Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

L’adaptation n’est pas une question technocratique, c’est celle de l’institutionnalisation de l’entraide

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L’adaptation n’est pas une question technocratique, c’est celle de l’institutionnalisation de l’entraide

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Auteurs
Ilian Moundib

Ilian Moundib

Ilian Moundib est ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique. Diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et titulaire d’un master de science physique de l’Imperial College de Londres. Il est consultant, conférencier et formateur indépendant sur les questions d’adaptation aux risques climatiques. Il accompagne de grands acteurs publics comme privés sur ces sujets cruciaux. Membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau, il a publié trois notes à destination des pouvoirs publics français portant sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique, l’adaptation de la France au changement climatique et le déploiement de la sobriété numérique. Ilian est l’auteur d’une formation en ligne de 10h dispensée sur la plateforme Sator.fr intitulée «Construire l'adaptation climatique - Les enjeux et méthodes de l’adaptation du territoire au changement climatique » . Cette masterclass transmet de manière inédite les notions et les outils d'une adaptation efficace au changement climatique sur nos territoires de France. Villes, agriculture, infrastructures, industrie, énergie, littoraux, forêts, montagnes… Le cours parcourt les méthodes comme les opportunités qui permettront de construire ensemble la véritable résilience à toutes les échelles. Ilian est régulièrement sollicité pour dispenser des conférences grand public, comme à l’Ecole Centrale de Lyon, à l’Académie du climat ou à Produrable ainsi que des formations et ateliers collaboratifs dans un cadre professionnel. En tant que consultant indépendant sur la question de l’adaptation au changement climatique et de la résilience des organisations : il intervient régulièrement dans la réalisation d’étude de risques climatiques physiques et de risques de transition dans le but de diagnostiquer l’exposition et la vulnérabilité de tous types d’acteurs. Habitué à l’usage des modèles climatiques et des cadres réglementaires RSE comme la CSRD, il utilise cette phase de cartographie et d’analyse par scénario pour proposer une quantification des pertes potentielles (coût de l’inaction) et la mise en place de plans de résilience visant à réduire la vulnérabilité de l’acteur en question. La connaissance des sujets liés à l’eau, la biodiversité, les ressources fossiles et métalliques permet de donner un caractère complet et systémique à ses analyses de résilience. Ensuite, il s’est spécialisé sur la question de l’empreinte climatique du numérique et de la mise en application de la sobriété carbone du secteur. Il a ainsi pu mettre sur pied l’un premier modèle d’évaluation de l’impact climatique lié aux différentes étapes du transfert de l’information pour le compte de la société EcoAct pour laquelle il a travaillé 4 ans. Il a également eu l’occasion de publier de nombreuses notes sur le sujet dont une pour l’Institut Rousseau. Finalement, il possède aussi une solide expérience des diagnostics d’émissions des gaz à effet de serre des organisations (Bilan Carbone® et GHG Protocol) ainsi que dans l’établissement de trajectoire de réduction compatible avec les budgets carbone du GIEC. Il se trouve également être formateur pour La Fresque de Climat, et des Ateliers de l’adaptation au changement climatique (AdACC), ateliers de sensibilisation qu’il anime régulièrement.

L’adaptation n’est pas une question technocratique, c’est celle de l’institutionnalisation de l’entraide

Auteurs

Pour la sortie de son essai graphique « S’adapter au changement climatique Fake or Not ? » paru le 7 novembre aux éditions Tana, Ilian Moundib Ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique propose de reformuler complètement l’approche technocratique de l’adaptation.

Les terribles inondations de Valence nous ont à nouveau rappelés à la réalité violente d’un extrême météorologique sous changement climatique alors que nous ne sommes encore qu’à +1 °C. Imaginez maintenant son équivalent à +3 °C dans le monde c’est-à-dire +4 °C en France, car le continent européen se réchauffe plus rapidement que le reste du monde.

Devant ce tableau, un Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3) sans financement et sans boussole paru il y a quelques semaines semble déjà hors de propos. Il n’y a pas de « dette écologique », mais plutôt une destruction irréversible des conditions d’habitabilité de notre pays. Nos sécurités sanitaires, alimentaires et hydriques sont déjà en danger.

