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Consultations en matière de réglementation bancaire écologique : notre réponse

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Consultations en matière de réglementation bancaire écologique : notre réponseNotre réponse au comité de Bâle

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) est une instance qui rassemble les superviseurs bancaires de nombreux pays et qui a la charge de formuler des propositions de standards réglementaires pour les banques à l’échelle mondiale. Il a récemment ouvert une consultation publique sur les risques climatiques dans le secteur bancaire.

Les banques comptent parmi les principaux bailleurs de fonds des entreprises et des projets liés aux combustibles fossiles cause du changement climatique. Leurs financements aux filières, tant du pétrole et du gaz que du charbon, sont encore très importants malgré de timides avancées. Les analyses et enquêtes réalisées ces derniers mois par de nombreuses associations (Oxfam, Reclaim Finance, Les Amis de la Terre, Urgewald, Attac pour n’en citer que quelques-unes) vont à l’encontre du discours rassuré que les banques tentent de porter sur le sujet. L’Institut Rousseau a lui aussi apporté sa contribution à ce débat dans un rapport remarqué.

Même si elles continuent aujourd’hui de largement sous-estimer ce risque, les banques seront fortement impactées par les événements liés au climat.

Cette consultation doit déboucher sur un nouvel ensemble de principes mondiaux concernant la manière dont les banques gèrent et les autorités de surveillance supervisent les risques financiers liés au changement climatique. On ne peut qu’espérer que le résultat de cette consultation soit à la hauteur des enjeux climatiques et que les décisions prises soient fortes. Nous y contribuons pour que les avis des lobbys bancaires, toujours très actifs lors de ces consultations, ne soient pas les seuls à être pris en compte.

L’Institut Rousseau a donc décidé d’apporter sa contribution à cette consultation (merci à Laurent Dicale) ; ce qui a été fait le 15 février 2022.

En voici le texte :

« Les actifs liés au financement des énergies fossiles constituent un double risque : un risque pour le climat et un risque pour la stabilité financière et monétaire. Or les banques continuent de financer toutes les activités de ces filières ; que ce soit l’exploration, l’extraction et toutes les activités qui y sont liées (études sismiques, obtention des permis d’exploration) ainsi que le stockage, le commerce et le transport du brut et des hydrocarbures. Voire elles augmentent leurs concours ! [1]

Tous ces actifs vont très probablement devenir des « actifs échoués » c’est-à-dire des actifs ayant fortement perdu de leur valeur et de leur liquidité. Car le respect de l’Accord de Paris entrainera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. Or ce risque est actuellement très largement sous-estimé par les milieux financiers ; la dévalorisation de ces actifs fossiles, si elle n’est pas anticipée et accompagnée, pourrait produire d’importantes turbulences, voire générer une nouvelle crise financière d’ampleur.

Banquiers, superviseurs et grand public ne peuvent plus arguer aujourd’hui qu’ils n’ont pas une connaissance large de toutes les entreprises impliquées dans les énergies fossiles, tant conventionnelles que non conventionnelles – pétrole et gaz de schiste, forages en eaux profondes et en zones arctiques ; elles sont bien connues – et pas seulement des « majors ». Ainsi, l’ONG Urgewalg a publié le 4 novembre 2021 la « Global Oil and Gas Exit List » (GOGEL) qui recense plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur. Cette liste complète la « Global Coal Exit List » (GCEL) qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

Les 18 principes énoncés dans le document du Comité de Bâle, « Principles for the effective management and supervision of climate-related financial risks », sont très généraux et sont plutôt en deçà de ce que l’urgence climatique nécessiterait.

Ces principes en effet ne prennent pas en compte le risque « climat » comme un risque en lui-même mais uniquement au travers des entreprises qui y sont exposées.

Et cela tant pour les risques identifiés aujourd’hui – comme ceux liés aux entreprises des filières des combustibles fossiles, objet de cette consultation – que pour les risques à venir qui ne manqueront pas de se faire jour. Par exemple, sur les entreprises de l’agro-industrie impliquées dans la production animale – non seulement bovine à l’origine aujourd’hui d’une très large part des émissions de CO2 et de méthane mais aussi porcine, ovine, avicole… – et son négoce, avec la diminution voulue et encouragée de la consommation de viande et avec une évolution souhaitée des pratiques intensives d’élevage ; par exemple aussi, les entreprises touchées directement ou indirectement par l’élévation du niveau des océans.

