Une poignée d’investisseurs contrôle les plus grandes entreprises pétrolières : que faire ?
🇫🇷 🇬🇧 Par Robert I. Bell, Professeur de management au Brooklyn College, City University of New York Résumé Dans un contexte où les grandes entreprises pétrolières mondiales sont dominées par une petite poignée d’investisseurs institutionnels, une réforme fiscale ambitieuse, mêlant crédit d’impôt et taxation différentielle des rachats d’action, pourrait jouer un rôle essentiel dans la redirection de leurs investissements vers les énergies renouvelables. Les cinq plus grandes entreprises pétrolières mondiales — Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell — sont aujourd’hui contrôlées par un nombre restreint d’investisseurs institutionnels : 25 au total, détenant entre 38 % et 50 % de leurs actions [1]. Bien que ces investisseurs varient, on observe une forte homogénéité parmi eux, avec la présence systématique de grands noms tels que BlackRock, JP Morgan Chase et Vanguard. De ce fait, un petit groupe d’investisseurs domine de manière effective l’industrie pétrolière mondiale, et les dirigeants de ces entreprises œuvrent en priorité pour satisfaire leurs intérêts. Pourquoi cette concentration pose-t-elle problème ? Influence politique excessive Tout d’abord, ces géants pétroliers exercent une influence politique considérable à l’échelle mondiale. Un exemple récent l’illustre bien : en avril 2024, Donald Trump a organisé un dîner avec une vingtaine de dirigeants de l’industrie pétrolière dans son domaine en Floride, leur demandant un milliard de dollars pour financer sa campagne présidentielle [2]. En retour, il a promis de supprimer l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden ainsi que d’autres mesures visant à limiter le réchauffement climatique et à réduire la pollution. Trump, quel que soit son niveau d’intelligence, sait où se trouve l’argent et l’influence qu’il peut acheter. Obstacle à la transition vers les énergies renouvelables Cette structure de propriété empêche ensuite les grandes compagnies pétrolières de se reconvertir vers les énergies renouvelables. Bien que certains des 25 investisseurs puissent être des idéologues néolibéraux, la plupart d’entre eux ne poursuivent qu’un seul objectif : maximiser les profits de leurs actionnaires. Les compagnies pétrolières leur offrent une source de profits régulière et importante. Les véhicules, avions, navires et produits pétrochimiques — notamment le plastique — assurent à l’industrie pétrolière des bénéfices presque garantis. Et lorsque ces bénéfices ne suffisent pas, les compagnies rachètent leurs propres actions et versent des dividendes généreux, souvent à titre exceptionnel. Par conséquent, seule une très faible part des bénéfices générés par ces entreprises est réinvestie dans les énergies renouvelables. Personne n’a besoin d’être un idéologue pour que ce système perdure : les cadres supérieurs de ces entreprises préservent leur emploi en travaillant pour les actionnaires (c’est-à-dire les 25) et les actionnaires (c’est-à-dire les 25) travaillent simplement pour leurs investisseurs. En d’autres termes, chacun est responsable devant quelqu’un d’autre et a une bonne raison de ne pas se préoccuper du tableau d’ensemble. Absence de volonté de lutte contre le réchauffement climatique Ces investisseurs ne semblent pas non plus préoccupés par la crise climatique immédiate. Heather Zichal, responsable mondial du développement durable chez JPMorgan Chase & Co, l’un des principaux actionnaires de ces géants, l’a confirmé dans une interview accordée à Bloomberg lors de la semaine du climat en septembre 2024 : « Nous nous concentrons sur ce que nous pouvons contrôler, à savoir maximiser le rendement du capital » [3]. Plutôt que de réorienter leurs investissements vers les énergies renouvelables, ces institutions préfèrent continuer à canaliser les flux de trésorerie des entreprises pétrolières vers leurs portefeuilles d’actions, contribuant ainsi à l’immobilisme de ces structures. Potentiel des Supermajors pour la transition énergétique Cela est d’autant plus regrettable que les supermajors disposent des ressources et des compétences nécessaires pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment grâce à leur expertise dans les technologies offshores, qui pourraient être utilisées pour développer des parcs éoliens flottants. Cependant, des entreprises comme Equinor ont malheureusement utilisé cette expertise pour continuer à exploiter le pétrole en mer, masquant ainsi un greenwashing déguisé [4]. D’autres entreprises, comme Orsted [5], ont choisi une voie plus radicale en se reconvertissant vers les énergies renouvelables, mais ces efforts restent isolés. Il convient d’ailleurs de souligner que si Orsted est détenue majoritairement par le gouvernement danois, Equinor est détenue à 67 % par le gouvernement norvégien. Les recettes du gouvernement norvégien provenant d’Equinor sont ainsi reversées au fonds de pension gouvernemental (Government Pension Fund Global), géré par la Norge Bank. Son site web indique que « ces dépôts représentent moins de la moitié de la valeur du fonds. La majeure partie a été gagnée en investissant dans des actions, des titres à revenu fixe, des biens immobiliers et des infrastructures d’énergie renouvelable » [6] [7]. Cela dit, le fonds, outre les revenus qu’il tire du pétrole et du gaz naturel norvégiens, détient des parts importantes dans Shell, TotalEnergies, Chevron et Exxon [8]. Ainsi, si le pays a su éviter la « malédiction du pétrole » en réinvestissant une partie de ses profits dans des infrastructures durables, une part importante de ses revenus conduit à propager les effets néfastes du réchauffement climatique à l’échelle mondiale. Le gouvernement norvégien ne semble pas pressé de faire évoluer cet état de fait. Que faire ? Le système financier mondial est si inertiel que toute tentative de s’attaquer à la concentration de la propriété des entreprises pétrolières, ou à la question des « 25 » actionnaires, semble presque irréalisable à première vue. Les mouvements de désinvestissement ont tenté d’aborder cette question sous un angle moral, mais sans grand succès. Une approche plus pragmatique, qui considérerait la question sous l’angle financier et fiscal, pourrait-elle être plus efficace ? L’objectif ne devrait en effet peut-être pas être de faire sortir les investisseurs du pétrole, mais de faire sortir les compagnies pétrolières elles-mêmes du pétrole. La taxe sur le rachat d’actions : effet Robin des Bois ou piège fiscal ? La réaction des gilets jaunes à une taxe sur le diesel nous a appris qu’une taxe ciblée sur le carbone, qui peut être facilement présentée comme frappant de manière disproportionnée ceux qui se considèrent comme des pauvres, est une très mauvaise idée sur le plan politique. En revanche, une taxe sur les
Par Bell R.
28 novembre 2024