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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Christophe Revelli

Christophe Revelli

Biographie

Christophe Revelli est professeur associé de finance responsable/durable à la KEDGE business school, directeur du MSc Sustainable Finance et titulaire de la chaire de recherche CANDRIAM « Finance Reconsidered : Addressing Sustainable Economic Development ». Il est également administrateur au Forum de l’Investissement Responsable (FIR).

Notes publiées

L’« actif sans risque écologique » : un nouvel instrument financier pour une reconstruction écologique de la zone euro

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. ____ Télécharger la note en pdf   1. Les besoins de financement pour l’Agenda 2030 La Commission Européenne estime qu’une augmentation annuelle de 260 milliards d’euros en investissement serait requise à l’échelle européenne pour atteindre la cible climat à l’horizon 2030[3]. Il s’agit d’un chiffrage restrictif qui se focalise uniquement sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre, et ne prend pas en compte les investissements requis pour l’adaptation aux effets du dérèglement climatique (comme la montée des eaux ou les périodes de canicule), ni le coût imprévisible des d’autres phénomènes liés (telles que la perte de biodiversité). Comme le montre le graphique 1, ce coût, certes très largement sous-estimé, de la reconstruction écologique et sociale excède néanmoins les encours de monnaie fiduciaire, la valeur des titres de dette à maturité inférieure à 2 ans, la valeur des dépôts à terme inférieur à 3 mois, et la valeur des dépôts à termes dont la maturité est inférieure ou égale à 2 ans dans la zone euro. La comparaison avec les sommes projetées pour le « Green Deal » fait par ailleurs apparaitre un besoin de financement résiduel de 1600 milliards d’euros d’ici 2030. La valeur de ce « green finance gap » est équivalente à 18% de M1, 13% de M2 et 11% de M3 dans la zone euro en 2020. Figure 1 – Le « green finance gap » dans la zone euro Note: Données chiffrées en milliards d’euros. Le premier groupe d’histogrammes représente le coût de l’adaptation climatique à partir des données de la Commission Européenne. Le deuxième et le troisième groupe représentent la valeur des passifs de long terme et des agrégats monétaires de la zone euro en Janvier 2020 (Statistical Data Warehouse de la Banque Centrale Européenne). Le comblement du « green finance gap », certes indispensable, se double d’une autre problématique tout aussi essentielle. En effet, atteindre les objectifs fixés par l’Agenda 2030 implique, non seulement de réaliser les investissements d’un montant adéquat en volume, mais aussi de s’assurer que ces investissements auront l’impact requis en termes bio-géophysiques et sociaux. Ceci implique une modification qualitative des indicateurs de sélection et de suivi de ces investissements, qui devront se découpler de la notion traditionnelle de « retour sur investissement » pour prendre en compte des critères prioritairement extra-financiers. Cette nouvelle contrainte rend obsolète la conception des instruments financiers actuels, qui tendent à coordonner les activités économiques sur la base de signaux exclusivement monétaires. 2. Le mirage des « obligations vertes » Parmi les outils de financement spécifique à la finance durable ou verte, les obligations vertes ou green bonds sont aujourd’hui très médiatisées. Il est vrai que les obligations vertes ont enregistré une forte croissance sur les dernières années (les émissions 2018 et 2019 représentent à elles seules plus de 50% du total cumulé des émissions). Comme le montre la figure 2, les marchés européens, d’Amérique du Nord et d’Asie-Pacifique représentent environ 88% du total des émissions. Au sein de ces zones, les USA, la France et la Chine sont les principaux émetteurs d’obligations vertes (environ 47% des encours cumulés d’émissions), principalement via les entreprises publiques, non financières et financières. La part des souverains dans les émissions 2018 et 2019 est limitée (10 à 12% du total cumulé mais avec une croissance 2018-2019 de 85%). Les secteurs les plus contributifs et identifiés « sous-jacents » sont principalement l’énergie, le transport et les infrastructures (81% des émissions d’obligations vertes 2019). Figure 2 – Croissance 2018-2019 des encours d’émissions d’obligations vertes mondiaux par zone géographique* * La zone Amérique Latine et Caraïbes n’est pas représentée en terme de croissance 2018-2019, n’ayant pas émise de green bonds sur la période 2018 et ses émissions 2019 représentant seulement 0,7% des émissions mondiales. Données extraites et adaptées de Climate Bonds Initiative. Pourtant, deux raisons laissent à penser que le développement du marché obligataire « vert » sera insuffisant pour répondre aux exigences de transformation requises par l’Agenda 2030. Premièrement, selon les données issues de Climate Bonds Initiative, les encours mondiaux d’obligations vertes représentent, malgré leur croissance, environ 780 milliards de dollars US à la fin 2019 – soit une part infime du marché obligataire (environ 0,7%)[4]. Plus fondamentalement, une obligation verte n’engage aucune obligation en terme de résultat bio-géophysique vis-à-vis de ses investisseurs. Si le rendement financier attendu d’une obligation verte est fixé dans son prospectus, son ambition écologique et sociale est beaucoup plus floue. Une obligation verte promet de délivrer un « bénéfice environnemental » dans la « mesure du possible »[5]. Les impacts environnementaux sont certifiés par des « labels » variés, qui ne sont pas contrôlés par une organisation scientifique indépendante, mais émis ou audités/certifiés par les acteurs du marché[6]. Les méthodes d’émission, d’évaluation et de circulation de ces obligations vertes répondent donc à des critères financiers usuels (évalués en termes de rendement monétaire) plutôt que bio-géophysiques et sociaux. Ce n’est pas le moindre paradoxe, alors, qu’elles sont supposées constituer le principal vecteur de financement de la reconstruction écologique ! Opérant dans une véritable « jungle lexicale » de labels divers, et soumis à des injonctions contradictoires, le gestionnaire d’actif perd ainsi progressivement sa capacité à distinguer la réalité (l’évolution du système Terre et l’impact de son investissement sur ce

