Infléchir rapidement nos modèles de production, de consommation et leurs financements pour respecter les Accords de Paris est aujourd’hui un enjeu civilisationnel.
L’Institut Rousseau et l’Alliance PoCfiN (SDSN France) s’associent pour lancer une série de Policy Brief. L’objectif de cette initiative est de contribuer à identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux.
Événement associé

Agenda 2030 : enjeux economiques et financiers
Ce 24 juin, nous organisons un cycle de conférences économiques en ligne en partenariat avec la SDSN (Sustainable Development Solutions Network). Les trois conférences seront données par les auteurs des 11 policy briefs publiés sur le site de l’Institut Rousseau. Revoir l’événement https://youtu.be/n7JATouKZ00 Lire le dossier
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Éduquer la volonté : Rousseau, penseur actuel du consentement
🇫🇷 🇬🇧 Faire de Rousseau un penseur du consentement : voilà qui paraît une contradiction dans les termes. N’a t-il pas déclaré que l’acceptation d’un acte sexuel peut se « lire dans les yeux… malgré le refus de la bouche » (Lettre à d’Alembert) ? L’Émile affirme également que « la bouche dit toujours non, et doit le dire ; mais l’accent qu’elle y joint n’est pas toujours le même » et que « cet accent ne sait point mentir. » Cette dernière phrase, choisie par Manon Garcia en épigraphe de La Conversation des sexes, paraît bien ambiguë : n’est-ce pas là en réalité ouvrir la voie à tous les abus ? La qualité d’un « accent » reste invérifiable. Tout prédateur pourrait prétendre avoir entendu « l’accent » du « oui » dans le « non » le plus clair. Le procès de Rousseau ne semble donc plus à faire. Et pourtant, si l’on veut comprendre profondément les développements les plus récents du féminisme, et les interventions qui, de Vanessa Springora en 2020 à Judith Godrèche en 2024, ont réveillé la conscience d’une société entière, il faut, sans doute, en revenir à lui. Mais pour cela il ne faut pas oublier que l’auteur de la Lettre à d’Alembert et de l’Émile est aussi celui du Contrat social. Le problème : les mœurs et l’opinion Rappelons d’abord le retournement qui a eu lieu depuis #Metoo en 2016. Là où la révolution sexuelle des années 1970 prônait une sexualité débridée comme voie de l’émancipation, le débat public de ces dernières années a mis en lumière la part d’ombre de ces pratiques. L’injonction de la jouissance réduit les femmes à n’être rien de plus que des « consommatrices du sexe », comme le dit si bien Alice Zeniter dans quelques pages lumineuses de L’Art de perdre. Ce même danger est déjà résumé dans le mot terrible que Laclos prête, dans Les Liaisons dangereuses, à son personnage la marquise de Merteuil : elle désigne une jeune fille de quinze ans, comme une « machine à plaisir ». L’aliénation qui résulte d’une initiation sexuelle imposée et prématurée a été exposée par plusieurs œuvres retentissantes : Le Consentement de Vanessa Springora (2020), La Famiglia grande de Camille Kouchner (2021), Triste tigre de Neige Sinno (2023). À ces ouvrages que l’on aurait, il n’y a encore que dix ans, balayés d’un revers de main comme rabat- joie et peine-à-jouir, #Metoo a enfin donné l’audience qu’ils méritent. L’idée du consentement semble désormais primer sur celle de jouissance – en tous cas dans l’opinion majoritaire de la sphère médiatique éclairée, ou qui se croit telle. Car, dans le quotidien de la majorité de la population, la domination des sites de rencontre et pornographiques donne lieu à une réalité assez différente. C’est bien là un problème majeur : la surmédiatisation des « affaires » Matzneff, Duhamel, Jacquot, n’empêche en rien la détérioration des rapports hommes-femmes. Le rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dresse un constat sans appel : loin de reculer, le sexisme s’aggrave, surtout chez les jeunes générations – comme en témoigne l’augmentation de 21% du nombre des victimes de violences conjugales entre 2020 et 2021. Le martelage médiatique ne suffit donc pas. Alors, que faire ? Comment inscrire dans la réalité des mœurs la prise de conscience de l’opinion ? C’est là que Rousseau peut nous être utile. Rousseau, inventeur du consentement sexuel ? Il faut tout d’abord rappeler un point qui mérite d’être souligné : Rousseau, quoique misogyne notoire, est un des rares auteurs classiques à employer le terme de « consentement » dans le sens aujourd’hui courant de consentement sexuel. Je dis ici « un des rares » par simple prudence, parce que l’énormité du corpus rend la vérification difficile, mais, de fait, aucun autre auteur de son époque ou des précédentes n’est connu pour un usage similaire. Il n’est donc pas impossible que Rousseau soit le seul de ses contemporains, et le premier dans l’histoire de la pensée, à transférer