« C’est alors qu’au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd’hui, autant que jamais, nous voulons qu’elle le demeure. »
(Charles de Gaulle, discours du 4 septembre 1958)
« Ne légiférer qu’en tremblant »
(Jean Carbonnier)
Introduction
« La souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice » : c’est en ces termes que le général de Gaulle inaugurait la Vè République dans son discours du 4 septembre 1958. Cette promesse d’une République souveraine, libre et juste, érigée sur les ruines d’un régime à bout de souffle, a-t-elle été tenue ? Le cadre de nos institutions le permet-il vraiment ? Et ne vaudrait-il pas mieux, comme certains le préconisent, faire table rase pour inventer une VIè République ?
L’idée n’est pas nouvelle : conçue au plus fort de la guerre d’Algérie, ratifiée par les Français dans un référendum s’apparentant à la sauvegarde in extremis de l’ordre républicain autant qu’au plébiscite de l’homme du 18 juin, la Constitution de 1958 a suscité depuis ses origines des interrogations nombreuses et légitimes. Dominée par la volonté de renforcer le pouvoir exécutif et d’assurer, à tout prix, la stabilité des gouvernements, la République gaullienne est ainsi apparue, dès sa naissance, comme un régime de monarchie présidentielle, faisant du Parlement une simple courroie de l’activité législative tout en privant les citoyens de nombreuses garanties.
De ces déséquilibres originels, notre régime conserve incontestablement les traces, qui se sont même doublées au fil du temps de défaillances supplémentaires. La transformation du Président en chef de la majorité avec la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, l’érosion du dialogue présidentiel avec la presse, la persistance de son irresponsabilité politique en temps de crise, la disparition du recours au référendum, la succession presqu’ininterrompue des états d’urgence, sont autant d’exemples de cette dégradation. La hausse constante de l’abstention, notamment aux élections législatives, achève le tableau d’un régime rétréci, trop peu en phase avec ce que les citoyens pourraient en espérer.
Faisant un tel constat, faudrait-il faire table rase et refonder de fond en comble nos institutions ?
À cette question, la présente note propose une réponse négative.
Négative, d’abord, parce que la Vè République est désormais solidement ancrée dans la pratique de la politique nationale. Legs d’une figure unique, le général de Gaulle, mais également d’une crise profonde et multiforme liée aux excès du parlementarisme, elle a même acquis au fil du temps un indéniable crédit politique et moral. Malgré de nombreuses critiques, la Vè République est ainsi louée pour sa stabilité, dans un pays longtemps habitué aux crises de régime. Renouvelant en outre le rapport du peuple au chef de l’État, « rationalisant » certaines dérives des régimes précédents, la Constitution actuelle a permis une cohérence dans l’action du pouvoir exécutif qu’il serait coûteux d’abandonner. Sauf à vouloir « réinventer », dans une nouvelle Constitution, les caractéristiques les plus ancrées du régime actuel – mais qui peut garantir que telle serait l’issue, par nature incertaine, d’une assemblée constituante ? –, toute volonté de faire table rase prendrait le risque de réveiller des maux que la Vè République est parvenue à écarter, et dont le profond rejet par la population s’était justement exprimé entre mai et septembre 1958.
Négative, encore, car toute révision de la Constitution suppose que la procédure de l’article 89 soit respectée. Rendant peu vraisemblable – sauf événement majeur – la convocation d’une assemblée constituante, cette procédure, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, impose que tout projet de loi constitutionnelle soit approuvé dans les mêmes termes par les deux assemblées. En d’autres termes, l’avenir de toute révision dépend inévitablement de l’accord du Sénat, et pour cela, de l’assentiment du centre et d’une partie de la droite. Cette exigence d’un large consensus, pour modifier notre loi fondamentale, n’est-elle pas d’ailleurs pleinement justifiée ? Qu’il nous suffise, à cet égard, de relire François Mitterrand :
« Les membres de la plus modeste association de pêche ou de pétanque savent qu’on ne modifie pas les statuts d’une société aussi facilement qu’un règlement intérieur. Si la révision des statuts d’un groupement sportif requiert une procédure lente et solennelle, ne convient-il pas de protéger, avec un soin au moins égal, la Constitution d’un pays ? Tel est l’objet de l’article 89 […] »[1].
Une voie alternative pourrait alors consister, au lendemain de l’élection présidentielle, à invoquer l’article 11, qui permet au chef de l’État de soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics » sans en passer par le vote des assemblées. Une telle option serait toutefois très incertaine, cet article n’ayant pas vocation à s’appliquer en cas de révision de la Constitution. Certes, c’est par cette procédure que le général de Gaulle soumit ses projets de révision, en 1962 et 1969, au suffrage populaire. Mais le Conseil, présidé par les gaullistes historiques Léon Noël et Gaston Palewski, n’avait encore qu’une légitimité précaire[2]. La situation est aujourd’hui bien différente : depuis sa célèbre décision Hauchemaille du 25 juillet 2000, le Conseil se reconnaît compétent pour contrôler la constitutionnalité du décret de convocation de tout référendum. Dans l’hypothèse où, désormais, le Président de la République ferait usage de l’article 11 pour réviser la Constitution, l’opposition du Conseil constitutionnel serait, sinon certaine, du moins hautement probable. La réussite d’une telle révision serait alors soumise à un fort aléa.
Gardant à l’esprit les exigences de l’article 89, la présente note, qui fait écho aux « 50 propositions » de Benjamin Morel[3], entend s’écarter de la perspective d’une VIè République pour esquisser les grandes orientations d’une révision ambitieuse mais s’inscrivant dans la continuité des institutions existantes, et qui pourrait ainsi recueillir un véritable soutien transpartisan.
Une telle réforme conserverait les principaux acquis de la Vè République, pouvant se résumer à quatre piliers : le parlementarisme rationalisé ; l’élection du Président de la République au suffrage universel direct ; la double modalité d’expression de la souveraineté, par la représentation et le référendum ; la division verticale du pouvoir entre le Président et le Premier ministre, le premier définissant les grandes orientations de la Nation, le second dirigeant l’action du Gouvernement en s’appuyant sur une majorité parlementaire.
Cette réforme devrait par ailleurs s’inscrire dans la continuité des importants progrès réalisés depuis 1958 : l’affirmation du Conseil constitutionnel en tant que gardien des droits et des libertés fondamentales, la modernisation du fonctionnement des assemblées parlementaires ou encore la transparence accrue de la vie politique.
Revendiquant cette continuité tout en cherchant à corriger les défaillances de nos institutions, les propositions ici formulées se concentrent autour de trois principaux axes :
1) Rééquilibrer les pouvoirs
2) Approfondir la démocratie
3) Mieux garantir les droits et libertés
Elles apportent ce faisant, nous l’espérons, une contribution à ce qui pourrait devenir un programme commun de réforme des institutions : « commun » aux partis et mouvements de la Gauche, d’abord, qui gagneraient sur cette question plus que sur toute autre à se rassembler ; mais « commun », également, en ce sens qu’il s’adresserait à tous les citoyens, quels que soient leurs préférences politiques et attachements partisans, suivant la conviction que les changements institutionnels doivent – et peuvent – résulter d’un très large consensus.
I. Rééquilibrer les pouvoirs
La Vè République souffre depuis ses origines d’un déséquilibre structurel au détriment du Parlement : la concentration d’un pouvoir excessif entre les mains du Président de la République, encore accentuée par la réforme du quinquennat, les usages abusifs du « 49.3 » et les effets déformants du mode de scrutin aux élections législatives donnent au parlementarisme « rationalisé » des allures de parlementarisme « entravé ». Plusieurs mesures pourraient être envisagées afin d’améliorer cet équilibre des pouvoirs.
