Sept idées fausses sur l’électricité : petit guide de défense intellectuelle à destination des décideurs
La crise énergétique qui touche de plein fouet l’Union européenne depuis quasiment un an semble malheureusement vouloir s’inscrire dans la durée, avec pour conséquence une hausse généralisée des prix des biens et services. Face à cette situation, la protection des ménages précaires et des entreprises fortement consommatrices d’énergie constitue logiquement la priorité de l’État français sur le court terme. Cependant, seules des décisions politiques sur le long terme permettront véritablement d’améliorer la résilience des États face aux crises : sobriété et indépendance énergétique sont désormais les maîtres mots. En ce sens, la question de l’avenir du système électrique français sera tout particulièrement au cœur des travaux de la nouvelle Assemblée nationale : à l’automne 2022 tout d’abord via une loi simplifiant les procédures de développement des énergies renouvelables, puis en 2023 à travers la future loi de programmation sur l’énergie et le climat. Les parlementaires de tous bords devront ainsi fixer un mix électrique cible pour les prochaines décennies, en se positionnant à la fois sur le rythme de développement des énergies renouvelables et sur le lancement ou non d’un nouveau programme de construction de réacteurs nucléaires. De plus, au-delà du choix technique des moyens de production, la politique mise en place devra permettre d’assurer la fourniture d’une électricité bas-carbone, de qualité et à un prix juste pour tous, conditions nécessaires à l’atteinte de la neutralité carbone d’ici la moitié du siècle. Dans le but d’éclairer cette décision politique, plusieurs acteurs comme l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou NégaWatt ont publié des rapports présentant les avantages et inconvénients de différents mix à horizon 2050. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE a quant à lui rendu public six scénarios comparant différents mix électriques à cette échéance, chacun avec des proportions différentes de nucléaire et d’énergies renouvelables. Tous ces scénarios sont comparés prioritairement sous un angle technique, mais ils sont également analysés à travers les prismes climatique, économique, de besoin en ressources et même de résilience au changement climatique. Il paraît donc indispensable que l’ensemble des parlementaires lise avec attention ce qu’il ressort de la synthèse de ces études. Cependant, le fonctionnement du système électrique est complexe et ses impacts en termes climatique, économique ou sociétaux sont par conséquent souvent mal appréhendés par les citoyens, les journalistes et, malheureusement, par les personnalités politiques elles-mêmes qui, pourtant, devraient avoir en tête des arguments scientifiques et objectifs permettant de prendre les meilleures décisions possibles pour l’avenir de la France. Afin d’assainir le débat autour de la question du mix électrique français, la présente note détaille les raisons pour lesquelles les sept affirmations suivantes, pour bon nombre d’entre-elles véritablement prononcées par des personnalités politiques de premier plan, sont fausses. 1. « L’énergie consommée en France est majoritairement issue du nucléaire. » Lorsque la question énergétique est abordée, la formule « l’énergie de la France, c’est le nucléaire » paraît trop souvent définir le périmètre du débat. Malheureusement, le fait que la France fasse effectivement partie du groupe des pays les plus nucléarisés du monde[1] ouvre la porte à un mauvais réflexe national : à peine prononcé ou écrit, le mot « énergie » laisse rapidement sa place à la question du nucléaire et à l’analyse de son poids prédominant dans le mix électrique national. Bien que pouvant paraître anodin, ce raccourci n’en est pourtant pas moins grave car il participe à tromper (ou à tout le moins embrouiller) des citoyens de bonne foi qui souhaiteraient mieux comprendre le lien direct entre consommation d’énergie et émissions de gaz à effet de serre. En effet, rappelons que 60 % de l’énergie finale consommée en France est encore issue d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel[2]) tandis que la part de l’électricité ne s’élève qu’à 26 %[3]. Le nucléaire étant lui-même directement à l’origine d’environ 70 % de la production des électrons, il est ainsi plus exact d’affirmer que seulement 18 % de l’énergie que les Français consomment est issue du nucléaire[4]. De plus, afin d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, il est indispensable de rappeler que la part de l’électricité (décarbonée) française dans la consommation d’énergie doit augmenter afin de remplacer les énergies fossiles dans de nombreux secteurs aujourd’hui très émetteurs de gaz à effet de serre comme les transports ou le chauffage des bâtiments[5]. La part qu’occupera le nucléaire à cet horizon est encore inconnue et nécessite d’être débattue de façon sérieuse, mais il est certain que l’urgente éducation populaire au changement climatique, à ses causes et à ses conséquences, souffre de la place disproportionnée accordée à cette source de production d’électricité. Le bon emploi des termes « énergie » et « électricité » est donc fondamental, aussi on comprendra aisément que se prononcer pour un mix énergétique 100 % renouvelable au lieu d’un mix électrique 100 % renouvelable, revienne à englober un spectre bien plus large en visant une totale indépendance de la France par rapport aux énergies fossiles et donc implique un changement bien plus profond de notre société. 2. « Le nucléaire émet plus de CO2 que l’éolien ou le solaire. » Contrairement aux énergies fossiles, ni le nucléaire, ni les énergies renouvelables n’émettent de gaz à effet de serre lors de la production d’électricité. Pourtant ces énergies « émettent » bien des gaz à effet de serre dès lors que l’on utilise une approche en cycle de vie, c’est-à-dire que l’on prend en compte les émissions dites « amont », générées lors de la fabrication des composants du système, de son installation, de son utilisation et de sa maintenance et, en « aval », de sa désinstallation et de son traitement en fin de vie. Cette approche en analyse de cycle de vie permet donc de déterminer la quantité de gaz à effet de serre (en équivalent CO2) émise par chaque type de centrale lors de la production d’un kilowattheure d’électricité : Figure 1 : Comparaison des facteurs d’émissions des principales sources de production d’électricité, en analyse de cycle de vie. Les valeurs françaises sont issues de la Base Carbone de l’ADEME[6], les valeurs mondiale proviennent des travaux du troisième groupe de travail du GIEC dans sa contribution au
Par Rougetet Y.
20 septembre 2022