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Sophie Beau

Biographie

fondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée-France

Notes publiées

L’Union européenne ne peut prolonger davantage son inertie face aux menaces grandissantes qu’affrontent les ONG humanitaires en Méditerranée.

Récit des difficultés d’assistance humanitaire en mer Méditerranée et entraves subies par le navire Ocean Viking (OV) au mois d’août 2025. On assiste en Méditerranée à un effacement de fait des principes humanitaires que l’Union européenne (UE) brandit volontiers dans les cénacles internationaux, dès-lors qu’il ne s’agit pas du franchissement de ses frontières. Dans ce cas, le principe d’humanité[1] semble s’évaporer. Epuisement, violences et privations de liberté deviennent alors des options délibérées notamment menées par le gouvernement italien ou son supplétif, le gouvernement libyen pour contrer les actions des ONG de sauvetage en mer. L’UE entérine ainsi tacitement la surmortalité des naufragés, comme les potentielles conséquences pour la sécurité des acteurs humanitaires qui découlent des stratégies déployées. En effet, aucune réaction utile de la part de la Commission européenne ou des autres Etats-membres par l’intermédiaire du Conseil de l’Union européenne. L’épuisement délibéré, humain et financier, des ONG, est érigé en doctrine Le 2 août 2025 l’Ocean Viking, navire affrété par SOS Méditerranée, réalise un sauvetage au large des côtes libyennes. Trente-sept personnes sont alors recueillies à bord. Toutes sont originaires du Soudan qui traverse à nouveau un regain de violence, génératrice d’une crise alimentaire dramatique pour sa population. Le navire se voit alors désigner, par les autorités italiennes, le port de Ravenne à 1 600 km du lieu du sauvetage, pour débarquer les rescapés. Il repart aussitôt après le débarquement pour revenir vers la Libye et la Tunisie, et reprend sa veille sur les Zones de Recherche et de Sauvetage (Search And Rescue, SAR dans son acronyme usuel en anglais) de ces deux pays. Il s’agit des espaces que le droit maritime international définit comme les zones de responsabilités des états côtiers en matière de surveillance, d’activation et de coordination des secours. Libye et Tunisie sont en la matière particulièrement défaillants, si ce n’est auteurs réguliers d’interventions violentes et illégales à l’égard des personnes qui tentent la traversée. Ces zones SAR excèdent largement la bande côtière des eaux territoriales pour diviser la Méditerranée en une mosaïque qui structure l’espace maritime de sauvetage dévolu à l’ensemble des pays riverains du bassin. A peine de retour sur la zone de surveillance, l’Ocean Viking réalise en pleine nuit le sauvetage de 7 personnes qui sont aussitôt mises en sécurité à son bord. Dans les heures qui suivent, le verdict des autorités italiennes tombe : le navire devra faire débarquer les 7 rescapés, dans les meilleurs délais, dans le port d’Ortona distant cette fois de 1 400 km… prolongeant ainsi l’incessant mouvement pendulaire imposé au navire par le pays récipiendaire des exilés-naufragés. Le droit international interdit en effet de renvoyer les rescapés dans les pays qu’ils ont fuis pour échapper à la violence et aux maltraitances qu’ils y ont subies. Ce scénario contraint et répétitif résulte du « décret-loi Piantedosi » promulgué par l’Italie début 2023. Avant sa parution, les navires de sauvetage des ONG pouvaient procéder à des interventions successives, dans la limite du respect de leur capacité d’accueil. L’absence de réaction ferme tant de la Commission européenne que des autres Etats-membres de l’Union européenne à la promulgation de cette loi par l’Italie, un de ses Etats-membres, est scandaleuse. Sa mise en œuvre entraîne de continuelles entraves et relève de la non-assistance à personnes en danger. Car durant les huit à dix jours que durera un aller-retour jusqu’à un port dont la distance n’est dictée par aucun argument technique, médical ou de sécurité, le système de secours aux naufragés, déjà notoirement insuffisant dans les moyens déployés, se voit privé d’un des intervenants majeurs, parmi les rares bateaux capables de réaliser des interventions par gros temps. Les équipes de secours sont ainsi contraintes de réaliser des trajets immenses et inutiles. Qui oserait imposer systématiquement aux pompiers de Lozère d’aller déposer les blessés de la route qu’ils prennent en charge dans des hôpitaux parisiens ? Tolérance coupable de la violence des pays financièrement soutenus par l’UE pour bloquer à tout prix la traversée Le 24 août 2025, l’Ocean Viking a fait l’objet d’une violente attaque de la part des garde-côtes libyens[2] dans les eaux internationales. Pendant une vingtaine de minutes un feu nourri a exposé la vie des rescapés présents à bord, comme celle de l’équipage du navire humanitaire de SOS Méditerranée en partenariat avec la Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Aucune personne n’a été physiquement blessée, mais le bateau et le matériel indispensable aux opérations de sauvetage ont subi de lourdes avaries provoquées par les impacts de balles. La Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a publiquement exprimé sa réprobation à l’égard de cette attaque[3]. Suite à une demande du capitaine, le navire humanitaire est alors exceptionnellement autorisé à faire escale dans un port plus proche en Sicile : les rescapés peuvent débarquer au port d’Augusta. Privation de liberté des équipes humanitaires Cependant, le 28 août 2025, l’Ocean Viking et l’ensemble de son équipage sont placés en quarantaine selon un raisonnement médical rapidement déconstruit par un réseau d’experts internationaux. A la suite du signalement réalisé par l’équipe médicale de l’Ocean Viking, un rescapé – un mineur non accompagné – a été placé en isolement par l’USMAF (les autorités italiennes responsables de l’évaluation sanitaire à l’arrivée) et a subi un test de dépistage de la tuberculose, dont le résultat s’est avéré positif. A bord, le cas avait été suspecté par l’équipe médicale, qui avait elle-même mis en place un isolement du jeune patient, en attendant son débarquement – comme prévu dans ses guides de procédures. Le signalement va déclencher une mise en quarantaine de l’ensemble de son équipage. Le navire se voit alors contraint de mouiller à l’extérieur du port, sans possibilité de débarquement des 34 professionnels maintenus à bord. Cette quarantaine a eu pour effet immédiat d’empêcher la mise en route d’un accompagnement psychologique que nécessitait un équipage dont les membres avaient été traumatisés par les tirs, avec intention manifeste de porter atteinte à leur vie, effectués par les militaires libyens quatre jours auparavant. En effet, tout professionnel de santé mentale

