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Mahaut Chaudouët-Delmas

Mahaut Chaudouët-Delmas

Conseil scientifique

Biographie

Diplômée de l’ENS et de Sciences-Po, Mahaut Chaudouët-Delmas est conseillère politique, activiste féministe et rapporteuse au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Elle est également réalisatrice de podcasts politiques (Les Ombres ; Regarde-moi bien) et autrice de Demain ne peut qu’être féministe.

Notes publiées

Revaloriser les métiers du lien après la crise, un enjeu social, économique, politique

Les leçons sur l’égalité économique entre les femmes et les hommes qui se cristallisent dans la longue crise sociale que l’on traverse depuis 4 ans sont nombreuses. Elles sont pourtant un angle mort de l’État interventionniste que la pandémie et le retour de la guerre en Europe ont réhabilité. Si elle a révélé notre dépendance quotidienne aux métiers à forte valeur sociale, renommés depuis « essentiels », la crise n’a pas encore débouché sur un rééquilibrage économique et social que ces professions méritent et nécessitent. Plus encore, cette réévaluation nous enjoint à redéfinir un modèle économique qui place l’utilité sociale et l’intérêt général au cœur de son principe d’action. Des moyens concrets existent, comme une réforme salariale, un investissement massif dans l’économie du lien, une refonte de nos indicateurs et de nos finances publiques. Ils attendent d’être activés pour remédier à l’inversion des valeurs dont les métiers du lien, partant notre économie, souffrent. L’ensemble de mesures que nous préconisons ne constitue pas seulement une politique publique « féministe », c’est un levier majeur pour une politique sociale ambitieuse contre la précarité des invisibles. Elle offre une ressource pour combattre avec justice et efficacité la pauvreté et l’exclusion, mais aussi pour activer un changement réel de l’échelle des valeurs dans l’emploi et, plus généralement, dans l’organisation des activités humaines en prise avec « ce qui compte ». I/ Constats : des métiers essentiels oubliés Les emplois qui ont assuré la continuité de la vie, familiale, sociale et professionnelle depuis ces deux dernières années sont majoritairement occupés par des femmes : à 73 % dans l’éducation, la santé et l’action sociale, le commerce, le service. Ce sont des infirmières (87%), les aides-soignantes (91%), les aides à domicile et aides ménagères (97%), les agentes d’entretien (73%), les caissières et vendeuses (76%), ce sont encore des travailleuses sociales et les enseignantes. Souvent non-Blanches et d’origine étrangère, parfois sans-papiers. Le rôle des femmes du « care »[1] a été crucial depuis 3 ans : pas seulement à travers les emplois dits féminins largement sous-valorisés et surexploités (« les premières de corvées », comme plusieurs médias l’ont alors titré), mais encore à travers le travail domestique gratuit, et le travail bénévole. Que ce soient les jeunes en service civique dans les hôpitaux et les Ehpad (à plus de 70% femmes), les élèves infirmières réquisitionnées pour travailler quasiment gratuitement (entre 0,80 et 1,40€ de l’heure), mais aussi les couturières, qui ont confectionné des masques pour la population pendant des mois sans être rétribuées, ce sont principalement les femmes qui ont répondu aux appels gouvernementaux à la solidarité nationale. Ce déséquilibre a même conduit à la gratuitisation de leur travail selon la sociologue Maud Simonet[2]. La pandémie a fonctionné comme un miroir grossissant des mécanismes dysfonctionnels du marché du travail. Car