Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Nicolas Desquinabo

Nicolas Desquinabo

Biographie

Nicolas Desquinabo, expert indépendant en évaluation de politiques publiques, ancien directeur du Master Evaluation et suivi des politiques publiques de Sciences-Po Lyon.

Notes publiées

Réorienter la taxe carbone pour baisser les émissions… et les factures ?

Ce qu’il faut retenir :   ●       Depuis 2013, les taxes sur les énergies ont augmenté de plus de 20 milliards d’euros/an (Mds €/an), dont seulement 20% ont été redistribués aux ménages pour les aider à accéder à des alternatives aux fossiles. La majorité de ces recettes a servi à réduire les prélèvements des entreprises et des ménages les plus aisés. ●       L’impact social régressif de ces taxes reste largement sous-estimé, alors qu’elles ont entraîné une perte de pouvoir d’achat de plus de 1 000 €/an pour les ménages les plus exposés aux factures énergétiques. ●       Faute d’alternatives accessibles, l’effet « prix » de ces taxes est resté très limité, avec un impact de –4% environ sur la consommation d’énergies fossiles des ménages. ●       Dans un contexte de prix et de taxes déjà élevés, l’ajout de 10 Mds €/an de taxe carbone européenne (Emission Trading Scheme 2 – ETS 2) prévu en 2027 et d’autres hausses de taxes « privées » dès 2026 (certificats biogaz et Certificats d’Economie d’Energie) sera d’autant plus complexe à compenser par des transferts ou des aides ciblées. ●       Une réorientation de l’intégralité des 20 Mds €/an de taxes ajoutées depuis 10 ans vers le soutien aux rénovations d’ampleur et véhicules électriques serait 3 fois plus efficace écologiquement qu’une nouvelle hausse de taxes et 5 fois plus favorable au pouvoir d’achat des ménages les plus exposés que la proposition inverse, de baisse des taxes, portée par le Rassemblement National. ●       Même dans un contexte budgétaire contraint, plusieurs leviers existent pour financer 15 Mds €/an de soutiens supplémentaires aux investissements écologiques des ménages. Le vivier de dépenses budgétaires ou fiscales dont l’inefficacité est largement documentée étant, à lui seul, largement supérieur à ces montants N.B: pour aller plus loin, une version longue (20 pages) de cette note est disponible ici. Cette version longue, non relue ni éditée par l’Institut Rousseau, n’engage que la responsabilité de son auteur. Depuis 10 ans, les gouvernements successifs ont ajouté plus de 20 milliards d’euros de taxes par an sur l’énergie (via la taxe carbone, le rattrapage de la sous-taxation du diesel et les certificats d’économie d’énergie – CEE[1]). Il était même initialement prévu d’augmenter la taxe carbone et le rattrapage diesel de 12 milliards d’euros par an supplémentaires, mais cette nouvelle hausse a été gelée au niveau de 2018 suite à la crise des Gilets jaunes. Ces 20 milliards sont venus quasiment doubler les 25 milliards d’euros par an (Mds €/an) de taxes « historiques » sur les carburants. Par ailleurs, ces taxes sur les énergies sont les plus régressives de tout le système fiscal : elles sont proportionnellement 3 à 4 fois plus élevées pour les ménages modestes que pour les plus aisés et 2 fois plus élevées pour les ménages moyens. Pour les 8 millions de ménages les plus exposés (« gros rouleurs » et résidant dans des logements peu isolés, chauffés au gaz ou au fioul), ces taxes ont entraîné une perte de pouvoir d’achat de plus de 1000 €/an. Supposées inciter à réduire les consommations de fossiles, ces hausses de taxes se sont avérées destinées à financer les diverses réductions d’impôts sur les entreprises et ménages aisés engagées sur la même période. Ce détournement de recettes explique que sur ces 20 Mds €/an de hausse, seuls 4 Mds/an ont été redistribués aux ménages pour les aider à accéder à des alternatives aux fossiles, tant pour chauffer leur logement que pour se déplacer. Un signal-prix pris isolément est inefficace : il entraîne une faible baisse des consommations… et une forte hausse des dépenses Les soutiens aux grandes alternatives aux dépenses fossiles étant restés limités, les rénovations énergétiques d’ampleur et les véhicules électriques sont restés inaccessibles pour la majorité des ménages. La quasi-totalité d’entre eux ont subi une hausse de leurs dépenses contraintes… en partie atténuée par une légère baisse, subie, de leur mobilité et/ou de leur température de consigne. Sur une baisse d’environ 12 % d’énergies fossiles consommées par les ménages depuis 2014 (à climat constant), l’effet « prix » de ces hausses de taxes peut être estimé autour de – 4%. Le reste est lié à l’augmentation des prix « hors taxes » et aux quelques investissements réalisés dans les logements et les véhicules électriques sur 10 ans. En comptant le reversement d’une partie de ces taxes sous forme de primes (notamment les CEE), ces + 20 Mds €/an de taxes ont entraîné, au mieux, une baisse de – 7% de la consommation d’énergies fossiles des ménages. Bilan environnemental et social des hausses de taxes sur les énergies (2014-2024)     + 20 Mds €/an de taxes énergies (Taxe carbone, diesel et CEE dont TVA) Importations de fossiles sur 470 TWh/an consommés par les ménages (270 carburants, 140 Gaz et 60 Fioul) – 7% (-35 TWh dont effets des primes CEE) Pouvoir d’achat des ménages « doublement exposés[2] » (7 à 8 millions de ménages) – 1100 €/an (dont – 500 €/an de carburants)   Cet effet limité sur les volumes s’est traduit par une baisse limitée des pollutions fossiles mais également par une explosion des factures énergétiques lorsque les prix (hors taxes) du gaz et du pétrole ont fortement augmenté en 2022-2023. Compte tenu des résultats de cette expérience récente de forte inflation et d’autres études[3] sur l’effet des hausses de prix des carburants, il y a fort à parier que la nouvelle taxe carbone prévue par l’UE (ETS 2[4]), qui devrait peser autour de 10 Mds/an, aura également un effet limité, estimé entre – 2% et – 3% d’énergies fossiles consommées par les ménages. Et ce, au prix d’une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des ménages modestes et moyens « exposés ». L’ETS 2 à venir en 2027 : le risque d’une nouvelle injustice sociale inefficace Alors que la nouvelle taxe carbone européenne ETS 2 attendue en 2027 aura un nouvel impact régressif sur le pouvoir d’achat des ménages, elle sera très difficile à compenser par des dispositifs de reversement des recettes aux ménages. Même avec des critères multiples et des bonifications, des surcompensations sont difficiles à