PROPOSITION 1 : REVENIR SUR LA RÉFORME DU QUINQUENNAT
La réforme du quinquennat par la loi constitutionnelle no 2000-964 du 2 octobre 2000 visait à permettre un renouvellement plus fréquent du mandat présidentiel tout en limitant les risques d’une cohabitation. Si ces objectifs ont été atteints, cette réforme a dans le même temps aggravé le caractère présidentiel de nos institutions, la coïncidence entre le mandat présidentiel et celui des députés garantissant au Président élu de disposer d’une majorité acquise à son programme pendant toute la durée de son quinquennat.
Tout concourt au sentiment que la démocratie se réduit à l’expression d’un vote tous les cinq ans : tandis que l’élection présidentielle est plus que jamais l’acte décisif de la vie politique française, les élections législatives, quelques semaines plus tard, n’en sont plus que l’ombre projetée. Une telle évolution a eu pour effet d’amenuiser encore un peu plus le pouvoir de l’Assemblée nationale, souvent réduite à n’être que la courroie de transmission des arbitrages exécutifs. Le quinquennat d’Emmanuel Macron illustre au mieux cette double hypertrophie de la fonction présidentielle et du pouvoir exécutif : devant leur élection au Président de la République, seul chef et artisan de la majorité, les députés n’ont cessé de voter en bloc les textes soumis par le Gouvernement. Le chef de l’État est demeuré, dans le même temps, parfaitement « irresponsable » en temps de crise, pouvant par exemple traverser l’» affaire Benalla »[4] sans trouver bon de s’expliquer devant le Parlement ni même d’ailleurs devant la presse.
Rééquilibrer les rapports entre le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement supposerait ainsi de dissocier la durée du mandat présidentiel de celle du mandat des députés :
➜ Instaurer un sextennat (six ans), avec un mandat de quatre ans pour les députés, ou maintenir le quinquennat mais l’assortir d’un mandat de député de trois ans ; la perspective d’une élection législative en cours de mandat présidentiel contribuerait au rééquilibrage des pouvoirs en découplant la légitimité des députés de celle du Président et en faisant courir à ce dernier le risque d’un désaveu au cours de son mandat.
PROPOSITION 2 : INSTAURER UNE MOTION « ANTI 49.3 »
Mécanisme par excellence du parlementarisme « rationalisé », l’article 49, al. 3, de la Constitution permet au Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi : ce projet est adopté sauf si une motion de censure, mettant en cause l’existence même du Gouvernement, est votée par une majorité de députés.
Introduit dans un contexte de forte instabilité gouvernementale et destiné, au départ, à compenser l’absence de majorité parlementaire durable, ce mécanisme de « forçage » a conservé sa forme initiale alors que les raisons de sa naissance ont en partie disparu. L’article 49, al. 3, se combine ainsi aujourd’hui avec le « fait majoritaire » et la présidentialisation du régime, au détriment de l’équilibre entre les impératifs – efficacité gouvernementale et délibération parlementaire – que son introduction visait à concilier.
Certes, la révision du 23 juillet 2008 a limité le nombre de ses utilisations à un projet ou une proposition de loi par session – en plus des projets de lois de finances ou de financement de la sécurité sociale. Mais cette limitation, en réalité, n’a fait que codifier la pratique sans vraiment l’infléchir : avant même 2008, seules 8 des 58 sessions ordinaires sous la Vè République n’avaient pas respecté cette limite. En grande partie symbolique, cet encadrement reste donc insuffisant. En témoignent d’ailleurs l’adoption de la loi « Macron » et de la loi « Travail », en 2015 et 2016, permettant au gouvernement Valls de passer outre l’opposition de toute une part de la majorité, ou plus récemment, son utilisation pour couper court aux discussions parlementaires pourtant indispensables sur la réforme des retraites.
Aujourd’hui comme hier, ce mécanisme peut certes apparaître justifié dans certaines circonstances – en particulier pour mettre fin à un blocage, par une minorité, de la délibération parlementaire. Mais sa mise en œuvre par le chef du Gouvernement, après simple délibération du Conseil des ministres, ne permet pas de distinguer ses usages légitimes et ceux qui relèvent moins de la « rationalisation » que de la coercition des représentants de la Nation.
Sans supprimer l’article 49, al. 3, le correctif suivant pourrait ainsi être envisagé :
➜ Introduire la possibilité d’une motion « anti-49.3 » à l’initiative d’un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale, permettant à une majorité de députés de voter un texte faisant obstacle à l’utilisation de l’article 49, al. 3 par le Gouvernement.
L’introduction de cette motion offrirait aux membres de la majorité une marge de manœuvre en leur permettant d’apprécier, au cas par cas, le bien-fondé de son utilisation par le Gouvernement. Sans les contraindre au choix entre l’approbation ou la censure, elle permettrait ainsi au Parlement de préférer une voie intermédiaire en refusant qu’un projet de loi soit adopté sans vote.
Ce mécanisme pourrait par exemple être prévu à l’article 49, al. 4, de la Constitution, dans les termes suivants :
« [Actuel art. 49 al. 3] Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.
[Proposition de nouvel art. 49 al. 4] L’Assemblée nationale peut également s’opposer à l’utilisation par le Gouvernement du mécanisme prévu à l’alinéa précédent par le vote d’une motion de délibération. Une telle motion, déposée dans le même délai que celle prévue à l’alinéa précédent, n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale et doit être votée à la majorité. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. En cas de cumul avec la motion de censure prévue à l’alinéa précédent, la motion de censure est votée la première. »
PROPOSITION 3 : RENFORCER LES MOYENS D’ÉVALUATION DU PARLEMENT
Quiconque observe les lois ne peut que déplorer, depuis des décennies, la lente dégradation de leur qualité, inversement proportionnelle à leur invraisemblable profusion. Parmi les différents facteurs de cette « maladie du droit »[5], la faible culture de l’évaluation des politiques publiques contribue certainement, en France, à une législation hâtive et trop peu informée.
Signe de l’attention portée à ce constat, l’article 24 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision du 23 juillet 2008, confie désormais au Parlement, outre le vote de la loi et le contrôle du Gouvernement, la mission d’évaluer les politiques publiques. Cette proclamation est toutefois bien loin d’être effective dans la pratique parlementaire – en grande partie par défaut de moyens. Tandis que le Gouvernement peut en effet compter sur les corps d’inspections, les administrations et autres institutions – telles que France Stratégie ou le Haut-Commissariat au Plan – pour éclairer son action, le Parlement dispose aujourd’hui de moyens insuffisants. Ni les élus et leurs assistants, ni les administrateurs des assemblées ne peuvent mener à bien une véritable évaluation des lois, en raison des autres tâches qui leur incombent et de l’expertise technique que ces missions requièrent. Outre ses conséquences sur la qualité de la loi, une telle situation ne peut qu’accentuer le déséquilibre des pouvoirs qui mine depuis ses origines la Vè République.
Plusieurs initiatives ont récemment tenté de remédier à ces lacunes en ouvrant aux parlementaires la faculté de saisir certaines institutions. La révision de 2008, inspirée par les travaux du « Comité Balladur », a d’abord permis au Parlement (au nouvel article 47-2 de la Constitution) de solliciter l’assistance de la Cour des comptes dans l’évaluation des politiques publiques. Le décret de 2013 portant création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (devenu France Stratégie) a ensuite permis au Parlement de saisir cette institution de propositions d’études. Malgré la volonté, chez de nombreux parlementaires, d’investir pleinement leur fonction d’évaluation, ces remèdes demeurent toutefois insuffisants.
Afin de renforcer les moyens d’évaluation dont dispose la représentation nationale, une première option pourrait consister à rattacher France Stratégie ou la Cour des comptes au Parlement. Techniquement réalisable, elle présenterait toutefois plusieurs inconvénients. D’une part, l’évaluation des politiques publiques n’est pas l’activité centrale de ces institutions. La fonction de France Stratégie est ainsi avant tout « prospective », tandis que la Cour des comptes se charge pour l’essentiel de contrôler et de juger les comptes publics. D’autre part, un tel rattachement ne manquerait pas de se heurter à d’importants obstacles, tant culturels que juridiques. En particulier, dans la mesure où ses membres ont le statut de magistrats, le rattachement de la Cour des comptes au Parlement impliquerait de bouleverser une institution dont le fonctionnement est établi.