plus généralement, l’ensemble des femmes actives connaissent encore un écart de rémunération avec les hommes de 22% en moyenne[3]. Les femmes dans leur ensemble poursuivent des carrières hachées, du fait d’inégalités de conditions initiales (éducation, orientation, confiance en soi, valeurs genrées) et continues (charge domestique et parentale, sexisme en entreprise). Elles composent aussi 80% des temps partiels, occupent les emplois précaires, petits boulots ou métiers de sous-traitance aux amplitudes horaires étendues et aux piètres conditions de travail, à l’instar des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles qui se sont battues pour faire reconnaître leurs droits. Comme l’a montré l’ANACT, dans son étude sur « La sinistralité au travail en France », en vingt ans (2001-2019), la santé au travail des femmes se dégrade, avec des maladies professionnelles en augmentation de +158% et des accidents du travail en croissance de +41%, en particulier dans les métiers de services féminisés (santé, action sociale, nettoyage). Mais ce sont aussi et encore les femmes qui sont exclues des niveaux hiérarchiques les plus élevés, valorisants, qualifiés et rémunérés des entreprises[4]. Celles qui, plus diplômées que les hommes, ont toujours plus de mal à « faire carrière »[5]. Ce sont les mêmes qui, une fois mères, ont une chance sur deux d’interrompre ou cesser leur activité professionnelle, contre seulement un père sur neuf, et qui gagnent un salaire inférieur de 25%, cinq ans après leur premier enfant[6]. Enfin, ce sont les femmes qui touchent une retraite inférieure de 42% par rapport aux hommes. Cette tendance vient s’ajouter à celle, plus structurelle, de la répartition sexuée des métiers d’avenir, qui perpétue les écarts de salaire horaire sur le long terme : dans la formation, les hommes composent 71% des inscrits dans les parcours d’ingénieurs, dans l’emploi, les femmes ne représentent qu’un tiers des salariés des secteurs de l’ingénierie, de l’informatique et du numérique, et ce principalement dans les fonctions support (ressources humaines, administration, marketing, communication, etc, et non pas dans les branches dites « qualifiées » et, donc, mieux rémunérées). Du côté employeurs, seulement 7 % des start-ups françaises sont dirigées par des femmes. L’éloignement des jeunes femmes est encore plus marqué concernant la formation aux métiers du numérique (la proportion de femmes diplômées dans ce secteur a baissé de 2 % en France entre 2013 et 2017, marquant un peu plus cet éloignement selon l’étude Gender Scan[7] 2019) et ce alors que l’on estime à plus de 50 % la part des métiers du numérique en 2030. Couplée à l’automatisation des métiers principalement occupés par des femmes (caissières et secrétaires), et à la généralisation et à a normalisation du télétravail qui cantonne davantage les femmes dans la sphère domestique dans laquelle elles subissent les risques économiques sus-mentionnés et les décourage en plus grande proportion de retourner au travail, cette tendance du marché du travail de demain est particulièrement inquiétante. En bref, toutes les femmes, toute leur vie, sont inégalement traitées sur le marché du travail. Une politique publique ambitieuse pour accompagner les métiers féminisés du lien permettrait de rééquilibrer cette inégalité fondamentale et persistante. II/ Enjeux : la nécessité sociale, politique et économique d’un sursaut Un enjeu social À court terme, la paupérisation des femmes fait de la catégorie socio-professionnelle du « lien » un enjeu de pauvreté lié