explicitement le concept politique de consentement dans le domaine de la sexualité. (À titre de comparaison, Diderot par exemple dans l’Encyclopédie propose une définition générale du consentement sans allusion à la sexualité). Rousseau définit en effet l’acte sexuel comme « le plus libre et le plus doux de tous les actes ». Cette expression remarquable de l’Émile est déjà amplement commentée, à la suite de Patrick Hochart, par Claude Habib dans son ouvrage Le Consentement amoureux (1997). À juste titre, elle souligne la radicalité de l’érotique de Rousseau, à ses yeux égalée seulement par celle de Platon : en forgeant des liens durables par-delà une différence irréductible, l’amour conjugal profond constitue le ciment d’une démocratie nouvelle où liberté et égalité peuvent se réaliser sans avoir besoin de recourir au patriotisme féroce des cités antiques. Cependant, Claude Habib ne reconnaît pas que cette perméabilité entre privé et public puisse également fonctionner dans l’autre sens – le modèle civique donnant l’image de l’égalité dans la relation amoureuse. « Les rapports homme-femme ne sont pas régis par les droits de l’homme », affirme-t-elle. Selon elle, si Rousseau reconnaît que les femmes éprouvent du désir, il serait insensé de penser ce désir en termes d’une volonté qui pourrait s’exprimer par oui ou non : « Présenter le désir féminin comme une volonté, c’est une image sommaire, et bonne pour les enfants. » C’est oublier la formulation étonnante employée par Rousseau dans la Lettre àd’Alembert : « Ce n’est pas encore assez d’être aimé ; les désirs partagés ne donnent pas seuls le droit de les satisfaire ; il faut de plus le consentement de la volonté » (je souligne). Cette fameuse note si souvent incriminée évoque, comme nous l’avons rappelé au début de cet article, le « consentement tacite » que l’homme devrait savoir « lire » dans les manières de la femme lorsqu’elle ne dispose pas de la liberté de dire « oui » : « le lire dans les yeux, le voir dans les manières, malgré le

Educating the will: Rousseau as a philosopher of consent
🇫🇷 🇬🇧 Turning to Rousseau to find a philosophy of sexual consent: this sounds like a contradiction in terms. Did he not declare that acceptance of a sexual act can be “read in the eyes… despite the mouth’s refusal” (Letter to d’Alembert)? In Émile, he also states that “the mouth always says no, and must say it; yet the accent it adds is not always the same,” and that “this accent does not know how to lie.” Manon Garcia picked this very sentence for an epigraph to La Conversation des sexes, to emphasize its ambiguity: does this not, in reality, open the way to all abuses? The meaning of an “accent” remains unverifiable. Any predator could claim to have heard the “accent” of “yes” in the most unmistakable “no.” Rousseau’s trial therefore seems to be no longer in order. And yet, if we want to deeply understand the most recent developments in feminism, and the interventions that, beginning with Vanessa Springora in 2020 to Judith Godrèche in 2024, have awakened the consciousness of the entire French society, we must, without doubt, return to his thought. But for that we must not forget that the author of the Letter to d’Alembert and of Émile also wrote the Social Contract. The problem: morals and opinion Let us first recall the reversal that has taken place since #MeToo in 2016. While the sexual revolution of the 1970s advocated unbridled sexuality as a path to liberation , in recent years, the dark side of these practices has come to the fore of public debate. The pleasure imperative reduces women to being nothing more than “consumers of sex”, as Alice Zeniter so aptly puts it in a few luminous pages of her novel The Art of Losing. That same danger was already encapsulated in the chilling phrase Laclos, in Les Liaisons dangereuses, puts in the mouth of his main female character, the Marquise de Merteuil, when she refers to a fifteen-year-old girl as a “pleasure machine”. In the past couple of years, the alienation that results from imposed and premature sexual initiation has been exposed by several resounding works: Le Consentement by Vanessa Springora (2020), La Famiglia grande by Camille Kouchner (2021), Triste tigre by Neige Sinno (2023). Thanks to #MeToo, these books which, just ten years ago, would have been dismissed as puritan killjoys, have finally found the audience they deserved. The idea of consent now seems to take precedence over that of enjoyment – at least in the majority opinion of the media sphere, who are or believe themselves to be well-informed. In the daily life of the majority of the population, however, the domination of dating and pornography sites constructs a quite different reality. This is not a small problem: the (justified) mediatization of the Matzneff, Duhamel, Jacquot “affairs” in no way prevents the deterioration of male-female relationships. The 2023 annual report of the High Council for Equality between Women and Men draws up a clear observation: far from declining, sexism is getting worse, especially among the younger generations – as evidenced by the 21% increase in the number of victims of domestic violence between 2020 and 2021. Media hype is therefore not enough to curb sexual abuse, particularly against women. So what can we do? How can public awareness translate into reality? This is where Rousseau can help us gain a better understanding of the issue. Did Rousseau invent the concept of sexual consent? Let’s begin by recalling a point that remains underemphasized: Rousseau, although a notorious misogynist, is one of the rare classical authors who use the term “consent” in the now widely used sense of “sexual consent”. I say “one of the rare” here simply out of caution, because the enormity of the corpus makes it difficult to verify for certain. In fact, I am not aware that any other of his contemporaries or predecessors is known for a similar use. Rousseau may well be the first in the history of thought to explicitly transfer the political concept of consent into the sexual realm. (By comparison, Diderot’s Encyclopédie proposes a general definition of consent without allusion to sexuality). Rousseau in fact defines the sexual act as “the freest and sweetest of all.” This remarkable expression from Émile has already been amply commented on, in the wake of Patrick Hochart, by Claude Habib in her work Le Consentement amoureux (1997). Rightly, she underlines the radical nature of Rousseau’s eroticism, equaled in her eyes only by Plato’s: by forging lasting bonds beyond an irreducible difference, deep conjugal love constitutes the cement of a new democracy where liberty and equality can be achieved without having to resort to the fierce patriotism of ancient cities. However, Habib does not recognize that this permeability between private and public can also work in the other direction – civic engagement providing a model for equality in romantic partnership. “Male-female relationships are not governed by human rights,” she asserts. According to her, while Rousseau recognizes that women experience desire, it would be foolish to conceptualize this desire in terms of a will that could be expressed by “yes” or “no”: “To present feminine desire as a will is a summary image, and good for children.” She thus forgoes the astonishing formulation used by Rousseau in the Letter to d’Alembert: “It is not yet enough to be loved; shared desires do not alone give the right to satisfy them; the consent of the will is also necessary” (emphasis added). As I recalled at the beginning of this article, this famous note so often incriminated by feminists evokes the “tacit consent” that a man should know how to “read” in a woman’s manners when she does not have the freedom to say “yes”: “reading it in the eyes, seeing it in the manners, despite the refusal of the mouth, is the art of the one who knows how to love.” In other words, men should bear the burden and the consequences of an unequal order built for their

Pour un nouveau mode de création monétaire libre et ciblé sous contrôle démocratique
La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et nicolas.dufrene@gmail.com. Télécharger le brief en pdf ____ Introduction Le temps est venu de mettre en œuvre des réformes majeures en matière de politique monétaire. La crise sanitaire a en effet confirmé une tendance de fond qui se dessinait déjà très clairement depuis la crise financière de 2008 et la mise en place par les banques centrales de politiques monétaires non-conventionnelles : le soutien monétaire des économies est indispensable mais il crée également des perturbations sur le marché des actifs et alimente les inégalités. Ces défauts qui accompagnent l’expansion de la base monétaire sont-ils inévitables ? Nous pensons que ce n’est pas le cas mais, pour les éviter, il faut s’autoriser à repenser et à élargir les modes de création monétaire. Cela suppose de mettre en œuvre un nouveau mode de création monétaire, et donc de politique monétaire, qui permette non seulement d’éviter ces effets indésirables mais également d’utiliser davantage la monnaie comme outil au service de l’économie réelle et du bien commun. Permettant de briser partiellement le cercle vicieux entre la monnaie et la dette, ce mode création monétaire aboutirait à une monnaie « libre » (c’est-à-dire de la monnaie libérée de la contrainte du remboursement, et donc de la destruction) et « ciblé », ce qui signifie que l’on doit trouver les moyens démocratiques de décider de l’allocation de cette création monétaire complémentaire, là où la politique monétaire actuel n’a absolument aucune