Face à la catastrophe climatique déjà en cours, le temps n’est plus aux discours mais à l’action. Dans cette tribune pour Usbek & Rica, Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, économiste et directeur de l’Institut Rousseau, dresse un panorama de mesures politiques concrètes actionnables dès maintenant pour accélérer la transition écologique de la France.
Si l’importance cruciale de la reconstruction écologique de nos sociétés fait l’objet d’un large consensus, son financement continue de poser problème. Le rapport du groupe international d’experts sur le climat (GIEC), rendu public ce 10 août 2021, vient pourtant de nous rappeler l’urgence à agir. Il confirme sans équivoque que les activités humaines sont à l’origine du changement climatique et que certains effets, comme la montée du niveau des océans et la multiplication de phénomènes climatiques extrêmes, sont d’ores et déjà irréversibles. Il reste cependant possible de les limiter et de repenser en profondeur notre manière d’habiter la Terre. Mais plus nous voulons protéger la planète et les humains, plus nous devons investir. La Cour des comptes européenne estime ainsi que la reconversion écologique de l’économie nécessitera un investissement annuel de 1 115 milliards d’euros entre 2021 et 2030, soit au moins 300 milliards d’euros de plus par an que ce qui se fait actuellement. Nous sommes très loin du compte.
Sortir de l’illusion de la finance « verte » comme solution miracle
Il est par ailleurs illusoire de compter sur la finance dite « verte » pour réussir à mobiliser de telles sommes, notamment car beaucoup d’investissements indispensables n’ont pas de rentabilité financière immédiate ou même lointaines (pensons par exemple à l’entretien des forêts et des zones humides). Ces investissements devront donc en grande partie être assumés par la sphère publique. Mais comment faire quand nos États et gouvernements semblent pétrifiés, contre toute évidence, à l’évocation de la dette publique et des dépenses publiques ? Le « quoi qu’il en coûte » n’a en effet pas empêché le Gouvernement français de remettre à la Commission européenne sa stratégie de finances publiques pour repasser sous la barre de 3 % de déficit public en 2027 alors qu’Emmanuel Macron lui-même avait déclaré que les critères de Maastricht étaient obsolètes et contre-productifs.
Il est donc urgent de faire autrement. Il faut pour cela sortir des sentiers battus. C’est ce à quoi s’est employé l’Institut Rousseau dans une note parue en mars 2020 mais qui conserve toute sa pertinence à l’heure actuelle puisque les solutions proposées alors ne sont toujours pas mises en œuvre, ou très partiellement. Ces solutions reposent sur une vision différente de la politique économique, dans ses différents volets budgétaires, monétaires et fiscaux.
Il convient d’abord prendre en compte le fait que toutes les estimations donnent un besoin d’investissements annuels supplémentaires de 50 et 100 milliards d’euros pour financer pleinement la reconstruction écologique en France (soit deux à trois la totalité du budget consacré à la défense nationale). Par exemple, un plan ambitieux de rénovation énergétique complète de 500 000 logements par an, dont nous sommes très éloignés actuellement, coûterait à lui seul environ 25 milliards d’euros par an. En Europe, la Commission européenne estime que les investissements supplémentaires devraient représenter au moins 260 milliards d’euros par an.
Utiliser enfin l’arme monétaire
Pour parvenir à mobiliser de telles sommes, un des moyens les plus puissants, mais aussi des plus tabous, serait d’utiliser l’arme monétaire. Or, le cadre institutionnel européen, et notamment l’indépendance et la soi-disant « neutralité » de la banque centrale, conduit aujourd’hui à nous priver de cette arme. En s’efforçant de rester neutre dans ses interventions, c’est-à-dire de reproduire la configuration du marché sans chercher à le modifier, la BCE est amenée à reproduire les défauts du marché, voire à les entretenir. Cela la conduit à financer davantage les activités polluantes que les activités vertes lors de ses opérations de refinancement ou d’achats d’actif. Malheureusement, la récente revue de politique monétaire de la BCE, qui aurait pu représenter un tournant majeur en ce domaine, n’a finalement pas choisi d’abandonner ce principe néfaste. Pourtant les avancées en matière d’élaboration d’une taxonomie européenne auraient pu permettre d’instaurer un dispositif de décote lors du refinancement accordé aux banques, ou lors de ses opérations d’achat d’actifs, concernant les titres financiers représentatifs d’activités contraires aux objectifs de l’accord de Paris.