Par Desquinabo N.

27 octobre 2025

Un plan d’urgence pour l’agriculture française et pour une alimentation saine et abordable

Fiche thématique de résistance et de proposition n°9 I. Un peu de contexte : quel est le problème ? Les exploitants agricoles sont en majorité précaires : 1/3 ont des revenus inférieurs à 12 000 €/an sur la dernière décennie et la majorité n’atteint pas le Smic horaire, même si les écarts sont importants entre les types et tailles d’exploitations (voir la synthèse des revenus agricoles de l’INRAE). Or les aides de la politique agricole commune (PAC) baissent fortement en euros constants par rapport à la période 2014-2020 (elles n’ont pas évolué malgré une inflation de 30% des prix depuis). La PAC baisse également dans le budget de l’Union européenne (UE), de 66% du budget au début des années 1980 à 31% pour la dernière période 2021-2027. Ces aides, essentiellement distribuées en fonction des surfaces cultivées, sont très inégalement réparties : en France, les 20% plus importants bénéficiaires – qui sont les plus gros exploitants – ont perçu plus de 50% de ces aides bé(voir diagnostic PSN pp. 3 et 7). Ce système favorise ainsi une agriculture agro-industrielle intensive employant peu de main-d’œuvre, au détriment des pratiques plus respectueuses de l’environnement. De plus, les agriculteurs français sont exposés à une hausse des importations qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales et/ou sociales, notamment de pays tiers autorisant l’usage d’intrants (pesticides, médicaments, etc.) interdits en Europe, mais aussi de certains pays de l’UE (principalement en raison des préférences « low cost » des industriels et de la restauration collective).   Ces trop faibles soutiens publics, cette concurrence déloyale et l’absence de régulation des prix freinent la diffusion des pratiques agro-écologiques. Pourtant, les dernières recherches de l’INRAE montrent que l’agroécologie est plus résiliente face au changement climatique (sécheresses croissantes, pluies intenses, etc.). Elle est aussi plus respectueuse de la biodiversité (qui a chuté de 80% en 30 ans pour les insectes, principalement à cause des pesticides) et de la santé humaine, notamment des agriculteurs. II. Que propose-t-on ? Augmenter l’enveloppe de la PAC de +30% (+3 Mds/an pour la France à partir de 2028) en doublant les aides aux pratiques agro-écologiques pour s’aligner sur les montants d’aides des pays européens ou l’agriculture biologique est la plus développée (e.g. plusieurs régions d’Italie, le Danemark ou le Portugal). Revaloriser les aides aux revenus des agriculteurs (en prenant en compte l’inflation depuis 2020) et les distribuer non plus en fonction de la surface mais de la quantité de main-d’œuvre afin de favoriser les petites et moyennes exploitations ainsi que les modes de production les plus agro-écologiques qui créent davantage d’emplois. Subventionner la nourriture saine pour la rendre plus abordable pour tous, en diffusant progressivement des « chèques alimentation de qualité ». Ces aides doivent être réservées aux aliments bio ou extensifs, aux prix conventionnés, produits en France ou à proximité. Le montant des chèques doit être indexé sur le revenu et la taille des ménages. Systématiser l’utilisation des clauses de sauvegarde et l’étiquetage de l’ensemble des lieux de production agro-industriels, afin d’interdire en France et dans les pays importateurs les produits les plus dangereux et/ou polluants. Réguler les marges des intermédiaires de l’industrie agro-alimentaire (en forte hausse depuis 2022) et de la grande distribution, en s’appuyant sur les prix de référence de l’Observatoire des prix et marges.   Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet :   Engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution (p.4)  Proposer une réforme de la PAC (p.5 et p.22) Défendre les zones agricoles, naturelles et les zones humides, doubler et améliorer la protection des aires maritimes protégées (p.17) Pour une agriculture écologique et paysanne (p.18) Annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (CETA) ; renoncer à l’accord du Mercosur et protéger nos agriculteurs de la concurrence déloyale Interdire l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales Lutter contre l’accaparement des terres et permettre à chaque agriculteur qui souhaite s’installer d’accéder à une exploitation pour préserver le modèle agricole familial Soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective Rétablir le plan Écophyto, interdire le glyphosate et les néonicotinoïdes avec accompagnement financier des paysans concernés III. Que peuvent y gagner les citoyens ? Une augmentation des revenus de la majorité des agriculteurs, en particulier des éleveurs et des petites et moyennes exploitations. Une forte diffusion des aliments sains et de qualité et la réduction des aliments ultra-transformés, dont les impacts sanitaires sont majeurs (diabète, cancers, etc.) et qui dépassent déjà 40% de l’alimentation des ménages modestes et des jeunes. La revitalisation des territoires ruraux et le développement de centaines de milliers d’emplois agricoles grâce à la plus forte densité en main d’œuvre des pratiques agro-écologiques (+10 à +20% d’emplois à pratique et taille égale, selon Agreste 2016 et Bertin & al 2016). Une plus grande souveraineté alimentaire, en réduisant fortement la dépendance extérieure en matière d’importation d’aliments (en forte hausse), mais également d’engrais et de soja nécessaires aux pratiques intensives (une dépendance croissante soulignée notamment par le Haut Commissariat au Plan en 2021). IV. Pourquoi l’extrême-droite n’est pas la solution ?  Le RN ne remet pas en cause la distribution des aides de la PAC en fonction de la surface et soutient donc les plus gros exploitants (notamment céréaliers) au détriment des éleveurs et des petits exploitants. En dehors des « 80% de produits français dans les cantines », les propositions « agriculture » ne sont pas précisées dans les 22 mesures pour 2022 de Marine Le Pen.  Aucune proposition pour soutenir les agriculteurs dans la transition écologique et faire face aux changements climatiques (sécheresse, inondations etc.).  Aucune proposition pour protéger la santé des agriculteurs et des consommateurs face aux pesticides. Aucune proposition pour faire face à l’effondrement de la biodiversité. V. Pour aller plus loin dans la réflexion  Road 2 Net Zero