Par Revelli C., Lagoarde-Segot T.

6 avril 2021

Le cas Danone nous ramène à l’hyper-réalité financière

Danone, leader mondial des produits laitiers frais, a récemment évincé son PDG Emmanuel Faber, quatre ans après sa nomination en tant que PDG, sous fond de dissensions managériales, actionnariales et stratégiques. Ce qui « fascine » les commentateurs sur ce cas, c’est que cette entreprise est la première entreprise du CAC40 à adopter le statut de société à mission, dont l’objectif de création de valeur n’est plus seulement financier mais également environnemental et social. L’histoire retiendra que les tensions au sein de la gouvernance de Danone ont commencé dès lors que Danone a adopté ce statut le 26 juin 2020, soutenu par ses actionnaires qui ont pourtant voté cette résolution à hauteur de 99,4 % des voix. Ce jour-là, Emmanuel Faber affirmait : « vous venez de déboulonner une statue de Milton Friedman… La décision que vous venez de prendre fera jurisprudence ». Huit mois plus tard, la statue de Milton Friedman n’a pas vraiment vacillé. Depuis juin 2020, l’entreprise a dû faire face à des vagues de départ au sein de son comité exécutif en septembre et octobre 2020, puis à une demande de refonte de la gouvernance de la part de Bluebell Capital Partners en novembre 2020 (au moment où le plan stratégique « Local First » était annoncé) suivi par Artisan Partners en février 2021. Ces deux fonds activistes, pourtant minoritaires dans la structure actionnariale du groupe, ont profité d’une croissance faible de l’action Danone en 2020 pour entrer au capital et faire exploser la gouvernance de l’entreprise et son projet d’obtenir le label de bonne gouvernance environnementale et sociale B Corp au passage. Le jour de l’annonce de son éviction, l’action Danone a bondi de 4 % à la bourse de Paris et Bluebell Capital Partners réagissait le soir-même pour se féliciter que toutes ses demandes aient été acceptées, et « qu’une trajectoire de croissance profitable puisse être retrouvée chez Danone, tout en conservant la durabilité comme priorité ». La dernière phrase est particulièrement intéressante à analyser et en dit long sur la volonté réelle des fonds activistes à l’origine de ce départ. Croître de manière infinie d’un point de vue économique et financier est-il compatible avec un projet de soutenabilité, qui par définition, implique des ressources finies ? L’image du greenwashing ressurgit et pose la question également du poids des actionnaires dans les décisions stratégiques. Le mythe de Jensen (c’est par la maximisation de la valeur de l’action que le bien-être collectif est produit à long terme) reste donc bien le paradigme en vigueur. Comment une entreprise qui vote à l’unanimité l’inscription du projet social dans ses statuts peut-elle faire exploser sa gouvernance en plein vol ? Au sein des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), soi-disant cher aux investisseurs, le G de Gouvernance reste donc bien la lettre la plus importante. Rien ne peut se faire sans une gouvernance solide et participative. Toutes les meilleures envies du monde en termes de soutenabilité se délitent si la gouvernance, l’entreprise dans son ensemble ainsi que ses parties prenantes n’adhèrent pas au projet. Vouloir faire de Danone une société à mission est une fantastique idée, mais il