Afin de mieux assister le Parlement dans sa mission, désormais constitutionnelle, d’évaluation des politiques publiques, la création d’une agence spécifique pourrait donc être privilégiée :
➜ Créer une Agence Parlementaire des Politiques Publiques, rattachée au Parlement et chargée de mener, en amont et en aval de la délibération parlementaire, des évaluations conformes aux standards scientifiques internationaux.
Sur le modèle du « Congressional Budget Office » (CBO) établi en 1974 pour assister le législateur aux États-Unis, cette institution produirait, à la demande des parlementaires ou de sa propre initiative, des travaux offrant une perspective complémentaire aux informations dont disposent les administrations centrales. Composée de hauts fonctionnaires et de chercheurs, elle serait appelée à entretenir des relations étroites avec le monde académique, où l’évaluation des politiques publiques s’est fortement développée[6]. Ses agents pourraient enfin disposer, sur le modèle des « inspections » de l’administration centrale, d’un droit d’accès privilégié aux données publiques et administratives.
PROPOSITION 4 : INTRODUIRE UNE PART DE PROPORTIONNELLE AUX « MEILLEURS SECONDS » AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
Si le choix du mode de scrutin pour l’élection législative ne relève pas stricto sensu de la Constitution, mais d’une loi ordinaire, il n’en constitue pas moins l’un des piliers de l’équilibre de nos institutions. Souvent abordé au seul prisme de la représentativité des forces politiques à l’Assemblée, ce choix est étroitement lié à plusieurs autres enjeux majeurs : la formation des majorités parlementaires, dont dépend en définitive la stabilité des gouvernements ; le profil des députés et leur ancrage territorial ; le poids des partis dans la vie politique nationale[7].
S’agissant de la représentativité de l’Assemblée nationale, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours souffre d’un important défaut : en réservant les sièges aux candidats en tête du second tour, il favorise la surreprésentation des partis vainqueurs, au détriment de formations dont les candidats ont pourtant obtenu un très grand nombre de suffrages. Constamment utilisé depuis 1958, sauf aux législatives de mars 1986, ce mode de scrutin présente un effet déformant et contribue au sentiment d’une faible représentativité. À titre d’illustration, après avoir recueilli 13,20 % des suffrages au premier tour des élections législatives de 2017, le Front National n’a finalement obtenu que 8 sièges de députés – soit à peine plus de 1 % de la Chambre.
Les avantages du scrutin majoritaire à deux tours ne sauraient pour autant être négligés.
Tout en permettant à une diversité de forces politiques de se présenter au premier tour, il favorise d’abord, au second tour, la convergence de tendances fragmentées de l’opinion publique, forçant l’apparition d’une majorité de gouvernement. Cet « effet majoritaire », qui contribue depuis 1958 à la stabilité gouvernementale, est même son principal atout, systématiquement opposé aux partisans d’une proportionnelle intégrale.
En s’inscrivant dans de « petites » circonscriptions territoriales (577 en tout), il préserve par ailleurs l’enracinement local des députés, et permet ce faisant à des trajectoires politiques nationales de se développer loin des principaux centres urbains.
Enfin, en autorisant tout citoyen à se présenter dans la circonscription de son choix, il permet l’élection de députés n’appartenant à aucune liste et cultivant ainsi une relative indépendance vis-à-vis des partis.
Afin de renforcer la représentativité de l’Assemblée sans pour autant renoncer à la formation de majorités stables, certains proposent l’introduction d’un scrutin proportionnel intégral assorti d’une prime majoritaire. Tout en mettant un terme à la surreprésentation produite par le système actuel, un tel mode de scrutin permettrait à la liste arrivée en tête de bénéficier d’une « prime » qui pourrait être fixée entre 5 et 20 % des sièges, en plus de la part correspondant aux suffrages recueillis. L’instauration d’un seuil minimal de représentation, fixé à 3 ou 5 %, pourrait dans le même temps limiter la représentation de partis catégoriels ou ne réalisant qu’une faible audience.
Très séduisante à première vue, cette solution nous semble toutefois devoir être écartée. Visant à corriger l’effet d’émiettement de la proportionnelle, la prime majoritaire ne pourrait en effet fonctionner qu’à condition que l’élection ait lieu dans de très larges circonscriptions (étant rappelé que 71 départements élisent aujourd’hui moins de cinq députés). Pour produire ses effets, un tel système supposerait en pratique la définition d’une circonscription nationale unique, ou à tout le moins de circonscriptions régionales, ce qui affaiblirait d’autant l’ancrage local des députés. Dans le même temps, l’application d’un scrutin de liste national ou régional renforcerait la mainmise des partis : tandis que le système actuel permet l’élection de députés relativement « indépendants », prenant appui sur leur ancrage pour solliciter ou au contraire refuser l’affiliation à un mouvement politique, le scrutin de liste national ou régional confierait aux appareils, déterminant l’ordre d’inscription des candidats, une influence totale sur les trajectoires politiques.
Une solution intermédiaire pourrait ainsi être privilégiée, consistant à préserver le mode de scrutin actuel, à fort effet majoritaire et territorialement ancré, tout en corrigeant ses effets par l’introduction d’une part de proportionnelle. Une partie des députés – par exemple, 15 ou 20 % – serait élue au scrutin proportionnel selon les résultats obtenus, à l’échelle nationale, par toutes les formations représentées au premier tour.
La méthode retenue pour le fonctionnement de cette part de proportionnelle devrait toutefois faire l’objet de la plus grande attention[8]. Car selon sa conception, ce mode de scrutin mixte risquerait d’ouvrir la voie à une scission peu souhaitable, au sein de la représentation nationale, entre deux catégories de députés : les uns, élus au scrutin uninominal majoritaire et responsables de leurs actions devant les électeurs de leur circonscription, continueraient de bénéficier d’un véritable enracinement local ; les autres, élus sur liste nationale à l’occasion d’un second vote, le jour du premier tour, seraient privés de cet ancrage et ne devraient leur élection qu’à l’aval des partis.
Afin d’éviter cet écueil, une solution pourrait permettre de préserver l’unicité du vote – un seul bulletin par électeur – et l’enracinement local de tous les candidats tout en améliorant la représentativité des forces politiques à l’Assemblée. Pour les 80 ou 85 % des sièges attribués au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, les candidats se présenteraient ainsi, comme aujourd’hui, dans la circonscription de leur choix, et devraient indiquer le parti auquel ils souhaitent se rattacher pour le scrutin national. Les 15 ou 20 % de sièges restants, attribués à la proportionnelle, seraient répartis entre les candidats de ces partis selon leurs scores réalisés au premier tour à l’échelle nationale. Les candidats élus selon cette proportionnelle aux « meilleurs seconds », sélectionnés parmi ceux n’ayant pas remporté l’élection au scrutin majoritaire, seraient alors ceux ayant obtenu au premier tour, dans leur circonscription, les scores les plus élevés[9].
L’option suivante pourrait finalement être privilégiée :
➜ Préserver le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours en l’assortissant d’une part de proportionnelle de 15 à 20 % des sièges, organisée selon le scrutin aux « meilleurs seconds » précédemment décrit.
II. Approfondir la démocratie
Sans remettre en cause le modèle, issu de la Révolution, de la démocratie représentative, d’autres voies d’expression pourraient être encouragées afin que la participation des citoyens soit renforcée. La réforme du Référendum d’Initiative Partagée (RIP), ainsi que du Conseil économique, social et environnemental (CESE), constitueraient à cet égard d’importantes avancées.
PROPOSITION 5 : FACILITER L’ORGANISATION DU RIP
L’article 3 de la Constitution place deux modalités d’expression de la souveraineté sur le même plan : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Malgré cette affirmation, la pratique référendaire, depuis les années 1990, n’a fait que décliner. Un tel essoufflement de l’expression « directe » de la souveraineté populaire appelle à nos yeux une réforme des règles du Référendum d’Initiative Partagée (RIP).
Issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, prévu et encadré par l’article 11, al. 3 de la Constitution, le RIP permet d’organiser un référendum sur une proposition de loi, présentée par au moins un cinquième des parlementaires, contrôlée par le Conseil constitutionnel et soutenue par un dixième du corps électoral. Ce mécanisme fait cependant, depuis ses origines, l’objet de critiques nombreuses et légitimes, tant en raison de l’importance du seuil retenu que de l’opacité de la procédure déclenchée en cas de recueil de ces soutiens.
En premier lieu, en effet, si le nombre de soutiens parlementaires exigé par l’article 11 – environ 185 parlementaires – paraît relativement accessible, le nombre de soutiens requis parmi les citoyens – un dixième du corps électoral, soit environ 4,5 millions d’électeurs – est simplement exorbitant. À titre de comparaison, le texte le plus signé de notre histoire, la pétition citoyenne « l’Affaire du siècle », initiée hors de tout cadre institutionnel par des associations de défense du climat, n’a recueilli que 2,3 millions de signatures. Le seul fait qu’aucun RIP n’ait jamais abouti, plus de dix ans après son introduction, témoigne d’ailleurs du caractère inopérant de la procédure actuelle.
En second lieu, à supposer qu’une proposition franchisse les seuils requis, l’organisation d’un référendum selon la procédure actuelle ne serait même pas acquise. Le texte prévoit en effet que la proposition ne serait soumise à référendum qu’à condition de ne pas avoir été « examinée » – et le cas échéant rejetée – par les deux assemblées. Vidant le RIP de sa substance, cette procédure est de nature à générer une forte incompréhension de la part des électeurs qui, tout en se mobilisant en très grand nombre pour atteindre le seuil requis, n’ont pas la certitude qu’un référendum ait lieu.
Afin de rendre effectif ce droit pour les citoyens de proposer un référendum, la procédure du RIP pourrait ainsi être facilitée en abaissant son seuil et clarifiant son déroulé, tout en conservant le double filtre, d’une part, du soutien d’un cinquième des parlementaires[10], et d’autre part, du contrôle a priori de toute proposition de loi référendaire par le Conseil constitutionnel. La portée d’un RIP pourrait par ailleurs être conditionnée à l’obtention d’un quorum, ce qui permettrait d’éviter qu’une minorité trop étroite puisse adopter une loi en misant sur l’indifférence de la majorité des citoyens. Faute pour 30 % du corps électoral de participer au RIP, le référendum serait alors seulement consultatif : la proposition de loi serait soumise au Parlement, qui serait tenu de se prononcer.
Dans le même temps, afin d’encourager la participation et d’éviter qu’un Gouvernement opposé à la proposition de loi n’entrave le déroulement d’un RIP, une autorité indépendante pourrait se voir confier l’organisation du recueil des signatures puis de l’éventuelle campagne sur ce référendum.
Quatre propositions complémentaires pourraient donc être retenues :
➜ Abaisser le seuil de déclenchement du RIP à 1 million d’électeurs ;
➜ Rendre l’organisation du référendum obligatoire lorsque ce seuil est franchi ;
➜ Introduire un quorum de 30 % du corps électoral, en-deçà duquel tout référendum d’initiative partagée serait seulement consultatif ;
➜ Confier à une autorité indépendante l’organisation du recueil des signatures puis de l’éventuelle campagne.
PROPOSITION 6 : REFONDER LE CESE
Issue de la rencontre entre la pensée corporatiste du XIXè siècle et la pensée réformiste notamment incarnée par le parti radical sous la IIIè République, l’institution du « Conseil national économique », créée en 1925 par le Président du Conseil Édouard Herriot, devait initialement concourir à une meilleure représentation des nouveaux acteurs de la vie économique et sociale. Jouant un rôle central sous le Front Populaire[11] , puis supprimée par le régime de Vichy, elle fut remise sur pied en 1946 autour d’un consensus semblable, issu de la Résistance : la démocratie politique devait impérativement être complétée par une démocratie économique et sociale, sous la forme d’un dialogue entre les membres des organisations collectives, associations et syndicats, représentant la société civile « organisée » et se réunissant au sein d’une assemblée consultative[12].
Renommée « Conseil économique et social » en 1958, l’institution manqua d’être supprimée en 1969, lorsque le général de Gaulle proposa par référendum de la faire fusionner avec le Sénat. Cette proposition rejetée, le Conseil survécut, mais ses ambitions parurent, au cours des décennies suivantes, sérieusement diminuées[13]. Finalement renommé « Conseil économique, social et environnemental » lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’actuel CESE, composé pour l’essentiel de représentants sociaux et investi d’une simple fonction consultative, apparaît ainsi comme la survivance d’une conception de la démocratie dont l’inspiration est toujours pertinente, mais dont la consistance demeure insuffisante dans l’équilibre de nos institutions.
Une autre conception du rôle de cette institution a par ailleurs peu à peu émergé : à sa traditionnelle fonction de représentation des corps intermédiaires, se superpose désormais la volonté de faire du CESE le lieu central de la « démocratie participative », en renforçant ses attributions et en incluant une part de citoyens tirés au sort afin de parvenir à une représentation sociologiquement fidèle de la société française.
Inspirée par cette conception, la réforme initiée par le Président Macron, entrée en application le 1er avril 2021, n’a finalement réalisé que des changements mineurs : numérisation des pétitions permettant aux citoyens de saisir le CESE, abaissement du nombre de signatures requis à 150 000 (contre 500 000 auparavant), possibilité de faire participer ponctuellement des citoyens aux travaux des commissions, ou encore réduction du nombre des membres de l’institution[14]. Cette timidité vient en réalité de la forte réticence, exprimée par le centre et la droite au Sénat, face à une conception renouvelée du CESE, que certains ont fustigée sous le nom de « démocratie de la courte paille »[15].
Mais si un groupe de citoyens tirés au sort ne saurait, sans bouleverser le fonctionnement de nos institutions, exercer des fonctions législatives à part entière, la présence de citoyens au sein d’une assemblée consultative permettrait de faire émerger des thèmes et des propositions nouveaux, ainsi que des personnalités non-familières des instances partisanes.
À l’image de la « Convention citoyenne sur le climat » instituée en octobre 2019, mais de façon permanente, le CESE pourrait ainsi devenir un organe de proposition et de consultation, composé, à parité, de représentants sociaux et de citoyens tirés au sort. Bénéficiant d’une fonction institutionnelle plus clairement définie, il aurait la faculté de formuler des propositions et d’émettre des avis que le Gouvernement et le Parlement ne pourraient ignorer.
Malgré l’opposition probable d’une partie – voire d’une majorité – du Sénat, l’idée d’une véritable refondation du CESE pourrait par conséquent continuer d’être promue :
➜ Institutionnaliser la présence de citoyens tirés au sort, à parité avec les représentants sociaux, en créant un mandat de membre-citoyen du CESE pour une durée pouvant être de deux ans. Ce mandat permettrait aux membres-citoyens de prendre l’initiative de certains travaux. Il conférerait par ailleurs à ses titulaires une assise institutionnelle supérieure à celle des membres des récentes « Conventions citoyennes », telle que leurs travaux gagneraient en importance et en visibilité. Les membres-citoyens pourraient poursuivre une activité professionnelle et les frais occasionnés par ce mandat seraient naturellement pris en charge.
➜ Instaurer une obligation de réponse, contraignant le pouvoir exécutif à répondre de façon argumentée aux propositions du CESE dans un délai déterminé, afin que les travaux de ses commissions ne restent pas lettre morte.
➜ Compléter cette obligation de réponse par l’obligation, faite aux membres du Gouvernement, de se rendre à échéance régulière – par exemple à la fin de chaque session ordinaire du Parlement, au mois de juin – devant les membres du CESE, sur le modèle des questions au Gouvernement pratiquées dans les assemblées législatives.