Ainsi, nous n’avons plus le choix que d’organiser le ré-encastrement de nos économies dans les limites planétaires. Pourtant, réduire l’adaptation à un sujet d’experts est une erreur fondamentale. Il faut politiser la notion pour qu’elle puisse faire l’objet de choix démocratiques conscients et éclairés.

Il faut reformuler la question de l’adaptation comme celle de la mise en sécurité sociale des besoins vitaux et des communs. L’effondrement en cours va continuer à disloquer les réseaux de transports, d’eau d’électricité, etc. et donc l’accès aux communs dont nous dépendons pour accéder à nos besoins vitaux. En ce sens, le statu quo nous place durablement en insécurité alimentaire, hydrique, sanitaire et sociale. Nous ne pourrons affronter le monde fluctuant sans généraliser concrètement les réflexes de l’entraide.


Atténuer le changement climatique c’est permettre l’adaptation

Rappelons d’abord l’essentiel, l’atténuation du changement climatique est la condition de notre adaptation. En effet, la dérive climatique n’est pas linéaire, il existe des paliers d’emballement et au-delà de 2 °C, tout devient incertain. Au-dessus d’un certain seuil de réchauffement, la circulation thermohaline[1] s’arrêtera au moins partiellement et avec elle l’efficacité de la plongée du carbone atmosphérique dans l’océan. Les conditions de sécheresse de l’Amazonie deviendront si intenses qu’une partie de la forêt tropicale se changera en savane et tout son carbone retournera à l’atmosphère.

Sur le front de l’emballement climatique, nous sommes actuellement face à une incertitude insurmontable. Les scientifiques ne s’accordent pas sur les seuils. Cet emballement a peut-être même déjà commencé avec l’effondrement des puits de carbone constaté en 2023. Ainsi, en réalité, rien ne garantit que nous nous arrêterons magiquement à +4 °C en France.

Un troisième plan d’adaptation pour rien ? 

Début 2024, l’ancien ministre Christophe Béchu désignait l’adaptation comme « un chantier comparable à celui de la Libération : il faut tout reconstruire, tout repenser, faire évoluer nos modèles, nos référentiels, nos règles. […] Il faut l’élever à un degré de priorité égal à celui d’une politique régalienne. »

10 mois de travail plus tard, nous avons devant les yeux 51 mesures qui, individuellement, parcourent de façon cohérente les différents enjeux sans pour autant dessiner, ensemble, les contours d’une véritable planification. Nous ne sommes pas face à « un plan d’adaptation », mais à un catalogue de recommandations parfois pertinentes, mais souvent trop vagues et non opérationnelles.

Le PNACC3 fournit un cadre, définit des objectifs et égraine une série de consultations. Dans les grandes lignes, il consiste en une incitation des grands acteurs publics et privés à initier un diagnostic de risque climatique sur leur territoire et le long de leur chaine de valeur. Tout cela est un indispensable, mais nous aurions pu attendre tellement plus. Il faut dépasser un constat déjà fait et refait pour planifier une réelle adaptation à la hauteur des défis à affronter.

Ce ne sont pas les 75 millions d’euros supplémentaires accordés au fond Barnier qui permettront à nos territoires littoraux et à nos collectivités d’Outremer d’organiser la relocalisation des activités menacées par l’élévation du niveau de la mer. Si peu de moyens sont prévus pour accélérer l’inclusion de trames vertes, bleues et noires dans nos villes pour mieux résister au trop chaud et au trop d’eau. Le PNACC fait état d’un objectif de renaturation de 1 000 ha d’espaces urbains par an alors que c’est autour de 20 000 ha qui sont artificialisés chaque année. Le déficit est de 19 000 ha par an, soit la superficie de la ville de Dijon.

Dans un contexte d’effondrement de nos puits de carbone forestier, les effectifs de l’Office National des Forêts continuent d’être réduits à peau de chagrin en plus des menaces qui pèsent sur les autres opérateurs publics de l’adaptation (ADEME, Météo France, etc.). Pas de retour en arrière non plus sur la diminution de l’enveloppe allouée au dispositif Ma Prime Renov’.