s’agit en premier lieu de constituer une gouvernance qui défendra becs et ongles ce projet, prête à subir les vagues dans la tempête, indépendante et solidaire face aux attaques des actionnaires requins. Un projet de cette ampleur ne peut se réaliser si la gouvernance n’intègre pas des administrateurs qui vivent le projet ensemble, impliquant donc l’identification d’investisseurs stimulés par le projet. Le financier doit financer, le gouvernant doit gouverner, et le dirigeant diriger. Avant d’atteindre le sommet, les fondations doivent être bien ancrées dans le sol… Avant de penser la gouvernance, il s’agit également de penser la structure actionnariale et de faire en sorte qu’elle s’imbrique pleinement dans le projet. En regardant de plus près la structure actionnariale de Danone (dernière publication de décembre 2019), on s’aperçoit que les noyaux durs d’actionnaire sont MFS, Blackrock, Amundi ou encore la Norges Bank (entre autres). Tous s’affichent très haut comme des actionnaires profondément engagés dans les enjeux de durabilité, avec une volonté de changer le monde et favoriser la reconstruction écologique et sociale… Mais l’hyper-réalité financière nous rappelle que Blackrock, en 2020, a seulement soutenu trois résolutions de lutte contre le réchauffement climatique sur 36 lors d’AG d’entreprises américaines cotées, a voté contre la résolution d’actionnaires (qui demandait à l’entreprise d’aligner « ses activités avec l’accord de Paris ») soumise à l’Assemblée générale de Total (dont Blackrock est actionnaire à hauteur de 6,3 %), et a financé pour 87 milliards d’investissement dans les énergies fossiles en 2019… Où sont donc les actionnaires soi-disant « durables » dans l’affaire Danone ? Pour rappel, Blackrock, dans sa communication, se définit comme un gérant d’actifs qui veut « faire de l’investissement durable sa norme en manière d’investissement » … Un investisseur durable doit absolument comprendre l’enjeu qui réside dans la dichotomie parfaite entre communication et réalité. Son rôle sera de sortir des scoring ESG classiques, fournis sur la base des communications des entreprises et des reporting intégrés basés sur la matérialité financière et les normes IFRS acculturée « cash flows », pour pratiquer un engagement actionnarial de tous les instants. Si les fonds requins attaquent les entreprises fragilisées pour en tirer tout ce qu’ils peuvent en un temps très court, les actionnaires « durables » doivent donc faire contrepoids et s’engager manu militari. Pour ceci, ils doivent clairement identifier les bonnes entreprises, dont la gouvernance est saine, en prenant le temps de comprendre la vision stratégique, le projet, l’impact sociétal, puis en poussant l’ensemble des parties prenantes dans le même objectif. Danone est la mieux notée de toutes les entreprises du CAC40 d’un point de vue ESG par l’ensemble des agences de notation, pourtant le mal semblait profond, que ce soit au sein de la gouvernance mais également de la structure actionnariale. L’analyse approfondie des stratégies de gouvernance et d’actionnariat permettrait également de comprendre, à titre d’exemple, qu’une société comme Lafarge, ayant la meilleure notation ESG selon Sustainalytics dans son industrie, n’est autre qu’une entreprise poursuivie pour financement du terrorisme et

Par Revelli C.