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N.

3 juillet 2024

LE NOUVEAU FRONT POPULAIRE : UNE RUPTURE RÉALISTE

Cette note contribue à éclaircir un certain nombre de points du programme économique du Nouveau Front Populaire (NFP). En particulier, elle fournit des éléments quantifiés montrant que les mesures de politique publique préconisées par le NFP sont à la fois pertinentes, réalistes et finançables. Les principales contributions de cette note sont :  Une simulation numérique permet de prendre en compte le bouclage macroéconomique du programme et de le comparer à un scénario de référence obtenu par prolongement des tendances récentes. Elle montre que le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste. Au contraire, hormis la balance commerciale (légèrement dégradée, ce qui devrait être compensé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par l’UE), toutes les variables de l’économie française (PIB, dette, etc.) seront améliorées par les mesures du NFP.  La mise en œuvre de ce programme réduira les inégalités et le chômage, augmentera le pouvoir d’achat des citoyens tout en maintenant une inflation autour de la cible de 2 %. Nous montrons que, non seulement la décarbonation est une chance pour l’économie française mais que l’ensemble du programme du NFP constitue un gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans (i.e. incluant ceux qui devront être reconvertis ou abandonnés). La justice sociale et l’efficacité écologique ne sont pas les ennemies de l’emploi en France. Au contraire, ce sont ses meilleurs alliés. Nous confirmons que l’enveloppe annuelle de 30 milliards d’euros pour la bifurcation écologique annoncée par le NFP est cohérente et en proposons une version détaillée. Nous proposons des canaux complémentaires et originaux de financement et de recettes, lesquels permettront de diminuer davantage encore le coût net des mesures. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible de dégager une marge de manœuvre budgétaire d’environ 20 milliards d’euros par an, en plus de ce qui a été envisagé jusqu’à présent par le NFP, sans nécessairement imposer au-delà de 50 % la tranche des plus hauts revenus .Aujourd’hui, le réalisme économique a changé de camp.  I-REMETTRE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR UNE TRAJECTOIRE SAINE Plusieurs commentateurs ont laissé entendre que ce programme déstabiliserait dangereusement l’économie française, en pesant sur les finances publiques, la croissance et l’emploi. Toutefois, tous se contentent d’examiner point par point le coût des mesures proposées, sans les mettre en regard de leurs effets. Un bouclage macro-économique offre la possibilité d’aller plus loin qu’un simple chiffrage, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les propositions du NFP et donc la trajectoire qu’il souhaite impulser à la société. Nous fournissons ici une représentation stylisée de cette trajectoire à l’aide d’une simulation macroéconomique, en prenant en compte l’essentiel des interactions entre toutes les variables en jeu : salaires, prix, emploi, investissements publics, dettes privées et publiques, inégalités, pollution etc. Voici la liste des mesures testées : Les investissements publics et la création de nouveaux emplois publics ; Le passage à la semaine de 32 h ; L’amorce d’une bifurcation écologique selon les lignes directrices indiquées infra (cf. section 3) ; La réforme de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine ; Le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans ; La revalorisation du SMIC à 1 600 euros/mois ; Le déploiement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Pour tester ces mesures, nous avons utilisé le modèle Eurogreen[1] (construit en vue de simuler des scénarios de transition de l’économie française) actualisé au contexte de 2024[2]. Afin d’isoler l’effet des mesures du programme du NFP sur l’économie française entre 2024 et 2025, nous avons d’abord conçu un scénario de référence à partir des projections de la Banque de France. Il s’agit essentiellement d’un prolongement des tendances observées au cours des dernières années. Le contraste serait encore plus saisissant s’il était possible de simuler l’impact du « programme » du RN, lequel est trop flou pour se prêter au moindre chiffrage. Fig. 1 Simulation des effets macroéconomiques du programme économique du NFP  Parcourue de gauche à droite et de haut en bas, la Figure 1 fournit les enseignements suivants.  Elle confirme tout d’abord l’effet positif de l’ensemble des mesures considérées sur le revenu national[3]. Elle quantifie l’importante baisse des émissions de gaz à effet de serre à laquelle conduira ce programme (60 millions de tonnes en moins en 2030, ce qui respecte les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) : -40 % d’émissions de GES par rapport à 1990). Elle montre que l’inflation restera très proche de la cible d’inflation annuelle de 2 %. Après un pic de 1 point de PIB supplémentaire par rapport au scénario de référence, le déficit public descendra à +3 % du PIB en 2030, au lieu de +6 % dans le scénario de référence. Ce pic initial correspond à l’enclenchement d’un cercle vertueux de relance par la dépense publique, dont les fruits sont récoltés sur les années suivantes. Par conséquent, grâce au programme du NFP, le rapport entre dette publique sur PIB sera de 10 points inférieur en 2030 au niveau qu’il atteindrait en prolongement de tendance. Enfin, la balance commerciale est la seule variable macroéconomique affectée négativement par rapport au scénario de référence. Le déficit de la balance commerciale se creuserait en effet de 0,8 % du PIB du fait de la hausse des importations provoquée par l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages, dont le surcroît de consommation est en partie absorbé par les producteurs étrangers. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aligné sur les prix de l’EU ETS[4] et son élargissement à un plus grand nombre de secteurs[5] (dont nous n’avons pas tenu compte dans nos simulations), ou encore d’une taxe kilométrique sur les produits importés, permettrait vraisemblablement de limiter cet effet, en plus de lutter contre le dumping social et environnemental. Quant à la productivité du travail dans l’industrie, elle sera stimulée par le passage à la semaine de 32 heures, comme ce fut déjà le cas lors du passage à 35 heures.  L’effet redistributif du programme du NFP est

Par Giraud G., Souffron C., Bordenave M., Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N., Dufrêne N., Driouich R., Ramos P., Dicale L., Kleman J.

27 juin 2024

Réorienter la taxe carbone pour baisser les émissions… et les factures ?