III. MIEUX GARANTIR LES DROITS ET LIBERTÉS
Fragilisé par les états d’urgence qui se succèdent presque sans trêve depuis 2015, notre État de droit devrait enfin être renforcé, pour garantir le plus efficacement possible les droits et libertés des citoyens. De ce point de vue, la Vè République a connu, depuis ses origines, de considérables avancées, que ce soit à travers l’affirmation progressive du Conseil constitutionnel, l’ouverture du contrôle de conformité des lois à la Convention européenne des droits de l’homme, ou encore le renforcement des garanties d’indépendance de la justice. Des progrès supplémentaires peuvent toutefois être accomplis.
PROPOSITION 7 : MODERNISER LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Institué en 1958, le Conseil constitutionnel a d’abord été conçu comme un simple garant de la séparation des pouvoirs[16], veillant à ce que le Parlement s’en tienne aux limites du domaine de la loi, définies par l’article 34 de la Constitution, sans empiéter sur le domaine réglementaire. Ces attributions restreintes ont connu depuis une extension considérable : à travers la décision Liberté d’association du 16 juillet 1971[17] et avec l’introduction de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la révision du 23 juillet 2008, le Conseil est devenu une juridiction à part entière, omniprésente pour la protection des droits et libertés.
Mais en dépit de cette affirmation progressive, le Conseil constitutionnel n’a pas fondamentalement évolué dans sa composition. Conformément à l’article 56 de la Constitution, le Conseil – aujourd’hui comme en 1958 – est composé de neuf membres, renouvelés par tiers tous les trois ans ; trois de ses membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, et trois par le président du Sénat, sans condition de qualification juridique.
Depuis la réforme de 2008, la nomination de ces membres est certes soumise à la procédure de l’article 13 de la Constitution : les nominations proposées, soumises à l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée, ne peuvent aboutir lorsque l’addition des votes négatifs représente plus de trois cinquièmes des suffrages exprimés. En pratique, toutefois, le rejet d’une nomination par une majorité si élevée apparaissant politiquement très improbable, cette procédure n’a quasiment qu’une portée symbolique[18].
La composition du Conseil constitutionnel se heurte ainsi aujourd’hui à un double soupçon : la faible légitimité des membres, devant leur nomination au seul président qui les désigne, ne peut qu’accroître – à tort ou à raison – le sentiment d’incompétence lié à leur absence de qualification particulière.
Afin de renforcer les garanties d’indépendance et de conforter l’autorité du Conseil constitutionnel, deux propositions alternatives nous semblent pouvoir être envisagées :
➜ Soumettre la nomination des membres du Conseil à un vote à une majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes de chaque Assemblée ; la fixation d’un tel seuil, forçant un consensus transpartisan, aurait l’avantage de « dépolitiser » de telles nominations, et par conséquent de favoriser le choix de personnalités reconnues pour leur indépendance et leur compétence juridique ; ou :
➜ Soumettre la nomination des membres à un vote à une majorité simple des commissions compétentes de chaque Assemblée, tout en introduisant une condition de qualification – par exemple : 10 ans d’enseignement du droit à l’université, d’exercice de la magistrature ou de la profession d’avocat, ou ancien Garde des Sceaux.
Quelle que soit l’option retenue, il serait également nécessaire, pour la crédibilité de l’institution, de mettre fin à la présence de droit des anciens Présidents de la République.
PROPOSITION 8 : GARANTIR L’INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE
Tandis que les missions de poursuivre et de juger sont a priori bien distinctes, mais appartiennent toutes deux à l’autorité judiciaire, le modèle français a la particularité d’affirmer l’unité du corps judiciaire en même temps que l’autorité du garde des Sceaux sur le ministère public.
D’une part, en effet, le parquet exerce l’action publique et met en œuvre la politique pénale définie par le Gouvernement. Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, auquel la loi du 25 juillet 2013 a retiré la faculté d’adresser aux parquetiers des instructions individuelles, dispose toujours du pouvoir de leur adresser des instructions générales afin de définir une politique cohérente sur l’ensemble du territoire. Mais d’autre part, ce même parquet est supposé répondre aux exigences d’indépendance communes à toute juridiction, ce qui suppose une véritable protection contre les empiètements du pouvoir exécutif. Les représentants du ministère public appartiennent en effet, comme les juges du siège, à l’autorité judiciaire, dont l’article 64 de la Constitution consacre l’indépendance et que l’article 66 institue comme « gardienne de la liberté individuelle ».
Cette contradiction, seulement apparente, constitue en réalité le modèle du « parquet à la française »[19], lequel nous semble devoir être préservé. L’affirmation d’une indépendance totale du ministère public reviendrait en effet à reconnaître au parquet le pouvoir de définir les orientations de la politique judiciaire de façon autonome, sans pour autant être investi d’une légitimité démocratique et de la responsabilité qui l’accompagne. Si l’intervention du Garde des Sceaux dans les affaires individuelles ne saurait évidemment être tolérée, la définition de la politique pénale par le ministre de la Justice, plutôt que par un « procureur général de la Nation »[20] ou une autorité telle que le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), semble davantage conforme à la fonction du ministère public autant qu’aux exigences d’une société démocratique. Aux procureurs l’opportunité des poursuites et l’exercice de l’action publique ; au Garde des Sceaux la charge de définir et diriger la politique pénale, et d’en rendre compte régulièrement devant le Parlement.
Les garanties d’indépendance du parquet, ceci étant, sont aujourd’hui très largement insuffisantes.
En premier lieu, à la différence des juges du siège, nommés par le Président de la République, sur proposition du garde des Sceaux, après avis conforme du CSM, les magistrats du parquet sont nommés sur avis simple du CSM. Cet avis est en pratique systématiquement suivi depuis 2008, mais il s’agit d’une simple règle coutumière : un garde des Sceaux peu scrupuleux pourrait parfaitement, demain, nommer un parquetier plus « complaisant » contre l’avis du CSM.
De même, tandis que les magistrats du siège occupant les fonctions les plus importantes – chefs de juridictions et magistrats du siège de la Cour de cassation – sont nommés, par le garde des Sceaux sur proposition du CSM, leurs homologues du parquet – procureurs, procureurs généraux et magistrats du parquet général de la Cour de cassation – sont nommés sur proposition du Garde des Sceaux, avec un simple avis du CSM. L’influence de la Chancellerie sur les carrières des parquetiers demeure par là prédominante.
Enfin, tandis que les magistrats du siège ne peuvent être sanctionnés que par le CSM, le pouvoir de sanction des magistrats du parquet demeure entre les mains du garde des Sceaux.
Cette insuffisance des garanties d’indépendance des parquetiers est pourtant d’autant plus préjudiciable que les pouvoirs du parquet, depuis de nombreuses années, se sont considérablement étendus, que ce soit au travers de nouveaux moyens d’enquête (notamment dans la lutte contre la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et le terrorisme), de nouvelles procédures (composition pénale, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, convention judiciaire d’intérêt public), ou simplement de l’érosion constante du nombre des affaires donnant lieu, sous le contrôle d’un magistrat du siège, à une procédure d’instruction. Le parquet est peu à peu devenu l’acteur principal de la phase préliminaire du procès pénal – sans pour autant que l’indépendance de ses membres ait été réellement garantie.
Au-delà de la question de l’indépendance, le fonctionnement actuel de la magistrature a la particularité d’organiser de fréquents passages entre le siège et le parquet. L’exercice des fonctions de poursuite ou d’enquête pendant plusieurs années n’est pourtant pas sans incidence sur l’exercice ultérieur, par un même magistrat, de la fonction de juge du siège. Ces liens contribuent à entretenir le soupçon d’une connivence entre magistrats, au détriment, cette fois, de la confiance en l’impartialité de la justice pénale.