Pour organiser une adaptation à la hauteur, il nous faut une planification écologique qui se donne les moyens de prévenir et d’organiser la transformation post-catastrophe.

Surmonter l’adaptation technocratique par la réappropriation des Communs

Pour s’adapter, il faut d’abord prévenir le risque. Ainsi, l’enjeu est celui de l’accès et du partage des communs. S’adapter c’est conserver un air respirable, une terre hors d’eau, une eau douce disponible et potable, un sol nourricier, des végétaux qui captent du carbone, une qualité de vie et une fraternité.

Pour préserver ces 7 communs, il faut organiser 7 planifications. Pour affronter le trio infernal : canicule, sécheresse et inondation, il faudra réinventer notre aménagement du territoire en désartificialisant de toute urgence nos villes, en y incluant des trames vertes, bleues et noires, en restaurant le flux naturel de nos cours d’eau et en régénérant nos écosystèmes fluviaux et côtiers. Il faudra stopper l’artificialisation du périurbain et du littoral pour libérer les sols. Nous devrons institutionnaliser la sobriété hydrique et le partage de l’eau. Nous devrons accomplir la bifurcation agricole en généralisant le paradigme de l’hydrologie régénérative. L’enjeu est de réinventer une sylviculture capable de maintenir nos puits de carbone vivant. Il faudra trouver le moyen de mettre en œuvre une réindustrialisation tournée autour de l’économie circulaire tout en généralisant les réflexes de solidarité dans la population.

Organiser l’entraide pour entrer durablement dans le monde fluctuant

Comme après le séisme de septembre 2023 qui avait ravagé le Maroc, on a vu prendre, forme un immense élan de solidarité en Espagne à la suite des inondations de Valence. En plus d’être réconfortantes, ces images nous rappellent une grande leçon anthropologique : les groupes humains qui résistent le mieux aux catastrophes sont ceux qui ont institutionnalisé l’entraide : c’est-à-dire qu’ils ont dépassé l’entraide spontanée pour construire des institutions qui l’organisent.

Pourtant, l’effondrement en cours va continuer de disloquer les réseaux dont nous dépendons pour accéder à nos besoins vitaux. L’entraide spontanée ne sera pas suffisante pour affronter des chocs qui s’aggravent et se resserrent. Il nous faut reconstruire et inventer concrètement les institutions qui l’organiseront à tous les niveaux.

Ainsi, il faudra prendre appui sur les crises pour subvertir progressivement, mais durablement les institutions à l’origine du maintien dans un statu quo ingérable. Planifier notre robustesse c’est garantir l’accès sans condition aux besoins vitaux et la mise en lien avec le vivant comme entre humains.

L’histoire nous apprend que tout cela est très concret. La Sécurité sociale est l’exemple d’une institution d’entraide bâtie sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale. Pour sortir la vieillesse et la santé de la logique marchande, elle a unifié les caisses autogérées par un petit nombre de travailleurs avant-gardistes.

Cette démarche doit nous inspirer. Cette adaptation concrète s’organise donc déjà à la base par la prolifération d’initiatives citoyennes qui travaillent à la réappropriation de nos besoins, de nos communs et de nos temps de vie ou qui affrontent la domination sous toutes ses formes. Toutes posent en réalité les bases d’un Nouveau Monde en train de naître.

À l’image de la Sécurité sociale, les acquis de ses luttes se généraliseront en temps voulu. Le plus tôt sera le mieux.

De fait, s’adapter c’est planifier la prévention et organiser une grande mise en commun. Il faut poser la question de l’adaptation sous l’angle de la mise en sécurité sociale de notre accès à l’alimentation, à l’eau, aux soins, à l’énergie, au logement, à la culture et au lien social. Ce sont les institutions de l’entraide qui permettront d’organiser les réponses successives aux chocs qui s’annoncent. C’est le partage des réflexes de l’entraide qui permettra de conserver notre cohésion en tant que société libre, égalitaire et fraternelle. Le futur sera collectif ou ne sera pas.

[1] La circulation thermohaline est un système de courants océaniques qui se forme en raison des différences de densité des masses d’eau liées à leur température (thermo) et à leur salinité (halin). De nombreuses études montrent que cette circulation se transforme sous l’effet du changement climatique.

