La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et matthieulegoanvec01@gmail.com.
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Introduction
Une agroforêt est un système agroforestier complexe, avec une structure multi-strate de la végétation, un grand nombre de composantes, un fonctionnement écologique similaire aux forêts naturelles. De par leur structure multi-étagée leur faciès forestier et leur composition floristique, les agroforêts détiennent une grande diversité arborée. Principalement présent dans les régions tropicales, des expérimentations en climat tempéré ont montré comment pouvait être déclinée cette pratique en France sous les vocables forêt jardin, forêt comestible, forêt nourricière. Proposer un modèle de financement de cette approche est l’objectif de ce document. L’idée est d’utiliser un statut juridique la société par action simplifiée pour cadrer les agroforêts et de créer un marché primaire et secondaire pour échanger les actions de ces sociétés.
I. Financer la création de l’agroforêt, le modèle de la SAS forêt jardin comme standard
Les agroforêts répondent à plusieurs objectifs de développement durable. L’urgence d’initier cette démarche est la perspective d’un scénario d’un retour à terme à une agriculture manuelle basée sur des plantes annuelles très gourmande en main d’œuvre là où une agriculture à base de plante pérenne aurait nécessité beaucoup moins de travail et donc libéré plus de temps pour les autres activités économiques : dans un monde sans tracteur produire des annuelles c’est préparer le sol, semer, désherber, déplacer des brouettes de fumier à la force des bras de nombreuses fois dans l’année et 1 million d’agriculteurs ne pourraient pas nourrir 70 millions d’individus de cette manière, 1million d’agriculteurs pourraient entretenir un paysage d’agroforêt où les individus viendraient cueillir comme ils vont au supermarché. L’on pourrait objecter par le recours aux agrocarburants mais alors il faut faire le choix d’affamer certains ce qui est contraire à l’ODD n°2.
Le marché primaire doit financer la création de l’agroforêt qui est un débouché pour les secteurs par exemple du paysage et de la pépinière.
Afin de produire des économies d’échelle et une meilleure lisibilité pour le financement l’idée est de proposer un modèle standardisé.
La norme du marché primaire doit poser une équivalence action/surface/biomasse initiale, admettons qu’a la création 1 action équivaut à l’investissement sur 1m2 et que sur 1m2 il y a 10kg de biomasse.
Pour mesurer la biomasse on peut tenter d’évaluer le volume de bois et de racine et supposer une densité moyenne, échantillonner des volumes de terre et mesurer la masse de la pédofaune etc. ce travail n’est pas évident. En moyenne un agrosystème compte 10T/ha de biomasse en simplifiant on peut considérer qu’il y a 10kg/m2 de biomasse dans un champ ou dans une coupe rase. Le chiffre bien que faux peux être pris comme une approximation acceptable.
Pour créer un verger industriel aujourd’hui il faut compter de l’ordre de 50000€ (4000 arbres basse tige à 10€ et des investissements en plus comme la fertilisation, les travaux préparatoires, l’irrigation, des filets anti grêle, des tuteurs), si on complante un tel verger d’une strate de vivace et d’une strate d’arbuste le montant peut encore augmenter. L’enjeu est alors de produire une concertation avec la filière et de convenir d’un budget standard pour tous les projets.
Pour certains projets, le budget standard suffira pour d’autre, en particulier si le budget pour améliorer le sol est très important, il faudra compter sur l’apprentissage de la filière (meilleur connaissance des différents biotopes et coût des diagnostics, meilleur connaissance des designs adaptatifs et coût de conception, meilleur connaissance des modes de gestion et coût du conseil en gestion…) et les gains de productivité. Plus nombreux seront les projets d’agroforêt plus certaines économies d’échelle pourront être faites (mécanisation de la multiplication des plantes) et plus nombreuses seront les agroforêts existantes plus certaines ressources en matériel végétal seront accessibles (graines, boutures, greffons, bulbes).
II. Vivre dans l’agroforêt comme commun d’actionnaires
L’investissement traduit la volonté des entreprises d’intégrer l’amont en réduisant l’incertitude sur un approvisionnement biosourcé, la volonté des ménages de s’équiper en arbres fruitiers « liquidables » au grès des déménagements, la volonté des éleveurs d’accéder à du fourrage ou la volonté d’association environnementale de traduire leur but in situ. L’investissement doit permettre l’établissement d’un système de ressources pour ces acteurs et la composition du système de ressources est d’autant plus complexe que les attentes sont variées.