Plusieurs propositions pourraient ainsi être retenues :
➜ Aligner les règles disciplinaires et de nomination des magistrats du parquet sur celles des magistrats du siège :
- Inscrire dans la Constitution que la nomination des magistrats du parquet ne peut intervenir que sur avis conforme du CSM (comme cela est déjà le cas en pratique) ;
- Aligner les conditions de nomination des procureurs, procureurs généraux et magistrats du parquet général de la Cour de cassation sur celles de leurs homologues du siège, en reconnaissant au CSM un pouvoir de proposition;
- Confier le pouvoir de sanction des parquetiers au CSM, comme c’est le cas pour les magistrats du siège, et non au Garde des Sceaux;
➜ Limiter les circulations entre le siège et le parquet en imposant aux magistrats, après dix ans de carrière, de choisir une affectation définitive.
Parallèlement à ces réformes, l’accent doit être mis sur l’augmentation du budget de la justice, aussi bien civile que pénale, afin, notamment, de renforcer la collégialité, de préserver l’égal accès au juge sur tout le territoire et de raccourcir les procédures. Si les institutions actuelles, bien que perfectibles, ne sont pas fondamentalement défectueuses, les tribunaux sont en revanche très largement sous-financés[21]. Aucune réforme ne saurait donc se limiter à des questions d’» architecture » sans donner aux magistrats et aux greffiers les moyens de travailler dans de bonnes conditions, dans l’intérêt des justiciables et de la société dans son ensemble.
PROPOSITION 9 : SUPPRIMER LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE
Créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, la Cour de justice de la République (CJR) est une juridiction pénale d’exception, disposant d’une compétence exclusive pour connaître des crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. Sa création dans le sillage de l’affaire du « sang contaminé » entendait accroître la responsabilité pénale des membres du Gouvernement : jusqu’en 1993, ces derniers ne pouvaient être poursuivis devant l’ancienne Haute Cour de Justice qu’à l’initiative du Parlement. La CJR, qui peut être saisie par la plainte de toute personne, a de ce point de vue constitué un progrès certain.
Toutefois, si la volonté de préserver les ministres de mises en cause abusives est louable, cette juridiction est – légitimement – remise en cause depuis des années.
Elle apparaît d’abord comme une juridiction de complaisance, tant en raison de sa composition (3 magistrats de la Cour de cassation, 12 « juges parlementaires » issus de l’Assemblée et du Sénat) que de la relative clémence des jugements rendus jusqu’à présent. Que cette impression soit ou non justifiée, la présence des parlementaires fait naître un doute légitime sur son impartialité.
Son fonctionnement actuel entraîne par ailleurs des rigidités de procédure qui nuisent à la bonne administration de la justice. La loi organique du 23 novembre 1993 prévoit par exemple qu’aucune constitution de partie civile n’est recevable devant elle, morcelant en conséquence les procédures entre l’action pénale et les éventuelles actions civiles, que les victimes doivent initier en parallèle devant les juridictions de droit commun. En limitant en outre la compétence de la CJR aux infractions commises par les membres du Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, les dispositions actuelles lui interdisent de poursuivre les éventuels complices, co-auteurs, voire receleurs de ces infractions, au détriment de la cohérence des jugements rendus.
La nécessité de remédier à ces incohérences tout en rapprochant du droit commun la responsabilité pénale des membres du Gouvernement appelle la suppression de cette juridiction d’exception. Un tel constat est d’ailleurs largement partagé : promise par François Hollande en 2012 mais finalement abandonnée, la suppression de la CJR figurait dans le projet de réforme constitutionnelle présenté en conseil des ministres le 28 août 2018, qui n’a pas davantage abouti.
Deux options alternatives pourraient être étudiées :
➜ Rétablir la compétence des juridictions pénales de droit commun pour les crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions ; ou :
➜ Prévoir la compétence exclusive du Tribunal correctionnel de Paris pour connaître de ces actes, ainsi que des poursuites visant d’éventuels co-auteurs ou complices, selon les règles du droit pénal commun.
Quelle que soit l’option retenue, le filtre de la Commission des requêtes pourrait être maintenu afin de prémunir les membres du Gouvernement du risque d’une instrumentalisation politique de la justice pénale. Pouvant être renommée « Commission d’examen préalable », comme le suggérait la « Commission Jospin » en 2012[22], cette instance serait composée, à parité, de magistrats de la Cour de cassation et de membres du Conseil d’État. Elle serait chargée de recevoir les plaintes à l’encontre des ministres et d’ordonner, soit le classement de la procédure, soit sa transmission au ministère public à fin de déclenchement des poursuites.
PROPOSITION 10 : ENCADRER LES ÉTATS D’URGENCE
Les attentats du 13 novembre 2015 puis la crise sanitaire en 2020 ont fait des états d’urgence un mode « normal » de la vie de la Nation : la France a vécu la plupart du temps, depuis novembre 2015, sous des lois permettant aux autorités administratives de déroger au droit commun. Modelé au gré des circonstances, l’» état d’urgence » désigne en réalité aujourd’hui deux régimes distincts, dont les usages et les contours demeurent mal définis, et auxquels d’autres pourraient s’ajouter à l’avenir selon les périls et volontés du législateur agissant dans l’urgence.
L’état d’urgence sécuritaire d’abord, issu de la loi du 3 avril 1955, a vocation à s’appliquer en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou en cas « d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Faisant désormais figure de régime d’exception « intermédiaire », il est devenu un outil courant de la gestion de crises, certes graves, mais ne requérant pas la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution (lequel suppose l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics)[23]. Il n’en suppose pas moins, en particulier à travers le renforcement des pouvoirs du ministre de l’Intérieur et du préfet, de graves atteintes aux libertés.
L’état d’urgence sanitaire ensuite, créé par la loi du 23 mars 2020, a vocation à s’appliquer en cas de « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Octroyant au Premier ministre des pouvoirs considérables, à commencer par celui de restreindre la liberté d’aller et venir de tous les citoyens, ce régime ad hoc s’est imposé, en plein confinement, sans que ses ressorts aient donné lieu à un réel débat public ou même parlementaire.
Gravement dérogatoires au droit commun, ces deux régimes distincts ne connaissent aujourd’hui aucun véritable encadrement constitutionnel, à l’exception des quelques décisions rendues par le Conseil constitutionnel depuis 2015, notamment dans le cadre de QPC. Une telle absence constitue pourtant une importante lacune, propice à de dangereux abus.
S’agissant d’abord de leur déclenchement, les états d’urgence sécuritaire et sanitaire sont à la main du pouvoir exécutif, le Parlement n’intervenant que dans un second temps, sans délai unifié, pour leur prorogation. L’état d’urgence sécuritaire est ainsi déclaré par décret en conseil des ministres et doit être prorogé dans un maximum de 12 jours par le Parlement. En pratique, rien ne paraît pourtant justifier un délai aussi long : en novembre 2015, la première loi de prorogation, donnant au Parlement l’occasion de se prononcer sur le bien-fondé de l’état d’urgence « terroriste », est ainsi intervenue seulement six jours après le décret du 14 novembre 2015. Quant à l’état d’urgence sanitaire, également déclaré par décret, il ne doit être prorogé par le législateur que dans un délai d’un mois. Dans un cas comme dans l’autre, l’absence de cadre plus contraignant laisse subsister le risque qu’un Gouvernement, qui déclencherait un état d’urgence à mauvais escient, ait les mains libres pendant une durée importante.
Laissées aux aléas de la loi ordinaire, les minces garanties figurant dans la loi de 1955 pourraient, quant à elles, facilement être écartées. En témoigne la loi de prorogation du 19 décembre 2016 : tout en renouvelant l’état d’urgence pour plus de six mois, jusqu’au 15 juillet 2017, cette loi dérogeait en effet à l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 prévoyant la fin de l’état d’urgence en cas de démission du Gouvernement consécutive, notamment, à l’élection du Président de la République. En d’autres termes, par un enjambement que la loi du 3 avril 1955 visait précisément à éviter, l’état d’urgence prorogé en décembre 2016 serait demeuré en vigueur, en 2017, y compris en cas de victoire de la candidate d’extrême droite à l’élection présidentielle. La prorogation de l’état d’urgence est un acte de confiance du Parlement en l’exécutif : en tant que tel, il doit impérativement être renouvelé lorsque le Gouvernement vient à changer.
