Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Robert Bell

Robert Bell

Biographie

Professor of Management at Brooklyn College, city University of New York

Notes publiées

Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

🇫🇷 🇬🇧 Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté. Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici   Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ? La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i] Drill-Baby-Drill et les frackers texans Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii] Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv] « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant » Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v] Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait

Par Bell R.

18 juin 2025

Would trump use an israeli strike on iran’s nuclear installations to save his rapidly bankrupting oil drillers in the us?

🇫🇷 🇬🇧 Could an Israeli strike on Iran’s nuclear installations have essentially nothing to do with geopolitics in the Middle East, but everything to do with the price of fracked oil in the remote U.S. state of North Dakota and the immediate political needs of Donald Trump? There is a clear path of documentation that leads to raising these questions. We should look at Trump’s electoral campaign based on the slogan “Drill-Baby-Drill;” why the cowboy oil frackers who backed Trump may well feel betrayed; why oil has at best an uncertain future but an absolutely certain oversupply; why the blindingly obvious chokepoint for oil should be in the center of the discussion; and why Trump’s notably declining credibility in the US may play a major role. Most analysis of a possible Israeli strike on Iran’s nuclear installations focuses on geopolitics in the Middle East. For example, In Le Monde, May 23, 2025 : “Benyamin Nétanyahou a paru bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale.”[i] Drill-Baby-Drill and the Texas Frackers Whatever Trump may or may not want for the Middle East, he ran for election on the slogan “Drill-Baby-Drill,” with the goal of US “energy dominance.” This certainly implies massively increasing the production of US oil, i.e., more fracking. The best places are the Permian basin largely in Texas, and the Bakken formation significantly in North Dakota.[ii] Fracking, during the administration of renewable energy advocate Joe Biden, had, ironically, made the US the world’s biggest oil producer. According to data published by the NASDAQ, in 2024, the US produced 21.91 million barrels per day, almost double that of Saudi Arabia, with 11.13 million barrels per day. [iii] As has been widely reported, drilling has gone down, not up under Trump’s proclaimed policy of Drill-Baby-Drill. Why? In part because drilling costs have gone up; Trump’s on again/off again tariffs have raised the costs of the imported steel and aluminum used in drilling. No US oil producer is happy about this. The CEO of Chevron, Mike Wirth, chose the biggest possible US oil industry audience to denounce Trump’s tariff caprice; addressing a massive annual oil industry conference in Houston, Wirth castigated Trump: “Swinging from one extreme to another is not the right policy…We really need consistent and durable policy.” [iv] Drill-Baby-Drill and the Strategy of The-Last-Man-Standing US drilling has gone down also because others can play “Drill Baby Drill.” On April 3, the coalition of oil producers led by Saudi Arabia and Russia, stunned the market by announcing a production increase for May three times bigger than had been anticipated. Bloomberg.com quoted Helima Croft, head of commodity strategy at RBC Capital and also a former CIA analyst, who said the production increase was “to send a warning signal to Kazakhstan, Iraq, and even Russia about the cost of continued overproduction.” [v] But there is much more to the Saudi strategy. After two more announcements of production increases, Bloomberg reported on June 1,  “People familiar with the matter said Riyadh is motivated by the desire to claw back the market share it has relinquished over the years to US shale drillers.” [vi] The world is shifting out of fossil fuels and into renewable energy–more slowly than it should, but inexorably. Half of the new cars sold in China are now electric. [vii] The International Energy Agency last year forecasted, for electricity, the renewable energy share will “expand from 30% in 2023 to 46% in 2030. Solar and wind make up almost all this growth.” [viii] So every oil major appears to have the ambition to be The Last Man Standing. At the moment, this has to be one in the Middle East. According to an October 2024 report by energy consultancy Rystad Energy, “onshore Middle East is the cheapest source of new production, with an average breakeven price of just $27 per barrel.” [ix] But Rystad, in its readily available information, doesn’t breakdown this figure by Middle East country or company. However, Saudi Aramco issued a bond prospectus on the London Stock Exchange five years before. [x] It showed a breakeven range around $10 a barrel. Whatever is the true breakeven figure for Saudi Arabia, it is almost certainly less than the breakeven for U.S. shale oil producers, based on data from a March 2025 survey of actual shale oil producers by the Dallas branch of the U.S. Federal Reserve. It showed that the best (or luckiest) shale oil producers need $40 a barrel to cover the costs of a new well. [xi] At the time of writing, WTI, the U.S. benchmark, has been hovering in the low $60 range. So many shale producers are losing money at this moment. Even at the Rystad Energy figure, Saudi Aramco either will be the last man standing or in a very short list of those who are….unless something big happens. A major slice of Trump backers, the U.S. frackers, are obviously not happy with the lower oil price from too much Middle East oil combined with drilling costs that are too high. As quoted in the Washington Post on May 10: “It is truly affecting everybody,” said T. Grant Johnson, president of Lone Star Production Company, an oil exploration firm in Texas, and the chair of the Texas Independent Producers and Royalty Owners Association. “There was a lot of talk of, ‘drill baby, drill.’ But these companies are not going to drill if the economics