Les titres donneront des droits sur l’agroforêt et l’agroforêt produit un faisceau de droit, pour ses usagers c’est un commun dont il s’agit d’établir des règles de gouvernance afin d’assurer sa pérennité. Le gérant de l’agroforêt doit permettre la fourniture du système de ressources.
Les ménages peuvent par ce moyen tendre vers la maîtrise de leur empreinte écologique en liant leur consommation à une surface et sur le cours terme shunter toute une partie de la chaîne de valeur et éviter les pollutions dues au transport ou aux emballage. La SAS agroforêt peut être considérée comme une entreprise sociale et solidaire vis à vis des ménages pauvres qui peuvent grâce à elle se soutenir par l’auto cueillette ou accéder à des denrées dont ils sont exclus du fait du coût de la cueillette comme les cerises ou les framboises qui peuvent s’échanger à plus de 5€ le kg.
Pour les entreprises de transformation, on pourrait considérer les actions de SAS agroforêt comme un élément du fonds de commerce, leur approvisionnement impliquant une empreinte foncière et une allocation de la terre en concurrence avec d’autres allocations si bien que l’intégration de l’amont dans un monde qui se sait fini devient moins incertain et plus responsable que le recours au marché. L’enjeu est de lié dimension de l’outil de transformation et capacité d’approvisionnement permise par les agroforêts plutôt que de faire un modèle sur un outil donné en espérant que le marché de l’approvisionnement suivra quitte à mettre en valeur de nouvelles terres.
Les éleveurs doivent se concerter avant de placer les animaux sur l’agroforêt et s’entendre sur comment se partager la ressource et le gestionnaire de la SAS doit exercer un contrôle pour s’assurer du respect du contrat entre les éleveurs ainsi que les autres objectifs de l’agroforêt, cela peut passer par l’établissement de plan prévisionnel fourrager définissant la ressource à se partager, le chargement, les temps de repos. Avec les animaux ils produisent non seulement des matières premières mais également un service d’entretien pour l’agroforêt permettant de substituer à du travail humain de l’activité animale. L’apiculteur voulant profiter de l’agroforêt doit travailler à penser la production de nectar et de pollen au cours de l’année.
Des associations de protection de la nature peuvent être actionnaire en vue de favoriser l’habitat de certaines espèces.
La bonne manière de gérer le commun et de le faire durer reste une énigme, c’est un jeu d’essais et d’erreurs de découverte de bonnes pratiques de gouvernance puis de limite à ces pratiques. La proposition ici est à défaut d’avoir un statut juridique des communs grâce au code civil, d’utiliser la SAS comme forme juridique et de rédiger les statuts selon une première idée de gouvernance. Comme la question du climat et de la biodiversité sont primordiale, je propose que la gouvernance mette l’accent sur la biomasse comme indicateur du carbone stocké dans le commun et comme indicateur des formes de vie vue comme masse.
III. Entrer et sortir d’une agroforêt : le marché secondaire des titres d’agroforêt et la question de la valorisation de l’actif biomasse vivante
La proposition ici est de faire évoluer la valeur de l’action selon la biomasse de la parcelle ainsi l’actionnaire est pris dans une contradiction entre les droits qu’il peut faire valoir sur l’agroforêt en prélevant à un moment donné et le risque de trop prélever ce qui ferait diminuer le cours de l’action. Le renoncement au prélèvement est source de gain car alors la biomasse augmente, la biodiversité augmente, la matière organique contenue dans le sol augmente donc l’agroforêt s’améliore permettant plus tard de plus grands prélèvements.
a) Un jeu d’écriture comptable pour justifier un cours d’échange basé sur la biomasse de l’agroforêt
Posons que l’investissement correspond à une immobilisation corporelle en cours.
Initialement la valorisation de cet actif c’est l’ensemble des achats que les apports ont permis, considérons cet ensemble de jeunes plants qui constitue l’agroforêt ils vont grandir se ressemer et en l’absence de perturbations trop importantes la plantation aura plus de valeur d’usage qu’a ce stade initial dans l’avenir donc amortir cet actif produirait une image comptable non fidèle.