Ce qu’il faut retenir :   ●       Depuis 2013, les taxes sur les énergies ont augmenté de plus de 20 milliards d’euros/an (Mds €/an), dont seulement 20% ont été redistribués aux ménages pour les aider à accéder à des alternatives aux fossiles. La majorité de ces recettes a servi à réduire les prélèvements des entreprises et des ménages les plus aisés. ●       L’impact social régressif de ces taxes reste largement sous-estimé, alors qu’elles ont entraîné une perte de pouvoir d’achat de plus de 1 000 €/an pour les ménages les plus exposés aux factures énergétiques. ●       Faute d’alternatives accessibles, l’effet « prix » de ces taxes est resté très limité, avec un impact de –4% environ sur la consommation d’énergies fossiles des ménages. ●       Dans un contexte de prix et de taxes déjà élevés, l’ajout de 10 Mds €/an de taxe carbone européenne (Emission Trading Scheme 2 – ETS 2) prévu en 2027 et d’autres hausses de taxes « privées » dès 2026 (certificats biogaz et Certificats d’Economie d’Energie) sera d’autant plus complexe à compenser par des transferts ou des aides ciblées. ●       Une réorientation de l’intégralité des 20 Mds €/an de taxes ajoutées depuis 10 ans vers le soutien aux rénovations d’ampleur et véhicules électriques serait 3 fois plus efficace écologiquement qu’une nouvelle hausse de taxes et 5 fois plus favorable au pouvoir d’achat des ménages les plus exposés que la proposition inverse, de baisse des taxes, portée par le Rassemblement National. ●       Même dans un contexte budgétaire contraint, plusieurs leviers existent pour financer 15 Mds €/an de soutiens supplémentaires aux investissements écologiques des ménages. Le vivier de dépenses budgétaires ou fiscales dont l’inefficacité est largement documentée étant, à lui seul, largement supérieur à ces montants N.B: pour aller plus loin, une version longue (20 pages) de cette note est disponible ici. Cette version longue, non relue ni éditée par l’Institut Rousseau, n’engage que la responsabilité de son auteur. Depuis 10 ans, les gouvernements successifs ont ajouté plus de 20 milliards d’euros de taxes par an sur l’énergie (via la taxe carbone, le rattrapage de la sous-taxation du diesel et les certificats d’économie d’énergie – CEE[1]). Il était même initialement prévu d’augmenter la taxe carbone et le rattrapage diesel de 12 milliards d’euros par an supplémentaires, mais cette nouvelle hausse a été gelée au niveau de 2018 suite à la crise des Gilets jaunes. Ces 20 milliards sont venus quasiment doubler les 25 milliards d’euros par an (Mds €/an) de taxes « historiques » sur les carburants. Par ailleurs, ces taxes sur les énergies sont les plus régressives de tout le système fiscal : elles sont proportionnellement 3 à 4 fois plus élevées pour les ménages modestes que pour les plus aisés et 2 fois plus élevées pour les ménages moyens. Pour les 8 millions de ménages les plus exposés (« gros rouleurs » et résidant dans des logements peu isolés, chauffés au gaz ou au fioul), ces taxes ont entraîné une perte de pouvoir d’achat de plus de 1000 €/an. Supposées inciter