24 mars 2021

L’« actif sans risque écologique » : un nouvel instrument financier pour une reconstruction écologique de la zone euro

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. ____ Télécharger la note en pdf   1. Les besoins de financement pour l’Agenda 2030 La Commission Européenne estime qu’une augmentation annuelle de 260 milliards d’euros en investissement serait requise à l’échelle européenne pour atteindre la cible climat à l’horizon 2030[3]. Il s’agit d’un chiffrage restrictif qui se focalise uniquement sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre, et ne prend pas en compte les investissements requis pour l’adaptation aux effets du dérèglement climatique (comme la montée des eaux ou les périodes de canicule), ni le coût imprévisible des d’autres phénomènes liés (telles que la perte de biodiversité). Comme le montre le graphique 1, ce coût, certes très largement sous-estimé, de la reconstruction écologique et sociale excède néanmoins les encours de monnaie fiduciaire, la valeur des titres de dette à maturité inférieure à 2 ans, la valeur des dépôts à terme inférieur à 3 mois, et la valeur des dépôts à termes dont la maturité est inférieure ou égale à 2 ans dans la zone euro. La comparaison avec les sommes projetées pour le « Green Deal » fait par ailleurs apparaitre un besoin de financement résiduel de 1600 milliards d’euros d’ici 2030. La valeur de ce « green finance gap » est équivalente à 18% de M1, 13% de M2 et 11% de M3 dans la zone euro en 2020. Figure 1 – Le « green finance gap » dans la zone euro Note: Données chiffrées en milliards d’euros. Le premier groupe d’histogrammes représente le coût de l’adaptation climatique à partir des données de la Commission Européenne. Le deuxième et le troisième groupe représentent la valeur des passifs de long terme et des agrégats monétaires de la zone euro en Janvier 2020 (Statistical Data Warehouse de la Banque Centrale Européenne). Le comblement du « green finance gap », certes indispensable, se double d’une autre problématique tout aussi essentielle. En effet, atteindre les objectifs fixés par l’Agenda 2030 implique, non seulement de réaliser les investissements d’un montant adéquat en volume, mais aussi de s’assurer que ces investissements auront l’impact requis en termes bio-géophysiques et sociaux. Ceci implique une modification qualitative des indicateurs de sélection et de suivi de ces investissements, qui devront se découpler de la notion traditionnelle de « retour sur investissement » pour prendre en compte des critères prioritairement extra-financiers. Cette nouvelle contrainte rend obsolète la conception des instruments financiers actuels, qui tendent à coordonner les activités économiques sur la base de signaux exclusivement monétaires. 2. Le mirage des « obligations vertes » Parmi les outils de financement spécifique à la finance durable ou verte, les obligations vertes ou green bonds sont aujourd’hui très médiatisées. Il est vrai que les obligations vertes ont enregistré une forte croissance sur les dernières années (les émissions 2018 et 2019 représentent à elles seules plus de 50% du total cumulé des émissions). Comme le montre la figure 2, les marchés européens, d’Amérique du Nord et d’Asie-Pacifique représentent environ 88% du total des émissions. Au sein de ces zones, les USA, la France et la Chine sont les principaux émetteurs d’obligations vertes (environ 47% des encours cumulés d’émissions), principalement via les entreprises publiques, non financières et financières. La part des souverains dans les émissions 2018 et 2019 est limitée (10 à 12% du total cumulé mais avec une croissance 2018-2019 de 85%). Les secteurs les plus contributifs et identifiés « sous-jacents » sont principalement l’énergie, le transport et les infrastructures (81% des émissions d’obligations vertes 2019). Figure 2 – Croissance 2018-2019 des encours d’émissions d’obligations vertes mondiaux par zone géographique* * La zone Amérique Latine et Caraïbes n’est pas représentée en terme de croissance 2018-2019, n’ayant pas émise de green bonds sur la période 2018 et ses émissions 2019 représentant seulement 0,7% des émissions mondiales. Données extraites et adaptées de Climate Bonds Initiative. Pourtant, deux raisons laissent à penser que le développement du marché obligataire « vert » sera insuffisant pour répondre aux exigences de transformation requises par l’Agenda 2030. Premièrement, selon les données issues de Climate Bonds Initiative, les encours mondiaux d’obligations vertes représentent, malgré leur croissance, environ 780 milliards de dollars US à la fin 2019 – soit une part infime du marché obligataire (environ 0,7%)[4]. Plus fondamentalement, une obligation verte n’engage aucune obligation en terme de résultat bio-géophysique vis-à-vis de ses investisseurs. Si le rendement financier attendu d’une obligation verte est fixé dans son prospectus, son ambition écologique et sociale est beaucoup plus floue. Une obligation verte promet de délivrer un « bénéfice environnemental » dans la « mesure du possible »[5]. Les impacts environnementaux sont certifiés par des « labels » variés, qui ne sont pas contrôlés par une organisation scientifique indépendante, mais émis ou audités/certifiés par les acteurs du marché[6]. Les méthodes d’émission, d’évaluation et de circulation de ces obligations vertes répondent donc à des critères financiers usuels (évalués en termes de rendement monétaire) plutôt que bio-géophysiques et sociaux. Ce n’est pas le moindre paradoxe, alors, qu’elles sont supposées constituer le principal vecteur de financement de la reconstruction écologique ! Opérant dans une véritable « jungle lexicale » de labels divers, et soumis à des injonctions contradictoires, le gestionnaire d’actif perd ainsi progressivement sa capacité à distinguer la réalité (l’évolution du système Terre et l’impact de son investissement sur ce