prise sur l’emploi de la masse monétaire qu’elle crée. Ce nouveau mode de création monétaire n’aurait pas pour vocation de se substituer au système traditionnel de création monétaire par les institutions financières et monétaires (IFM), mais de le compléter. En effet, la création monétaire par le crédit, qui est devenu le mode privilégié de création monétaire depuis le XIXe siècle, constitue indéniablement un progrès historique en ce sens qu’il permet de passer d’une masse monétaire fixée de manière exogène par la quantité de métaux précieux à un mode de création monétaire anticipant les besoins des acteurs économiques (monnaie endogène). Il n’est toutefois pas sans défaut, notamment du point de vue de l’augmentation continue de la dette, ce qui laisse des marges d’amélioration conséquentes. C’est dans ce cadre que doit être pensée cette idée de la monnaie libre (ou permanente), qui suppose de « désencastrer » une partie de la monnaie de la dette[1]. Il s’agit de l’une des propositions centrales de l’ouvrage « Une monnaie écologique »[2], dont l’auteur de ces lignes est l’un des coauteurs, paru juste avant la crise sanitaire. Elle a depuis été défendue dans plusieurs publications[3]. Cette note a pour objectif de passer en revue les arguments économiques et monétaires justifiant d’instaurer un tel mode de création monétaire, puis de définir les grandes lignes de sa mise en œuvre. I. Echapper au cercle vicieux de l’endettement associé à la création monétaire. Notre système de création monétaire repose actuellement sur les agents bancaires et, plus précisément, sur les banques commerciales (les IFM) et sur la banque centrale. Ce sont ces institutions qui sont dotées d’un pouvoir de création monétaire. Celui-ci ne peut s’exercer qu’avec une contrepartie qui peut prendre différentes formes (crédit, actif financier ou immobilier, matières premières, etc.). Autrement dit, pour créer de la monnaie, un agent bancaire doit respecter les règles de la comptabilité en partie double : à chaque augmentation de son passif (ce qui correspond à de la création de monnaie ex nihilo) doit correspondre une augmentation de son actif (sous forme de prêts le plus souvent, mais aussi, de plus en plus, sous forme d’acquisitions d’actifs). Cela suppose une relation avec un agent économique qui n’est pas une IFM (car entre les IFM il n’y a pas de création monétaire mais simplement des transferts de liquidité sauf lorsqu’il s’agit de la banque centrale). Autrement dit, il existe aujourd’hui deux sources de création monétaire principales de la part des institutions financières monétaires : la première est l’octroi de crédits, la seconde est l’acquisition de titres. Cela a une conséquence directe : puisque la création monétaire s’opère essentiellement par le biais du crédit et des acquisitions de titres (essentiellement des obligations qui donnent lieu à remboursement ultérieurs, notamment pour les emprunts publics), il n’est pas étonnant que la dette progresse parallèlement à l’activité et à la masse monétaire. La dette progresse d’ailleurs toujours plus rapidement que le produit intérieur brut (PIB) car une partie de la monnaie émise ne se retrouve pas instantanément dans les circuits économiques (épargne) ou fuit à l’étranger (en cas de déficit de la balance des paiements). Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’endettement public et privé mondial a ainsi atteint le montant inédit de 233 000 milliards d’euros et le ratio dette/PIB mondial a progressé à plus de 355 %. Trois années auparavant, l’endettement mondial ne pesait « que » 250 % du PIB mondial. Comme l’écrit joliment Camille Riquier : « affranchie de toute matière finie, la monnaie révèle la puissance infinie du quantitatif pur »[4]. Peut-on continuer ainsi ? Il serait un peu court de dire que la dette, notamment publique, ne représente jamais un problème. Cela en devient un dès lors que les marges de manœuvre réelles ou supposées des acteurs économiques privées ou publiques s’épuisent. Une dette publique très élevée nous rend vulnérables à une remontée des taux d’intérêts et elle sert d’arguments aux États pour ne pas investir, notamment dans la reconstruction écologique de nos sociétés. Plus fondamentalement, une question se pose : existe-t-il une raison indiscutable pour que la monnaie, qui est notre bien commun à tous et dont les formes sont aujourd’hui entièrement dématérialisées, ne puisse être créée qu’en échange d’une contrepartie sous forme d’endettement ? Ne peut-on briser, au moins partiellement, ce lien automatique entre monnaie et dette et libérer en partie la première de la seconde ? C’est à cela que répond le projet de pouvoir créer de la monnaie « libre » (certains disent « permanente »[5]). Ce faisant, l’introduction de monnaie libre dans le circuit économique permettrait