Admettons que l’on évalue la plantation à l’aune de sa biomasse et qu’elle va croître selon un modèle logistique. Alors le prix de la tonne de biomasse nous est donné par Investissement/Biomasse initiale. Si l’on pose que la biomasse initiale est de 10T/ha et que l’investissement est de 100 000€/ha on a un prix de la biomasse vivante de 10 000€/T ou de 10€/kg. Si l’on pose que la biomasse peut tendre vers 400T/ha, potentiellement l’actif peut être valorisé à 4 000 000€/ha.
Aucun travail n’a été nécessaire pour réaliser l’accumulation de biomasse, imaginons un jeu d’écriture tel que chaque année une quantité de carbone atmosphérique est acheté et une dette à l’égard de l’atmosphère est contractée afin d’enregistrer l’augmentation de la biomasse. Le gestionnaire du marché secondaire chargé de l’échange des titres peut également être chargé de la mission de la réévaluation de l’actif d’où découlerait la valeur d’échange des titres donc de la production des factures permettant les jeux d’écritures pour le compte de l’agence « atmosphère» vendeuse de carbone et détentrice des créances associées.
A 400T/ha on pourrait imaginer valoriser l’actif comme la somme de la valeur vénale des grumes qui constitue l’agroforêt mais alors la valorisation est excessive. Posons que lors d’une vente de bois l’actif est dégradé selon la biomasse exportée qui est transférée à l’acheteur, les actionnaires se partage en dividende le produit de la vente et la dette atmosphère correspondant à la diminution de l’actif est transféré à l’acheteur de la grume.
Un investisseur pourrait juger sont investissement à l’aune de l’escompte des dividendes issus de la vente de bois mais alors la valorisation est trop grande, pour dépasser ce problème voyons l’action d’un point de vue chartaliste et comment la variation du titre permettrait d’escompter l’impôt à payer.
b) L’impôt pour légitimer la valeur d’échange des titres
Imaginons que l’Etat autorise de payer l’impôt en action de SAS agroforêt, il valide le modèle d’évaluation de l’actif et le dispositif comme élément de sa politique climat et dans cette perspective l’Etat pourra alors redistribuer des titres et donc les droits associés à ces actions.
L’investisseur achète X titres en année n pour les reverser sous formes d’impôt en année p. Notons L la fonction logistique qui représente le cours de l’action dans le temps. Alors le retours sur investissement est de X*[L(p)-L(n)]/(p-n) > 0 par construction. Autrement dit avec en investissant X*L(n) l’année n il pourra payer X*L(p) d’impôt en année m et comme L(n)<L(p) son épargne comme réserve par anticipation de l’impôt futur trouve un placement intéressant.
Dans cet optique le rôle du banquier est sur la base d’un échéancier d’un impôt constant propre à son client de déterminer une suite décroissante (X1, X2,…) de nombre d’actions à acheter afin de s’acquitter de l’impôt.
Cette vision chartaliste étant limitée tentons un dépassement par une approche marginaliste en se demandant comment le modèle SAS agroforêt et sa valorisation élevée de la biomasse vivante va induire un prix plus élevé de la biomasse énergie sur le long terme.
c) EVITER : vers un équilibre utilité marginale du bois combustible et utilité marginale de la biomasse vivante ou transformée en biens
La valeur de la biomasse vivante de l’agroforêt est pour le moment bien supérieure à sa valeur d’échange si elle était vendue pour en faire de l’énergie : un stère d’environ 500kg vaudrait 5000€ quand elle vaut aujourd’hui moins de 100€ !
Par un jeu d’écriture, exporter une stère de l’agroforêt c’est capter la valeur d’échange et exporter la part d’actif biomasse et la dette atmosphérique associée à la stère, celui qui achèterait une stère à l’agroforêt serait donc débiteur de l’institution gestionnaire de la dette atmosphérique et brûler cette stère l’expose à devoir payer cette dette puisque le carbone capté dans l’atmosphère contenu dans la biosphère (ici la stère) sera exporté dans l’atmosphère, pour lui il est donc préférable de s’approvisionner ailleurs
À mesure que le modèle se diffuse les opportunités de se fournir ailleurs diminue, donc l’offre bon marché diminue. La lente diffusion de l’agroforêt donne le temps de l’adaptation contrairement à une taxe carbone immédiate.