Par Revelli C., Lagoarde-Segot T.

27 juillet 2021

Le cas Danone nous ramène à l’hyper-réalité financière

Danone, leader mondial des produits laitiers frais, a récemment évincé son PDG Emmanuel Faber, quatre ans après sa nomination en tant que PDG, sous fond de dissensions managériales, actionnariales et stratégiques. Ce qui « fascine » les commentateurs sur ce cas, c’est que cette entreprise est la première entreprise du CAC40 à adopter le statut de société à mission, dont l’objectif de création de valeur n’est plus seulement financier mais également environnemental et social. L’histoire retiendra que les tensions au sein de la gouvernance de Danone ont commencé dès lors que Danone a adopté ce statut le 26 juin 2020, soutenu par ses actionnaires qui ont pourtant voté cette résolution à hauteur de 99,4 % des voix. Ce jour-là, Emmanuel Faber affirmait : « vous venez de déboulonner une statue de Milton Friedman… La décision que vous venez de prendre fera jurisprudence ». Huit mois plus tard, la statue de Milton Friedman n’a pas vraiment vacillé. Depuis juin 2020, l’entreprise a dû faire face à des vagues de départ au sein de son comité exécutif en septembre et octobre 2020, puis à une demande de refonte de la gouvernance de la part de Bluebell Capital Partners en novembre 2020 (au moment où le plan stratégique « Local First » était annoncé) suivi par Artisan Partners en février 2021. Ces deux fonds activistes, pourtant minoritaires dans la structure actionnariale du groupe, ont profité d’une croissance faible de l’action Danone en 2020 pour entrer au capital et faire exploser la gouvernance de l’entreprise et son projet d’obtenir le label de bonne gouvernance environnementale et sociale B Corp au passage. Le jour de l’annonce de son éviction, l’action Danone a bondi de 4 % à la bourse de Paris et Bluebell Capital Partners réagissait le soir-même pour se féliciter que toutes ses demandes aient été acceptées, et « qu’une trajectoire de croissance profitable puisse être retrouvée chez Danone, tout en conservant la durabilité comme priorité ». La dernière phrase est particulièrement intéressante à analyser et en dit long sur la volonté réelle des fonds activistes à l’origine de ce départ. Croître de manière infinie d’un point de vue économique et financier est-il compatible avec un projet de soutenabilité, qui par définition, implique des ressources finies ? L’image du greenwashing ressurgit et pose la question également du poids des actionnaires dans les décisions stratégiques. Le mythe de Jensen (c’est par la maximisation de la valeur de l’action que le bien-être collectif est produit à long terme) reste donc bien le paradigme en vigueur. Comment une entreprise qui vote à l’unanimité l’inscription du projet social dans ses statuts peut-elle faire exploser sa gouvernance en plein vol ? Au sein des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), soi-disant cher aux investisseurs, le G de Gouvernance reste donc bien la lettre la plus importante. Rien ne peut se faire sans une gouvernance solide et participative. Toutes les meilleures envies du monde en termes de soutenabilité se délitent si la gouvernance, l’entreprise dans son ensemble ainsi que ses parties prenantes n’adhèrent pas au projet. Vouloir faire de Danone une société à mission est une fantastique idée, mais il s’agit en premier lieu de constituer