu’empêcher les groupes armés islamistes de reprendre le contrôle de villes maliennes, frapper ponctuellement des regroupements de combattants ou des chefs ennemis, et rechercher le contact avec un adversaire qui l’évitait le plus souvent. Le déport du centre de gravité de la menace vers le sud a entraîné un redéploiement progressif du dispositif (ouverture d’une base à Ménaka en 2018 et d’une autre à Gossi en 2019, fermeture de celles de Madama en 2019 puis de Kidal, Tessalit et Tombouctou en 2021) qui a conduit les troupes françaises à concentrer ses efforts sur des zones plus circonscrites mais aussi plus densément peuplées. Elles ont fait le choix de ne pas s’aventurer plus au sud encore, dans les régions de Mopti et Ségou au centre du Mali, où les groupes armés islamistes ont renforcé progressivement leur présence. Elles n’auraient sans doute pas pu y éviter les mêmes écueils qu’ailleurs, dans une zone dont les autorités maliennes n’avaient pas été chassées, et avaient donc a priori plus d’atouts pour résister.

2.2. La difficile montée en puissance des forces armées locales

Les autorités françaises, conscientes que la capacité de l’opération Barkhane à vaincre les groupes islamistes armés était limitée, ont défini la mission des troupes françaises comme étant de conserver l’ascendant sur ces groupes jusqu’à ce que les forces locales soient en mesure d’y faire face seules. C’était conditionner le désengagement à la montée en puissance des forces armées sahéliennes. Or celles-ci, sous-dimensionnées, sous-équipées, parfois minées par la corruption, étaient loin de pouvoir remplir leur mission. L’armée malienne en particulier avait non seulement été mise en déroute en 2012 mais elle avait connu la même année de meurtrières luttes intestines à la suite du putsch d’Amadou Sanogo. Dix ans après, sa situation ne paraît guère plus brillante, et le recours aux mercenaires du groupe Wagner est, au-delà des nombreuses questions qu’il pose, un nouvel aveu de faiblesse.

Aux côtés de la mission européenne d’entraînement des forces armées maliennes (EUTM Mali)[13] et de la coopération de défense mise en œuvre par la communauté internationale, l’opération Barkhane a elle aussi, avec des ambitions plus modestes, cherché à appuyer le renforcement de ses partenaires du G5 Sahel et leur interopérabilité. Elle l’a fait notamment en déployant des détachements de liaison et d’appui opérationnel, c’est-à-dire des détachements d’une trentaine de soldats chargés d’accompagner au combat des unités maliennes et nigériennes, en vue de les aider à améliorer leurs modes d’action et de les faire bénéficier de certains des moyens des forces françaises. L’inconvénient de ce type de dispositifs, outre qu’ils peuvent réactiver des modèles coloniaux, est qu’ils confortent le partenaire local au niveau tactique sans que ses défaillances structurelles soient remises en cause.

Indépendamment des questions de corruption et d’organisation des armées, la question des droits humains est ici centrale. Les armées sahéliennes se rendent régulièrement coupables d’exactions qui, en plus de leur caractère condamnable en soi, ont un effet contre-productif en matière de lutte contre-insurrectionnelle. La commission nationale des droits humains du Niger a par exemple documenté le massacre d’au moins soixante et onze personnes en mars et avril 2020 dans la région de Tillabéri[14]. Le plus souvent les événements de ce type sont passés sous silence. Les troupes françaises ont donc couru le risque de se voir mêlées, de près ou de loin, à de telles violations des droits de l’homme. C’est pire lorsqu’elles ont accompagné non pas les forces armées maliennes ou nigériennes mais des groupes armés ethniques comme le Mouvement pour le salut de l’Azawad et le Groupe d’autodéfense des Touaregs imghads et alliés en 2017-2018[15] au nom de la lutte contre l’État islamique. L’opération Barkhane s’est donc non seulement trouvée associée à des acteurs eux-mêmes potentiellement impliqués dans des crimes, mais entraînée dans des affrontements intercommunautaires (ciblant en l’occurrence les Peuls) et dans un appui à des acteurs non-étatiques dont la prolifération sape la reconstruction d’une armée nationale qu’il s’agissait pourtant d’accompagner.

C’est lors d’une opération menée avec les forces armées maliennes que l’opération Barkhane a été elle-même accusée d’avoir, en janvier 2021, bombardé par erreur des civils dans la localité de Bounti[16]. Les autorités françaises ont démenti ces accusations, relayées par la MINUSMA, sans toutefois apporter d’éléments à l’appui de leurs dénégations. Quelle que soit la réalité des faits, cela a été une occasion manquée de démontrer le sérieux accordé à la question des bavures, et a fortiori des exactions. Le bilan des détachements de liaison et d’appui opérationnel, et de l’accompagnement au combat des armées sahéliennes, ne se résume pas à la question de la violation des droits humains, mais celle-ci en révèle les limites : utile et efficace tactiquement, l’intégration entre les troupes françaises et forces locales passait outre les défaillances structurelles de celles-ci.

2.3. Le soutien à des régimes défaillants et non démocratiques

La faiblesse des armées sahéliennes n’est qu’un des aspects de ce qu’il est convenu d’appeler la mauvaise gouvernance[17] : corruption, clientélisme, faiblesse des services publics, et cætera. L’opération Barkhane n’avait pas vocation à résoudre une question aussi complexe. Mais sa présence même contribuait à conforter des gouvernements et des institutions contribuant à cette mauvaise gouvernance. Le cas le plus flagrant a été le bombardement en février 2019 par les forces françaises d’une colonne de rebelles tchadiens de l’Union des forces de résistance qui se dirigeait vers Ndjamena depuis la Libye. Si les raisons de cette action sont évidentes (volonté d’éviter une nouvelle source de déstabilisation au Sahel et d’honorer une alliance avec un pays engagé au Mali) il n’en reste pas moins que les troupes françaises sont intervenues à l’appui d’un régime autoritaire hors de tout mandat antiterroriste. Cela ne pouvait qu’alimenter le sentiment d’une complicité de la France avec des élites discréditées dont la gouvernance nourrit l’instabilité.