à réduire les consommations de fossiles, ces hausses de taxes se sont avérées destinées à financer les diverses réductions d’impôts sur les entreprises et ménages aisés engagées sur la même période. Ce détournement de recettes explique que sur ces 20 Mds €/an de hausse, seuls 4 Mds/an ont été redistribués aux ménages pour les aider à accéder à des alternatives aux fossiles, tant pour chauffer leur logement que pour se déplacer. Un signal-prix pris isolément est inefficace : il entraîne une faible baisse des consommations… et une forte hausse des dépenses Les soutiens aux grandes alternatives aux dépenses fossiles étant restés limités, les rénovations énergétiques d’ampleur et les véhicules électriques sont restés inaccessibles pour la majorité des ménages. La quasi-totalité d’entre eux ont subi une hausse de leurs dépenses contraintes… en partie atténuée par une légère baisse, subie, de leur mobilité et/ou de leur température de consigne. Sur une baisse d’environ 12 % d’énergies fossiles consommées par les ménages depuis 2014 (à climat constant), l’effet « prix » de ces hausses de taxes peut être estimé autour de – 4%. Le reste est lié à l’augmentation des prix « hors taxes » et aux quelques investissements réalisés dans les logements et les véhicules électriques sur 10 ans. En comptant le reversement d’une partie de ces taxes sous forme de primes (notamment les CEE), ces + 20 Mds €/an de taxes ont entraîné, au mieux, une baisse de – 7% de la consommation d’énergies fossiles des ménages. Bilan environnemental et social des hausses de taxes sur les énergies (2014-2024)     + 20 Mds €/an de taxes énergies (Taxe carbone, diesel et CEE dont TVA) Importations de fossiles sur 470 TWh/an consommés par les ménages (270 carburants, 140 Gaz et 60 Fioul) – 7% (-35 TWh dont effets des primes CEE) Pouvoir d’achat des ménages « doublement exposés[2] » (7 à 8 millions de ménages) – 1100 €/an (dont – 500 €/an de carburants)   Cet effet limité sur les volumes s’est traduit par une baisse limitée des pollutions fossiles mais également par une explosion des factures énergétiques lorsque les prix (hors taxes) du gaz et du pétrole ont fortement augmenté en 2022-2023. Compte tenu des résultats de cette expérience récente de forte inflation et d’autres études[3] sur l’effet des hausses de prix des carburants, il y a fort à parier que la nouvelle taxe carbone prévue par l’UE (ETS 2[4]), qui devrait peser autour de 10 Mds/an, aura également un effet limité, estimé entre – 2% et – 3% d’énergies fossiles consommées par les ménages. Et ce, au prix d’une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des ménages modestes et moyens « exposés ». L’ETS 2 à venir en 2027 : le risque d’une nouvelle injustice sociale inefficace Alors que la nouvelle taxe carbone européenne ETS 2 attendue en 2027 aura un nouvel impact régressif sur le pouvoir d’achat des ménages, elle sera très difficile à compenser par des dispositifs de reversement des recettes aux ménages. Même avec des critères multiples et des bonifications, des surcompensations sont difficiles à