Publié le 14 novembre 2024

L’adaptation n’est pas une question technocratique, c’est celle de l’institutionnalisation de l’entraide

Auteurs

Ilian Moundib
Ilian Moundib est ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique. Diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et titulaire d’un master de science physique de l’Imperial College de Londres. Il est consultant, conférencier et formateur indépendant sur les questions d’adaptation aux risques climatiques. Il accompagne de grands acteurs publics comme privés sur ces sujets cruciaux. Membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau, il a publié trois notes à destination des pouvoirs publics français portant sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique, l’adaptation de la France au changement climatique et le déploiement de la sobriété numérique. Ilian est l’auteur d’une formation en ligne de 10h dispensée sur la plateforme Sator.fr intitulée «Construire l'adaptation climatique - Les enjeux et méthodes de l’adaptation du territoire au changement climatique » . Cette masterclass transmet de manière inédite les notions et les outils d'une adaptation efficace au changement climatique sur nos territoires de France. Villes, agriculture, infrastructures, industrie, énergie, littoraux, forêts, montagnes… Le cours parcourt les méthodes comme les opportunités qui permettront de construire ensemble la véritable résilience à toutes les échelles. Ilian est régulièrement sollicité pour dispenser des conférences grand public, comme à l’Ecole Centrale de Lyon, à l’Académie du climat ou à Produrable ainsi que des formations et ateliers collaboratifs dans un cadre professionnel. En tant que consultant indépendant sur la question de l’adaptation au changement climatique et de la résilience des organisations : il intervient régulièrement dans la réalisation d’étude de risques climatiques physiques et de risques de transition dans le but de diagnostiquer l’exposition et la vulnérabilité de tous types d’acteurs. Habitué à l’usage des modèles climatiques et des cadres réglementaires RSE comme la CSRD, il utilise cette phase de cartographie et d’analyse par scénario pour proposer une quantification des pertes potentielles (coût de l’inaction) et la mise en place de plans de résilience visant à réduire la vulnérabilité de l’acteur en question. La connaissance des sujets liés à l’eau, la biodiversité, les ressources fossiles et métalliques permet de donner un caractère complet et systémique à ses analyses de résilience. Ensuite, il s’est spécialisé sur la question de l’empreinte climatique du numérique et de la mise en application de la sobriété carbone du secteur. Il a ainsi pu mettre sur pied l’un premier modèle d’évaluation de l’impact climatique lié aux différentes étapes du transfert de l’information pour le compte de la société EcoAct pour laquelle il a travaillé 4 ans. Il a également eu l’occasion de publier de nombreuses notes sur le sujet dont une pour l’Institut Rousseau. Finalement, il possède aussi une solide expérience des diagnostics d’émissions des gaz à effet de serre des organisations (Bilan Carbone® et GHG Protocol) ainsi que dans l’établissement de trajectoire de réduction compatible avec les budgets carbone du GIEC. Il se trouve également être formateur pour La Fresque de Climat, et des Ateliers de l’adaptation au changement climatique (AdACC), ateliers de sensibilisation qu’il anime régulièrement.

Pour la sortie de son essai graphique « S’adapter au changement climatique Fake or Not ? » paru le 7 novembre aux éditions Tana, Ilian Moundib Ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique propose de reformuler complètement l’approche technocratique de l’adaptation.

Les terribles inondations de Valence nous ont à nouveau rappelés à la réalité violente d’un extrême météorologique sous changement climatique alors que nous ne sommes encore qu’à +1 °C. Imaginez maintenant son équivalent à +3 °C dans le monde c’est-à-dire +4 °C en France, car le continent européen se réchauffe plus rapidement que le reste du monde.

Devant ce tableau, un Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3) sans financement et sans boussole paru il y a quelques semaines semble déjà hors de propos. Il n’y a pas de « dette écologique », mais plutôt une destruction irréversible des conditions d’habitabilité de notre pays. Nos sécurités sanitaires, alimentaires et hydriques sont déjà en danger.