1) Dans un rapport paru en juin 2021 sur le site de l’Institut Rousseau, « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière », Gaël Giraud, Christian Nicol et les auteurs de l’Institut Rousseau préconisaient la création de « fossil banks », structures de défaisance dans lesquelles seraient cantonnés les actifs fossiles des banques et qui conduiraient leur extinction progressive, de façon ordonnée.

Sans attendre la création de ces structures, il est indispensable d’avoir une connaissance précise et exhaustive de l’ensemble de ces financements. Les banques et établissements financiers doivent ainsi déclarer de façon régulière l’ensemble des encours portées par les contreparties œuvrant dans les filières des énergies fossiles – et, demain, dans les filières professionnelles et les zones géographiques identifiées comme présentant un risque climatique.

Cela permettra d’avoir une connaissance précise aux niveaux national et régional de ces financements et de leur évolution et pourra servir de base à la prise, si nécessaire, de mesures correctives.

2) Les exigences en fonds propres au titre du pilier -1- doivent être fortement augmentées pour toutes les entreprises exposées à des risques financiers en liaison avec le climat.

Un des moyens possibles pour ce faire est d’attribuer à ces entreprises, du seul fait de leur activité dans certaines filières ou certains secteurs, une notation exprimant au minimum des réserves, sans dérogation possible. Et cela, que la notation des contreparties soit fondée sur une approche interne (IRB) ou externe. Ce faisant, ipso facto, les allocations en fonds propres devront être augmentées. En diminuant parallèlement le coussin d’actifs liquides de haute qualité, le ratio de liquidité à court terme des banques sera en conséquence renforcé.

Cette approche, en rupture nette avec ce qui se fait actuellement, rendra les banques plus solides et mieux à même de faire face aux risques que constituent dès aujourd’hui ces actifs ‘fossiles’.

Mais cela aura aussi pour effet d’exclure ces actifs des rachats d’actifs des banques centrales (‘quantitative easing’) et de la liste des collatéraux acceptés lors de leurs opérations de refinancement.

Ces mesures doivent ainsi être mises en œuvre de façon progressive mais, au vu de l’urgence climatique, rapide.

Pour l’Institut Rousseau, son directeur, Nicolas Dufrêne. »

[1] Rapport : les banques françaises, plus grands financeurs européens des énergies fossiles en 2020 – Communiqué de presse de Reclaim Finance et Les Amis de la Terre France – 24 mars 2021

Publié le 22 mars 2022

Consultations en matière de réglementation bancaire écologique : notre réponse
Notre réponse au comité de Bâle

Auteurs

Nicolas Dufrêne
Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

Laurent Dicale
Laurent Dicale est un ancien directeur départemental de la Banque de France.

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) est une instance qui rassemble les superviseurs bancaires de nombreux pays et qui a la charge de formuler des propositions de standards réglementaires pour les banques à l’échelle mondiale. Il a récemment ouvert une consultation publique sur les risques climatiques dans le secteur bancaire.

Les banques comptent parmi les principaux bailleurs de fonds des entreprises et des projets liés aux combustibles fossiles cause du changement climatique. Leurs financements aux filières, tant du pétrole et du gaz que du charbon, sont encore très importants malgré de timides avancées. Les analyses et enquêtes réalisées ces derniers mois par de nombreuses associations (Oxfam, Reclaim Finance, Les Amis de la Terre, Urgewald, Attac pour n’en citer que quelques-unes) vont à l’encontre du discours rassuré que les banques tentent de porter sur le sujet. L’Institut Rousseau a lui aussi apporté sa contribution à ce débat dans un rapport remarqué.

Même si elles continuent aujourd’hui de largement sous-estimer ce risque, les banques seront fortement impactées par les événements liés au climat.

Cette consultation doit déboucher sur un nouvel ensemble de principes mondiaux concernant la manière dont les banques gèrent et les autorités de surveillance supervisent les risques financiers liés au changement climatique. On ne peut qu’espérer que le résultat de cette consultation soit à la hauteur des enjeux climatiques et que les décisions prises soient fortes. Nous y contribuons pour que les avis des lobbys bancaires, toujours très actifs lors de ces consultations, ne soient pas les seuls à être pris en compte.

L’Institut Rousseau a donc décidé d’apporter sa contribution à cette consultation (merci à Laurent Dicale) ; ce qui a été fait le 15 février 2022.