Même lorsqu’elles ne contenaient pas de si dangereuses dispositions, les lois de prorogation de l’état d’urgence ont suivi ces dernières années un rythme erratique. L’état d’urgence sécuritaire de 2015 a par exemple été prorogé pour trois mois par les lois du 20 novembre 2015 et du 19 février 2016, puis pour deux mois le 20 mai 2016, six mois le 21 juillet 2016, sept mois le 19 décembre 2016 et enfin trois mois et demi le 11 juillet 2017. Faute de cadre constitutionnel, rien n’empêcherait un législateur de proroger l’état d’urgence pour une durée plus importante encore, le Conseil constitutionnel ne s’autorisant en la matière qu’un contrôle limité[24]. La nécessité d’un régime restrictif pour les libertés devrait pourtant faire l’objet d’un contrôle régulier par le Parlement : on ne peut en tolérer une mise en œuvre pour six ou sept mois sans consentir à ce que l’exception devienne la norme.
La solution suivante pourrait permettre d’encadrer l’état d’urgence sans pour autant y renoncer :
➜ Instaurer dans la Constitution un régime unitaire des différents états d’urgence, en reprenant, de façon limitative, la liste des événements envisagés par les lois du 3 avril 1955 et du 23 mars 2020. Ce régime unitaire aurait ainsi vocation à s’appliquer aux lois instituant l’état d’urgence « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique, ou de catastrophe mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».
Ce régime pourrait notamment :
- Prévoir l’intervention du législateur, pour proroger l’état d’urgence, dans un délai maximal de 8 jours. L’état d’urgence continuerait d’être décrété en conseil des ministres, mais sa prorogation par le législateur devrait intervenir plus vite qu’aujourd’hui ;
- Limiter la prorogation à une durée maximale de deux mois, renouvelable à la majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès. Tout en renforçant la majorité nécessaire à cette prorogation au-delà d’une première période – déjà longue – de deux mois, une telle mesure aurait le mérite de solenniser cette décision ;
- Prévoir que la loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de 15 jours suivant la démission du Gouvernement (consécutive, notamment, à l’élection du Président de la République) ou la dissolution de l’Assemblée nationale.
L’article introduit dans la Constitution pourrait être rédigé dans les termes suivants :
« L’état d’urgence est décrété en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire national, en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique, ou de catastrophe mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population.
Une loi organique fixe les mesures de police administrative que les pouvoirs publics peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements.
La prorogation de l’état d’urgence au-delà de huit jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée, qui ne peut être supérieure à deux mois, renouvelable par une majorité des trois cinquièmes de chacune des deux chambres.
La loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale.
L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises, au titre de l’état d’urgence, par le Gouvernement. Ils peuvent requérir toute information dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »
Dans le même temps, la possibilité, pour une proposition de loi visant à mettre fin à un état d’urgence, d’être examinée à bref délai par le Parlement, devrait être garantie[25].
Nous remercions Matthieu Abgrall, Lenny Benbara, Farid Benlagha, Marion Bet, Délou Bouvier, Paul Cassia, David Djaïz, Thomas Hochmann, Natalia Leclerc, Olivier Lenoir, Benjamin Morel, Chloé Ridel, Roman Rousset, Beverley Toudic, Shahin Vallée et Patrick Weil : ces dix propositions n’engagent que nous mais ont beaucoup bénéficié de leur aide, de leurs conseils et suggestions.
[1] Le Coup d’État permanent, in F. Mitterrand, Œuvres, II, Les Belles Lettres, Paris, 2016, p. 147. L’extrait complet : « Quand le général de Gaulle voulut obtenir du peuple l’élection du président de la République au suffrage universel, il invoqua l’article 11 […]. Or, l’article 11 n’a aucune autorité en la matière et le Titre XIV, qui traite précisément « de la révision » et ne comporte qu’un seul article, l’article 89, impose des règles particulières à la révision. Rien là que de très normal : cette clause de protection est de tous les temps et de tous les régimes. Les membres de la plus modeste association de pêche ou de pétanque savent qu’on ne modifie pas les statuts d’une société aussi facilement qu’un règlement intérieur. Si la révision des statuts d’un groupement sportif requiert une procédure lente et solennelle, ne convient-il pas de protéger, avec un soin au moins égal, la Constitution d’un pays ? Tel est l’objet de l’article 89 selon lequel « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques » avant d’être soumis soit au référendum, soit au vote du congrès. Mais le général de Gaulle qui craignait de ne pouvoir fléchir le Sénat pour qu’il adoptât « en termes identiques » le projet que l’Assemblée nationale n’aurait pas manqué d’approuver et qui, voyant plus loin, cherchait à se défaire d’une tutelle qu’il jugeait insupportable, et à établir un dialogue immédiat avec le peuple, jugea l’occasion favorable et utilisa le subterfuge de l’article 11 qui ne pouvait tromper aucun juriste et, disons le mot, aucun honnête homme. »
[2] Pour une analyse historique de l’affirmation du Conseil constitutionnel, à laquelle nous avons contribué et qui a durablement marqué notre compréhension de cette institution : ACKERMAN B., Revolutionary Constitutions : Charismatic Leadership and the Rule of Law, Chapter 8, « Reconstructing the Fifth Republic », Harvard University Press, 2019.
[3] MOREL, B., « Une nouvelle République des citoyens », Institut Rousseau, 9 novembre 2020. Accessible en ligne : https://www.institut-rousseau.fr/une-nouvelle-republique-des-citoyens.
[4] En ce sens : EXPERT, F. « Crise du macronisme et épuisement de la Cinquième République », Revue AOC, 21 sept. 2018 (https://aoc.media/opinion/2018/09/21/crise-macronisme-epuisement-de-cinquieme-republique/).
[5] « Les maladies du droit », intervention de Jean-Denis Bredin à la Cour de cassation le 17 janvier 2005.
[6] Ainsi l’École d’Économie de Paris a par exemple développé l’Institut des politiques publiques (IPP), en partenariat avec le Groupe des écoles nationales d’économie et de statistique, afin de favoriser la recherche scientifique dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques.
[7] Plus généralement, pour une discussion approfondie des effets, avantages et inconvénients des différents modes de scrutin, v. DUVERGER, M. et GOGUEL, F., L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Presses de Sciences Po, 1950.
[8] Sur l’étude des différents systèmes envisageables, v. not. la note de M. Cédric Villani du 8 juin 2018 en réponse à la demande de la commission des Lois (accessible en ligne à l’adresse : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/programme_auditions_publiques/Note_sur_l_incidence_d_une_evolution_du_mode_de_scrutin_des_deputes.pdf?fbclid=IwAR13jxCde9t9cElZtBMoRgZVuly8rmFH6DO7ncmBSWgkAtO8oYWncywzCKo). L’échec de l’actuelle majorité à introduire un tel mode de scrutin tient en partie à l’absence de consensus quant aux modalités de la part de proportionnelle envisagée. À notre connaissance, la proportionnelle « aux meilleurs seconds » que nous proposons n’a jusqu’ici jamais été envisagée.
[9] Inévitablement, l’introduction d’un tel scrutin devrait conduire, soit à augmenter le nombre total de députés siégeant à l’Assemblée, soit à diminuer le nombre de candidats élus au scrutin uninominal majoritaire et donc à élargir certaines circonscriptions. La seconde de ces options nous semble préférable. Dans cette hypothèse, afin d’éviter que l’élargissement des circonscriptions, qui renforce l’effet majoritaire du scrutin, neutralise l’effet de la part de proportionnelle, celle-ci devrait être une proportionnelle dite « compensatoire » : les 15 ou 20 % de sièges concernés seraient attribués dans une proportion permettant de corriger au mieux les effets déformants du scrutin majoritaire à deux tours, et non selon la proportion exacte des scores de chaque parti.