Ainsi, nous n’avons plus le choix que d’organiser le ré-encastrement de nos économies dans les limites planétaires. Pourtant, réduire l’adaptation à un sujet d’experts est une erreur fondamentale. Il faut politiser la notion pour qu’elle puisse faire l’objet de choix démocratiques conscients et éclairés.

Il faut reformuler la question de l’adaptation comme celle de la mise en sécurité sociale des besoins vitaux et des communs. L’effondrement en cours va continuer à disloquer les réseaux de transports, d’eau d’électricité, etc. et donc l’accès aux communs dont nous dépendons pour accéder à nos besoins vitaux. En ce sens, le statu quo nous place durablement en insécurité alimentaire, hydrique, sanitaire et sociale. Nous ne pourrons affronter le monde fluctuant sans généraliser concrètement les réflexes de l’entraide.


Atténuer le changement climatique c’est permettre l’adaptation

Rappelons d’abord l’essentiel, l’atténuation du changement climatique est la condition de notre adaptation. En effet, la dérive climatique n’est pas linéaire, il existe des paliers d’emballement et au-delà de 2 °C, tout devient incertain. Au-dessus d’un certain seuil de réchauffement, la circulation thermohaline[1] s’arrêtera au moins partiellement et avec elle l’efficacité de la plongée du carbone atmosphérique dans l’océan. Les conditions de sécheresse de l’Amazonie deviendront si intenses qu’une partie de la forêt tropicale se changera en savane et tout son carbone retournera à l’atmosphère.

Sur le front de l’emballement climatique, nous sommes actuellement face à une incertitude insurmontable. Les scientifiques ne s’accordent pas sur les seuils. Cet emballement a peut-être même déjà commencé avec l’effondrement des puits de carbone constaté en 2023. Ainsi, en réalité, rien ne garantit que nous nous arrêterons magiquement à +4 °C en France.

Un troisième plan d’adaptation pour rien ? 

Début 2024, l’ancien ministre Christophe Béchu désignait l’adaptation comme « un chantier comparable à celui de la Libération : il faut tout reconstruire, tout repenser, faire évoluer nos modèles, nos référentiels, nos règles. […] Il faut l’élever à un degré de priorité égal à celui d’une politique régalienne. »

10 mois de travail plus tard, nous avons devant les yeux 51 mesures qui, individuellement, parcourent de façon cohérente les différents enjeux sans pour autant dessiner, ensemble, les contours d’une véritable planification. Nous ne sommes pas face à « un plan d’adaptation », mais à un catalogue de recommandations parfois pertinentes, mais souvent trop vagues et non opérationnelles.

Le PNACC3 fournit un cadre, définit des objectifs et égraine une série de consultations. Dans les grandes lignes, il consiste en une incitation des grands acteurs publics et privés à initier un diagnostic de risque climatique sur leur territoire et le long de leur chaine de valeur. Tout cela est un indispensable, mais nous aurions pu attendre tellement plus. Il faut dépasser un constat déjà fait et refait pour planifier une réelle adaptation à la hauteur des défis à affronter.

Ce ne sont pas les 75 millions d’euros supplémentaires accordés au fond Barnier qui permettront à nos territoires littoraux et à nos collectivités d’Outremer d’organiser la relocalisation des activités menacées par l’élévation du niveau de la mer. Si peu de moyens sont prévus pour accélérer l’inclusion de trames vertes, bleues et noires dans nos villes pour mieux résister au trop chaud et au trop d’eau. Le PNACC fait état d’un objectif de renaturation de 1 000 ha d’espaces urbains par an alors que c’est autour de 20 000 ha qui sont artificialisés chaque année. Le déficit est de 19 000 ha par an, soit la superficie de la ville de Dijon.

Dans un contexte d’effondrement de nos puits de carbone forestier, les effectifs de l’Office National des Forêts continuent d’être réduits à peau de chagrin en plus des menaces qui pèsent sur les autres opérateurs publics de l’adaptation (ADEME, Météo France, etc.). Pas de retour en arrière non plus sur la diminution de l’enveloppe allouée au dispositif Ma Prime Renov’.

Pour organiser une adaptation à la hauteur, il nous faut une planification écologique qui se donne les moyens de prévenir et d’organiser la transformation post-catastrophe.