Pour que le coût soit acceptable l’utilité qu’en tire l’usager doit être à la hauteur de la dépense donc cette approche tend à faire éviter toute les utilisations à l’utilité faible et à réduire la demande au stricte nécessaire telle que la dépense pour utiliser le bois comme combustible vaille la valeur élevée de l’exportation du carbone de la biosphère vers l’atmosphère, ultimement le risque de mourir de froid. A cet égard on peut imaginer une distribution par l’Etat de droit à brûler du bois, à émettre du carbone, sous forme de crédit atmosphère tel que quand un ménage vient acheter une stère il paye le prix producteur et remet le crédit atmosphère correspondant au vendeur de la stère comptable de la dette atmosphère associée aux stères qu’il a en stock.
L’utilité confort ou faire marcher une machine n’est alors plus satisfaite par le bois énergie ce qui encourage les constructions mieux isolées ou les moulins à eau ou à vent, soient des pratiques où le bois peut être utilisé comme matériel et le carbone conservé sous sa forme ligneuse, la dette atmosphérique étant alors conservée par le propriétaire du bien contenant le bois et le prix d’acquisition est le prix producteur. Au bout du cycle de vie du bois matériel, il peut être brûler, et son utilisateur peut grâce à ce bois sous forme matériel faire une provision sur le long terme en vue de payer la dette carbone ou au bout du cycle le bois peut être restitué à une agroforêt et servir d’amendement pour le sol.
Au bout de la logique, une fois que le prix élevé du bois énergie et la parcimonie dans son utilisation sont devenus des faits sociaux, on peut envisager la déconnexion de la valeur de la biomasse vivante d’avec la valeur de l’investissement initiale nécessaire à la création de l’agroforêt telle que l’utilité marginale de la biomasse vivante était constante via une libéralisation financière afin de la reconnecter avec la valeur de la biomasse énergie. À noter qu’accumuler la biomasse vivante c’est accumuler des producteurs d’oxygène et tendre vers des concentrations atmosphériques problématiques de comburant d’où l’enjeu d’évaluer l’utilité marginale de la biomasse vivante et si pour le moment elle vaut très cher afin de capter le carbone et de soutenir la biodiversité plus il y a de biomasse plus on peut se permettre de prélever sans nuire gravement donc sans conséquence problématique sur le climat ou la biodiversité.
d) COMPENSER : augmenter la biomasse et faire rouler la dette, l’agroforêt comme collatéral
Comme par construction la valeur de l’action augmente dès lors qu’il n’y a pas de grave perturbation de l’agroforêt, un individu peut emprunter pour acheter des actions et s’engager à remboursant et payer l’intérêt en rendant les actions augmentées de leur plus-value ou en faisant un nouvel emprunt en s’engageant à veiller à augmenter la biomasse de l’agroforêt pour une période supplémentaire. A l’instar des subprimes en immobilier on peut poser des largesses en matière de crédit permettant l’accès à tous aux actions des SAS agroforêt ces actions constituant un collatéral à l’emprunt.
Cette ouverture au plus grand nombre est d’ailleurs un dispositif essentiel puisque le contrôle mutuel des usagers du commun agroforêt et donc la réalisation de l’augmentation de la biomasse prévue repose sur l’existence d’usagers qui soient susceptibles d’observer les autres usagers et de signaler les mauvais usages contrariant la mission de compensation des émissions de carbone allouer à l’agroforêt.
e) CONSERVER : destruction de l’agroforêt et partage de la plus-value d’artificialisation
En dernier ressort on peut considérer la SAS agroforêt comme gestionnaire de l’abusus de la parcelle de l’agroforêt et en cas de destruction de la vocation agraire pour une artificialisation on peut imaginer une règle tel que le nu propriétaire de la parcelle reçoit la valeur agricole de la terre et les actionnaires se partagent la plus-value produit par l’artificialisation.
Là où un ha agricole vaut environ 0,5€/m2 un terrain constructible vaut au moins 10€/m2 et plusieurs centaines d’€ selon la situation si bien que les propriétaires de foncier agricole ont pu espérer des gains énormes grâce à l’artificialisation. Imaginons un avenir où l’agroforêt est mature et est valorisée à 400€/m2 si l’opportunité d’artificialiser se présente pour ce prix l’un des enjeux est alors l’existence d’une minorité de blocage parmi les actionnaires susceptibles d’empêcher l’artificialisation et de pérenniser la vocation agraire et de conserver la capacité de capter du carbone de la parcelle, la capacité à accueillir la vie et à cet égard les associations de protection de la nature détenant des actions jouent un rôle.