une gouvernance qui défendra becs et ongles ce projet, prête à subir les vagues dans la tempête, indépendante et solidaire face aux attaques des actionnaires requins. Un projet de cette ampleur ne peut se réaliser si la gouvernance n’intègre pas des administrateurs qui vivent le projet ensemble, impliquant donc l’identification d’investisseurs stimulés par le projet. Le financier doit financer, le gouvernant doit gouverner, et le dirigeant diriger. Avant d’atteindre le sommet, les fondations doivent être bien ancrées dans le sol… Avant de penser la gouvernance, il s’agit également de penser la structure actionnariale et de faire en sorte qu’elle s’imbrique pleinement dans le projet. En regardant de plus près la structure actionnariale de Danone (dernière publication de décembre 2019), on s’aperçoit que les noyaux durs d’actionnaire sont MFS, Blackrock, Amundi ou encore la Norges Bank (entre autres). Tous s’affichent très haut comme des actionnaires profondément engagés dans les enjeux de durabilité, avec une volonté de changer le monde et favoriser la reconstruction écologique et sociale… Mais l’hyper-réalité financière nous rappelle que Blackrock, en 2020, a seulement soutenu trois résolutions de lutte contre le réchauffement climatique sur 36 lors d’AG d’entreprises américaines cotées, a voté contre la résolution d’actionnaires (qui demandait à l’entreprise d’aligner « ses activités avec l’accord de Paris ») soumise à l’Assemblée générale de Total (dont Blackrock est actionnaire à hauteur de 6,3 %), et a financé pour 87 milliards d’investissement dans les énergies fossiles en 2019… Où sont donc les actionnaires soi-disant « durables » dans l’affaire Danone ? Pour rappel, Blackrock, dans sa communication, se définit comme un gérant d’actifs qui veut « faire de l’investissement durable sa norme en manière d’investissement » … Un investisseur durable doit absolument comprendre l’enjeu qui réside dans la dichotomie parfaite entre communication et réalité. Son rôle sera de sortir des scoring ESG classiques, fournis sur la base des communications des entreprises et des reporting intégrés basés sur la matérialité financière et les normes IFRS acculturée « cash flows », pour pratiquer un engagement actionnarial de tous les instants. Si les fonds requins attaquent les entreprises fragilisées pour en tirer tout ce qu’ils peuvent en un temps très court, les actionnaires « durables » doivent donc faire contrepoids et s’engager manu militari. Pour ceci, ils doivent clairement identifier les bonnes entreprises, dont la gouvernance est saine, en prenant le temps de comprendre la vision stratégique, le projet, l’impact sociétal, puis en poussant l’ensemble des parties prenantes dans le même objectif. Danone est la mieux notée de toutes les entreprises du CAC40 d’un point de vue ESG par l’ensemble des agences de notation, pourtant le mal semblait profond, que ce soit au sein de la gouvernance mais également de la structure actionnariale. L’analyse approfondie des stratégies de gouvernance et d’actionnariat permettrait également de comprendre, à titre d’exemple, qu’une société comme Lafarge, ayant la meilleure notation ESG selon Sustainalytics dans son industrie, n’est autre qu’une entreprise poursuivie pour financement du terrorisme et

Par Revelli C.

27 juillet 2021

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