En voici le texte :

« Les actifs liés au financement des énergies fossiles constituent un double risque : un risque pour le climat et un risque pour la stabilité financière et monétaire. Or les banques continuent de financer toutes les activités de ces filières ; que ce soit l’exploration, l’extraction et toutes les activités qui y sont liées (études sismiques, obtention des permis d’exploration) ainsi que le stockage, le commerce et le transport du brut et des hydrocarbures. Voire elles augmentent leurs concours ! [1]

Tous ces actifs vont très probablement devenir des « actifs échoués » c’est-à-dire des actifs ayant fortement perdu de leur valeur et de leur liquidité. Car le respect de l’Accord de Paris entrainera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. Or ce risque est actuellement très largement sous-estimé par les milieux financiers ; la dévalorisation de ces actifs fossiles, si elle n’est pas anticipée et accompagnée, pourrait produire d’importantes turbulences, voire générer une nouvelle crise financière d’ampleur.

Banquiers, superviseurs et grand public ne peuvent plus arguer aujourd’hui qu’ils n’ont pas une connaissance large de toutes les entreprises impliquées dans les énergies fossiles, tant conventionnelles que non conventionnelles – pétrole et gaz de schiste, forages en eaux profondes et en zones arctiques ; elles sont bien connues – et pas seulement des « majors ». Ainsi, l’ONG Urgewalg a publié le 4 novembre 2021 la « Global Oil and Gas Exit List » (GOGEL) qui recense plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur. Cette liste complète la « Global Coal Exit List » (GCEL) qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

Les 18 principes énoncés dans le document du Comité de Bâle, « Principles for the effective management and supervision of climate-related financial risks », sont très généraux et sont plutôt en deçà de ce que l’urgence climatique nécessiterait.

Ces principes en effet ne prennent pas en compte le risque « climat » comme un risque en lui-même mais uniquement au travers des entreprises qui y sont exposées.

Et cela tant pour les risques identifiés aujourd’hui – comme ceux liés aux entreprises des filières des combustibles fossiles, objet de cette consultation – que pour les risques à venir qui ne manqueront pas de se faire jour. Par exemple, sur les entreprises de l’agro-industrie impliquées dans la production animale – non seulement bovine à l’origine aujourd’hui d’une très large part des émissions de CO2 et de méthane mais aussi porcine, ovine, avicole… – et son négoce, avec la diminution voulue et encouragée de la consommation de viande et avec une évolution souhaitée des pratiques intensives d’élevage ; par exemple aussi, les entreprises touchées directement ou indirectement par l’élévation du niveau des océans.

1) Dans un rapport paru en juin 2021 sur le site de l’Institut Rousseau, « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière », Gaël Giraud, Christian Nicol et les auteurs de l’Institut Rousseau préconisaient la création de « fossil banks », structures de défaisance dans lesquelles seraient cantonnés les actifs fossiles des banques et qui conduiraient leur extinction progressive, de façon ordonnée.

Sans attendre la création de ces structures, il est indispensable d’avoir une connaissance précise et exhaustive de l’ensemble de ces financements. Les banques et établissements financiers doivent ainsi déclarer de façon régulière l’ensemble des encours portées par les contreparties œuvrant dans les filières des énergies fossiles – et, demain, dans les filières professionnelles et les zones géographiques identifiées comme présentant un risque climatique.

Cela permettra d’avoir une connaissance précise aux niveaux national et régional de ces financements et de leur évolution et pourra servir de base à la prise, si nécessaire, de mesures correctives.

2) Les exigences en fonds propres au titre du pilier -1- doivent être fortement augmentées pour toutes les entreprises exposées à des risques financiers en liaison avec le climat.

Un des moyens possibles pour ce faire est d’attribuer à ces entreprises, du seul fait de leur activité dans certaines filières ou certains secteurs, une notation exprimant au minimum des réserves, sans dérogation possible. Et cela, que la notation des contreparties soit fondée sur une approche interne (IRB) ou externe. Ce faisant, ipso facto, les allocations en fonds propres devront être augmentées. En diminuant parallèlement le coussin d’actifs liquides de haute qualité, le ratio de liquidité à court terme des banques sera en conséquence renforcé.

Cette approche, en rupture nette avec ce qui se fait actuellement, rendra les banques plus solides et mieux à même de faire face aux risques que constituent dès aujourd’hui ces actifs ‘fossiles’.

Mais cela aura aussi pour effet d’exclure ces actifs des rachats d’actifs des banques centrales (‘quantitative easing’) et de la liste des collatéraux acceptés lors de leurs opérations de refinancement.

Ces mesures doivent ainsi être mises en œuvre de façon progressive mais, au vu de l’urgence climatique, rapide.

Pour l’Institut Rousseau, son directeur, Nicolas Dufrêne. »

[1] Rapport : les banques françaises, plus grands financeurs européens des énergies fossiles en 2020 – Communiqué de presse de Reclaim Finance et Les Amis de la Terre France – 24 mars 2021

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