Par Bell R.

18 juin 2025

Une poignée d’investisseurs contrôle les plus grandes entreprises pétrolières : que faire ?

🇫🇷 🇬🇧 Par Robert I. Bell, Professeur de management au Brooklyn College, City University of New York Résumé Dans un contexte où les grandes entreprises pétrolières mondiales sont dominées par une petite poignée d’investisseurs institutionnels, une réforme fiscale ambitieuse, mêlant crédit d’impôt et taxation différentielle des rachats d’action, pourrait jouer un rôle essentiel dans la redirection de leurs investissements vers les énergies renouvelables. Les cinq plus grandes entreprises pétrolières mondiales — Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell — sont aujourd’hui contrôlées par un nombre restreint d’investisseurs institutionnels : 25 au total, détenant entre 38 % et 50 % de leurs actions [1]. Bien que ces investisseurs varient, on observe une forte homogénéité parmi eux, avec la présence systématique de grands noms tels que BlackRock, JP Morgan Chase et Vanguard. De ce fait, un petit groupe d’investisseurs domine de manière effective l’industrie pétrolière mondiale, et les dirigeants de ces entreprises œuvrent en priorité pour satisfaire leurs intérêts. Pourquoi cette concentration pose-t-elle problème ? Influence politique excessive Tout d’abord, ces géants pétroliers exercent une influence politique considérable à l’échelle mondiale. Un exemple récent l’illustre bien : en avril 2024, Donald Trump a organisé un dîner avec une vingtaine de dirigeants de l’industrie pétrolière dans son domaine en Floride, leur demandant un milliard de dollars pour financer sa campagne présidentielle [2]. En retour, il a promis de supprimer l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden ainsi que d’autres mesures visant à limiter le réchauffement climatique et à réduire la pollution. Trump, quel que soit son niveau d’intelligence, sait où se trouve l’argent et l’influence qu’il peut acheter. Obstacle à la transition vers les énergies renouvelables Cette structure de propriété empêche ensuite les grandes compagnies pétrolières de se reconvertir vers les énergies renouvelables. Bien que certains des 25 investisseurs puissent être des idéologues néolibéraux, la plupart d’entre eux ne poursuivent qu’un seul objectif : maximiser les profits de leurs actionnaires. Les compagnies pétrolières leur offrent une source de profits régulière et importante. Les véhicules, avions, navires et produits pétrochimiques — notamment le plastique — assurent à l’industrie pétrolière des bénéfices presque garantis. Et lorsque ces bénéfices ne suffisent pas, les compagnies rachètent leurs propres actions et versent des dividendes généreux, souvent à titre exceptionnel. Par conséquent, seule une très faible part des bénéfices générés par ces entreprises est réinvestie dans les énergies renouvelables. Personne n’a besoin d’être un idéologue pour que ce système perdure : les cadres supérieurs de ces entreprises préservent leur emploi en travaillant pour les actionnaires (c’est-à-dire les 25) et les actionnaires (c’est-à-dire les 25) travaillent simplement pour leurs investisseurs. En d’autres termes, chacun est responsable devant quelqu’un d’autre et a une bonne raison de ne pas se préoccuper du tableau d’ensemble. Absence de volonté de lutte contre le réchauffement climatique Ces investisseurs ne semblent pas non plus préoccupés par la crise climatique immédiate. Heather Zichal, responsable mondial du développement durable chez JPMorgan Chase & Co, l’un des principaux actionnaires de ces géants, l’a confirmé dans une interview accordée à Bloomberg lors de la semaine du climat en septembre 2024 : « Nous nous concentrons sur ce que nous pouvons contrôler, à savoir maximiser le rendement du capital » [3]. Plutôt que de réorienter leurs investissements vers les énergies