Surmonter l’adaptation technocratique par la réappropriation des Communs

Pour s’adapter, il faut d’abord prévenir le risque. Ainsi, l’enjeu est celui de l’accès et du partage des communs. S’adapter c’est conserver un air respirable, une terre hors d’eau, une eau douce disponible et potable, un sol nourricier, des végétaux qui captent du carbone, une qualité de vie et une fraternité.

Pour préserver ces 7 communs, il faut organiser 7 planifications. Pour affronter le trio infernal : canicule, sécheresse et inondation, il faudra réinventer notre aménagement du territoire en désartificialisant de toute urgence nos villes, en y incluant des trames vertes, bleues et noires, en restaurant le flux naturel de nos cours d’eau et en régénérant nos écosystèmes fluviaux et côtiers. Il faudra stopper l’artificialisation du périurbain et du littoral pour libérer les sols. Nous devrons institutionnaliser la sobriété hydrique et le partage de l’eau. Nous devrons accomplir la bifurcation agricole en généralisant le paradigme de l’hydrologie régénérative. L’enjeu est de réinventer une sylviculture capable de maintenir nos puits de carbone vivant. Il faudra trouver le moyen de mettre en œuvre une réindustrialisation tournée autour de l’économie circulaire tout en généralisant les réflexes de solidarité dans la population.

Organiser l’entraide pour entrer durablement dans le monde fluctuant

Comme après le séisme de septembre 2023 qui avait ravagé le Maroc, on a vu prendre, forme un immense élan de solidarité en Espagne à la suite des inondations de Valence. En plus d’être réconfortantes, ces images nous rappellent une grande leçon anthropologique : les groupes humains qui résistent le mieux aux catastrophes sont ceux qui ont institutionnalisé l’entraide : c’est-à-dire qu’ils ont dépassé l’entraide spontanée pour construire des institutions qui l’organisent.

Pourtant, l’effondrement en cours va continuer de disloquer les réseaux dont nous dépendons pour accéder à nos besoins vitaux. L’entraide spontanée ne sera pas suffisante pour affronter des chocs qui s’aggravent et se resserrent. Il nous faut reconstruire et inventer concrètement les institutions qui l’organiseront à tous les niveaux.

Ainsi, il faudra prendre appui sur les crises pour subvertir progressivement, mais durablement les institutions à l’origine du maintien dans un statu quo ingérable. Planifier notre robustesse c’est garantir l’accès sans condition aux besoins vitaux et la mise en lien avec le vivant comme entre humains.

L’histoire nous apprend que tout cela est très concret. La Sécurité sociale est l’exemple d’une institution d’entraide bâtie sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale. Pour sortir la vieillesse et la santé de la logique marchande, elle a unifié les caisses autogérées par un petit nombre de travailleurs avant-gardistes.

Cette démarche doit nous inspirer. Cette adaptation concrète s’organise donc déjà à la base par la prolifération d’initiatives citoyennes qui travaillent à la réappropriation de nos besoins, de nos communs et de nos temps de vie ou qui affrontent la domination sous toutes ses formes. Toutes posent en réalité les bases d’un Nouveau Monde en train de naître.

À l’image de la Sécurité sociale, les acquis de ses luttes se généraliseront en temps voulu. Le plus tôt sera le mieux.

De fait, s’adapter c’est planifier la prévention et organiser une grande mise en commun. Il faut poser la question de l’adaptation sous l’angle de la mise en sécurité sociale de notre accès à l’alimentation, à l’eau, aux soins, à l’énergie, au logement, à la culture et au lien social. Ce sont les institutions de l’entraide qui permettront d’organiser les réponses successives aux chocs qui s’annoncent. C’est le partage des réflexes de l’entraide qui permettra de conserver notre cohésion en tant que société libre, égalitaire et fraternelle. Le futur sera collectif ou ne sera pas.

[1] La circulation thermohaline est un système de courants océaniques qui se forme en raison des différences de densité des masses d’eau liées à leur température (thermo) et à leur salinité (halin). De nombreuses études montrent que cette circulation se transforme sous l’effet du changement climatique.

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