Par Chaudouët-Delmas M.

15 février 2023

Revaloriser les métiers du lien après la crise, un enjeu social, économique, politique

Les leçons sur l’égalité économique entre les femmes et les hommes qui se cristallisent dans la longue crise sociale que l’on traverse depuis 4 ans sont nombreuses. Elles sont pourtant un angle mort de l’État interventionniste que la pandémie et le retour de la guerre en Europe ont réhabilité. Si elle a révélé notre dépendance quotidienne aux métiers à forte valeur sociale, renommés depuis « essentiels », la crise n’a pas encore débouché sur un rééquilibrage économique et social que ces professions méritent et nécessitent. Plus encore, cette réévaluation nous enjoint à redéfinir un modèle économique qui place l’utilité sociale et l’intérêt général au cœur de son principe d’action. Des moyens concrets existent, comme une réforme salariale, un investissement massif dans l’économie du lien, une refonte de nos indicateurs et de nos finances publiques. Ils attendent d’être activés pour remédier à l’inversion des valeurs dont les métiers du lien, partant notre économie, souffrent. L’ensemble de mesures que nous préconisons ne constitue pas seulement une politique publique « féministe », c’est un levier majeur pour une politique sociale ambitieuse contre la précarité des invisibles. Elle offre une ressource pour combattre avec justice et efficacité la pauvreté et l’exclusion, mais aussi pour activer un changement réel de l’échelle des valeurs dans l’emploi et, plus généralement, dans l’organisation des activités humaines en prise avec « ce qui compte ». I/ Constats : des métiers essentiels oubliés Les emplois qui ont assuré la continuité de la vie, familiale, sociale et professionnelle depuis ces deux dernières années sont majoritairement occupés par des femmes : à 73 % dans l’éducation, la santé et l’action sociale, le commerce, le service. Ce sont des infirmières (87%), les aides-soignantes (91%), les aides à domicile et aides ménagères (97%), les agentes d’entretien (73%), les caissières et vendeuses (76%), ce sont encore des travailleuses sociales et les enseignantes. Souvent non-Blanches et d’origine étrangère, parfois sans-papiers. Le rôle des femmes du « care »[1] a été crucial depuis 3 ans : pas seulement à travers les emplois dits féminins largement sous-valorisés et surexploités (« les premières de corvées », comme plusieurs médias l’ont alors titré), mais encore à travers le travail domestique gratuit, et le travail bénévole. Que ce soient les jeunes en service civique dans les hôpitaux et les Ehpad (à plus de 70% femmes), les élèves infirmières réquisitionnées pour travailler quasiment gratuitement (entre 0,80 et 1,40€ de l’heure), mais aussi les couturières, qui ont confectionné des masques pour la population pendant des mois sans être rétribuées, ce sont principalement les femmes qui ont répondu aux appels gouvernementaux à la solidarité nationale. Ce déséquilibre a même conduit à la gratuitisation de leur travail selon la sociologue Maud Simonet[2]. La pandémie a fonctionné comme un miroir grossissant des mécanismes dysfonctionnels du marché du travail. Car plus généralement, l’ensemble des femmes actives connaissent encore un écart de rémunération avec les hommes de 22% en moyenne[3]. Les femmes dans leur ensemble poursuivent des carrières hachées, du fait d’inégalités de conditions initiales (éducation, orientation, confiance en soi, valeurs genrées) et continues (charge domestique et parentale, sexisme en entreprise). Elles composent aussi 80% des temps partiels, occupent les emplois précaires, petits boulots ou métiers de sous-traitance aux amplitudes horaires étendues et aux piètres conditions de travail, à l’instar des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles qui se sont battues pour faire reconnaître leurs droits. Comme l’a montré l’ANACT, dans son étude sur « La sinistralité au travail en France », en vingt ans (2001-2019), la santé au travail des femmes se dégrade, avec des maladies professionnelles en augmentation de +158% et des accidents du travail en croissance de +41%, en particulier dans les métiers de services féminisés (santé, action sociale, nettoyage). Mais ce sont aussi et encore les femmes qui sont exclues des niveaux hiérarchiques les plus élevés, valorisants, qualifiés et rémunérés des entreprises[4]. Celles qui, plus diplômées que les hommes, ont toujours plus de mal à « faire carrière »[5]. Ce sont les mêmes qui, une fois mères, ont une chance sur deux d’interrompre ou cesser leur activité professionnelle, contre seulement un père sur neuf, et qui gagnent un salaire inférieur de 25%, cinq ans après leur premier enfant[6]. Enfin, ce sont les femmes qui touchent une retraite inférieure de 42% par rapport aux hommes. Cette tendance vient s’ajouter à celle, plus structurelle, de la répartition sexuée des métiers d’avenir, qui perpétue les écarts de salaire horaire sur le long terme : dans la formation, les hommes composent 71% des inscrits dans les parcours d’ingénieurs, dans l’emploi, les femmes ne représentent qu’un tiers des salariés des secteurs de l’ingénierie, de l’informatique et du numérique, et ce principalement dans les fonctions support (ressources humaines, administration, marketing, communication, etc, et non pas dans les branches dites « qualifiées » et, donc, mieux rémunérées). Du côté employeurs, seulement 7 % des start-ups françaises sont dirigées par des femmes. L’éloignement des jeunes femmes est encore plus marqué concernant la formation aux métiers du numérique (la proportion de femmes diplômées dans ce secteur a baissé de 2 % en France entre 2013 et 2017, marquant un peu plus cet éloignement selon l’étude Gender Scan[7] 2019) et ce alors que l’on estime à plus de 50 % la part des métiers du numérique en 2030. Couplée à l’automatisation des métiers principalement occupés par des femmes (caissières et secrétaires), et à la généralisation et à a normalisation du télétravail qui cantonne davantage les femmes dans la sphère domestique dans laquelle elles subissent les risques économiques sus-mentionnés et les décourage en plus grande proportion de retourner au travail, cette tendance du marché du travail de demain est particulièrement inquiétante. En bref, toutes les femmes, toute leur vie, sont inégalement traitées sur le marché du travail. Une politique publique ambitieuse pour accompagner les métiers féminisés du lien permettrait de rééquilibrer cette inégalité fondamentale et persistante. II/ Enjeux : la nécessité sociale, politique et économique d’un sursaut Un enjeu social À court terme, la paupérisation des femmes fait de la catégorie socio-professionnelle du « lien » un enjeu de pauvreté lié

Par Chaudouët-Delmas M.

16 septembre 2022

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