[10] Une proposition plus radicale – et pour beaucoup plus séduisante – consisterait à supprimer le filtre parlementaire pour instituer un « Référendum d’Initiative Citoyenne ». Cette revendication nous semble toutefois impliquer un risque excessif pour la stabilité de la vie politique. La facilité pour des groupes d’intérêts de recueillir un nombre élevé de signatures encouragerait en effet la multiplication de référendums dont les orientations, peut-on craindre, ne seraient pas toujours compatibles avec les principes les plus fondamentaux de notre État de droit. Le contrôle de ces propositions par le Conseil constitutionnel permettrait certes de limiter leur nocivité, mais ouvrirait la voie à des accusations de « gouvernement des juges », le Conseil étant contraint de s’ériger en censeur direct de fractions importantes du corps électoral. L’existence du filtre parlementaire, nécessitant le soutien d’un cinquième des membres de l’Assemblée ou du Sénat, a l’avantage d’atténuer cette exposition du Conseil. L’exigence (relativement accessible) de recueillir le soutien de 185 parlementaires permet ainsi un premier filtre « politique » qui nous semble opportun.
[11] Pour une description de l’importance prise par le CNE sous le Front populaire, v. LE CROM, J.-P., « Le Conseil National Économique », in M.-O. et al., Serviteurs de l’État, La Découverte, « L’espace de l’histoire », 2000, pp. 463-473.
[12] La restriction des fonctions du CNE à la consultation, et non la législation, contrairement aux expérimentations menées dans certains pays voisins, est un trait saillant de son identité. Elle illustre la volonté constante de donner aux acteurs de la société civile une place dans les institutions sans affecter pourtant la souveraineté nationale. V. sur ce point les propos liminaires de Paul Painlevé, président du Conseil, lors de l’inauguration de l’institution en 1925 : « Le Conseil économique, par sa composition, doit grouper la généralité des compétences et des intérêts, dominer les technicités particulières pour être l’image aussi exacte que possible des forces économiques et sociales de la Nation. Il n’est pas davantage, il ne peut, il ne doit pas être une sorte de Parlement économique. La Constitution seule règle l’organisation des pouvoirs publics. Et la souveraineté nationale a ses mandataires, seuls ils ont le droit de parler et de décider en son nom. »
[13] L’historien Alain Chatriot fait ainsi du référendum de 1969 l’origine du blocage actuel de l’institution : « Une fois le Conseil reconduit dans ses pouvoirs en 1958 par le texte fondateur de la Vè République, la question constitutionnelle posée par la représentation professionnelle est actualisée par le référendum d’avril 1969 proposant l’association du Sénat, des régions et du Conseil économique et social. C’est alors toute l’ambiguïté du rapport de la culture républicaine française au bicamérisme qui éclate. Avec la réponse négative entraînant la démission du général de Gaulle, l’ensemble de l’édifice institutionnel est bloqué. Or ce statu quo toujours actuel n’est pas sans conséquence dans un moment politique où la distance entre représentés et représentants est à nouveau inquiétante pour le fonctionnement démocratique » (La démocratie sociale à la française, La Découverte, 2002, pp. 343-352).
[14] V. pour cette réforme récente du CESE la loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021. L’article 6-1 de cette loi prévoit également de renforcer le rôle consultatif de l’institution, en dispensant sauf exception le Gouvernement, en cas de consultation du CESE, d’avoir à consulter d’autres instances.
[15] V. p. ex. la section « Le tirage au sort, symbole d’une « démocratie de la courte paille » » dans le Rapport n° 13, enregistré à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2020, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental, par Mme Muriel Jourda, p. 11.
[16] Ou plus crûment : « chien de garde » du pouvoir exécutif, selon la célèbre formule de Michel Debré.
[17] Dans cette décision (n° 71-44 DC du 16 juillet 1971), le Conseil Constitutionnel a pour la première fois intégré le préambule de la Constitution de 1946 ainsi que la Déclaration de 1789, au bloc de normes au regard desquelles il contrôle la constitutionnalité des lois, et s’est ainsi affirmé en tant que gardien des libertés fondamentales.
[18] Sur le contrôle des nominations effectuées par le Président de la République selon la procédure de l’article 13 de la Constitution (nomination sauf avis défavorable des trois cinquièmes au sein des commissions compétentes), v. not. : SPONCHIADO, L., « La compétence de nomination du Président de la Cinquième République », thèse sous la dir. de M. Verpeaux, pp. 488 et s. Restituant les raisons ayant présidé à l’adoption de ce « seuil de veto » des trois cinquièmes, l’auteure remarque qu’un tel seuil restreint le contrôle des commissions aux « erreurs manifestes de désignation », ce qui revient à « dépolitiser le refus » d’une nomination. Elle observe certes que la publicité d’un tel avis est de nature à le rendre plus contraignant (Ibid., pp. 498 et s.). Mais la logique profonde de cette procédure n’en demeure pas moins très limitée : « cette procédure sert moins le consensus que l’absence de dissension » (Ibid., p. 513).
[19] V. not. Pour cette expression et la défense de ce modèle le rapport n° 3296 de MM. Ugo Bernalicis (président) et Didier Paris (rapporteur), fait au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire et déposé le 2 septembre 2020, ainsi que ses riches annexes. Et pour une perspective comparatiste : Figures du parquet, dir. Ch. Lazerges, PUF, Les voies du droit, 2006.
[20] V. p. ex., favorable à l’émergence d’un « véritable pouvoir judiciaire » et à l’instauration d’un « procureur général de la Nation » affranchi de l’autorité du garde des Sceaux, la tribune de M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation : « Un procureur général de la nation doit être instauré, indépendant du politique », Le Monde, 17 juin 2011. En contrepoint sur cette même question, v. l’audition de Mme Christiane Taubira, reproduite en annexe du rapport parlementaire précité : « Il y a toujours cette tentation de dire : « C’est un pouvoir judiciaire, il est indépendant : on le lâche » – d’accord, mais on le lâche où ? Comment accède-t-on à ce pouvoir – élections, nominations – et, surtout, comment rend-il compte ? Pour en revenir à votre question, je ne suis pas favorable à un procureur général national. Je ne pense pas que vous, parlementaires, soyez prêts à vous contenter d’un vague rapport annuel du procureur national : s’il vient une fois par an, qu’est-ce que cela dit des travaux du parquet, qui sont de très grande qualité, d’ailleurs ? Quelle utilité ? Personnellement, je n’ai pas envie de vivre dans une démocratie comme cela. Il y a des pays qui fonctionnent ainsi, et pas forcément mal, comme l’Espagne, mais nous ne sommes pas ces pays. On ne peut pas passer son temps à revendiquer un parquet à la française, à expliquer à la CEDH qu’elle ne comprend pas nos subtilités et que le parquet à la française est indépendant, pour ensuite se contenter d’un modèle standard ! […] Alors oui, il faut consolider le corps, mais il faut aussi maintenir la responsabilité politique sur le bon fonctionnement du service public. » (op. cit., pp. 838-839).
[21] Voir récemment : JACQUIN, J.-B., « La justice civile, une justice du quotidien en péril », Le Monde, 2 août 2021.
[22] JOSPIN, L., « Pour un renouveau démocratique », Rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, remis le 9 novembre 2012 au Président de la République.
[23] Il a ainsi été appliqué 1955 et 1961 puis en 1985 ; récemment en 2005 (lors de la « crise des banlieues ») et 2015.
[24] V. not. Cons. const., déc. n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020.
[25] V. not. Sur ce point et les modifications constitutionnelles impliquées par la nécessité de cet examen à bref délai : Rapport n° 447 (2015-2016) de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 9 mars 2016, spéc. pp. 92-93.