Par Micheletti P., Beau S., Dupuis S.

3 septembre 2025

L’Union européenne ne peut prolonger davantage son inertie face aux menaces grandissantes qu’affrontent les ONG humanitaires en Méditerranée.

Récit des difficultés d’assistance humanitaire en mer Méditerranée et entraves subies par le navire Ocean Viking (OV) au mois d’août 2025. On assiste en Méditerranée à un effacement de fait des principes humanitaires que l’Union européenne (UE) brandit volontiers dans les cénacles internationaux, dès-lors qu’il ne s’agit pas du franchissement de ses frontières. Dans ce cas, le principe d’humanité[1] semble s’évaporer. Epuisement, violences et privations de liberté deviennent alors des options délibérées notamment menées par le gouvernement italien ou son supplétif, le gouvernement libyen pour contrer les actions des ONG de sauvetage en mer. L’UE entérine ainsi tacitement la surmortalité des naufragés, comme les potentielles conséquences pour la sécurité des acteurs humanitaires qui découlent des stratégies déployées. En effet, aucune réaction utile de la part de la Commission européenne ou des autres Etats-membres par l’intermédiaire du Conseil de l’Union européenne. L’épuisement délibéré, humain et financier, des ONG, est érigé en doctrine Le 2 août 2025 l’Ocean Viking, navire affrété par SOS Méditerranée, réalise un sauvetage au large des côtes libyennes. Trente-sept personnes sont alors recueillies à bord. Toutes sont originaires du Soudan qui traverse à nouveau un regain de violence, génératrice d’une crise alimentaire dramatique pour sa population. Le navire se voit alors désigner, par les autorités italiennes, le port de Ravenne à 1 600 km du lieu du sauvetage, pour débarquer les rescapés. Il repart aussitôt après le débarquement pour revenir vers la Libye et la Tunisie, et reprend sa veille sur les Zones de Recherche et de Sauvetage (Search And Rescue, SAR dans son acronyme usuel en anglais) de ces deux pays. Il s’agit des espaces que le droit maritime international définit comme les zones de responsabilités des états côtiers en matière de surveillance, d’activation et de coordination des secours. Libye et Tunisie sont en la matière particulièrement défaillants, si ce n’est auteurs réguliers d’interventions violentes et illégales à l’égard des personnes qui tentent la traversée. Ces zones SAR excèdent largement la bande côtière des eaux territoriales pour diviser la Méditerranée en une mosaïque qui structure l’espace maritime de sauvetage dévolu à l’ensemble des pays riverains du bassin. A peine de retour sur la zone de surveillance, l’Ocean Viking réalise en pleine nuit le sauvetage de 7 personnes qui sont aussitôt mises en sécurité à son bord. Dans les heures qui suivent, le verdict des autorités italiennes tombe : le navire devra faire débarquer les 7 rescapés, dans les meilleurs délais, dans le port d’Ortona distant cette fois de 1 400 km… prolongeant ainsi l’incessant mouvement pendulaire imposé au navire par le pays récipiendaire des exilés-naufragés. Le droit international interdit en effet de renvoyer les rescapés dans les pays qu’ils ont fuis pour échapper à la violence et aux maltraitances qu’ils y ont subies. Ce scénario contraint et répétitif résulte du « décret-loi Piantedosi » promulgué par l’Italie début 2023. Avant sa parution, les navires de sauvetage des ONG pouvaient procéder à des interventions successives, dans la limite du