L’opération Barkhane s’est par ailleurs déroulée dans un contexte marqué par l’immixtion répétée des armées dans les processus politiques : putschs d’août 2020 et mai 2021 au Mali et de janvier 2022 au Burkina Faso, tentatives de putsch en décembre 2015 et mars 2021 au Niger et en septembre 2016 au Burkina Faso… Les militaires français leur sont restés étrangers. Mais la suspension de la coopération opérationnelle avec les forces armées maliennes à la suite du second putsch d’Assimi Goïta (mai 2021) pose rétrospectivement la question de l’absence de mesure de ce type lors du premier (août 2020). Le renversement du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, lui-même élu et réélu dans des conditions contestées, a même un temps été accueilli positivement par les autorités françaises[18]. La France a aussi avalisé la prise de pouvoir par Mahamat Déby au Tchad, hors de tout processus constitutionnel, après la mort de son père au combat en avril 2021. Aucune conséquence n’en a été tirée quant au partenariat militaire entre les deux pays, au risque de décomplexer les putschistes en puissance au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et de nourrir le désenchantement des populations.

L’opération Barkhane n’avait pas pour but d’installer la démocratie au Sahel, et c’est sans doute heureux au vu des dernières expériences de ce type. Elle n’avait pas non plus vocation à réformer les modes de gouvernance des pays sahéliens, ce qui suppose d’autres types d’intervention à l’appui de dynamiques endogènes. Mais force est de constater qu’elle a, en tant qu’outil militaire, contribué à conforter des régimes défaillants et non démocratiques. Ces régimes ont compris que se poser en garant d’une stabilité aussi fragile soit-elle, voire en exportateur de sécurité, valait impunité. Or c’est cette impunité même qui constitue une des racines des crises dont l’opération Barkhane a cherché pendant sept ans et demi à traiter les symptômes. On est là face à une mécanique typique de la guerre contre le terrorisme.

La mission dévolue aux armées françaises dans le cadre de l’opération Barkhane était-elle impossible ? Cette note en a implicitement fait le constat : avec des moyens insuffisants, les soldats français ont évolué dans un environnement complexe et défavorable, car marqué par la persistance voire l’aggravation des causes structurelles de la crise. Cette note a toutefois aussi cherché à ouvrir une réflexion sur les choix politiques et opérationnels qui peuvent expliquer le bilan de sept années et demie (neuf en comptant l’opération Serval) d’engagement. Au sortir du brouillard de la guerre, il est nécessaire, sans nier la difficulté d’agir, d’opérer un retour sur l’expérience de l’opération Barkhane. D’autres choix auraient pu être faits, en particulier celui de chercher une solution négociée avec au moins une partie des groupes armés islamistes. C’est peut-être la voie que va à présent explorer le régime putschiste malien, mais aussi notre allié nigérien qui devrait désormais accueillir l’essentiel des troupes françaises et européennes présentes au Sahel[19].

[1]https://www.lefigaro.fr/vox/monde/colonel-michel-goya-la-france-aurait-du-s-arreter-a-temps-au-mali-20220203

[2] https://www.cartercenter.org/peace/conflict_resolution/mali-io.html

[3] https://warontherocks.com/2020/04/france-should-give-mali-space-to-negotiate-with-jihadists/

[4] https://www.liberation.fr/planete/2020/10/15/echange-de-prisonniers-au-mali-le-coup-de-la-liberation_1802490/

[5] https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-afrique/20210411-dans-les-coulisses-de-l-accord-de-niono-au-mali-1-4

[6] https://www.thenewhumanitarian.org/2021/03/11/exclusive-burkina-faso-s-secret-peace-talks-and-fragile-jihadist-ceasefire

[7] https://www.smallarmssurvey.org/sites/default/files/resources/SAS-SANA-Report-Niger-FR.pdf

[8] https://www.recherches-internationales.fr/RI117/RI117_Soto_Mayor.pdf

[9] https://aoc.media/analyse/2021/06/13/de-barkhane-au-developpement-la-revanche-des-contextes/

[10] https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/burkina-faso/254-social-roots-jihadist-violence-burkina-fasos-north

[11] https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2441/Etude_IRSEM_n51_2017.pdf

[12] https://newlinesinstitute.org/al-qaeda/implications-of-al-qaeda-in-the-islamic-maghrebs-new-leadership/

[13] https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/3233/RP_IRSEM_89.pdf

[14] https://cndh-niger.org/images/pdf/Rapport_Final_Mission_Investigation_Inates_Ayorou_2020-CNDH-REPPAD-Last%20(2)_2.pdf

[15] https://afriquexxi.info/article4912.html

[16] https://www.middleeasteye.net/fr/entretiens/france-mali-frappe-bounti-mariage-bavure-civils-rapport-onu-barkhane

[17] https://www.ispionline.it/en/pubblicazione/hollowness-governance-talk-and-about-sahel-30026

[18] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/18/barkhane-defaite-d-une-utopie-politico-militaire_6114184_3212.html

[19] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220225-niger-mohamed-bazoum-défend-la-venue-de-militaires-étrangers-supplémentaires

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