renouvelables, ces institutions préfèrent continuer à canaliser les flux de trésorerie des entreprises pétrolières vers leurs portefeuilles d’actions, contribuant ainsi à l’immobilisme de ces structures. Potentiel des Supermajors pour la transition énergétique Cela est d’autant plus regrettable que les supermajors disposent des ressources et des compétences nécessaires pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment grâce à leur expertise dans les technologies offshores, qui pourraient être utilisées pour développer des parcs éoliens flottants. Cependant, des entreprises comme Equinor ont malheureusement utilisé cette expertise pour continuer à exploiter le pétrole en mer, masquant ainsi un greenwashing déguisé [4]. D’autres entreprises, comme Orsted [5], ont choisi une voie plus radicale en se reconvertissant vers les énergies renouvelables, mais ces efforts restent isolés. Il convient d’ailleurs de souligner que si Orsted est détenue majoritairement par le gouvernement danois, Equinor est détenue à 67 % par le gouvernement norvégien. Les recettes du gouvernement norvégien provenant d’Equinor sont ainsi reversées au fonds de pension gouvernemental (Government Pension Fund Global), géré par la Norge Bank. Son site web indique que « ces dépôts représentent moins de la moitié de la valeur du fonds. La majeure partie a été gagnée en investissant dans des actions, des titres à revenu fixe, des biens immobiliers et des infrastructures d’énergie renouvelable » [6] [7]. Cela dit, le fonds, outre les revenus qu’il tire du pétrole et du gaz naturel norvégiens, détient des parts importantes dans Shell, TotalEnergies, Chevron et Exxon [8]. Ainsi, si le pays a su éviter la « malédiction du pétrole » en réinvestissant une partie de ses profits dans des infrastructures durables, une part importante de ses revenus conduit à propager les effets néfastes du réchauffement climatique à l’échelle mondiale. Le gouvernement norvégien ne semble pas pressé de faire évoluer cet état de fait. Que faire ? Le système financier mondial est si inertiel que toute tentative de s’attaquer à la concentration de la propriété des entreprises pétrolières, ou à la question des « 25 » actionnaires, semble presque irréalisable à première vue. Les mouvements de désinvestissement ont tenté d’aborder cette question sous un angle moral, mais sans grand succès. Une approche plus pragmatique, qui considérerait la question sous l’angle financier et fiscal, pourrait-elle être plus efficace ? L’objectif ne devrait en effet peut-être pas être de faire sortir les investisseurs du pétrole, mais de faire sortir les compagnies pétrolières elles-mêmes du pétrole. La taxe sur le rachat d’actions : effet Robin des Bois ou piège fiscal ? La réaction des gilets jaunes à une taxe sur le diesel nous a appris qu’une taxe ciblée sur le carbone, qui peut être facilement présentée comme frappant de manière disproportionnée ceux qui se considèrent comme des pauvres, est une très mauvaise idée sur le plan politique. En revanche, une taxe sur les

Par Bell R.

28 novembre 2024

Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

🇫🇷 🇬🇧 Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté. Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici   Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ? La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i] Drill-Baby-Drill et les frackers texans Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii] Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv] « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant » Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v] Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait

Par Bell R.

27 novembre 2024

Would trump use an israeli strike on iran’s nuclear installations to save his rapidly bankrupting oil drillers in the us?