respect de leur capacité d’accueil. L’absence de réaction ferme tant de la Commission européenne que des autres Etats-membres de l’Union européenne à la promulgation de cette loi par l’Italie, un de ses Etats-membres, est scandaleuse. Sa mise en œuvre entraîne de continuelles entraves et relève de la non-assistance à personnes en danger. Car durant les huit à dix jours que durera un aller-retour jusqu’à un port dont la distance n’est dictée par aucun argument technique, médical ou de sécurité, le système de secours aux naufragés, déjà notoirement insuffisant dans les moyens déployés, se voit privé d’un des intervenants majeurs, parmi les rares bateaux capables de réaliser des interventions par gros temps. Les équipes de secours sont ainsi contraintes de réaliser des trajets immenses et inutiles. Qui oserait imposer systématiquement aux pompiers de Lozère d’aller déposer les blessés de la route qu’ils prennent en charge dans des hôpitaux parisiens ? Tolérance coupable de la violence des pays financièrement soutenus par l’UE pour bloquer à tout prix la traversée Le 24 août 2025, l’Ocean Viking a fait l’objet d’une violente attaque de la part des garde-côtes libyens[2] dans les eaux internationales. Pendant une vingtaine de minutes un feu nourri a exposé la vie des rescapés présents à bord, comme celle de l’équipage du navire humanitaire de SOS Méditerranée en partenariat avec la Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Aucune personne n’a été physiquement blessée, mais le bateau et le matériel indispensable aux opérations de sauvetage ont subi de lourdes avaries provoquées par les impacts de balles. La Fédération Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a publiquement exprimé sa réprobation à l’égard de cette attaque[3]. Suite à une demande du capitaine, le navire humanitaire est alors exceptionnellement autorisé à faire escale dans un port plus proche en Sicile : les rescapés peuvent débarquer au port d’Augusta. Privation de liberté des équipes humanitaires Cependant, le 28 août 2025, l’Ocean Viking et l’ensemble de son équipage sont placés en quarantaine selon un raisonnement médical rapidement déconstruit par un réseau d’experts internationaux. A la suite du signalement réalisé par l’équipe médicale de l’Ocean Viking, un rescapé – un mineur non accompagné – a été placé en isolement par l’USMAF (les autorités italiennes responsables de l’évaluation sanitaire à l’arrivée) et a subi un test de dépistage de la tuberculose, dont le résultat s’est avéré positif. A bord, le cas avait été suspecté par l’équipe médicale, qui avait elle-même mis en place un isolement du jeune patient, en attendant son débarquement – comme prévu dans ses guides de procédures. Le signalement va déclencher une mise en quarantaine de l’ensemble de son équipage. Le navire se voit alors contraint de mouiller à l’extérieur du port, sans possibilité de débarquement des 34 professionnels maintenus à bord. Cette quarantaine a eu pour effet immédiat d’empêcher la mise en route d’un accompagnement psychologique que nécessitait un équipage dont les membres avaient été traumatisés par les tirs, avec intention manifeste de porter atteinte à leur vie, effectués par les militaires libyens quatre jours auparavant. En effet, tout professionnel de santé mentale

Par Micheletti P., Beau S., Dupuis S.

3 septembre 2025

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