Par Desquinabo N.

21 novembre 2022

Un plan d’urgence pour l’agriculture française et pour une alimentation saine et abordable

Fiche thématique de résistance et de proposition n°9 I. Un peu de contexte : quel est le problème ? Les exploitants agricoles sont en majorité précaires : 1/3 ont des revenus inférieurs à 12 000 €/an sur la dernière décennie et la majorité n’atteint pas le Smic horaire, même si les écarts sont importants entre les types et tailles d’exploitations (voir la synthèse des revenus agricoles de l’INRAE). Or les aides de la politique agricole commune (PAC) baissent fortement en euros constants par rapport à la période 2014-2020 (elles n’ont pas évolué malgré une inflation de 30% des prix depuis). La PAC baisse également dans le budget de l’Union européenne (UE), de 66% du budget au début des années 1980 à 31% pour la dernière période 2021-2027. Ces aides, essentiellement distribuées en fonction des surfaces cultivées, sont très inégalement réparties : en France, les 20% plus importants bénéficiaires – qui sont les plus gros exploitants – ont perçu plus de 50% de ces aides bé(voir diagnostic PSN pp. 3 et 7). Ce système favorise ainsi une agriculture agro-industrielle intensive employant peu de main-d’œuvre, au détriment des pratiques plus respectueuses de l’environnement. De plus, les agriculteurs français sont exposés à une hausse des importations qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales et/ou sociales, notamment de pays tiers autorisant l’usage d’intrants (pesticides, médicaments, etc.) interdits en Europe, mais aussi de certains pays de l’UE (principalement en raison des préférences « low cost » des industriels et de la restauration collective).   Ces trop faibles soutiens publics, cette concurrence déloyale et l’absence de régulation des prix freinent la diffusion des pratiques agro-écologiques. Pourtant, les dernières recherches de l’INRAE montrent que l’agroécologie est plus résiliente face au changement climatique (sécheresses croissantes, pluies intenses, etc.). Elle est aussi plus respectueuse de la biodiversité (qui a chuté de 80% en 30 ans pour les insectes, principalement à cause des pesticides) et de la santé humaine, notamment des agriculteurs. II. Que propose-t-on ? Augmenter l’enveloppe de la PAC de +30% (+3 Mds/an pour la France à partir de 2028) en doublant les aides aux pratiques agro-écologiques pour s’aligner sur les montants d’aides des pays européens ou l’agriculture biologique est la plus développée (e.g. plusieurs régions d’Italie, le Danemark ou le Portugal). Revaloriser les aides aux revenus des agriculteurs (en prenant en compte l’inflation depuis 2020) et les distribuer non plus en fonction de la surface mais de la quantité de main-d’œuvre afin de favoriser les petites et moyennes exploitations ainsi que les modes de production les plus agro-écologiques qui créent davantage d’emplois. Subventionner la nourriture saine pour la rendre plus abordable pour tous, en diffusant progressivement des « chèques alimentation de qualité ». Ces aides doivent être réservées aux aliments bio ou extensifs, aux prix conventionnés, produits en France ou à proximité. Le montant des chèques doit être indexé sur le revenu et la taille des ménages. Systématiser l’utilisation des clauses de sauvegarde et l’étiquetage de l’ensemble des lieux de production agro-industriels, afin d’interdire en France et dans les pays importateurs les produits les plus dangereux et/ou polluants. Réguler les marges des intermédiaires de l’industrie agro-alimentaire (en forte hausse depuis 2022) et de la grande distribution, en s’appuyant sur les prix de référence de l’Observatoire des prix et marges.   Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet :   Engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution (p.4)  Proposer une réforme de la PAC (p.5 et p.22) Défendre les zones agricoles, naturelles et les zones humides, doubler et améliorer la protection des aires maritimes protégées (p.17) Pour une agriculture écologique et paysanne (p.18) Annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (CETA) ; renoncer à l’accord du Mercosur et protéger nos agriculteurs de la concurrence déloyale Interdire l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales Lutter contre l’accaparement des terres et permettre à chaque agriculteur qui souhaite s’installer d’accéder à une exploitation pour préserver le modèle agricole familial Soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective Rétablir le plan Écophyto, interdire le glyphosate et les néonicotinoïdes avec accompagnement financier des paysans concernés III. Que peuvent y gagner les citoyens ? Une augmentation des revenus de la majorité des agriculteurs, en particulier des éleveurs et des petites et moyennes exploitations. Une forte diffusion des aliments sains et de qualité et la réduction des aliments ultra-transformés, dont les impacts sanitaires sont majeurs (diabète, cancers, etc.) et qui dépassent déjà 40% de l’alimentation des ménages modestes et des jeunes. La revitalisation des territoires ruraux et le développement de centaines de milliers d’emplois agricoles grâce à la plus forte densité en main d’œuvre des pratiques agro-écologiques (+10 à +20% d’emplois à pratique et taille égale, selon Agreste 2016 et Bertin & al 2016). Une plus grande souveraineté alimentaire, en réduisant fortement la dépendance extérieure en matière d’importation d’aliments (en forte hausse), mais également d’engrais et de soja nécessaires aux pratiques intensives (une dépendance croissante soulignée notamment par le Haut Commissariat au Plan en 2021). IV. Pourquoi l’extrême-droite n’est pas la solution ?  Le RN ne remet pas en cause la distribution des aides de la PAC en fonction de la surface et soutient donc les plus gros exploitants (notamment céréaliers) au détriment des éleveurs et des petits exploitants. En dehors des « 80% de produits français dans les cantines », les propositions « agriculture » ne sont pas précisées dans les 22 mesures pour 2022 de Marine Le Pen.  Aucune proposition pour soutenir les agriculteurs dans la transition écologique et faire face aux changements climatiques (sécheresse, inondations etc.).  Aucune proposition pour protéger la santé des agriculteurs et des consommateurs face aux pesticides. Aucune proposition pour faire face à l’effondrement de la biodiversité. V. Pour aller plus loin dans la réflexion  Road 2 Net Zero

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N.

21 novembre 2022

Travaux externes