🇫🇷 🇬🇧 Could an Israeli strike on Iran’s nuclear installations have essentially nothing to do with geopolitics in the Middle East, but everything to do with the price of fracked oil in the remote U.S. state of North Dakota and the immediate political needs of Donald Trump? There is a clear path of documentation that leads to raising these questions. We should look at Trump’s electoral campaign based on the slogan “Drill-Baby-Drill;” why the cowboy oil frackers who backed Trump may well feel betrayed; why oil has at best an uncertain future but an absolutely certain oversupply; why the blindingly obvious chokepoint for oil should be in the center of the discussion; and why Trump’s notably declining credibility in the US may play a major role. Most analysis of a possible Israeli strike on Iran’s nuclear installations focuses on geopolitics in the Middle East. For example, In Le Monde, May 23, 2025 : “Benyamin Nétanyahou a paru bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale.”[i] Drill-Baby-Drill and the Texas Frackers Whatever Trump may or may not want for the Middle East, he ran for election on the slogan “Drill-Baby-Drill,” with the goal of US “energy dominance.” This certainly implies massively increasing the production of US oil, i.e., more fracking. The best places are the Permian basin largely in Texas, and the Bakken formation significantly in North Dakota.[ii] Fracking, during the administration of renewable energy advocate Joe Biden, had, ironically, made the US the world’s biggest oil producer. According to data published by the NASDAQ, in 2024, the US produced 21.91 million barrels per day, almost double that of Saudi Arabia, with 11.13 million barrels per day. [iii] As has been widely reported, drilling has gone down, not up under Trump’s proclaimed policy of Drill-Baby-Drill. Why? In part because drilling costs have gone up; Trump’s on again/off again tariffs have raised the costs of the imported steel and aluminum used in drilling. No US oil producer is happy about this. The CEO of Chevron, Mike Wirth, chose the biggest possible US oil industry audience to denounce Trump’s tariff caprice; addressing a massive annual oil industry conference in Houston, Wirth castigated Trump: “Swinging from one extreme to another is not the right policy…We really need consistent and durable policy.” [iv] Drill-Baby-Drill and the Strategy of The-Last-Man-Standing US drilling has gone down also because others can play “Drill Baby Drill.” On April 3, the coalition of oil producers led by Saudi Arabia and Russia, stunned the market by announcing a production increase for May three times bigger than had been anticipated. Bloomberg.com quoted Helima Croft, head of commodity strategy at RBC Capital and also a former CIA analyst, who said the production increase was “to send a warning signal to Kazakhstan, Iraq, and even Russia about the cost of continued overproduction.” [v] But there is much more to the Saudi strategy. After two more announcements of production increases, Bloomberg reported on June 1,  “People familiar with the matter said Riyadh is motivated by the desire to claw back the market share it has relinquished over the years to US shale drillers.” [vi] The world is shifting out of fossil fuels and into renewable energy–more slowly than it should, but inexorably. Half of the new cars sold in China are now electric. [vii] The International Energy Agency last year forecasted, for electricity, the renewable energy share will “expand from 30% in 2023 to 46% in 2030. Solar and wind make up almost all this growth.” [viii] So every oil major appears to have the ambition to be The Last Man Standing. At the moment, this has to be one in the Middle East. According to an October 2024 report by energy consultancy Rystad Energy, “onshore Middle East is the cheapest source of new production, with an average breakeven price of just $27 per barrel.” [ix] But Rystad, in its readily available information, doesn’t breakdown this figure by Middle East country or company. However, Saudi Aramco issued a bond prospectus on the London Stock Exchange five years before. [x] It showed a breakeven range around $10 a barrel. Whatever is the true breakeven figure for Saudi Arabia, it is almost certainly less than the breakeven for U.S. shale oil producers, based on data from a March 2025 survey of actual shale oil producers by the Dallas branch of the U.S. Federal Reserve. It showed that the best (or luckiest) shale oil producers need $40 a barrel to cover the costs of a new well. [xi] At the time of writing, WTI, the U.S. benchmark, has been hovering in the low $60 range. So many shale producers are losing money at this moment. Even at the Rystad Energy figure, Saudi Aramco either will be the last man standing or in a very short list of those who are….unless something big happens. A major slice of Trump backers, the U.S. frackers, are obviously not happy with the lower oil price from too much Middle East oil combined with drilling costs that are too high. As quoted in the Washington Post on May 10: “It is truly affecting everybody,” said T. Grant Johnson, president of Lone Star Production Company, an oil exploration firm in Texas, and the chair of the Texas Independent Producers and Royalty Owners Association. “There was a lot of talk of, ‘drill baby, drill.’ But these companies are not going to drill if the economics

Par Bell R.

27 novembre 2024

Travaux externes

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